Fériel Berraies Guigny
Jacques
Attali, « ... le plus grand problème en Afrique, c'est l'absence
d'Etat ! Et quand il y a un Etat : l'absence de démocratie » !
Jacques Attali
Afrique terre de
notre ancêtre marquée par le poids de l’histoire coloniale,
continue d’inspirer et d’interpeller les plus grands. Berceau
de la civilisation et Continent
Maudit pour certains, il est aussi le foyer de biens des polémiques.
Jacques Attali dans son dernier essai « une brève histoire
de l’avenir », ( Fayard, 2006)
nous livre une
vision alarmiste et sans complaisance, d’un Continent qui ne cesse de ployer sous le poids de son
destin. Un Continent en parfaite perdition, bâillonné, aveuglé,
mis à sac par certaines
gouvernances africaines
qui entretiennent sciemment le facile exercice de la non démocratie.
Monsieur Jacques Attali nous revient donc
avec une œuvre
qui se veut aussi « sonner l’alarme » afin de faire
prendre conscience sur les dangers encourus par nos sociétés.
Fériel Berraies Guigny a rencontré le penseur et écrivain à
Paris, et s’est entretenue sur les diverses questions reliant le
sort de l’Afrique.
Entretien
conduit par Fériel Berraies Guigny pour Destin de l’Afrique :
Vous avez développé
les micro crédits au travers de
Planetfinance, votre organisation non gouvernementale, pensez vous
que cela suffira pour éradiquer la pauvreté et le sous développement
en Afrique ?
Nous
travaillons dans soixante pays et pas uniquement dans les pays
africains. C’est un outil formidable pour le développement. Il
y a deux outils pour lutter contre la pauvreté, la micro finance
et la démocratie. Les deux sont nécessaires, l’une ne peut
fonctionner sans l’autre.
Il faut un Etat transparent, qui ne prétende pas tout faire et
qui ne s’octroie par le monopole des mérites dans ce qui a été
entrepris dans le
pays. La micro finance ne peut réussir que si elle est l’œuvre
des ONG.
Il y a plusieurs pays africains qui donnent un exemple d’avancée
ou de progrès vers la démocratie. Cela reste perfectible.
S’agissant
de ce Continent, votre diagnostic reste accablant : vous prédisez
qu’en En 2025, le continent aura un PIB par habitant inférieur
au quart de la moyenne mondiale ?
Je
ne vois pas de raisons d’être optimistes même s’il y a des
pays qui semblent décoller. C’est le cas du Maroc, de la
Tunisie, du Ghana et peut être un peu le Cameroun. Mais sans
structure étatique forte, une démocratie, les choses auront du
mal à s’implanter. La dictature amène un véritable chaos.
L’Afrique, de ce point de vue, est extrêmement mal partie.
Vous dénoncez
le fait qu’en Afrique, il y ait véritablement une absence de
classe créative ? Pour vous la relève ne viendrait que de
l’élite de la diaspora africaine ?
L’élite
africaine de la diaspora joue un rôle très important, dans les
domaines de la musique, de l’art.
Il y a même une classe moyenne très importante dans certains
pays africains comme le Cameroun, l’Afrique du Sud, le Nigeria.
Il y a un vrai développement d’une classe créative, nous y
trouvons de grands écrivains et musiciens. Mais le plus grand
problème en Afrique, c’est l’Absence d’Etat ! Et
lorsqu’il y a un Etat : l’absence de démocratie !
Vous écrivez
que « tandis que l’Afrique s’évertuera en vain à se
construire, le reste du monde commencera à se déconstruire sous
le coup de la globalisation. » pouvez vous nous expliciter
votre analyse ?
La Globalisation
c’est la globalisation du marché et non de la démocratie.
Progressivement les lois du marché
l’emportent sur le reste. Règles qui du reste font que des
secteurs comme la justice et la police, deviennent des domaines
privés. On peut espérer que l’Afrique ressemble dans trente
ans à l’Europe d’Aujourd’hui. Mais aujourd’hui on est
encore loin.
Dans votre
dernier livre, vous redessinez la destinée de l’homme et des
Nations, avez-vous des dons de voyance ou est ce une fatalité inéluctable
des rapports entre les Etats? Que voyez vous se profiler sur l’échiquier
international ? Dans les prochaines années, la puissance américaine
ne sera plus ? Qui la remplacera ?
J’essaye
d’inscrire les brèves prochaines cinquante années dans la très
longue histoire de l’humanité. Les prochaines cinquante années
vont se dérouler de façon inéluctable autour des cinq phases
que je décris. Naturellement, nous pouvons être assez
intelligents pour éviter la catastrophe.
Je vois d’abord un retrait progressif des Etats-Unis, une
parcellisation du monde, gouverné par quelques Nations séparées
que j’identifie à onze groupes de Nations. Puis une domination
par le marché et une destruction des Etats, et une violence extrême.
Et au-delà de la violence, une mise en place de structures
altruistes, et de gouvernements
planétaires.
Vous présagez
d’un conflit total et ultime que vous nommez « Hyper conflit »,
serait ce la fin de la société moderne
J’espère qu’en
le disant, on fera tout pour qu’on l’évite. J’espère avoir
crée les conditions d’une réelle prise de conscience.
Quelle leçon peut
on tirer, pour l’humanité peut on encore retarder l’échéance ?
La liberté est une
condition absolue du développement, elle doit s’inscrire dans une
condition globale qui est la nécessité d’avoir des structures
étatiques stables. La
liberté économique pour le Maghreb est essentielle, elle ne pourra
voir le jour que si les pays du Maghreb sont rassemblés dans un marché
commun.
Le transhumain,
selon vous serait le nouvel homme de demain, débarrassé de tous
ses vices antérieurs, utopie réalisable?
La prise de conscience
que chacun a intérêt au bonheur de l’autre, est importante. S’agissant
des progrès technologiques et des instruments de la modernité comme
le portable par exemple, il faut qu’il y ait une mutation dans notre
façon de penser, pour se dire que notre voisin doit lui aussi,
« être riche et heureux ».
Biographie de Jacques Attali:
Major
de promotion de Polytechnique (X63), Docteur d'État en sciences
économiques, Ingénieur de l'École des mines de Paris, diplômé
de l'Institut d'études politiques de Paris et de l'École nationale
d'administration dont il sort troisième de sa promotion, Jacques
Attali est chroniqueur à L'Express et l'auteur de quarante
livres, traduits dans plus de vingt langues et diffusés à plus six
millions d'exemplaires dans le monde entier: des essais (traitant
de sujets variés allant de l'économie, à la mathématique à la
musique), des romans, des contes pour enfants, des biographies et
des pièces de théâtre. Mais il est également un fin stratège
et on compte plusieurs ouvrages en géopolitique, dont le dernier
est sorti en 2007, « une brève histoire de l’avenir » (éditions
Fayard). Une synthèse historique, politique, économique et sociale, où Jacques
Attali, en magnifique utopiste qu’il est, nous offre une fresque
débordante d’imaginaire. Alors que se déroulent au fil de sa
plume, l'Histoire des soixante prochaines années, cet essai
futuriste, signe les limites de la conscience humaine.
Professeur, écrivain, conseiller d'Etat honoraire, conseiller spécial
auprès du Président de la République de1981 à 1991, il fut le
fondateur et le premier président de la Banque Européenne pour la
Reconstruction et le Développement à Londres de 1991 à 1993. Docteur
honoris causa de plusieurs universités étrangères et membre de
l'Académie Internationale des Cultures.
Crédits :
Interview Exclusive
réalisée pour le mensuel panafricaniste sénégalais, Destin de
l’Afrique
Photo : Bloomberg Copyright
Article de Presse : Courtesy of Fériel Berraies Guigny
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