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Par
Fériel Berraies Guigny. Paris
Jacques
Attali, que sera demain ? : « … le Monde peut très
bien retourner à la Barbarie la plus absolue » !
© Photo Bloomberg
Interview
Exclusive pour Réalités Tunisie. Par Fériel Berraies
Guigny Journaliste Correspondante tunisienne, basée à Paris.
Lundi 2 juillet 2007
En ces temps de remise en cause, les
grandes questions sont restées en suspens et pourtant tout un
foisonnement intellectuel continue à véhiculer les prévisions
les plus futuristes sur les rapports entre les Nations.
S’agissant du nouvel ordre mondial, diplomates et politiques
continuent d’entretenir bien des polémiques et les médias à
l’affût de sensationnalisme en font des gorges chaudes. Mais
tapis dans l’ombre, par la seule force de leur plume, les
intellectuels s’amusent à imaginer le monde et sa destinée.
Parmi eux, l’un des plus illustres, une véritable légende
vivante du verbe et dans bien d’autres domaines : de l’Art
avec un grand A, à la culture, à la difficile science de la géopolitique.
Eminence grise de François Mitterrand au temps de sa grandeur,
premier président de la BERD dont il eu le premier l’idée et
la volonté de la voir aboutir, essayiste et romancier de grand
talent il a la faculté de rendre ses interlocuteurs intelligents
ou de leur faire croire, tant son discours est limpide. Connu pour son magistral « Verbatim », livre
d’histoire moderne, Monsieur Jacques Attali nous revient avec sa
dernière œuvre publiée aux éditions Fayards « une brève
histoire de l’avenir ». Ou comment redessiner le Monde et
ses enjeux.
Fériel Berraies Guigny a rencontré le penseur
et écrivain à Paris, pour s’entretenir sur diverses questions,
allant du sort de l’Afrique pour les années à venir aux
dossiers cuisants du Proche Orient.
Biographie de l’auteur :
Major de
promotion de Polytechnique (X63), Docteur d'État en sciences économiques,
Ingénieur de l'École des mines de Paris, diplômé de l'Institut
d'études politiques de Paris et de l'École nationale
d'administration dont il sort troisième de sa promotion, Jacques
Attali est chroniqueur à L'Express et l'auteur de quarante
livres, traduits dans plus de vingt langues et diffusés à plus
six millions d'exemplaires dans le monde entier: des essais
(traitant de sujets variés allant de l'économie, à la mathématique
à la musique), des romans, des contes pour enfants, des
biographies et des pièces de théâtre. Mais il est également un
fin stratège et on compte plusieurs ouvrages en géopolitique,
dont le dernier est sorti en 2007, « une brève histoire de
l’avenir » (éditions Fayard).
Une synthèse historique,
politique, économique et sociale, où Jacques Attali, en
magnifique utopiste qu’il est, nous offre une fresque débordante
d’imaginaire. Alors que se déroulent au fil de sa plume,
l'Histoire des soixante prochaines années, cet essai futuriste,
signe les limites de la conscience humaine.
Professeur,
écrivain, conseiller d'Etat honoraire, conseiller spécial auprès
du Président de la République de1981 à 1991, il fut le
fondateur et le premier président de la Banque Européenne pour
la Reconstruction et le Développement à Londres de 1991 à 1993.
Docteur honoris causa de plusieurs universités étrangères et
membre de l'Académie Internationale des Cultures.
Bibliographie
Essais :
Analyse économique de la vie politique, PUF, 1973.
Modèles politiques, PUF, 1974.
L'Anti-économique (avec Marc Guillaume), PUF, 1975.
La Parole et l'Outil, PUF, 1976.
Bruits, PUF, 1977 et Fayard, 2000.
La Nouvelle Économique française, Flammarion, 1978.
L'Ordre cannibale, Grasset, 1979.
Les Trois Mondes, Fayard, 1981.
Histoires du Temps, Fayard, 1982.
La Figure de Fraser, Fayard, 1984.
Au propre et au figuré, Fayard, 1988.
Lignes d'horizon, Fayard, 1990. 1492, Fayard, 1991.
Économie de l'Apocalypse, Fayard, 1994.
Chemins de sagesse, Fayard, 1996.
Mémoires de sabliers, éditions de l'Amateur, 1997.
Dictionnaire du XXI siècle, Fayard, 1998.
Fraternités, Fayard, 1999.
Les Juifs, le monde et l'argent, Fayard, 2002.
L’homme nomade, Fayard, 2003
Raison et Foi, BNF, 2004
La voie Humaine, Fayard, 2004.
La confrérie des éveillés, Fayard, 2004
Karl Marx ou l’esprit du monde, Fayard, 2005
C’était François Mitterrand, Fayard, 2005
Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006
Romans :
La Vie éternelle, roman, Fayard, 1989.
Le Premier Jour après moi, roman, Fayard, 1990.
Il viendra, roman, Fayard, 1994.
Au-delà de nulle part, roman, Fayard, 1997.
La Femme du menteur, roman, Fayard, 1999.
Nouv’Elles, 2002
La Confrérie des Eveillés, Fayard, 2004.
Biographies :
Sigmund Warburg, un homme d'influence, Fayard, 1985.
Blaise Pascal, ou le génie français, Fayard, 2000.
Karl Marx ou l’esprit du Monde, Fayard, 2004.
Théâtre :
Les Portes du Ciel, théâtre, Fayard, 1999.
Contes pour enfants :
Manuel, 1'enfant-réve (ill. par Philippe Druillet),
Stock, 1995.
Mémoires :
Verbatim I, Fayard, 1993.
Europe(s), Fayard, 1994.
Verbatim II,
Fayard, 1995.
Verbatim
III,
Favard, 1995.
Entretien :
Qui est Jacques Attali ?
Je suis un homme de gauche, un écrivain
et le président d’une ONG : Planetfinances. Je n’ai
aucune activité politique ni à gauche ni à droite.
Je n’appartiens à aucun parti politique et je n’ai
donné aucun consigne de vote à l’égard de personne. Je ne
soutiens personne.
Vous êtes un fervent croyant en
l’humain, comment préservez vous donc cette empathie que vous
avez par rapport à l’autre ?
C’est ma nature qui est ainsi, et
je ne peux vivre sans penser que les autres ont de l’importance.
Quiconque pense qu’il a intérêt à ce que l’on se souvienne
de lui dans l’avenir, a intérêt à ce que le monde survive.
Nous devons avoir une certaine empathie à l’égard du monde.
Vous êtes un homme de l’être,
épris de beauté et de vérité, comment concilier cela à la
dure réalité de la géopolitique et des puissants ?
Il est vrai que j’ai une carrière
multiforme, je suis à la fois un écrivain de romans et un homme
d’action en même temps que d’être un théoricien. Je pense
que l’action n’a de sens que si elle s’inscrit dans un idéal.
L’idéal n’a de sens que si l’esthétique, la beauté de la
société trouvent place. L’Action n’a de sens que si elle
s’inscrit dans l’éthique et l’esthétique.
Aujourd’hui les guerres se
livrent par le verbe, les écrits assassinent et pourtant vous
avez fait de l’écriture la meilleure arme contre l’intolérance
et l’ignorance, quel est votre secret ?
(Sourires) Je crois à
l’intelligence humaine car elle finit toujours par
triompher. Même si on a aussi vu dans le passé, les plus grands
mélomanes parmi les tortionnaires d’Auschwitz. La culture ne
protége en rien de la Barbarie. Je continue à penser que
l’intelligence du monde est la clé de la civilisation.
Que sommes nous en droit d’espérer
s’agissant des dossiers chauds du Moyen Orient ? Le
processus de paix est il mort ? Qu’attendre des
affrontements fratricides en Palestine ? Du régime actuel ?
L’Etat de Palestine existera t il un jour ?
C’est difficile de prévoir, car
le monde peut très bien retourner à la Barbarie la plus absolue.
On peut très bien imaginer le pire, s’agissant de la question
palestinienne on pourrait penser au scénario d’une guerre
civile durable entre palestiniens. En poussant le scénario du
pire encore plus loin, on pourrait imaginer que les Etats
musulmans n’aillent pas vers la démocratie, Qu’Israël cesse
aussi d’être une démocratie face aux multiples agressions
qu’elle pourrait subir. On peut rêver aussi, d’un marché
commun semblable à celui qui s’est fait en Europe, au Moyen
Orient. Il faudrait aussi que le Maghreb donne l’exemple, pour
donner un modèle positif au Mashrek.
Vous avez développé les micro
crédits au travers de Planetfinance,
votre organisation non gouvernementale, pensez vous que cela
suffira pour éradiquer la pauvreté et le sous développement en
Afrique ?
Nous
travaillons dans soixante pays et pas uniquement dans les pays
africains. C’est un outil formidable pour le développement. Il
y a deux outils pour lutter contre la pauvreté, la micro finance
et la démocratie. Les deux sont nécessaires, l’une ne peut
fonctionner sans l’autre.
Il faut un Etat transparent, qui ne prétende pas tout faire et
qui ne s’octroie par le monopole des mérites dans ce qui a été
entrepris dans le
pays. La micro finance ne peut réussir que si elle est l’œuvre
des ONG.
Il y a plusieurs pays africains qui donnent un exemple d’avancée
ou de progrès vers la démocratie. Cela reste perfectible.
S’agissant
de ce Continent, votre diagnostic reste accablant : vous prédisez
qu’en En 2025, le continent aura un PIB par habitant inférieur
au quart de la moyenne mondiale ?
Je ne
vois pas de raisons d’être optimistes même s’il y a des pays
qui semblent décoller. C’est le cas du Maroc, de la Tunisie, du
Ghana et peut être un peu le Cameroun. Mais sans structure étatique
forte, une démocratie, les choses auront du mal à s’implanter.
La dictature amène un véritable chaos. L’Afrique, de ce point
de vue, est extrêmement mal partie.
Vous dénoncez le fait qu’en
Afrique, il y ait véritablement une absence de classe créative ?
Pour vous la relève ne viendrait que de l’élite de la diaspora
africaine ?
L’élite africaine de la diaspora
joue un rôle très important, dans les domaines de la musique, de
l’art.
Il y a même une classe moyenne très importante dans certains
pays africains comme le Cameroun, l’Afrique du Sud, le Nigeria.
Il y a un vrai développement d’une classe créative, nous y
trouvons de grands écrivains et musiciens. Mais le plus grand
problème en Afrique, c’est l’Absence d’Etat ! Et
lorsqu’il y a un Etat : l’absence de démocratie !
Vous écrivez que « tandis
que l’Afrique s’évertuera en vain à se construire, le reste
du monde commencera à se déconstruire sous le coup de la
globalisation. » pouvez vous nous expliciter votre analyse
La Globalisation c’est la
globalisation du marché et non de la démocratie. Progressivement
les lois du marché
l’emportent sur le reste. Règles qui du reste font que des
secteurs comme la justice et la police, deviennent des domaines
privés. On peut espérer que l’Afrique ressemble dans trente
ans à l’Europe d’Aujourd’hui. Mais aujourd’hui on est
encore loin.
Dans votre dernier livre, vous
redessinez la destinée de l’homme et des Nations, avez-vous des
dons de voyance ou est ce une fatalité inéluctable des rapports
entre les Etats? Que voyez vous se profiler sur l’échiquier
international ? Dans les prochaines années, la puissance américaine
ne sera plus ? Qui la remplacera ?
J’essaye d’inscrire les brèves
prochaines cinquante années dans la très longue histoire de
l’humanité. Les prochaines cinquante années vont se dérouler
de façon inéluctable autour des cinq phases que je décris.
Naturellement, nous pouvons être assez intelligents pour éviter
la catastrophe.
Je vois d’abord un retrait progressif des Etats-Unis, une
parcellisation du monde, gouverné par quelques Nations séparées
que j’identifie à onze groupes de Nations. Puis une domination
par le marché et une destruction des Etats, et une violence extrême.
Et au-delà de la violence, une mise en place de structures
altruistes, et de gouvernements
planétaires.
Vous présagez d’un conflit
total et ultime que vous nommez « Hyper conflit », serait
ce la fin de la société moderne ?
J’espère qu’en le disant, on
fera tout pour qu’on l’évite. J’espère avoir crée les
conditions d’une réelle prise de conscience.
Quelle leçon peut on tirer, pour
l’humanité peut on encore retarder l’échéance ?
La liberté est une condition
absolue du développement, elle doit s’inscrire dans une
condition globale qui est la nécessité d’avoir des structures
étatiques stables. La
liberté économique pour le Maghreb est essentielle, elle ne
pourra voir le jour que si les pays du Maghreb sont rassemblés
dans un marché commun.
Le transhumain, selon vous serait
le nouvel homme de demain, débarrassé de tous ses vices antérieurs,
utopie réalisable?
La prise de conscience que chacun a
intérêt au bonheur de l’autre, est importante. S’agissant
des progrès technologiques et des instruments de la modernité
comme le portable par exemple, il faut qu’il y ait une mutation
dans notre façon de penser, pour se dire que notre voisin doit
lui aussi, « être riche et heureux ».
A voir votre parcours, on aurait
pu vous imaginer en Richelieu… ou en Voltaire ? A moins que
ce ne soit Candide !!! Et vous qui choisiriez vous ?
(Eclats de rire) D’une certaine façon…
les trois sont intéressants.
Merci monsieur Attali
Photos Crédits :
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Article de Presse : Courtesy of Fériel Berraies Guigny
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Publié le 6 juillet 2007 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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