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Investig'Action
« Des enfants
meurent à cause des gangsters de la Bourse »
Jean Ziegler
Jean Ziegler
Mardi 25 mai 2010
Dans ses livres qui ont marqué l’opinion, Jean Ziegler n’a
cessé de dénoncer le caractère absurde et criminel des
politiques du capitalisme envers les peuples du tiers monde. Il
a été le rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation du
Conseil des droits de l’homme aux Nations unies de 2000 à 2008.
Michel Collon l'a interrogé à Genève sur la crise, la Bourse, la
faim, Obama, Israël…
La crise t’a surpris ?
Dans sa violence, oui. Je ne pensais pas que les truands de la
finance allaient ruiner l’économie mondiale à une telle
vitesse : 1.800 milliards de valeurs patrimoniales ont été
détruites. Pour les pays du tiers-monde, c’est une catastrophe
totale. Mais aussi pour les pays industrialisés.
Ce sont encore les pauvres qui paient ?
Oui. Le 22 octobre 2008, les quinze pays de l’euro se sont
réunis à Paris. Sur le perron de l’Elysée, Merkel et Sarkozy ont
dit : « Nous avons libéré 1.500 milliards d’euro pour
le crédit et pour augmenter le plafond
d’autofinancement de 3 à 5% ». La même année, les mêmes pays
européens ont réduit leurs subventions pour le programme
alimentaire mondial (qui ne vit que de ces subventions) de 40 %.
De six milliards de dollars à moins de quatre milliards.
Ce qui fait qu’au Bangladesh, on a supprimé les repas scolaires.
Un million d’enfants sont gravement et en permanence
sous-alimentés. Ces enfants meurent donc à cause des gangsters
de la Bourse. Il y a là des morts véridiques. Les spéculateurs,
aujourd’hui, devraient être jugés au tribunal de Nuremberg.
Quelle leçon les puissants ont-ils tiré de la crise ?
Aucune. Prenons l’exemple de la Suisse. Le contribuable suisse y
a payé 61 milliards de dollars pour le sauvetage de la plus
grande banque : UBS. L’an dernier, en 2009, les dirigeants
d’UBS, toujours proche de la faillite, se sont distribués
entre eux des bonus pour quatre milliards de francs suisses ! Le
pillage est total et l’impuissance des gouvernements qui se
comportent comme des mercenaires est totale aussi. En tous les
cas, en Suisse, en France, en Allemagne où j’ai quelques
renseignements. C’est un scandale permanent.
Le masque néolibéral est tombé évidemment, avec sa prétendue
légitimité. Mais le cynisme et l’arrogance des banquiers
triomphent totalement.
Tu as été, de 2000 à 2008, le rapporteur
des Nations-Unies sur le problème de la faim dans le monde. Quel
bilan tires-tu ? As-tu servi à quelque chose ?
Non, si tu regardes les chiffres, ils sont catastrophiques.
Toutes les cinq secondes, un enfant meurt de faim. 47.000
personnes meurent de faim tous les jours. Un milliards de
personnes (c’est-à-dire un homme sur six) sont gravement et en
permanence sous-alimentés. Alors que l’agriculture
mondiale dans l’état actuel de son développement pourrait
nourrir sans problème douze milliards d’êtres humains avec 2.700
calories par individu par jour ! Donc, au début de ce siècle, il
n’y a plus aucune fatalité. Un enfant qui meurt de faim, au
moment où nous parlons, est assassiné. C’est catastrophique.
L’ordre mondial du capital financier globalisé est meurtrier -
épidémie, décès par la pollution de l'eau , etc… - et en même
temps absurde : il tue sans nécessité. C’est l’ordre des
oligarchies et du capital financier mondialisé. Sur le plan de
la lutte contre la faim, l’échec est total.
Et du côté du public, sens-tu une évolution ?
Oui. La conscience a augmenté. Plus personne aujourd’hui, ne
considère ce massacre quotidien comme un fait de la nature. On
va en Europe, je crois, et en tout cas dans les pays de la
périphérie vers une insurrection des consciences. Il faut une
rupture radicale avec ce monde cannibale.
Alors que le problème de la faim n’est pas résolu, on dépense de
plus en plus pour faire la guerre.
En 2005, pour la première fois, les dépenses mondiales
d’armement (pas les budgets militaires, juste les dépenses
d’armement) ont dépassé mille milliards de dollar par an. Nous
vivons dans un monde d’une absurdité totale.
Obama avait pourtant fait de belles promesses…
Il est vrai qu’Obama suit totalement la surdétermination de
l’Empire. Je ne l’ai jamais rencontré, c’est sûrement quelqu’un
de bien, mais la réalité qu’il affronte est effrayante. Les
Etats-Unis restent la plus grande puissance industrielle au
monde : 25 % des marchandises industrielles sont produites
par eux, avec pour matière première le pétrole : 20 millions de
baril par jour dont 61% sont importés. On peut l’importer de
régions comme le Moyen-Orient ou l’Asie centrale, ce qui les
force à maintenir une force armée totalement hypertrophiée, et
le budget fédéral est donc complètement parasité par les crédits
militaires… Mais telle est la logique de l’Empire.
Quel est ton sentiment sur ce qui se passe maintenant en
Israël et comment cela peut-il évoluer ?
Je pense que Tel-Aviv dicte la politique étrangère des
Etats-Unis avec le lobby de l’AIPAC, comme puissance
déterminante.
Avant les politiciens, ce sont quand même d’abord les
multinationales pétrolières qui décident d’armer Israël.
Oui, la logique fondamentale est que pour les intérêts
pétroliers, il faut un porte-avion stable. Et l’Etat d’Israël
mène - ce n’est pas moi qui le dit, c’est un rapporteur spécial
des territoires occupés - une politique permanente de terrorisme
d’Etat. Tant que ce terrorisme continue, il n’y aura pas de paix
au Moyen-Orient, il n’y aura pas de fin au conflit Iran - Irak,
ni rien du tout. Tout est sans issue sauf si enfin l’Union
européenne se réveillait, tu comprends ?
Que pouvons-nous faire, nous Européens, pour la réveiller ?
Depuis juin 2002, existe un accord de libre échange entre
Israël et les 27 pays de l’Union européenne qui absorbent 62%
des exportations israéliennes. Dans cet accord, l’article
2 (c’est le même dans tous les traités de libre échange) dit :
le respect des droits de l’homme par les partis contractantes
est la condition pour la validité de l’accord. Mais les
violences faites aux Palestiniens - vol de la terre, torture
permanente, éliminations extrajudiciaires, assassinats,
organisation de la sous-alimentation comme punition collective –
tout cela, ce sont des violations permanentes des droits de
l’homme les plus élémentaires. Si la Commission européenne
suspendait pendant 15 jours l’accord de libre-échange, les
généraux israéliens reviendraient à la raison immédiatement. Or,
l’Europe des 27, ce sont des démocraties, c’est à nous de jouer,
nous opinions publiques.
Comment ?
Il faut forcer nos gouvernements. Nous ne sommes pas
impuissants. En Belgique, il y a beaucoup de problèmes, en
Suisse et en France aussi. Mais une chose est certaine : les
libertés publiques existent. Il faut se saisir de ces libertés
publiques pour imposer à nos gouvernements un changement radical
de politique, c’est tout. S’ils ne le font pas, alors il ne faut
plus voter pour eux, tu comprends, c’est aussi simple que ça !
Mais tous ces gouvernements sont d’accord de soutenir Israël.
En France, par exemple, que ce soit l’UMP ou le PS, ils
soutiennent Israël.
Soutenir la sécurité et la permanence d’Israël, c’est une chose.
Mais cette complicité avec le terrorisme d’Etat et la politique
de colonisation, ce n’est pas possible. C’est la négation de nos
valeurs, c’est « du fascisme extérieur » : c’est-à-dire que nos
valeurs sont démocratiques à l’intérieur de nos frontières et à
l’extérieur, nous pratiquons le fascisme par alliance.
Et enfin, le rôle des médias dans tout ça ?
Ils sont complètement soumis. Notamment en période de crise, les
journalistes ont peur pour leur emploi. L’agressivité du
lobby israélien est terrible. Moi, j’ai subi la diffamation la
plus effroyable, et ça continue aux Nations-Unies d’ailleurs,
c’est grâce à Kofi Annan que j’ai survécu. Israël est un danger
pour la paix du monde, Israël cause d’effroyables souffrances.
Et dans ce pays, les opposants comme Warschawski sont
complètement marginalisés. Mais si l’opposition israélienne
anticoloniale et anti-impérialiste n’a pas la parole, n’a pas
d’influence, eh bien, nous allons vers la catastrophe. Il faut
soutenir les opposants.
Et le rôle des médias à propos de la crise ?
La crise est présentée comme une fatalité, une catastrophe
naturelle. Alors que les responsables sont identifiés !
Source:
michelcollon.info
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