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Par Fériel Berraies Guigny. Paris
Hind Meddeb : « les attentats de 2003, ne sont qu'un acte de
révolte inaboutie pour des jeunes » !
Hind Meddeb - Photo Vincent Rubin
Beaucoup de discours
idéologiques servent aujourd’hui de base de recrutement pour des
jeunes en mal de repères. Des jeunes qui choisissent de se
battre pour une cause politique ou religieuse.
L’endoctrinement idéologique, est en effet, une réalité que l’on
retrouve dans plusieurs terrains dans le Monde. Les arguments de
la défense du peuple, de la culture, du territoire, du combat
identitaire pour une ethnie ou une religion sont souvent évoqués
en vue d’embrigader les jeunes recrues. Ces messages sont
d’autant plus facilement assimilés qu’ils sont relayés par les
églises, les mosquées ou les temples. Ils puisent leur force
dans les terrains de désespérance sociale, là où la jeunesse en
mal de repères devient une cible de prédilection.
Plusieurs terrains de guerre dans le
Monde comptent en effet, une grande participation d’enfants
voués corps et âmes à des idéologies dangereuses. Ces enfants
qui sont des soldats de la mort, sont aussi des futurs martyrs.
Nous avons rencontré Hind MEDDEB, jeune réalisatrice franco
tunisienne suite à la sortie de son documentaire « De Casa au
Paradis » pour tenter de comprendre comment des jeunes marocains
d’un bidonville de Casablanca ont choisi de devenir les martyrs
d’Allah en 2003.
« De Casa au Paradis » a été primé au FIGRA ( Festival
international du grand reportage d’actualité et du documentaire
de société) cette année et également à l’Abu Dhabi Documentary
Awards 2008 organisé par ( Anasy Media Production).
Entretien avec Hind MEDDEB :
Pourquoi
repartir à la trace des kamikazes de 2003 ?
Mon but était
d’aller à la rencontre sur le terrain, de jeunes qui auraient pu
eux aussi basculer. Les jeunes kamikazes du 16 mai 2003 venaient
tous du même quartier et ils ont laissé derrière eux des
copains, des gens avec qui ils ont joué au foot ou sont allés à
l’école. Nous avons voulu en fait, savoir ce qu’étaient devenus
ces jeunes laissés derrière. Nous avons en fait découvert, que
beaucoup de ces jeunes avaient aussi été « séduits » à un
certain moment de leur vie, par les mêmes discours idéologiques
et religieux des bidonvilles avant les attentats du 16 mai 2003.
Mais paradoxalement, les attentats ont eu l’effet inverse,
puisque ces jeunes ont par la suite été démotivés. Finalement
les attentats kamikazes n’ont rien changé à leur quotidien, cela
s’est limité à n’être qu’un acte de révolte qui n’a pas abouti,
si ce n’est à la mort de ces jeunes. C’était un véritable gâchis
humain, en fait car il y a eu des victimes civiles en plus des
kamikazes.
L’Islamisme radical
a reculé dans les quartiers pauvres ?
Oui d’une certaine
façon, cela a eu cet effet là. Après les attentats, alors que
l’Etat s’était quelque peu désinvesti depuis longtemps, il y a
eu de plus en plus de descentes de police. Dans ces quartiers
pauvres des bidonvilles, la police ne s’aventurait pas, et
c’était les milices qui faisaient la loi. Après les attentats il
y a beaucoup de policiers et d’arrestations d’individus qui
n’avaient rien à voir avec les attentats. Un climat de peur
s’est installé et l’intégrisme a enregistré un net recul. Il
n’est plus affiché de façon ostentatoire comme avant les
attentats. On ne trouve plus de prêche dans les Mosquées ou des
distributions de tracts, car tous ces gens ont été arrêtés. Les
partis islamistes qui recrutent sont rentrés dans l’ombre,
« l’idée qu’ils vont changer l’ordre des choses » est plus
difficilement acceptée après les attentats.
Comment les jeunes
ont-ils réagi, face à la perte de leurs amis ?
Dans leur tête, il y
a comme une cassure, ils ne comprennent pas. Ils sont
désorientés. Cela leur a servi d’électrochoc. La violence leur a
fait comprendre les véritables enjeux. D’ailleurs, au lendemain
des attentats, il y a eu une grande mobilisation et les gens ont
défilé en masse dans les rues de Casablanca pour protester. Ils
ont compris qu’il fallait réagir, car une limite normalement
infranchissable a été dépassée. Pour les jeunes des bidonvilles,
ces morts étaient inutiles. Ce reportage a libéré la parole et a
aidé ces jeunes qui avaient besoin de se libérer. Le fait
d’habiter dans un bidonville est une violence sociale, au Maroc
on ne leur donne pas la parole, on n’entend pas leur voix.
En ce sens, l’Islam
de la misère humaine, est celui qui recrute ?
Oui, c’est un peu
comme ce qui se fait au Front National en France, on promet
d’améliorer les conditions sociales, on fait miroiter l’idée
d’un changement social en profondeur. L’Islamisme donne l’idée
que la justice va être rétablie, que la corruption et les
inégalités sociales vont être combattues. Les partis islamistes
officiels qui existent au Maroc, proposent même de participer
financièrement. Ce n’est pas un travail dans l’ombre, au
contraire. Ces partis qui sont légitimes puisqu’on peut voter
pour eux, proposent de faire le travail social que l’Etat ne
fait pas. C’est la raison pour laquelle, ils pèsent sur les
consciences et en temps de désarroi social, ils sont puissants.
Mais ce qui reste compliqué, et il faut le souligner,
c’est que l’islamisme ne concerne pas uniquement les quartiers
pauvres. Bien sûr, s’agissant des attentats du 16 mai 2003, ce
fut le cas. Mais ce qu’il faut aussi savoir, c’est qu’au Maroc,
toutes les classes sociales sont concernées. En Arabie Saoudite,
les personnes qui ont été arrêtées étaient des médecins
marocains, donc des personnes d’un certain niveau social et
d’instruction. Pour le 11 septembre, c’était très bien organisé
et les kamikazes avaient tous un grand niveau d’instruction.
Pour le 16 mai 2003, à l’inverse c’est un attentat artisanal,
ils ne sont pas Al Qaeda, ils se sont juste inspirés du modèle.
La tentation de l’islamisme existe donc au Maroc, aussi bien
dans les classes moyennes, aisées que défavorisées.
Pourquoi des jeunes
« normaux » se tournent vers l’islamisme ?
Simplement parce que
voyant que les idéaux de démocratie, le modèle occidental dont
ils rêvaient, avec toutes ses valeurs et ses promesses n’ont pas
fonctionné ou abouti, la religion devient alors la seule
alternative. L’idéologie révolutionnaire qui consiste à faire
entrer la religion en politique, devient source d’espoir et de
renouveau.
Hormis la pauvreté,
c’est la « Harka » qui a aussi motivé ?
Oui, il y a
véritablement une fascination pour l’Europe chez ces jeunes.
C’est un rêve inaccessible, et parmi les kamikazes plusieurs
d’entre eux ont essayé et ils ont été rapatriés. Donc quelque
part, la rupture, le rêve brisé, la pauvreté ont fait qu’ils ont
basculé d’un extrême à un autre. Tout le Monde dans le
bidonville a fait la « harka » et s’est retrouvé dans les ports
marocains pour tenter d’accéder à l’Europe. A Tanger, il y a un
nombre incroyable de jeunes enfants qui vivent dans les rues,
venant de toutes les régions du Maroc. Et donc de là se faire
exploser il n’y a qu’un pas. Le politologue marocain Mohamed
Tozi, a beaucoup travaillé sur la question et on le voit dans le
film les appeler « les kamikazes de la mer ». Celui qui traverse
la mer à une infime chance de parvenir à l’Europe mais celui qui
se fait sauter, c’est le néant garanti. C’est la pulsion de
mort, qui entraîne ces jeunes.
Sigmund
Freud a été le premier à mettre en lumière la crise d’identité
de l’enfant, pensez vous que s’agissant des kamikazes du
Bidonville Thomas, ce fut le cas ?
Oui ces jeunes ont
véritablement une crise identitaire vis à vis de l’Occident, ils
éprouvent une difficulté à assumer leur identité musulmane. Ils
vivent entre deux cultures, une idéalisée et une subie, et dans
cette brèche va s’introduire l’idéologie islamiste. Finalement,
le risque on le trouve dans tout le Monde arabe avec des
identités mal assumées. L’impasse pousse à la négation de soi et
de l’autre. Islam, arabité et Occident, ce sont des identités
qui ne cohabitent pas toujours en harmonie. Le profil de chacun
des kamikazes a mis en lumière des enfances difficiles avec des
cassures. Plusieurs étaient orphelins de père ou de mère, ou
issus d’une famille monoparentale. Ils ont subi des conditions
de travail très difficiles et sans espoir, cela a nourri des
souffrances psychologiques accrues. Un des kamikazes a perdu un
doigt au travail, mais au Maroc il n’y a pas d’assurance pour
les accidents de travail. Ce jeune s’est trouvé alors sans
travail, il n’a pas pu continuer ses études, il n’a pas pu
immigrer en Europe. Toutes ces impossibilités ont tracé la voie
d’une désespérance sociale.
On voit dans le
reportage, que les amis de ces jeunes se plaignaient également
des stigmates sociaux ?
Oui en effet,
habiter un bidonville, c’est considérer presque qu’on habite un
no man’s land, on n’existe pas. On ne trouve pas de travail, car
l’employeur voit tout de suite d’où vous venez et il vous
considère alors comme étant peu fiable. Il y a véritablement un
déterminisme du milieu géographique.
Par trop de
privations, ces jeunes narguent un peu la mort ?
Oui dans le
reportage, on a filmé un passage où on voyait des jeunes
traverser nonchalamment une autoroute, alors que des voitures
viennent à toute vitesse. Dans le bidonville Thomas, il n’y a
aucune route qui permette d’accéder rapidement au bidonville
voisin. La seule issue est l’autoroute et c’est très dangereux,
chaque semaine il y a des tués. Mais les jeunes continuent à
l’emprunter, c’est comme s’ils narguaient la mort. Cela fait que
certains jeunes, considèrent alors que la vie ne vaut plus rien.
Et les jeunes traversent l’autoroute comme si c’était un banal
chemin.
Comment expliquez
vous cette entrée en religion, de la part de jeunes auparavant
familiers à la laïcité ?
Et plus que la
laïcité, c’étaient des jeunes fascinés par le modèle occidental.
Au départ, ils portaient jeans, casquettes et baskets. Ils
fumaient du shit, buvaient de la bière avaient des copines,
sortaient en boite. Mais le modèle occidental, implique d’avoir
du travail, d’être un winner, d’avoir accès à toutes ces choses
que l’on voit à la télévision. Jusqu’aux années 80, les
frontières n’étaient pas aussi fermées, la circulation des
jeunes entre l’Europe et le Maghreb était possible. Un jeune qui
avait réussi dans les études, pouvait espérer voyager.
Aujourd’hui ce n’est plus le cas. A part quelques exceptions,
bien sûr. La frustration, la crise d’identité, d’un point de vue
analytique crée quelque chose de terrible.
Pensez
vous que la société marocaine avec ses contrastes
socioculturels, a induit ce retour en force du grand religieux
chez certains jeunes ?
Pas forcément, la
cohabitation entre le jeune moderne ou plus « croyant » se fait
sereinement. Au Maroc, il y a c’est vrai un attachement au
religieux presque païen. Cependant, la présence du traditionnel
et du religieux, ne serait-ce que parce que c’est une Monarchie,
aurait, au contraire, du protéger contre ces mouvances
islamistes. La source du problème est le paupérisme, le chômage,
la difficulté d’accéder à l’Eden social idéalisé via la télé. En
fait, on a affaire à une idéologie qui devient plus politique
que religieuse. Une idéologie de type fasciste qui se nourrit
des grandes périodes de crise socioéconomique. C’est arrivé par
le Wahabisme, par l’école, la lecture de certains livres. Le
Maroc n’a pas été protégé, comme pour le reste des pays arabes,
face à ces idéologies qui accusent le modèle occidental
corrompu. Les politiques se disent alors qu’ils vont travailler
pour le bien public.
Racontez nous votre
« cohabitation » dans le Bidonville, avez-vous subi des
contraintes ? Les difficultés ?
On a eu la chance de
travailler avec des jeunes et toute notre équipe de tournage
était jeune. Il y a eu une complicité et un rapport individuel,
des amitiés qui sont nées. Le co-réalisateur américain Gallagher
Fenwick apprenait l’arabe et parlait avec ces jeunes. Et là,
avec la confiance qui s’est établie, ils ont accepté de nous
parler, alors qu’au départ ils avaient peur de la police et de
la caméra. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’après les attentats,
le bidonville a été harcelé de journalistes et les populations
étaient devenues méfiantes. En ne volant pas les images, en
ayant un rapport normal, on a réussi à avoir des images. Mais ce
qu’il faut savoir c’est que beaucoup d’images ont manqué au film
car il y a eu pas mal de moments de tension que l’on n’a pas pu
filmer. Les gens du bidonville voulaient nous voir en dehors du
bidonville, ils voulaient échapper au regard, aux indics qui
sont des flics. Ils refusaient la stigmatisation. On n’a pas pu
par ailleurs, filmer les milices du droit chemin qui frappaient
les filles qui sortaient, les gens qui buvaient de la bière.
Selon vous, les
kamikazes marocains, sont des victimes ?
Oui ils sont
victimes aussi, d’une idéologie, d’une époque, d’une conjoncture
socioéconomique, même si les attentats ont tué des victimes
innocentes. Ils ont commis les attentats par désespoir et manque
de choix. Comme on le voit dans le témoignage de la sœur d’un
des kamikazes, ce dernier avait peur, était nerveux. Ce qui est
incroyable, c’est qu’on en a conclu qu’ils ont choisi le suicide
mais à contre-cœur. Les kamikazes étaient très jeunes pas sûrs
d’eux, mais ils ont choisi aussi cette mort.
Merci Hind MEDDEB
Crédits :
NEW AFRICAN PROPRIETE
EXCLUSIVE
Article de presse Courtesy of Fériel B.G
Rédactrice en chef
www.africasia.com
Publié le 9 décembre 2008 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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