Ken Klippenstein : Quel
est à votre avis l’impact du
Printemps Arabe sur les droits des
Palestiniens ?
Norman Finkelstein : Le processus
n’est pas terminé. Les résultats
semblaient plus encourageants dans
la phase initiale que maintenant.
Peut-être que la phase actuelle va
évoluer pour donner quelque chose de
mieux, mais en ce moment, je dirais,
si je peux utiliser le terme
"démocratie", que la démocratie
recule. L’axe réactionnaire du Qatar
et de l’Arabie Saoudite, soutenu
bien sûr par les Etats-Unis parvient
actuellement à la faire reculer. Les
évènements en Egypte de ces derniers
mois n’ont pas été encourageants ni
porteurs d’espoir. En ce moment le
Qatar donne beaucoup d’argent aux
Frères Musulmans, et cela n’est pas
une bonne chose. En Syrie, ce qui a
commencé comme la suite du Printemps
Arabe avec des manifestations
pacifiques pour faire tomber la
dictature de Bashar a évolué en ce
que certains personnes appellent une
guerre civile. Mais je ne pense pas
qu’il s’agisse vraiment d’une guerre
civile parce qu’il ne me semble pas
que la population du pays ait encore
son mot à dire sur ce qui se passe.
C’est devenu une guerre par
procuration dans laquelle beaucoup
de puissances régionales et
mondiales comme l’Arabie Saoudite,
le Qatar, la Turquie et l’Iran
jouent un rôle funeste. Et puis la
Russie soutient un camp et les
Etats-Unis l’autre et ce sont
probablement eux qui tirent les
ficelles. Et puis il y a évidemment
les Anglais et les Français. Alors
l’avenir de la Syrie pour le moment
ne semble pas brillant ; on semble
s’acheminer vers un beau désastre.
Le Printemps Arabe a bien
commencé mais maintenant il recule.
Quant à son impact sur la Palestine,
on dirait qu’il est passé à côté
d’elle. Il a eu un impact indirect
sur Israël-Palestine à cause du
nouveau rôle joué par l’Egypte et la
Turquie : les Etats-Unis doivent en
tenir compte dans toutes leurs
décisions. Cela limite et contrôle
les actions d’Israël. Concrètement,
cela signifie qu’Israël ne pourrait
pas refaire ce qu’il a fait en
2008-2009, à savoir l’Operation Cast
Lead qui a consisté en un massacre
intensif du peuple palestinien et la
destruction de ses infrastructures
civiles. La Turquie et l’Egypte ont
tous les deux signifié à Washington
qu’ils ne resteraient pas les bras
croisés si Israël réitérait l’Operation
Cast Lead. C’est pourquoi la
dernière "opération" israélienne a
été plus limitée et qu’au final ils
n’ont pas réussi à l’emporter
militairement et que dans les faits
les Palestiniens, en l’occurrence
les Gazaouis, ont empêché les
Israéliens d’atteindre leurs
objectifs. Mais pour ce qui est de
mettre fin à l’occupation en
mobilisant la population
palestinienne pour des actions
massives comme on l’a vu en Egypte,
le Printemps Arabe est passé à côté.
Il y a à cela plusieurs raisons : Il
y a le fait que les Palestiniens
sont découragés et désespérés et
qu’ils ne croient plus qu’il soit
possible de modifier ou d’améliorer
leur situation ; il y a la
répression sécuritaire qu’Israël a
mis en place par l’intermédiaire de
l’Autorité Palestinienne ; et ajouté
à cela, il y a - et c’est sans doute
le plus évident - le fait que les
Palestiniens n’ont pas de direction
unie et qu’il n’y a en fait personne
qui dirige les Palestiniens.
KK : Quel rôle
pensez-vous que les Etats-Unis
d’après guerre ont joué dans la
création de l’état hébreu ? Quels
étaient à votre avis les motivations
des décideurs étasuniens ?
NF : Il y a eu de nombreux
ouvrages académiques sur la
question. J’en ai lu beaucoup quand
j’ai écrit mon livre Knowing Too
Much dont j’ai consacré une bonne
partie à essayer de détruire les
illusions de mes lecteurs dans ce
domaine.
D’une manière générale, le
président Truman, à l’époque,
recherchait le vote des Juifs. Il
est avéré qu’il voulait que les
Juifs le financent, de façon à
gagner l’élection de 1948. Il avait
donc de bonnes raisons de soutenir
le Plan de Partage de la Palestine
de 1947 et de reconnaître Israël en
1948. Mais surtout, il n’y avait pas
d’intérêt étasunien significatif en
jeu et c’est la raison pour laquelle
il a pris ces initiatives. A
l’époque les seuls intérêts
significatifs des Etats-Unis au
Moyen Orient étaient leurs
investissements en Arabie Saoudite
et dans l’industrie du pétrole
saoudienne. Le dirigeant saoudien,
le roi saoudien, avait dit aux
Etats-Unis qu’il ne verrait pas
d’inconvénient à ce qu’ils
reconnaissent Israël ni à ce qu’ils
soutiennent Israël, à condition que
les Etats-Unis n’interviennent pas
militairement si un conflit éclatait
dans la région suite à la partition
de la Palestine ou à la création
d’Israël. Et c’est exactement ce que
l’Administration étasunienne a fait
: elle a soutenu le Plan de Partage,
reconnu Israël et puis Truman à
imposé tout de suite un embargo sur
les armes à tous les pays du
Moyen-Orient. Il a donc suivi à la
lettre les termes de l’accord conclu
avec l’Arabie Saoudite. En fait, à
l’époque, George Marshall (le
secrétaire d’Etat) et toutes les
agences étasuniennes dans leur
ensemble, pensaient que, si une
guerre éclatait, ce serait les
Arabes qui la gagneraient. C’était
une erreur, mais ils le croyaient
quand même. Mais cette croyance n’a
pas empêché Truman d’imposer un
embargo sur les armes et de déclarer
qu’il n’enverrait pas de troupes
là-bas.
Alors en fin de compte ce qui est
arrivé c’est que, comme les intérêts
vitaux des Etats-Unis n’étaient pas
en jeu et que Truman en tirait un
bénéfice électoral, il a soutenu le
lobby sioniste dans la création d’un
état juif ; mais aussitôt que cela
est entré en contradiction avec les
intérêts fondamentaux des
Etats-Unis, il a cessé de le
soutenir.
KK : Pensez-vous que
Morsi et les Frères Musulmans vont
soutenir davantage la Palestine que
le régime égyptien précédent ?
NF : Je pense que le tableau sera
contrasté. Le gouvernement égyptien
actuel veut rester en bons termes
avec les Etats-Unis ; il a besoin de
"l’aide étrangère" étasunienne qui
consiste principalement en des
transferts militaires ; il a aussi
besoin des prêts du FMI qui
dépendent du bon vouloir des
Etats-Unis. Et donc d’une manière
générale les dirigeants égyptiens
essayeront de garder de bonnes
relations avec les Etats-Unis. Mais
d’un autre côté, à cause de leur
position idéologique et afin de
garder le soutien populaire, il leur
faudra adopter une ligne plus ferme
en ce qui concerne Israël. Ils ne
collaboreront donc pas comme
Moubarak l’avait fait ; mais il y
aura des limites significatives à ce
qu’ils pourront faire pour la
Palestine.
KK : Quel rôle
pensez-vous que l’Egypte a joué dans
la récente victoire du Hamas (suite
à l’opération Pilier de Défense).
NF : Je pense que le rôle
principal que l’Egypte et la Turquie
ont joué a été de dire très tôt à
Barack Obama qu’ils ne tolèreraient
pas une réplique de l’Operation Cast
Lead ni une invasion terrestre
israélienne. Israël, empêché de
semer la mort et la destruction tous
azimut selon sa stratégie
habituelle, ne pouvait donc pas
gagner.
KK : Vous savez
certainement qu’Israël menace de
construire des nouvelles colonies en
Cisjordanie, ce qui serait une
catastrophe pour la cause
palestinienne. Que peut-on faire
pour empêcher cela ?
NF : Le problème est qu’on ne
peut pas faire grand chose. Il faut
que les Palestiniens prennent
l’initiative. Il y a des gens qui
essaient de faire obstacle à la
puissance israélienne. Les
Européens, au moins verbalement,
font pression sur Israël de manière
plus ferme. Les Etats-Unis font un
peu pression ; peut-être que ça
limitera l’expansion des colonies.
Ce qui serait une bonne chose. Mais
en fin de compte ce qu’il faut,
c’est mettre un terme à
l’occupation. Je crois que pour
qu’une pression extérieure de
quelque importante puisse s’exercer,
il faudrait qu’un mouvement
pacifique de masse se développe dans
les Territoires Palestiniens Occupés
et qu’il soit soutenu par un
mouvement de solidarité comme le
Mouvement de Solidarité
Internationale. Je pense que c’est
la combinaison des deux qui obligera
Israël à se retirer de Palestine.
KK : Vous dites que
Pilier de Défense a été une "défaite
retentissante pour Israël".
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi
vous pensez que c’est une défaite
pour Israël et une victoire pour les
Palestiniens.
NF : Il est facile de comprendre
pourquoi c’est une défaite. Le but
d’Israël était, comme il l’a dit lui
même, de restaurer sa capacité de
dissuasion : c’est à dire, de
terroriser les Arabes en général et
les Palestiniens en particulier.
Quand tout a été fini, il était
évident par la liesse qui régnait à
Gaza et la mine déconfite des trois
leader israéliens (Lieberman, Barak
et Netanyahu) qui, pendant leur
conférence de presse, faisaient
penser à Huck Finn* assistant à ses
propres funérailles, qu’ils
n’avaient pas réussi à terroriser
davantage les Palestiniens.
KK : Peut-on comparer les
roquettes lancées par le Hamas sur
Israël avec les armes qu’Israël a
l’habitude d’utiliser contre Gaza ?
NF : On parle beaucoup des armes
perfectionnées que le Hamas a
utilisées. Je n’y crois pas un seul
instant. La différence entre une
roquette et un missile est que la
roquette n’a pas de système de
guidage tandis que le missile en a
un. Quand une roquette est lancée,
on connaît sa trajectoire et on peut
la détruire. Mais on ne connaît pas
la trajectoire d’un missile parce
qu’il est guidé. En fait le Hamas a
utilisé des roquettes très
primitives -même pas des roquettes
d’ailleurs, plutôt des pétards et
des chandelles romaines. Les
roquettes de courte portée que le
Hamas a lancées n’ont pratiquement
eu aucun impact et celles de longue
portée qui ont atteint les secteurs
de Tel Aviv et de Jérusalem ne
comportaient pas d’explosifs.
Enlever les explosifs était la seule
manière de leur permettre d’aller
aussi loin. Aussi, à peu de choses
près, les armes que le Hamas a
utilisées étaient les mêmes que
celles qu’il avait pendant l’Operation
Cast Lead.
KK : Vous vous êtes
impliqué dans les efforts de
désinvestissement**. Quelles autres
méthodes recommandez-vous aux
habitants des Etats-Unis pour mettre
fin aux brutalités des Israéliens
envers les Palestiniens ?
NF : Il n’y a pas de solution
magique. Tout ce qu’on fait déjà
-s’organiser, informer, boycotter,
sanctionner - il faut continuer à le
faire. Mais je pense que c’est aux
Palestiniens qu’il revient de
relever le véritable défi. Nous ne
pouvons jouer qu’un rôle auxiliaire.
Nous ne pouvons pas libérer les
Palestiniens, ce qui de toutes
façons ne serait pas une bonne
chose. Si on libère quelqu’un, on en
fait simplement la victime d’une
autre force extérieure. Les gens
doivent se libérer eux-mêmes parce
que la libération ne se fait pas en
un seul coup. Il faut faire preuve
d’une vigilance éternelle. Autrement
vous changez seulement de maître.
Aussi le mieux que nous pouvons
faire est de tenir le rôle
d’auxiliaires.
interview par Ken Klippenstein
Ken Klippenstein vit à
Madison, Wisconsin, où il tient le
website de gauche :
http://www.whiterosereader.org.
Pour consulter l’original :
http://www.counterpunch.org/2013/01/04/an-interview-with-nor...
Traduction : Dominique Muselet
Notes :
* Les aventures de Tom Sawyer,
par Mark Twain.
** BDS : Boycott,
Désinvestissement, Sanctions
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et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 8 janvier 2013