Opinion
Libye : les
déboires de Sarkozy ne font que
commencer
Gilles
Munier
Gilles Munier
Jeudi 7 juillet
2011
Interview de Gilles Munier -
Le Jeune Indépendant (Alger) - 7
juillet 2011
Gilles Munier, écrivain et journaliste
connu pour son soutien à la résistance
irakienne et à feu la politique arabe du
général de Gaulle, revient de Libye pour
témoigner des malheurs provoqués, selon
ses termes, par « la guerre de
Sarkozy ». Ce qui se passe dans ce
pays, dit-il, n’a rien d’un
« Printemps arabe », c’est une
« agression néo-coloniale ». Depuis
la chute de Zine el-Abidine
Ben Ali, ajoute-t-il, les Etats-Unis, la
France et la Grande-Bretagne
« rivalisent d’influence pour allumer
ici et là des contre-feux
réactionnaires, partout dans le monde
arabe ».
Q - En Tunisie et en Egypte –
pour ne parler que de ces pays
- on n’a pas vu un seul drapeau
américain brûler dans les
manifestations, alors que les dictateurs
conspués étaient des alliés des
Etats-Unis et de l'Europe. Comment
l'expliquez vous ?
On n’a pas vu brûler de drapeaux
américains - ou israéliens -
parce que les caméras des chaînes de
télévisions ne les ont pas filmés. Au
Caire, des portraits de Gamal Abdel
Nasser ont même été brandis. Les agents
et touristes israéliens qui se
trouvaient en Egypte et en Tunisie ont
été rapatriés d’urgence sur des vols
spéciaux affrétés par le Mossad.
Je ne suis pas seul à penser que ce qui
caractérise les premiers soulèvements
populaires arabes – à
Tunis, Le Caire, Rabat, Manama –
est la remise en cause de la tutelle
qu’exerce les Etats-Unis sur ces
pays. Pour préserver leurs intérêts, les
Occidentaux tentent d’accompagner les
mouvements de révolte en rétro-pédalant.
Parallèlement, ils attaquant les régimes
ont toujours contesté leur suprématie,
comme la Libye et la Syrie. Demain, ils
s’en prendront peur-être à l’Algérie.
Les livraisons d’armes aux rebelles
berbères du Djebel Nefoussa, en Libye,
n’ont pas seulement pour objectif
secondaire de couper la route
Tripoli-Djerba au niveau du port de
Zaoura - peuplé en grande partie de
Berbères - elles sont aussi un
message envoyé à Alger.
Q : Lequel ?
L’Algérie n’est pas à l’abri des menées
déstabilisatrices occidentales,
coordonnées ou non avec Israël. Du temps
du Président Boumediene, Giscard
d’Estaing a livré des armes à des
activistes en Kabylie. Cela pourrait
bien se reproduire.
Q- Vous venez de rentrer de Libye, quel
état des lieux faites-vous ?
Ce qui se passe en Libye n’a rien à voir
avec les « printemps arabes »,
c’est une opération de type
néo-coloniale. Nicolas Sarkozy l’a
initiée en pensant renverser Kadhafi en
une quinzaine jours. Il voulait faire
d’une pierre deux coups : montrer aux
électeurs du Front National que
la France était toujours capable de
« casser de l’Arabe », et se
tailler une part du gâteau pétrolier et
gazier libyen.
Plus d’un millier de civils sont morts
sous les bombardements de l’OTAN, mais
la Libye résiste vaillamment. Je ne suis
pas allé sur le front, mais j’ai vu les
destructions et visité un hôpital. C’est
terrible… La destruction de l’usine de
fabrication d’oxygène de Maya, le 11
juin, va mettre la Libye en situation de
rupture de stock de gaz anesthésiants.
Que vont devenir les blessés, les bébés
dans les incubateurs des 91 hôpitaux
qu’elle approvisionnait ? On nous cache
l’embargo alimentaire et médicale imposé
à la Libye, contraire aux résolutions
injustes votées par la soi-disant
communauté internationale, c'est-à-dire
par des gouvernements représentant 10%
de la population mondiale.
Pour sortir du conflit, je ne vois que
la négociation. Tous les opposants armés
ne sont pas à mettre dans le même sac.
Un terrain d’entente est possible avec
ceux qui ne sont pas manipulés par les
services secrets occidentaux. Mais,
Sarkozy ne veut pas entendre parler de
referendum en Libye.
Q - La poursuite de Sarkozy devant les
instances judicaires internationales
pour crime de guerre a-t-elle des
chances d’aboutir ?
Un certain nombre de problèmes
juridiques sont à résoudre car il n’y a
pas de jurisprudence en la matière.
Mais, Jacques Vergès et Roland Dumas
iront jusqu’au bout. En France, Nicolas
Sarkozy est protégé par la loi, mais pas
au niveau international. Le dépôt d’une
plainte pour crime contre l’humanité va
gêner sa campagne pour la réélection.
Aujourd’hui, 51% des Français sont
contre la guerre. Dernièrement, un
employé municipal a agressé Sarkozy pour
protester contre l’intervention
française en Libye. Ses déboires ne font
que commencer.
Q - Que pouvez vous dire sur la
situation en Syrie ?
Le président Bachar al-Assad n’a pas pu
mettre en oeuvre les réformes promises
lors de son arrivée au pouvoir en raison
des pesanteurs que génère inévitablement
un système à parti unique. Son
opposition, Israël et les Occidentaux en
ont profité. Comme en Libye, des
agitateurs s’emploient à transformer
l’expression de revendications légitimes
en lutte armée, en guerre civile. Le
retour au calme est la condition
sine qua none à l’ouverture de
discussions pour faire évoluer la
société syrienne. Sinon, le pire est à
craindre. A noter qu’Israël souhaite,
depuis toujours, partitionner le monde
arabe en un puzzle de mini-Etats à
caractère ethnique ou religieux.
Q- Qu’est-ce que ces événements nous
apprennent sur
Al-Jazeera
?
Al-Jazeera
n’est pas plus indépendante ou objective
que TF1 en France et Fox
News aux Etats-Unis. Ces chaînes de
télévision sont des machines à bourrer
les crânes. Les journalistes qui
refusent de se transformer en
propagandistes sont licenciés. En Libye
ou en Syrie, Al-Jazeera diffuse
des fausses nouvelles. L’Emirat de
Qatar, occupé par des bases militaires
américaine et française, est mal placé
pour donner des leçons de démocratie ou
de déontologie médiatique. D’ailleurs,
Al-Jazeera se garde bien
couvrir l’actualité au Qatar où une
opposition existe et est réprimée. Au
Bahreïn, elle fait passer les chiites
pour des pestiférés, agents de l’Iran,
alors que les revendications populaires
sont aussi portées par des mouvements
politiques sunnites, nationalistes,
républicains. Regardez Al-Jazeera
en anglais, vous vous apercevrez
également qu’un même sujet est traité
autrement que sur la chaîne arabe.
Q : Dernière question, mais sur
un autre sujet : pensez-vous que le
lobby sioniste a joué un rôle dans la
libération de DSK aux Etats-Unis ?
Certainement, sinon qu’allait faire son
avocat, Benjamin Brafman, en mai, en
Israël ? L’AIPAC, le lobby pro-israélien
américain ne pouvait pas laisser tomber
un de ses membres les plus éminents au
niveau international. Avant d’être
accusé de viol, DSK qui se voyait déjà
président de la République, a dit à des
journalistes de Libération
qu’une de ses erreurs avait été de
déclarer que tous les matins, en se
levant, il se demandait ce qu’il allait
faire pour Israël ! Il craignait qu’on
le lui rappelle pendant la campagne
présidentielle. En tout cas, violeur ou
pas, la libération de DSK est du pain
béni pour la campagne de Marine Le Pen.
Q : Après Rafarin, Chevènement, Juppé,
le président de l’Union
de la majorité présidentielle française
(UMP),
Jean-François Copé, débarquera à Alger
dans deux jours. Comment expliquez-vous
ce ballet diplomatique, alors que
beaucoup de problèmes subsistent entre
les deux capitales ?
Face aux visées américaines, la France
considère l’Algérie comme faisant
toujours partie de son pré-carré.
Ces hommes politiques ont, chacun, une
mission différente. Mais, tous sont
inquiets des répercussions de la guerre
contre la Libye sur le Maghreb. Ceux qui
sont membres de l’UMP voudraient bien
que l’Algérie laisse tomber Kadhafi.
Chevènement, lui, est un homme honnête
et de bon conseil.
Mais aucun d’entre eux ne sait ce que le
«cabinet noir» de Sarkozy
mijote. L’intervention militaire en
Libye ne l’a pas fait progresser dans
les sondages.
Une petite crise avec l’Algérie, pensent
certains, lui permettrait peut-être
d’engranger les voix des nostalgiques de
«l’Algérie-française» qui
votent Front national. A l’Elysée, on en
est là.
Entretien réalisé par Samir Méhalla
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 31 juillet 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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