Par Fériel Berraies Guigny
Jacques Hintzy « … Préserver ce Capital, qu’est
l’enfant » !
Jacques Hintzy © Unicef France Le droit des enfants à
la liberté d'exister en paix et bonne santé est largement
négligé par les autorités en Afrique. On dit pourtant dans bien
des discours politiques, qu'ils sont le lendemain de ces
Nations. Qu'ils sont les dirigeants de demain, mais cela se
limite le plus souvent, à de la rhétorique. Après avoir signé la
Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant et la
Charte africaine sur les droits et la protection des enfants,
les chefs d'Etats africains continuent d'occulter ces belles
promesses juridiques. Pourtant en temps de conflits, ils
n'hésitent pas à y faire référence, se vantant même d'avoir
placé les besoins et les droits des enfants au cœur de chaque
programme de développement.
Dans les faits, qu’en est-il, s’agissant
notamment de l’épineux problème des enfants soldats qui
continuent d’être embrigadés ?
Fériel Berraies Guigny a rencontré
Jacques Hintzy, Président d’Unicef France, de retour
d’une mission au Malawi. Les questions relatives à la
vaccination contre le virus du Sida dans ce pays, mais également
les retombées de la Conférence de Paris de 2007, sur le
désembrigadement des enfants soldats ont été abordées.
Entretien avec Jacques Hintzy:
1.
Vous revenez d’un séjour du Malawi, pouvez
nous dire quelles ont été vos actions dans la Région ?
Depuis deux à trois ans, nous avons développé des campagnes pour
faire prendre conscience du problème que constitue le Sida,
s’agissant des enfants. D’autant qu’on a toujours tendance
à penser que c’est un fléau qui touche uniquement les adultes.
Nous apportons des aides aux pays les plus touchés en Afrique de
l’Est dont le Lesotho et le Malawi. Dans le cadre des
financements de programmes que nous faisons, au Malawi nous
avons développé un programme pour le non transmission du virus
du Sida de la mère à l’enfant lors de l’accouchement et aussi de
l’apport d’anti rétroviraux aux enfants. C’est par
l’intermédiaire d’hôpitaux et d’associations que nous tentons de
sensibiliser les populations. Nous aidons également à la
formation du personnel médical, qu’il s’agisse d’infirmières,
d’assistantes médicales. Il y a un manque cruel en matière de
personnel dans les hôpitaux où on peut avoir 300 à 400 patients
pour une seule consultation. Ceci a amené les autorités du
Malawi à revoir tous les protocoles dans l’administration des
anti rétroviraux afin d’alléger les protocoles et de diminuer le
niveau de spécialité des intervenants. C’est un système qui
s’est avéré très efficace.
Nous avons aussi développé des programmes de
nutrition pour les enfants touchés par le virus, à base d’un
aliment très courant, qui est l’arachide. Ce programme de
nutrition qu’est le « Plumpy’Nut » est administré
pendant trois jours à l’enfant en hôpital, par la suite la mère
pourra le lui administrer à son tour. L’enfant qui souffrait de
malnutrition peut récupérer en deux ou trois mois. Ces méthodes
sont simples et elles contribuent à sauver des générations
d’enfants. Ce genre d’initiative est la fierté d’Unicef.
2) Quel est l’état actuel et les
perspectives, s’agissant de l’avancée du Sida au Malawi ?
Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés par
rapport à cette maladie ? Le taux de contamination
tourne autour de 13 à 14% chez les enfants au Malawi ce qui un
chiffre qui est quand même conséquent quand il s’agit de la
propagation de la maladie. D’autant que cette maladie signifie
aussi l’émergence d’un certain nombre d’orphelins qui n’ayant
plus de cadre familial pour les protéger seront à la merci de la
déscolarisation, ils ne vont plus à l’école et finiront
abandonnés dans les rues. Ils seront dés lors l’objet d’un
certain nombre d’exploitations, dont l’exploitation sexuelle.
Enfants au Soudan
© Unicef France/Mann
3) S’agissant des enfants soldats
d’Afrique, pourriez-vous nous dire quels sont les programmes en
cours, les projets futurs, les enjeux mais également les
limites ? Notre souci au départ, était de faire prendre
conscience aux français de ce que signifiait le combat des
enfants soldats. Nous avons travaillé sérieusement à cet effet,
en terme d’information et nous avons lancé une pétition qui a
été signée par près de 250 000 français. Par ailleurs, cette
sensibilisation a été complétée par un voyage sur le terrain
avec Emmanuelle Béart en Sierra Léone où l’on s’était notamment
penché sur le problème des filles soldats. Car on ne pense
jamais que les filles puissent être aussi impliquées dans ce
fléau. Nous avons par la suite, fait une émission sur ARTE sur
les enfants au Libéria. Nous avons entamé un gros effort de
sensibilisation. En même temps, qu’un effort de financement,
puisque nous avons financé une quinzaine de programmes pour près
de 10 millions d’euros dans des programmes de démobilisation des
enfants soldats. A côté de cela, nous avons contribué à
une réflexion internationale, sur la nécessité de réintégrer ces
jeunes dans une vie beaucoup plus normale. Avec Unicef
international et le Ministère des Affaires Etrangères français,
nous avons organisé une Conférence à Paris en 2007, en vue de
fixer de bonnes pratiques en matière de démobilisation des
enfants soldats. Cette initiative s’inscrivait dans le désir de
pousser les gouvernements à prendre des initiatives dans ce
domaine là. En conséquence, nous avons eu la signature des
engagements de Paris par 56 pays, aujourd’hui ils sont soixante.
Nous avons inscrit par ce fait, quelques éléments qui nous
paraissaient capitaux pour l’avenir, entre autre, la prise en
compte d’une réintégration beaucoup plus soutenue des enfants
soldats, surtout en matière de formation. Car il faut aussi leur
donner les moyens économiques de s’en sortir en dehors des
armes. Nous voulions au final un engagement des Etats pour
dégager les moyens nécessaires. Car la prise en charge d’un
enfant soldat est assez lourde, il faut en moyenne 1500 dollars
par enfant. Et cela s’inscrit uniquement dans une première
phase, car la démobilisation d’un enfant soldat implique une
durée continue de deux à trois ans.
4/ Quel sont les risques de récidive ?
le risque est présent quand le conflit n’est pas terminé, ou
qu’il perdure dans les pays limitrophes, que l’enfant n’a
pas été pris en charge correctement sur un plan psychologique ou
que sa formation a été insuffisante.
5) Comment les Communautés réagissent
elles par rapport aux enfants démobilisés ?
Nous avons aussi tout un programme de
sensibilisation des Communes dans le cadre de la démobilisation
des enfants soldats. Nous les préparons à l’accueil du retour
des enfants, en recourrant d’ailleurs à un certain nombre de
pratiques coutumières, comme des séances de « désenvoûtement »
par exemple, je ne sais pas si le terme est exact.
Conférence de Paris © Unicef France/Y.Baret
6) Qu’escompter à un an de la fameuse
conférence de Paris tenue en 2007 sur les enfants Soldats ?
Il y a eu des avancées mais également encore quelques limites.L’engagement
politique est là, mais il reste insuffisant, par ailleurs c’est
aussi la même constatation s’agissant des moyens. Les
avancées sont réelles mais elles restent fragiles. Au
Népal il y a eu une identification et un enregistrement
des enfants dans les centres de cantonnement et un développement
de réseaux communautaires pour suivre les enfants qui ont quitté
les cantonnements de leur propre chef. Cependant on constate
aussi, que malgré les négociations politiques, Unicef n’a pas eu
accès aux Cantonnements d’enfants en vue de dialoguer avec eux.
En Côte d’Ivoire, il y a eu la cessation de
tout recrutement d’enfants soldats, 1273 enfants ont été
relâchés pour entrer dans des programmes de réinsertion. C’est
une avancée.
Par contre, sur le plan politique cela reste
insuffisant car dans diverses situations l’engagement politique
du gouvernement ou du groupe armé est de façade. Au Burundi nous
avons eu un blocage des négociations sur la démobilisation des
enfants soldats quand on a abordé la question de l’immunité et
de la détention des militants du FNL et donc le recrutement des
enfants continue. S’agissant des moyens on n’a pas eu le
sentiment que les grands bailleurs de fonds internationaux aient
augmenté leur contribution pour le désembrigadement des
enfants, depuis la Conférence de Paris.
Par contre, la constitution d’un Comité de
Suivi des engagements de Paris, en coprésidence de la
France avec Rama Yade et la représentante spéciale de
l’Onu s’agissant des enfants soldats au Sein des Nations Unies,
est une grande avancée en soi. Dorénavant, deux fois l’an à New
York se réuniront des responsables diplomatiques de haut
niveau, en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies, pour
évaluer les avancées des Accords de Paris. On suivra les
nouveaux pays signataires, les financements mis en place et
d’une façon concrète ce qui se passe sur le terrain
7) La France a dépêché deux chargés de
Coopération, dont un assigné à la région des Grands Lacs ?
C’est exact, ils auront pour tâche de nous fournir une
aide technique, ils oeuvreront sur le terrain, ils appuieront
des gouvernements, ils veilleront à la mise en place des
programmes de démobilisation qui ont été financés.
8) Le chanteur Corneille, s’est également
engagé à l’unes de vos campagnes en 2006? Le chanteur
Corneille est devenu Ambassadeur pour la France et pour le
Canada. Il nous appuie dans tous les témoignages que nous
pouvons faire s’agissant des enfants. Ce qui importe, c’est
d’avoir une voix qui puisse se faire entendre par les jeunes.
Par ailleurs, son histoire personnelle touche également le drame
du Rwanda.
Jacques Hintzy en Sierra Leone
© Unicef France/Guespin
9) Ismaël Beah l’ex enfant soldat du
Sierra Leone est devenu porte parole du combat aussi ?
S’agissant de la responsabilité des enfants soldats, qu’en
pensez-vous ? Il a été nommé Ambassadeur Unicef
International, il est particulièrement le porte-parole
s’agissant des enfants soldats. Il vient d’ailleurs de publier
un roman autobiographique « le Chemin parcouru » aux
Etats-Unis qui a rencontré un très vif succès, près de 500 000
exemplaires aux Etats-Unis, il vient de paraître en France.
S’agissant de la responsabilité des enfants
soldats et des enfants qui auraient commis des atrocités,
nous considérons qu’ils sont avant tout victimes car ils sont
pour la plupart, embrigadés contre leur gré et sous
l’emprise de la drogue. Il n’y a pas de bourreaux ici, c’est
très clair pour nous, ils ne devraient pas être en prison.
10) Un dernier message ? Pour
nous, à l’Unicef, il est important de préserver le capital
qu’est l’enfant. Il faut qu’il puisse grandir et s’épanouir avec
le maximum d’atouts et tout doit être fait en vue de protéger et
de garantir son développement physique et psychologique. Pour
cela, il faut que l’on parvienne à développer des
solutions simples par ailleurs, en vue de permettre aux
populations de se prendre en charge par elles mêmes.
Crédits : propriété Exclusive de Destin de
l’Afrique, Sénégal
Photos : propriété Exclusive d’Unicef France
Photo portrait de monsieur Hintzy ; crédit
Photo des enfants au Soudan.
Crédit photo Mann
Photo de M. Hintzy au Sierra Leone. Crédit photo Guespin
Article de presse
Courtesy of F.B.G Communication
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Publié le 21 avril 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies
Guigny
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