Mazin Qumsiyeh : « L'armée israélienne me cherche »
Mazin Qumsiyeh
Mercredi 3 mars 2010
L’armée israélienne a envahi le quartier où réside Mazin
Qumsiyeh à Beit Sahour, un faubourg de Bethléem, le 2 mars dans
la nuit, réveillant sa mère, sa femme et sa soeur. Des soldats
lourdement armés ont bloqué les routes durant « l’opération ».
Lorsque sa famille a ouvert la porte, ils ont demandé à voir
Mazin Qumsiyeh (*). On leur a dit que Mazin était déjà parti aux
États-Unis. Il répond ici aux questions de Silvia Cattori.
Silvia Cattori :
Nous avons appris qu’Israël accentue sa répression contre les
manifestations non-violentes. Pouvez-vous nous décrire le
contexte de cette situation ?
Mazin Qumsiyeh :
La résistance civile non-violente en Palestine, contre le projet
colonial sioniste, s’est développée depuis plus de 120 ans. Elle
s’est accentuée sous l’occupation britannique entre 1917 et
1947. Mais elle a pris une tournure beaucoup plus aigüe sous
l’occupation sioniste directe, de 1948 à nos jours. Les
événements les plus visibles ont été médiatisés, par exemple
pendant le soulèvement de 1987 à 1991, lorsque des manifestants
pacifiques se sont trouvé confrontés à des politiques de
répression brutales, des tirs, des démolitions de maisons etc.
Avec la fin effective de la résistance armée en 2006, lorsque le
Hamas est entré dans le processus politique en rejoignant les
autres principales factions, la seule forme de résistance qui
ait subsisté, capable de menacer l’occupation sans fin, a été la
résistance civile, ou populaire. Les autorités israéliennes ont
donc renforcé la pression sur toutes les formes de résistance
civile. Ils ont arrêté des dizaines de militants de premier
plan, harcelé et battu les autres, et dans plusieurs cas, blessé
ou tué des manifestants pacifiques.
Silvia Cattori :
Combien y a-t-il de
prisonniers dans les prisons israéliennes ?
Mazin Qumsiyeh :
Il y a plus de 11’000 prisonniers politiques dans les prisons
israéliennes. Des centaines d’entre eux sont détenus au titre de
la « détention administrative », ce qui signifie des mois et
parfois des années sans même voir un juge militaire israélien
(aussi injuste que puisse être ce juge).
Silvia Cattori :
Suite à ce qui s’est
passé à Beit Sahour et qui a conduit aux récents troubles, la
situation à Beit Sahour est maintenant aussi tendue qu’à Bi’lin ?
Mazin Qumsiyeh :
Beit Sahour a une longue et glorieuse histoire de résistance
civile qui a débuté en 1919. La ville comprend 70% de chrétiens
et 30% de musulmans. Lors du soulèvement de 1987, les habitants
de la ville (dans leur ensemble) ont décidé d’utiliser les
tactiques de la résistance civile. Cela inclut le refus des
cartes d’identité émises par Israël, le refus de payer les
impôts, le refus de coopérer etc. La ville a été attaquée à
plusieurs reprises depuis la “Shdema”, le camp militaire
israélien situé à la lisière de la ville (une zone connue des
gens du pays sous le nom de Ush Ghrab).
Le 28 décembre 2000, les
habitants de la ville ont invité des internationaux, y compris
des Israéliens, à marcher sur le camp. Des centaines d’entre eux
sont entrés dans le camp militaire en un acte éclatant de
résistance civile. Ce succès a conduit à la fondation de l’
« International Solidarity Movement » à Beit Sahour. L’armée
israélienne a quitté le site en avril 2006. Les habitants de la
ville ont construit, sur une partie de l’ancien site, un « Parc
de la Paix » comprenant une aire de jeu pour les enfants, et les
propriétaires fonciers ont pu accéder à leurs terres pour la
première fois depuis des décennies et ont commencé à les
récupérer pour l’agriculture. Mais des colons extrémistes ont
commencé à venir sur le site et à faire pression sur le
gouvernement israélien qui a refusé d’approuver la construction
d’un hôpital pour enfants sur le site (le financement est
disponible pour ce projet). Pour amadouer les colons, l’armée
israélienne est de retour à Ush Ghrab.
Un comité populaire a été
créé en février 2010, alors que des bulldozers israéliens
commençaient à travailler sur le site. Il comprend des
représentants de toutes les factions politiques, et des
organisations non gouvernementales. Il a organisé, jusqu’ici,
des veilles de prières, des investigations juridiques, des
protestations, et la mise en valeur des terres. La première
veille de prières tenue dans le parc a été confrontée à une
brutale attaque israélienne:
La semaine suivante, une
attaque similaire a eu lieu contre les manifestants qui
tentaient d’explorer le site:
Silvia Cattori :
Mais qu’en est-il en
ce qui vous concerne ? Nous avons appris que vous étiez aussi
personnellement visé. Pouvez-vous nous dire ce qui s’est passé ?
Mazin Qumsiyeh :
À deux reprises, des officiers israéliens présents sur les lieux
m’ont averti de ne pas « organiser » des événements. Je ne suis
que l’une des nombreuses personnes qui coordonnent les activités
et travaillent à former les gens et à s’engager dans d’autres
formes de résistance non-violente. Toutes les formes de
résistance sont reconnues par le droit international. Mais les
gens respectent en particulier notre forme non-violente de
résistance et la soutiennent. Je viens de terminer un livre
intitulé « Hope and Empowerment : A history of
Palestinian Popular Resistance » [« Espoir
et prise de pouvoir : Une histoire de la résistance populaire
palestinienne »]. De toute évidence, l’armée israélienne
n’est pas heureuse à ce sujet. Elle avait durement réprimé la
résistance civile, et arrêté plusieurs dizaines de militants à
Bi’lin, Ni’lin, Al-Masara, et ailleurs, précisément au cours de
l’année dernière. Elle a même tué et blessé d’autres
manifestants pacifiques.
L’armée israélienne me
cherche. Les soldats sont venus chez moi un jour après que je
sois parti en tournée de conférences aux États-Unis. Les soldats
lourdement armés et les officiers du renseignement sont venus
mardi [2 mars ndt] à 1h30 du matin. Ils ont demandé à me voir
et, comme je n’étais évidemment pas là, ils ont laissé une
convocation pour le lundi 8 mars. Bien entendu, je ne pourrai
pas m’y rendre vu que je suis encore aux États-Unis et que je ne
puis changer mon horaire. Je suis sûr qu’ils vont venir me
chercher à mon retour./p>
Silvia Cattori :
Qu’allez-vous faire,
maintenant que vous êtes aux Etats-Unis et que vous savez que
l’armée israélienne vous cherche ?
Mazin Qumsiyeh :
Je vais rentrer et affronter ce qui arrivera. La vérité et la
justice ne sont pas des choses sur lesquelles on doive faire des
compromis, quels que soient les injustices et la répression.
Silvia Cattori :
Votre famille est
chrétienne et votre ville est en majorité chrétienne. Israël se
comporte-t-il avec vous différemment qu’avec les musulmans ?
Mazin Qumsiyeh :
Non. Israël a été créé comme un État par et pour « le peuple
juif » à travers le monde. Les indigènes, qu’ils soient
chrétiens ou musulmans, ont été traités de la même manière :
avec mépris, par l’oppression, et les tentatives inlassables
pour nous éloigner de nos terres.
Silvia Cattori :
Que pensez-vous des
problèmes entre le Fatah et le Hamas ?
Mazin Qumsiyeh :
C’est comme des détenus dans une prison qui, parfois élisent ou
désignent des gars faciles pour s’accommoder avec les geôliers,
et parfois essaient des gars plus durs qui refusent de coopérer
avec les geôliers. Les différences entre eux sont englobées par
le fait que les deux doivent vivre dans la prison. Je dirais
que, malheureusement, nombre des factions palestiniennes y
compris le Hamas et le Fatah sont tombées sous le charme des
accords d’Oslo avec ses promesses illusoires de « l’autorité »
alors qu’il n’ya vraiment qu’une seule autorité à l’ouest du
Jourdain : l’État d’Israël. Ce qui aurait dû être fait, et qui
est encore réalisable, est de lutter pour l’égalité et la
justice à l’image de la lutte menée en Afrique du Sud. Nous ne
pouvons pas accepter des Bantoustans avec des illusions pouvoir.
Silvia Cattori :
Quelle aide ou
soutien attendez-vous du monde extérieur ?
Mazin Qumsiyeh :
Je pense que, comme c’est arrivé pour l’apartheid en Afrique du
Sud, la communauté internationale a un rôle critique à jouer. Le
mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions contre
Israël (BDS), basé sur l’appel à l’action de la société civile
palestinienne, se développe partout (voir :
http://bdsmovement.net). Nous demandons instamment à tous de
le rejoindre.
Au-delà de ça, il est d’une
importance critique de toucher les médias, les politiciens, les
chefs religieux, ainsi que les gens ordinaires pour leur faire
comprendre ce qui se passe. Cela est particulièrement vrai dans
les pays dont le gouvernement permet à cette répression de se
poursuivre (par exemple : Israël, les États-Unis, le Canada,
l’Australie, les pays européens, les pays arabes ayant des
relations d’amitié avec Israël).
Silvia Cattori :
Merci beaucoup.
Mazin Qumsiyeh est un militant infatigable pour les droits de
l’homme des Palestiniens, qui est retourné dans sa ville natale
de Beit Sahour en Cisjordanie occupée et qui enseigne maintenant
dans les Universités de Bethléem et de Birzeit. Il a
précédemment travaillé dans les facultés des Universités du
Tennessee, de Duke et de Yale. Il est maintenant président du « Palestinian
Center for Rapprochement Between People » [« Centre palestinien
pour le rapprochement entre les gens »] à Beit Sahour, un
faubourg de Bethléem. Auteur de « Sharing the
Land of Canaan : Human Rights and the Israeli-Palestinian
Struggle » [« Partager le Pays de Canaan :
Les droits de l’homme et le conflit israélo-palestinien »]
(2004), Qumsiyeh est à la fois un militant des droits de l’homme
et un scientifique qui a une longue liste de publications sur la
génétique à son actif.
Traduit de l’anglais pour silviacattori.net
par JPH (03.03.2010)
Avertissement Palestine - Solidarité a pour vocation la diffusion
d'informations relatives aux événements du Moyen-Orient, de l'Amérique
latine et de la Corse.
L' auteur du site travaille à la plus grande objectivité et au respect des opinions
de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui lui seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité
de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas Palestine -
Solidarité ne saurait être
tenue responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et
messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou
faisant lien vers des sites dont elle n'a pas la gestion, Palestine -
Solidarité n'assume
aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces
sites. Pour contacter le webmaster, cliquez
< ici >