Interview
« Pourquoi
l’OTAN n’a pas accepté les négociations
que l’Union Africaine avait proposées ?
Je pense que l’on a affaire à une guerre
coloniale en Libye »
Samedi 10 septembre
2011
Depuis le début du
conflit libyen, « propagande,
spéculations, mensonges, contre-vérités »
envahissent la toile et les médias. Face
à la désinformation et pour défendre les
droits du peuple libyen, un groupe de
citoyens inquiets s’est rendu en Libye
afin de prendre conscience des
véritables enjeux de ce conflit et pour
découvrir la réalité sur le terrain.
Parmi ces observateurs, Nadera Benstiti,
citoyenne engagée, raconte dans cette
interview exclusive, ce qu’elle a vu en
Libye. Partie de Paris le 28 juillet et
rentrée le 8 août dernier, elle évoque
ses craintes de voir la Libye devenir un
pays colonisé par l’Organisation du
Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dont
elle pointe du doigt les véritables
intentions. Entretien.
Pourquoi et dans
quel cadre êtes-vous parti en Libye ?
C’est
dans un cadre informel. Je me suis
rendue là-bas en tant que simple
citoyenne française et en tant
qu’observatrice. On a appelé cette
mission « Observateur pour la paix en
Libye ». On est parti pour voir ce qui
se passait réellement en Libye. Au sein
de notre délégation, il y avait un
avocat tunisien qui lui avait fait
partie de la première délégation qui a
rassemblé un collectif d’avocats qui
avait décidé de partir à Tripoli pour
voir ce qui se passait réellement
là-bas. J’ai été invitée par cet avocat
que je connais bien et qui habite à
Tataouine. Il a lui-même subi des
exactions de la part des rebelles du
Conseil National de Transition (CNT) qui
lui ont brulé sa maison. Sur place, on a
rencontré un certain nombre de
personnes, notamment l’avocat de « Al
Jamahiriya Islamia » - (forme de
gouvernement appliquée par le régime de
Mouammar Kadhafi en Libye depuis le 2
mars 1977. La Jamahiriya est
officiellement une forme de démocratie
directe avec comme bases une idéologie
de type socialiste et les valeurs de
l’islam), - Maitre Marcel Ceccaldi.
C’est lui qui est désigné en tant
qu’avocat de l’Etat libyen. Il est amené
à porter plainte pour préjudices et pour
crimes contre l’humanité
Quelle est la
réalité sur le terrain ?
Sur le
terrain, on s’est aperçu que l’OTAN ne
ciblait pas des cibles militaires mais
ciblait des bateaux de pêcheurs, des
usines de denrées alimentaires, des
marchés pour provoquer des pénuries
alimentaires et ainsi apeurer la
population afin qu’elle se retourne
contre son leader. Là-bas, de nombreuses
familles ont été bombardées. Un père de
famille a perdu sa femme et ses trois
enfants.
On est
arrivé le 28 juillet, le jour où la
première tête du Conseil National de
Transition (CNT), Abdel Fatah Younès
venait d’être assassiné. Il s’avère que
c’est celui qui est à la tête du Conseil
militaire de Tripoli, Abdelhakim
Belhadj, proche d’Al Qaïda, qui l’a
assassiné. Pour moi, cette histoire de
CNT n’est pas nette. A l’Hôtel Corinthia,
où on a très bien été accueillis, on
assistait aux conférences de presse
organisées par le conseiller du ministre
des affaires étrangères et du porte
parole de la Libye, Moussa Ibrahim, qui
actuellement se cache par peur de se
faire arrêter. Ils avaient pris
l’habitude de faire des conférences de
presse pour expliquer ce qui se passait
réellement sur le terrain. En effet, des
enquêtes étaient effectuées par le biais
d’avocats et d’associations civiles qui
voulaient connaitre la réalité. Par
exemple, les gens ne comprenaient pas
pourquoi l’OTAN les bombardait.
Ce sont clairement
des avions de l’OTAN que vous avez
identifiés ?
Oui ! On
les voyait clairement dans le ciel. La
journée on les entendait et il y en
avait beaucoup. Et le soir à partir de
minuit et demi, une heure du matin, ils
débutaient les bombardements. A Bab-Al-Azizia,
on a rencontré pleins de Samidounes, ce
sont des gens qui viennent de toute
l’Afrique : des Algériens, des
Nigérians, des Soudanais. Ils ont planté
leurs tentes et on leur a demandé
pourquoi ils ne faisaient rien d’autres.
Ils nous ont dit qu’ils étaient venus
soutenir le leader. Cela se voyait que
ce n’était pas le leader qui leur
demandait d’être là, mais qu’ils étaient
venus de leur plein gré malgré le fait
qu’ils se faisaient bombarder tous les
soirs. Bab-Al-Azizia, avant sa prise, a
été bombardée plus de 64 fois.
De nombreuses
polémiques sont nées après la diffusion
d’images par les médias occidentaux
autour de la prise de Tripoli. Qu’en
pensez-vous ?
Ce qu’on
a montré sur les chaines de télévision
française était faux, surtout autour de
la prise de Tripoli. Le premier soir où
ils nous ont montré la prise de Tripoli,
ils avaient appelé les rebelles à
sortir. Ce n’était simplement qu’une
mise en scène devant les caméras.
C’était une fausse prise de la ville. La
ville de Tripoli vivait tranquillement,
le seul hic c’est qu’il y avait les
bombardements de l’OTAN qui terrorisait
la population. Une population que l’on a
rencontrée et qui nous a affirmé qu’elle
était derrière son leader. On sentait
que ces Libyens étaient libres de leur
choix.
Selon vous, l’OTAN
a-t-elle une stratégie ? Si oui,
laquelle ?
L’OTAN
veut faire croire que Kadhafi est en
train d’assassiner son peuple, ce qui
est faux. Ils ont armé des rebelles
qu’ils ont sortis de prison. Ces milices
rebelles sont pour la plupart des jeunes
désœuvrés sous l’emprise de l’alcool et
de la drogue et ayant reçu de l’argent
pour rejoindre ces milices. Ce sont bien
sûr des anti-Khadafi parce qu’ils ont
été mis en prison pour X ou Y raisons.
C’est vrai qu’en Libye, l’alcool et la
drogue sont interdits. Si vous vous
faisiez attraper avec de l’alcool ou de
la drogue, c’était comme si vous faisiez
de la contrebande, et peut être qu’il
les mettait en prison pour ça. Ces
rebelles sont en réalité des renégats,
ce ne sont pas des révolutionnaires. Ce
ne sont pas des gens qui veulent mettre
en place une révolution pour changer le
régime ou le système économique de la
Libye. De nombreux récits de militaires,
et de rescapés témoignent des atrocités
des actes commis par ces rebelles dans
certaines villes : viols, égorgements,
massacres, tortures.
L’OTAN a
de réels intérêts. En intervenant en
Libye sous le pseudo-prétexte d’une
guerre humanitaire, l’OTAN espère avoir
la main mise sur une zone géopolitique
intéressante car la Libye est
frontalière avec un certain nombre de
pays. Et puis, il y a bien sûr le
pétrole. Puis je me pose toujours cette
question : pourquoi la France,
l’Angleterre, les USA ainsi que les
rebelles ont-ils rejeté le plan de paix
proposé par l’Union Africaine ? Son
contenu est pourtant pleinement
démocratique et son application
permettrait une vraie protection des
civils. Kadhafi avait d’ailleurs accepté
ce plan. Les propositions de l’UA
n’étaient autres qu’un cessez-le-feu
immédiat, l’envoi d’observateurs
internationaux pour vérifier que le
cessez-le-feu est respecté ; la création
d’un gouvernement de transition
comprenant des membres du CNT et du
gouvernement actuel ; la mise en place
de réformes démocratiques ; la tenue
d’élections pour que le peuple puisse
choisir ses dirigeants. Pourquoi donc
les pays de l’OTAN ont-ils refusé de
s’engager sur la voie de la
négociation ? Pourquoi les médias
occidentaux ne nous informent-ils pas du
contenu réel des propositions de l’Union
Africaine ? De quoi s’interroger sur les
buts véritables de cette guerre ?
Le CNT
n’a aucune légitimité. Comment a-t-il
été légitimé ? C’est grâce à l’armement
que les occidentaux leur ont donné. Ils
ont été aidés par les bombardements. Il
est prouvé que les membres du CNT
avaient demandé de l’argent, des armes,
des tanks anti-missiles en échange de
35% du pétrole libyen. Chose que Kadhafi
n’aurait jamais faite. Il y a une chose
qu’on ne peut pas retirer à Kadhafi,
c’est son partage. Le partage des
ressources pétrolières et je l’ai vu de
mes propres yeux. Le pays était en
construction permanente et ce depuis 22
ans. Ils ont fait croire que Kadhafi
était quelqu’un qui roulait sur l’or et
ne pensait pas à son peuple. Ça c’est
plutôt Moubarak ou encore Ben Ali. Alors
qu’en Libye, l’argent du pétrole était
très bien reversé. Il construisait par
exemple, des immeubles essentiellement
pour les pauvres.
Faut-il craindre
selon vous un Irak n°2, c’est-à-dire une
invasion comme celle qu’a subie l’Irak ?
Il faut
comprendre une chose : à l’heure
d’aujourd’hui, l’OTAN ne quittera plus
jamais la Libye. Comme en Afghanistan,
comme en Irak, il y aura toujours une
armée d’occupation. Quand on était
là-bas, il n’y avait pas d’état de
siège. Nous, le matin on allait au
marché ou à la place verte, il n’y avait
pas de chars, rien de tout ce qu’on
voudrait nous faire croire. Ce qui vient
de se passer en Lybie, c’est un nouveau
11 septembre. Je l’appelle le World
Trade Center libyen. Tout le monde a été
endormi. Pourquoi l’OTAN n’a pas accepté
les négociations que l’Union Africaine
avait proposées ? Je pense que l’on a
affaire à une guerre coloniale. Comme
pour le 11 septembre on a fait croire
aux gens qu’on pouvait envahir
l’Afghanistan et encore plus, tuer
Saddam Hussein en Irak, en prétendant
qu’il avait des armes de destructions
massives. Mais dans l’inconscient des
gens, Saddam Hussein était responsable
des attentats du 11 septembre. C’est de
la propagande et c’est une arme de la
guerre.
L’ancienne garde
rapprochée de Kadhafi, qui avait la
particularité d’être féminine, l’accuse
d’avoir utilisé le viol comme arme de
guerre...
C’est
faux. Ce sont les rebelles qui ont
utilisé le viol. J’ai rencontré des
soldats et des gens qui venaient de la
frontière égyptienne, ils venaient
rallier l’armée loyaliste parce ce que
ces gens-là voyaient ce qui se passait.
Ce sont les rebelles qui entraient dans
les maisons pour violer et demandaient
au père de famille de donner leurs
filles. Ce sont des avocats internes à
la Libye qui ont fait des enquêtes pour
savoir vraiment ce qui se passait à
Benghazi.
La nounou des
petits-enfants de Kadhafi accuse tout de
même la famille de l’avoir torturée ...
C’est de
la propagande pour diaboliser la famille
Kadhafi. On ne peut pas autoriser une
coalition qui est la plus armée au monde
qui représente à, la fois les USA,
l’Angleterre, la France pour aller
sauver une femme qui aurait soit disant
été brulée et torturée par un des fils
de la famille Kadhafi. C’est peut être
vrai c’est peut être faux, je n’en sais
rien. A l’heure d’aujourd’hui on ne peut
plus croire ce qui est dit à la TV. Je
n’ai plus confiance en les médias. Quand
on était là bas, il y avait le
journaliste Thierry Meyssan du Réseau
Voltaire, présent à l’hôtel Rixos avec
son ami Julien Teil, ils ont fait un
réel boulot de journalistes. Ils sont
restés neutres. Ils n’avaient pas envie
de répéter tout ce que toutes les
chaines de TV ont dit. Je ne peux être
qu’outrée après avoir été, après avoir
vu et ensuite après avoir regardé aux
infos comment les médias manipulaient
les images. On y voit toujours des vieux
et des jeunes avec des fusils et dire
« Allah Akbar ». Or, ce ne sont rien
d’autres que des renégats.
Selon vous, les
libyens n’ont rien à reprocher à
Kadhafi ?
Les
Libyens vivaient bien dans l’ensemble.
Je ne dis pas qu’ils n’avaient pas envie
de changement. Peut-être qu’ils avaient
envie d’un peu plus de liberté. Quand je
dis liberté c’est-à-dire qu’il est vrai,
qu’ils n’ont pas internet. Ils ne
l’utilisent pas car internet est assez
censuré chez eux. Peut-être aussi qu’ils
auraient aimé avoir un peu plus de
chaines de télévision. Mais les Libyens
n’étaient pas là à dire que Kadhafi
était un dictateur.
On ne peut donc pas
parler de révolution ?
Ce n’est
pas une révolution. C’est une
intervention des pays étrangers qui se
sont aidés des soulèvements du peuple
tunisien et du peuple égyptien pour
faire croire à une révolution libyenne
et que bien sûr, le dictateur Kadhafi
aurait réprimé cette révolution par les
armes. Chose que Ben Ali avait commencé
à faire et qui s’est avérée être une
erreur fatale. Lorsque Ben Ali a
commencé à tirer sur son peuple, on a
tout de suite compris que c’était un
dictateur, chose que Kadhafi n’a pas
faite. Un colonel, rencontré dans le
centre-ville de Tripoli et qui a
souhaité rester anonyme, m’a dit que les
soldats de l’armée loyaliste avaient les
rebelles en ligne de mire, mais Kadhafi
avait demandé à ce qu’on ne tire plus
sur eux. Comme il avait vu que les
occidentaux avaient utilisé ce prétexte
pour envahir la Libye, il a demandé à
l’armée loyaliste de seulement les
attraper.
J’invite
tout le monde à lire le Livre Vert de
Kadhafi où il
expose sa vision de la démocratie et de
la politique. Il a installé un système
social qui dépasse les démocraties
européennes actuelles. C’est quand je
suis partie là-bas que je m’en suis
rendue compte. Il a instauré une
démocratie participative. Il forçait les
gens à s’intéresser à la vie politique
afin qu’ils se responsabilisent. La
seule chose qu’on peut lui reprocher
c’est que ça fait plus de 40 ans qu’il
est au pouvoir. Les gens pensent qu’en
faisant partir Kadhafi, les choses vont
changer. Au contraire, toute la Libye va
s’affaiblir. Il y a actuellement une
guérilla et des check-points un peu
partout. Ils sont en train de créer une
résistance, c’est-à-dire que les
loyalistes ne vont pas lâcher l’affaire
et la guérilla risque de durer au moins
un an.
Le journaliste
Julien Teil a un projet de film sur ce
conflit libyen ? Pouvez-vous nous en
dire davantage ?
Julien
Teil a ramené des images qu’il est en
train de monter sous forme de
documentaire. Il a même des images
d’archives sur ce qu’était la Libye
avant le conflit. Je ne sais pas ce que
son travail va donner mais j’aimerais
bien que son film voit le jour. Il a
plus ou moins besoin de fonds pour que
son film sorte. Ce film s’appellera
« Guerre humanitaire ».
Propos
recueilles par Henda Bouhalli
Publié sur
Med'in Marseille et
La
Voix de la Libye
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