Réseau Voltaire
Khalid Amayreh : La France n'est plus qualifiée pour jouer un
rôle constructif en Palestine
Silvia Cattori
Khalid Amayreh
Jeudi 11 mars 2010
Alors que le gouvernement israélien évoque une « paix
économique » avec les Palestiniens, et que le gouvernement
français suggère une reconnaissance d’un Etat palestinien fictif —sans
territoire, ni souveraineté—, Silvia Cattori a interrogé l’un
des intellectuels phares de la Résistance palestinienne : Khalid
Amayreh. Pour lui, les Occidentaux sont entrés dans une phase de
déni de la réalité coloniale en Palestine, qu’ils ne perçoivent
plus qu’aux travers de l’image que leurs Collaborateurs
palestiniens leur rapportent. Silvia Cattori :
Les grandes associations de solidarité avec la cause
palestinienne publient immédiatement tous les écrits de
militants israéliens et journalistes comme Michel Warshavski,
Uri Avnery, Amira Hass, ou Gideon Levy, alors que peu de vos
articles passent la censure. Ceci montre bien que le discours
dans le mouvement de solidarité est biaisé, tronqué à volonté ;
certes, on condamne l’occupation mais on ne remet pas en
question la légitimité de l’État sioniste, la dépossession et
l’occupation de la Palestine depuis 1948, etc. Comme si
l’occupation n’avait eu lieu que depuis 1967. Mieux vaut être
juif israélien pour être crédible quand on parle de la Palestine
et d’Israël ?
Khalid Amayreh [1] :
Vos observations sont malheureusement exactes. Toutefois, il
vaut toujours mieux voir la moitié pleine du verre proverbial.
Le fait que ces gens soient arrivés à se rendre compte eux-mêmes
qu’Israël commet des crimes et des violations des droits humains
fondamentaux du peuple palestinien est un acte louable en soi.
Ce qui est plus important, c’est qu’un acte révolutionnaire
ne peut se produire en dehors de son milieu naturel, historique
et politique. Nous ne pouvons pas attendre de gens qui ont été
élevés toute leur vie au sein de la religion de l’holocauste
qu’ils se convertissent soudainement à l’antisionisme. En
France, comme aux États-Unis et dans une grande partie de
l’Occident, tourner le dos complètement à Israël et au sionisme,
c’est perdre une certaine partie de son identité. Par
conséquent, beaucoup de gens ne sont tout simplement pas prêts à
subir la transformation souhaitée. Mon impression personnelle
est que la transformation finale se produira alors que la
résistance universelle au sionisme deviendra plus profonde et
irréversible et que la futilité du soi-disant processus de paix
deviendra plus évidente, ce qui est en train de se produire
maintenant.
Silvia Cattori : L’assassinat à Dubaï
d’un cadre militaire du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh, a été
abondamment commenté. Jamais l’image d’Israël n’a été aussi
dégradée. Mais ne doit-on pas constater qu’aucun État ne
condamne la politique israélienne d’assassinats ciblés de
résistants palestiniens ? N’est-ce pas la démonstration que les
hommes politiques occidentaux se refusent à voir l’affreuse et
brutale politique de l’actuel Premier ministre Benyamin
Netanyahou et de son ministre des Affaires étrangères Avigdor
Lieberman ?
Khalid Amayreh : Voyez-vous, la politique
internationale est très semblable à une maison mal famée. Les
principes, y compris les soi-disant principes moraux, ne veulent
rien dire face à la raison d’État. Dans les pays occidentaux,
les dirigeants et les politiciens ne cessent d’affirmer les
idéaux de liberté, de droits de l’homme et de démocratie. Mais
quand ces principes entrent en contradiction avec
l’opportunisme, ou sont soumis à un véritable test (par exemple,
la victoire électorale du Hamas en 2006), ils sont laissés de
côté au nom du réalisme et du pragmatisme.
La même chose s’applique au comportement d’Israël. Israël a
toujours été une entité criminelle ; et l’Occident s’en est
accommodé. Par conséquent, il serait naïf de s’attendre à ce que
l’Occident connaisse un soudain réveil de conscience, juste
parce qu’Israël a assassiné un dirigeant palestinien. Israël a
toujours commis de tels crimes, et l’Occident a toujours vécu
avec ça ; donc il n’y a là absolument rien d’extraordinaire.
Silvia Cattori : Quand le Premier
ministre israélien Benyamin Netanyahou répète qu’Israël ne se
retirera jamais de Jérusalem Est, ni ne reviendra aux frontières
de 1967, ni n’autorisera les réfugiés palestiniens à revenir
dans ce qui est maintenant « Israël », quel moyens avez-vous de
faire entendre votre colère ?
Khalid Amayreh : J’ai tendance à le croire,
ce qui me convainc vraiment de la futilité de rechercher la paix
avec Israël. Malheureusement, il est trop tard pour la paix avec
Israël. Maintenant il y a, ou un conflit ouvert, ou un seul État
démocratique sur tout le territoire de la Palestine mandataire
du Jourdain à la Méditerranée où tous les habitants sont
considérés comme des citoyens, sans distinction de religion et
d’ethnie. Inutile de dire que ce concept est anathème pour
Israël, puisqu’il conduirait à la perte de son identité juive.
Silvia Cattori : Après avoir appelé à
démembrer l’Irak, après avoir détruit le Liban et la Palestine,
Israël veut maintenant s’attaquer à l’Iran. Le gouvernement du
Président Sarkozy est ouvertement le plus acharné à soutenir
Israël contre l’Iran. Mais est-ce bien l’Iran qui menace le
Moyen-Orient ?
Khalid Amayreh : Non, l’Iran ne représente
en rien une menace pour le Moyen-Orient. L’Iran est encore très
largement un pays du Tiers Monde qui n’a pas la capacité (et
l’inclination) de poser une telle menace. D’ailleurs, l’Iran,
contrairement à Israël, n’a pas mené de guerres d’agression dans
les temps modernes.
À mon avis, la raison motrice derrière l’hystérie
israélo-occidentale contre l’Iran est de s’assurer qu’Israël
demeure la seule superpuissance, incontestée et incontestable
dans le Moyen-Orient tel qu’il est aujourd’hui. Ainsi, les
propos essentiellement phobiques concernant la possible
destruction d’Israël par l’Iran sont de la foutaise [2].
C’est une insulte à l’intelligence des gens qui ne devrait même
pas être évoquée par des gens sérieux.
Israël possède des centaines de têtes nucléaires et des
bombes, ainsi que leurs vecteurs, ce qui signifie qu’il serait
tout à fait insensé de menacer Israël. Certains prétendront que
les dirigeants iraniens peuvent être « insensés » mais cela ne
tient pas debout. Un pays qui a su se diriger au travers des
terrains traîtres de la politique internationale ne peut pas
réellement être insensé.
En dernière analyse, il s’agit d’un défi potentiel à la
suprématie d’Israël dans la région, non à son existence, une
situation qui dure depuis le lendemain de la Seconde Guerre
mondiale. C’est ce qui irrite Israël et l’Occident.
Quant à Sarkozy, il manque de toute évidence de la rectitude
d’un dirigeant honnête. Il est tout-à-fait une copie européenne
de George Bush, mais qui ne possède pas l’énormité des moyens
qui étaient à la disposition de ce dernier.
Silvia Cattori : Comment la France —
totalement alignée sur Israël comme elle l’est maintenant [3]—
pourrait-elle bien, comme elle en affiche l’ambition, aider les
Palestiniens à recouvrer leurs droits ? N’a-t-elle pas déjà
perdu tout son crédit et son influence dans la région ? Quant à
la stratégie d’Obama pour le Moyen-Orient n’a-t-elle pas déjà
échoué ?
Khalid Amayreh : La France n’est pas
vraiment qualifiée pour exercer un véritable rôle constructif en
aidant les Palestiniens à recouvrer leurs droits. La France,
notamment sous le gouvernement actuel, est trop réticente, trop
inconsistante, trop dépourvue de principes et trop séduite par
le romantisme sioniste.
En effet, la France a démontré à maintes reprises que son
cœur et son esprit appartiennent à Israël, non à la justice. En
outre, l’attitude scandaleuse de la France lors de l’attaque
génocidaire d’Israël contre la population de la bande de Gaza,
il y a un an, était réellement un exemple classique de
prostitution politique. Que peut-on dire d’autre d’une puissance
internationale majeure qui a autrefois enseigné au monde le sens
du mot liberté et qui est restée les bras croisés, à regarder
passivement la pluie de mort déversée par « les nazis » d’Israël
sur la tête des enfants et des femmes sans défense de Gaza sous
le prétexte mensonger de l’auto-défense ?
Silvia Cattori : N’avez-vous pas été
choqué par l’appel à reconnaître un « État palestinien sans
frontières », lancé par Bernard Kouchner le 21 février 2010,
jour de l’arrivée à Paris du président de l’Autorité
palestinienne, Mahmoud Abbas ? Si la France veut reconnaître un
État palestinien, pourquoi devrait-ce être sans avoir défini ses
frontières ?
Khalid Amayreh : Oui, j’ai été choqué. Et je
pense que beaucoup d’autres Palestiniens ont le même sentiment.
La raison en est très claire. La proposition française pour la
reconnaissance d’un État palestinien sans frontières devrait
être considérée comme un euphémisme pour la liquidation de la
cause palestinienne.
D’ailleurs, tout arrangement temporaire devrait consister en
arrangements plus ou moins vagues, pour pouvoir être accepté par
les deux parties. Et à partir de notre expérience avec les
Accords d’Oslo, les accords vagues sont toujours interprétés par
la partie puissante, en l’occurrence Israël, d’une manière qui
sert les desseins israéliens, tandis que l’autre partie, les
Palestiniens, n’a plus qu’à se livrer à un rêve éveillé.
Shimon Peres, le héros du massacre de Cana [4],
n’avait-t-il pas dit « Je ne peux pas mettre un gardien sur les
lèvres d’Arafat », lorsque le défunt leader palestinien avait
déclaré que les Accords d’Oslo donnaient aux Palestiniens un
État indépendant avec Jérusalem comme capitale ?
D’ailleurs, qui voudrait ou pourrait garantir qu’Israël ne
considère pas les « frontières temporaires » comme des
« frontières permanentes » ? Les États-Unis ? La France ? Le
Royaume Uni ? L’Allemagne (on ne devrait probablement même pas
mentionner l’Allemagne, étant donné son étreinte avec le nazisme
israélien ! [5]) ?
Voyez donc, ces puissances ne peuvent même pas obtenir d’Israël
qu’il arrête la démolition d’une maison arabe à Jérusalem-Est,
et encore moins forcer Israël à se retirer du territoire
palestinien.
Silvia Cattori : Dans un article cosigné
avec Miguel Angel Moratinos [6],
Bernard Kouchner a parlé d’un nouveau plan qui met à l’ordre du
jour des négociations sur le statut final de l’État palestinien.
Ici, encore, pensez-vous que c’est une solution crédible ? Le
plan de Bernard Kouchner n’est-il pas un plan israélien ? Un
plan « pour l’établissement des institutions et la création d’un
État palestinien viable » que le Premier ministre palestinien
Salam Fayyad, a fait sien en été 2009, et qui entend construire
un État « dans les faits et sur terrain » pour 2011, par une
multiplication de projets économique ? Qu’est-ce que cela vous
inspire ?
Khalid Amayreh : Je pense que ce plan n’est
pas un plan du tout. Il s’agit plutôt d’un processus de
tromperie à l’image du défunt processus d’Oslo. D’ailleurs, il
est toujours ridicule et vide de sens de prétendre qu’un État
palestinien viable peut être construit tandis que les
Palestiniens croupissent encore sous une cruelle occupation
militaire étrangère qui contrôle chaque aspect de leur vie.
Je crois sincèrement que M. Fayyad agit tout-à-fait comme
Alice au pays des merveilles. C’est un homme qui a été
parachuté d’Amérique du Nord en Palestine grâce à une décision
du président Bush. J’ose dire qu’il ne connaît pas vraiment la
nature quasi-nazie du régime israélien. En outre, il pense
naïvement que le renforcement des institutions, probablement
accompagné d’une reconnaissance internationale, pourrait créer
un certain mécanisme, ou une dynamique, qui finirait par faire
du proverbial État palestinien viable, une tâche réalisable.
À cela, nous les Palestiniens, qui avons déjà passé par tout
ça, du début à la fin, nous disons un grand « Non ». Nous avons
appris, à la dure, que la création d’un État avant la libération
est un acte dangereux et un stupide jeu de hasard. Cela a été
prouvé d’une manière éclatante au travers du processus d’Oslo,
qui nous a donné l’annexion au lieu de la libération, et
l’apartheid au lieu d’un État.
D’ailleurs, qui voudrait garantir qu’Israël ne lancera pas
ses chars pour écraser toutes les institutions que M. Fayyad
voudrait construire en coopération avec des gens comme
M. Kouchner, en particulier si les Palestiniens devaient
continuer à être confrontés à la permanence des « frontières
temporaires » proposées maintenant ?
Silvia Cattori : Salam Fayyad est un
politicien que Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner voudraient
voir installé définitivement au pouvoir. Luisa Morgantini, la
dirigeante du mouvement de solidarité en Italie, considère Salam
Fayyad comme un militant qui se bat aux côtés de son peuple. Qui
est réellement Fayyad pour les Palestiniens ? Qu’a-t-il fait
pour améliorer la vie quotidienne de son peuple ? Avez-vous vu
moins de check points, moins de chômeurs sous son
autorité ? Est-il vrai que la situation économique se soit
améliorée en Cisjordanie, et qu’est-ce que cela signifie pour
les Palestiniens sur le terrain ? Pensez-vous que Fayyad soit la
bonne personne pour apporter une solution à la cause
palestinienne ?
Khalid Amayreh : À mon avis, Fayyad est un
homme qui s’efforce de mettre en œuvre le concept de « paix
économique » de Netanyahou, dans lequel les Palestiniens, ou la
majorité d’entre eux, accepteraient de troquer leurs aspirations
nationales contre des emplois et de l’argent. En d’autres
termes, il veut que nous nous contentions d’un « Etat » déformé,
un Etat sans dignité, sans liberté, sans autorité, sans rien du
tout, un petit avorton d’Etat qui serait perpétuellement soumis
et asservi à Israël. Quant à Jérusalem, au droit de retour des
réfugiés, aux nombreuses colonies juives qui continuent de
s’étendre sur notre terre, ce ne sont en rien ses
préoccupations. Sa préoccupation ultime est d’atteindre la
« prospérité économique », mais aux dépens de nos droits
légitimes et inaliénables, y compris le droit de se libérer « du
nazisme israélien ».
Si la vision de Fayyad devait aboutir, ce qu’à Dieu ne
plaise, nous serions condamnés à plusieurs décennies de
servitude et d’asservissement par le colonialisme juif, le tout
au nom de la paix.
Silvia Cattori : Le peuple palestinien et
sa cause ne peuvent que souffrir de la scission entre le Fatah
et Hamas. En 2008, vous disiez qu’« il est impératif que les
États membres de l’Union Européenne (UE), amorcent soit
collectivement soit individuellement un dialogue avec le Hamas
dans les plus brefs délais. Inutile de dire qu’un tel dialogue
serait utile à toutes les parties concernées ainsi qu’à la cause
de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient ». [7].
En octobre 2009 quand le Fatah et le Hamas étaient proches de
signer un pacte d’unité nationale il y eut un espoir. Et
pourtant la division demeure ? Comment imaginer qu’Abbas et
Fayyad puissent être loyaux demain dans une coalition avec le
Hamas, après toutes les trahisons que l’on sait ?
Khalid Amayreh : Je ne suis pas très optimiste quant à une
véritable réconciliation entre le Fatah et le Hamas. La raison
en est que le Fatah, voire la totalité de l’Autorité
palestinienne, n’a pas la volonté d’agir de manière
indépendante, compte tenu du fait que tous deux sont presque
entièrement tributaires pour leur survie financière des
donateurs occidentaux et arabes pro-occidentaux.
En effet, la « raison d’être » de l’Autorité palestinienne
maintenant, du moins du point de vue états-unien et israélien,
est de combattre le Hamas ou au moins de freiner sa croissance.
Cela n’est pas une affaire de stratégie politique passagère.
C’est beaucoup plus que cela. Israël, qui continue de contrôler
la politique états-unienne globale au Moyen-Orient, estime que
l’inclusion du Hamas dans le corps principal de la politique
palestinienne relèverait plus ou moins le plafond des
aspirations et des attentes palestiniennes. C’est cela, et pas
le problème du terrorisme, qui est la principale raison de la
violente hostilité d’Israël au Hamas.
En outre, Israël considère qu’un Hamas fort s’emploierait à
ce que le Fatah ne fasse pas de sérieuses concessions à Israël
sur des questions cruciales du statut final comme Jérusalem et
les réfugiés.
C’est pourquoi il est probable que la dichotomie entre
l’Autorité palestinienne et le Hamas se poursuivra pendant un
certain temps, à moins que l’Autorité palestinienne ne se
délivre des chaînes de l’asservissement aux États-Unis et
l’Union européenne qui considèrent le Hamas comme une
organisation terroriste.
Silvia Cattori : Un officier du
renseignement de l’Autorité Palestinienne, Fahmi Shabana
al-Tamimi [8],
a dénoncé les détournements de fonds publics au sein de
l’Autorité palestinienne. A-t-il été entendu ? Où vont les
milliards que verse l’Union européenne ?
Khalid Amayreh : Non, il n’a pas été entendu
et n’est pas susceptible d’être entendu. La raison en est
claire. Si l’Autorité palestinienne voulait vraiment et
sincèrement combattre la corruption, elle devrait démolir
l’appareil de l’Autorité palestinienne dans son ensemble parce
que la corruption, sous ses diverses formes, n’est que l’autre
face du régime de l’Autorité palestinienne. En fait, il y a une
relation ombilicale entre l’Autorité palestinienne et la
corruption. Cela peut paraître comme une exagération pour
beaucoup, en particulier en Occident. Mais, ici, c’est tenu pour
acquis. En bref, la corruption infeste tous les aspects de
l’Autorité palestinienne tant et si bien que, seule, une
révision approfondie et complète de l’Autorité palestinienne
pourrait endiguer le fléau de la corruption.
Silvia Cattori : Quand le président de
l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, demande aux autorités
légitimes du Hamas (à Gaza) de reconnaître Israël comme
condition préalable à la formation d’un gouvernement d’unité
nationale, cela vous paraît-il normal ?
Khalid Amayreh : Non, ça ne l’est pas. Et il
n’a pas le courage de le dire ouvertement devant un public
palestinien. D’ailleurs, lui et son Autorité palestinienne ont
reconnu Israël, il y a longtemps, et regardez ce qu’ils ont
obtenu en retour ?
Silvia Cattori : L’Organisation de
libération de la Palestine, (OLP) a reconnu Israël. Mais est-ce
à son honneur ? Quelle est l’utilité de l’OLP ? A-t-elle encore
une raison d’être ? Considérez-vous ses représentants au-dehors
comme légitimes représentants du peuple palestinien ? Mahmoud
Abbas ne se sert-il pas de l’OLP pour diviser les Palestiniens ?
Khalid Amayreh : L’OLP était un véritable
représentant du peuple palestinien. Mais c’était à l’époque où
l’OLP maintenait encore son intégrité nationale. Maintenant, à
mon avis, l’OLP a perdu une grande partie sinon la totalité de
son honneur national, ne serait-ce qu’en se livrant à des actes
manifestes de trahison tels que la coordination dite de sécurité
avec Israël. Certains Palestiniens appellent déjà l’Autorité
palestinienne, la fille de l’OLP, un judenrat
palestinien.
Silvia Cattori : Vos représentants à
l’extérieur ne semblent pas préoccupés par les abus de
l’Autorité palestinienne. Leila Shahid, représentante de la
Palestine à Bruxelles continue de se référer à Oslo, aux
négociations, et autres non-sens. Notons au passage que cette
représentante de l’OLP est considérée, par exemple en France,
comme la voix palestinienne légitime par des militants comme
Dominique Vidal et Michel Warshavsky, avec lesquels Leila Shahid
a donné des conférences en France pendant des années. Les
Palestiniens s’attendaient-ils à ce que ces représentants
démissionnent, en 2006, quand Abbas et son mouvement du Fatah
ont perdu le pouvoir ?
Khalid Amayreh : C’est vraiment tragique,
car ces gens sont censés défendre l’honneur du peuple
palestinien, non pas soutenir et défendre aveuglément des
politiques qui corrodent cet honneur au service d’Israël.
Mon impression est que ces personnes suivent le vieil adage
« quand l’argent apparaît, les têtes s’inclinent » Je suis
désolé que certains d’entre nous aient atteint ce niveau de
dépravation.
Silvia Cattori : Quand le représentant
palestinien à l’ UNESCO, Elias Sambar, ou des membres de
l’Autorité palestinienne, stigmatisent l’ Iran — un des rares
pays de la région qui dénonce Israël sans concession — ou
accusent la résistance musulmane palestinienne d’être
« chiite » [9],
expriment-ils l’opinion de la majorité de votre peuple ?
Khalid Amayreh : Je ne crois pas. Mon
impression est qu’ils se livrent à ces déclamations stupides,
afin de recevoir un certificat de bonne conduite des États-Unis
et d’Israël. Sinon, on se demande quel intérêt les Palestiniens
pourraient bien avoir à s’aliéner des millions de musulmans
chiites du monde entier en appelant le Hamas « chiite ».
D’ailleurs, le Fatah et l’OLP n’ont-ils pas supplié à
plusieurs reprises le chef du Hezbollah, cheikh Hassan Nasrallah,
d’inclure les prisonniers du Fatah dans tout marchandage avec
Israël touchant l’échange de prisonniers ? D’où l’hypocrisie de
leur part.
Silvia Cattori : Autre réalité : la
collaboration du Fatah avec le camp ennemi. Dans ces conditions,
quand les Palestiniens entendent Abbas ou Fayyad parler de
« libération de la Palestine », peuvent-ils les croire ?
Khalid Amayreh : Oui, je ne le sais que
trop. C’est vraiment au-delà de la chutzpah [insolence] ;
c’est une hypocrisie pornographique qui touche à la maladie
mentale.
Silvia Cattori : Vous avez écrit que « le
Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP)
fonctionne beaucoup plus comme un parasite de l’Autorité
Palestinienne soutenue par les États-Unis ». [10].
N’est-il pas triste de voir qu’à l’extérieur, les associations
de solidarité et les groupes de gauche considèrent le FPLP comme
un parti de gauche et, de ce fait, lui versent des collectes
d’argent importantes ? Est-ce une bonne façon d’aider les
Palestiniens dans leur ensemble ?
Khalid Amayreh : Le FPLP n’est plus ce qu’il
était. Son alliance effective avec un Fatah soutenu par les
Etats-uniens a plus ou moins miné sa réputation passée. Par
exemple, le FPLP n’a pas adopté une attitude intransigeante
vis-à-vis de la question de la coordination de la sécurité avec
Israël. Je me souviens qu’il y a deux ans, un commandant de la
sécurité de l’OLP a déclaré que « l’Autorité palestinienne et
Israël ont un ennemi commun, c’est le Hamas », et le FPLP a
gardé le silence face à cette apostasie nationale.
En outre, le FPLP est resté pratiquement silencieux et sans
réaction face aux graves attaques de l’Autorité palestinienne
contre la liberté d’expression, les droits humains et les
libertés civiles en Cisjordanie ; pour de nombreux Palestiniens,
cette attitude était impardonnable. Plus précisément, il y a une
impression répandue en Palestine occupée que la direction du
FPLP a maintes fois permis à la direction de l’Autorité
palestinienne d’utiliser l’OLP, dont le FPLP est un membre
fondateur, dans son épreuve de force avec le Hamas.
Néanmoins, la plupart des Palestiniens, y compris moi-même,
continuent de considérer avec respect et admiration Ahmed
Sadate, le chef emprisonné du FPLP. Nous espérons qu’il sera
bientôt libéré des prisons sionistes.
Silvia Cattori : La Mosquée al-Aqsa est
un lieu interdit à de nombreux Palestiniens. De nouvelles
restrictions interdisent aux musulmans d’aller sur le site du
Haram Al-Sharif. Après toutes les peines qu’ils ont endurées de
l’occupation israélienne, n’est-ce pas là la plus cruelle des
humiliations pour les Palestiniens ?
Khalid Amayreh : Oui, cela montre aussi
qu’Israël refuse aux non juifs la liberté de religion. Comment
qualifier autrement ces mesures draconiennes quand les gens
venant de Paris ou de Los Angeles peuvent accéder à la mosquée
al-Aqsa alors que les musulmans et les chrétiens palestiniens
qui vivent seulement à quelques centaines de mètres de là se
voient refuser le droit de se rendre et de prier dans leurs
lieux saints respectifs ? Même les États les plus fascistes de
l’histoire ne se sont pas engagés dans de telles mesures.
Silvia Cattori : Gaza demeure assiégée
malgré les protestations de nombreux musulmans et non musulmans
dans le monde. Les Palestiniens de Gaza peuvent-ils continuer de
survivre sans secours extérieur ?
Khalid Amayreh : Les Palestiniens n’ont pas
d’autre choix que de survivre. Les Palestiniens ont survécu en
dépit de l’histoire parce qu’ils se sont, constamment et
fiévreusement, agrippés à ce choix, si on peut appeler ça un
choix. La seule alternative était la disparition ultime et
l’effacement national.
Néanmoins, il ne fait aucun doute que le cauchemar permanent
de Gaza est un stigmate de honte sur le front de la communauté
internationale et sur la conscience de toute l’humanité.
Il est plus que regrettable que, alors qu’un peuple entier se
voit violé, humilié, affamé, et torturé, les nations du monde
regardent juste passivement comme si cet holocauste au ralenti
avait lieu sur une autre planète ou dans une autre galaxie. Je
ne peux vraiment pas trouver le mot juste pour décrire ce crime
gigantesque d’apathie envers Gaza. Maintenant, je comprends
pourquoi beaucoup de gens se taisaient quand les nazis faisaient
ce qu’ils faisaient en Europe au cours de la Seconde Guerre
mondiale.
[1]
Khalid Amayreh, né en 1957 à Hébron, a fait ses diplômes
universitaires aux États-Unis : baccalauréat en journalisme à
l’Université de l’Oklahoma, 1982 ; maîtrise en journalisme à
l’Université de Southern Illinois, 1983. Pendant longtemps, sa
vie ne fut pas facilitée par le fait qu’il était le plus souvent
confiné par les autorités militaires israéliennes dans son
village de Dura, près d’Hébron, où il réside actuellement. Il
anime le site internet
Exposing Israel.
[2]
A propos de citation mensongèrment attribué à Mahmoud Amadinejad
« rayer Israël de la carte », voir : « Comment
Reuters a participé à une campagne de propagande contre l’Iran »,
Réseau Voltaire,
14 novembre 2005.
[3]
Sarkozy, Israël et les juifs,
par Paul -Eric Blanrue, Oser Dire (Marco Pietteur Eds), 2009.
[4]
Cana est un village situé au sud du Liban, où Jésus aurait
changé l’eau en vin. De nombreux civils libanais, qui avaient
trouvé refuge dans un camp de l’ONU pour fuir les combats, y ont
été tués par l’artillerie israélienne, le 18 avril, 1996. Un
second massacre y eut lieu le 30 juillet 2006, lorsqu’Israël
bombarda un refuge de civils.
[5]
« Press
conference with Bemjamin Netanyahu and Angela Merkel »,
Voltaire Network,
18 janvier 2010. « Les
relations d’Angela Merkel avec Israël empêchent la solution du
conflit au Proche-Orient », par
Judy Dempsey ; et « L’Allemagne
et Israël viennent-ils de signer des accords secrets ? »,
par Karl Müller, Réseau Voltaire,
8 février 2010.
[6]
« À
quand l’État palestinien ? »
Tribune libre de Bernard Kouchner et Miguel Angel Moratinos,
Réseau Voltaire,
23 février 2010.
[7]
« Europe
should speak to Hamas now », par
Khalid Amayreh, novembre 2008. Version française : « L’Europe
devrait parler au Hamas, maintenant »,
Ism, 16 novembre 2008.
[8]
« Hedonism
in Ramallah », par Khalid
Amayreh, 18 février 2010. Version française : « Hédonisme
à Ramallah », Ism, 20 février
2010.
[9]
« La
menace chiite en Palestine, entre phobies et propagandes »,
par Jean-François Legrain, CNRS, Groupe de Recherches et
d’Études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, 1er octobre
2009.
[10]
« What
is wrong with PFLP ? », par
Khalid Amayreh, 16 octobre 2008. Version française : « Qu’est-ce
qui ne va pas avec le FPLP ? »,
Ism, 18 octobre 2008.
Traduit de l’anglais par JPH
Silvia Cattori,
Journaliste suisse indépendante, de langue maternelle italienne.
Les années qu’elle a passées outre-mer, notamment en Asie du
Sud-Est et dans l’Océan indien, en contact étroit avec le milieu
de la diplomatie et des agences des Nations Unies, lui ont donné
une certaine compréhension du monde, de ses mécanismes de
pouvoir et de ses injustices. En 2002, elle fut témoin de
l’opération « Bouclier de protection », conduite par Tsahal en
Cisjordanie. Elle se consacre depuis à attirer l’attention du
monde sur le sort subi par le peuple palestinien sous occupation
israélienne.
Auteur de
Asie du Sud-Est, l’enjeu thaïlandais (éd L’Harmattan,
1979).
Les
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