Jeudi 3 décembre 2009
Vineyard Saker's
Interview with Gilad Atzmon
http://www.gilad.co.uk/writings/vineyard-sakers-interview-with-gilad-atzmon.html
Cela a été une expérience éclairante
d’échanger avec le site Vineyard Saker. J’espère que cela vous
intéressera.
Cette interview a été publiée le 3 décembre
2009 sur ce site, sous le titre : Gilad Atzmon : « L’éthique et
la moralité sont bien plus cruciales que n’importe quelle
décision de l’Onu » :
Gilad Atzmon: "Ethics
and morality are far more crucial than some UN decision"
http://vineyardsaker.blogspot.com/2009/12/gilad-atzmon-ethics-and-morality-are.html
C’est pour moi un immense plaisir que de
partager avec vous la transcription d’une interview via e-mail
que j’ai réalisée récemment avec Gilad Atzmon. J’ai découvert
pour la première fois le musicien de jazz Gilad il y a de cela
quelques années, à l’époque je jouais moi-même de la guitare de
jazz (au passage, je signale que j’ai récemment écrit une
critique de son
dernier album. Ce n’est que par la suite que j’ai pris
connaissance de son engagement politique. Ayant lu, depuis lors,
le maximum de ses articles auxquels j’ai pu accéder, je
considère aujourd’hui que Gilad Atzmon est l’un des militants
politiques les plus intelligents, les mieux informés et les plus
clairvoyants qui aient jamais été. Ce que j’aime et respecte le
plus, chez Gilad, c’est son engagement absolu envers la vérité
et sa détermination tout aussi irréfragable de dire aux pouvoirs
leurs quatre vérités. Je commence tout juste à imaginer la haine
au vitriol que Gilad suscite chez les cinglés sionistes qu’il
dénonce sans relâche.
The
Saker
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VS : Deux grands intellectuels ont dernièrement émis des
arguments très forts contre le soi-disant « droit à
l’existence » d’Israël. L’argument de Norman Finkelstein, à cet
effet, est simple, et il n’en est que plus puissant. Il dit que
la communauté internationale, via l’Assemblée générale de l’Onu
et la Cour Internationale de Justice, ont d’ores et déjà décidé
de ce que devrait être la solution à ce conflit : deux Etats,
dans les frontières de 1967, vivant côte à côte, les réfugiés
étant autorisés à rentrer chez eux ou étant dédommagés. Il fait
observer le fait que tous les pays du monde sont d’accord sur
cette solution, sauf Israël, les Etats-Unis et quelques
minuscules îles du Pacifique Sud. Il n’affirme pas qu’il
s’agisse là de la meilleure solution, mais il dit que c’est la
seule solution faisable. Par conséquent, il rejette la solution
« à un seul Etat », qu’il considère irréaliste.
GA : De manière générale, je m’efforce
d’éviter tout débat ayant d’aussi loin que ce soit un rapport
quelconque avec ce discours sur la résolution du conflit.
J’évite de débattre de cette question pour plusieurs raisons. Je
ne vis pas dans la région, et il ne m’appartient donc pas de
décider à la place des Palestiniens quel pays ils doivent avoir,
ni derrière quelle forme de résolution du conflit, derrière quel
arrangement politique ou derrière quelle résolution ils doivent
se ranger. Toutefois, permettez-moi de saisir l’occasion de
suggérer l’idée que la « solution à deux Etats » ne règle en
rien le problème palestinien. Elle est impraticable, car les
Israéliens ne laisseront jamais entrer des réfugiés sur leur
territoire, à l’intérieur de leur Etat-sthetl. Mais, surtout, le
droit au retour, c’est-à-dire le droit pour tout un chacun de
vivre dans son pays, ne relève certainement pas de décisions de
la communauté internationale ou de décisions juridiques. De
fait, il s’agit d’un droit moral. Et en ce qui me concerne, en
tant qu’individu, l’éthique et la moralité sont bien plus
cruciales que toutes les résolutions que peut bien adopter
l’Onu, qui sont toutes prises par des politiciens sionisés et
des diplomates corrompus.
VS : Shlomo Sand a déclaré récemment que
« même l’enfant né d’un viol a le droit de vivre. Certes, 1948
fut un viol, et ce viol a donné naissance à Israël, mais Israël
est aujourd’hui une réalité, que l’on ne saurait nier ».
GA : Il serait fort difficile de cacher le
fait que l’ « enfant du viol » est en train de vivre sur une
terre volée. Il est impossible de nier que le fait que
l’ « enfant » a désormais plus de soixante ans, mais qu’il n’en
reste pas moins mû par un zèle criminel. L’ « enfant » (Israël)
n’a pas encore intégré son crime originel. En fait, l’ « enfant
du viol » a grandi : il est devenu un père violeur, puis un
grand-père violeur…
VS : Je relève deux traits fondamentaux,
dans ces arguties. Tant Finkelstein que Sand acceptent
fondamentalement l’autorité qu’est censée avoir eu l’Onu pour
créer un Etat juif en Palestine, et tant Finkelstein que Sand
semblent croire que la nature fondamentale dudit Etat n’aurait
aucune implication dans la question de la légitimité de son
existence. Toutefois, la création d’un Etat – d’un quelconque
Etat – en Palestine sans avoir consulté la population locale me
semble violer le principe du droit à l’autodétermination ?..
GA : Vous avez absolument raison.
Toutefois, je ne suis pas aussi fasciné que cela par le « droit
à l’autodétermination », car ce droit a été exploité par le
projet nationaliste juif durant plus d’un siècle. Pour des
raisons qui n’appartiennent qu’à lui, le juif nationaliste est
persuadé qu’il a le droit de s’autodéterminer sur le dos
d’autres que lui-même…
VS : Le principe du droit international
selon lequel aucun territoire ne peut être légitimement acquis
au moyen de la guerre semble indiquer que seules les frontières
israéliennes de 1948 pourraient avoir un fondement légal et que
même dans ce cas, ce fondement serait extrêmement ténu, car ces
frontières ont été décidées d’un commun accord, après un long
processus de négociations, avec les pays arabes voisins, et non
pas avec une quelconque instance représentant les Palestiniens ?
GA : Ah bon, vous croyez ? Après soixante
ans de barbarie israélienne et l’échec total du droit
international à soutenir les Palestiniens, je n’attends plus
rien d’Israël et de la communauté internationale, c’est fini. Je
suis persuadé que les Palestiniens vont se libérer. Israël joue
les prolongations. C’est décidé : je consacre mon action
intellectuelle au soutien à la résistance palestinienne.
VS : Une autre chose m’inquiète, c’est le
fait qu’en envisageant une solution au conflit du Moyen-Orient
(et ce terme de conflit est inapproprié), ni Finkelstein ni Sand
ne tiennent compte de la nature de l’ « Etat juif »
autoproclamé. On a l’impression qu’ils parlent d’un pays comme
la Belgique ou comme l’Espagne. Mais Israël est un pays
qualitativement différent : c’est le dernier pays ouvertement
raciste sur notre planète ; il est fondé sur une mythologie que
de nombreux auteurs (comme Garaudy ou Sand) ont démystifiée.
GA : Israël n’est pas seulement raciste ;
Israël est aussi nationaliste et expansionniste, assassin et,
plus préoccupant que tout, c’est un pays démocratique : chaque
Israélien est, à la base, complice des crimes perpétrés par son
pays.
VS : Israël est aussi l’Etat
super-terroriste de la planète, qui est en train de procéder à
un génocide à bas bruit contre les Palestiniens et qui est un
pays qui a totalement rejeté toute sorte de respect des lois du
droit international, et même d’un comportement civilisé minimal.
Qu’on l’examine d’un point de vue légal ou moral, l’existence
d’un Etat raciste tel qu’Israël est une monstruosité, c’est un
malheur pour l’ensemble de l’humanité. Aussi, même si un enfant
né d’un viol a le droit de vivre, cela signifie-t-il que cet
enfant étant devenu adulte a-t-il toujours un tel « droit » s’il
est devenu un assassin de masse adorateur de lui-même ? Il est
évident que les seuls personnes qui aient un droit à décider si
une solution est ou non acceptable, ce sont les Palestiniens, et
eux seuls. Mais sans préjuger de ce qu’ils pourraient décider,
que pensez vous des arguments mis en avant par Finkelstein et
Sand, et que pensez-vous de la question du soi-disant « droit à
l’existence » d’Israël ?
GA : Je suppose que tout un chacun, dans la région, a le droit
de décider. Mais les Israéliens ont perdu la bataille. Ils ne
sauraient dicter une solution. Je suis d’accord sur le fait que
toute nation devrait avoir le droit d’exister. Toutefois, ce
droit ne peut en aucun cas être célébré au détriment d’autres
nations ou d’autres personnes.
VS : Vous dites que « les Israéliens ont
perdu la guerre ». Pourquoi ? Ne sont-ils pas en train de
réussir, au contraire, leur génocide à bas bruit des
Palestiniens ?
GA : De fait, les Israéliens se rendent bel
et bien compte du fait que la mise en pratique de mesures
génocidaires est quelque chose de contreproductif. Israël se
rend bien compte du fait que son projet de hasbara, de bourrage
de crânes, est en train de s’écrouler, en raison de ses
tactiques inacceptables. Certains de ses ministres et de ses
responsables militaires encourent le risque d’être arrêtés à
l’étranger. A tout le moins, le mouvement palestinien, dont le
Hamas, a acquis énormément de légitimité durant, et après
l’opération Plomb Fondu.
VS : Les Etats-Unis d’Obama soutiennent au
moins autant Israël que le faisait Bush, même si la rhétorique
d’Obama est quelque peu différente… ?
GA : Je n’en suis pas si sûr. A suivre de
près les médias et d’autres sources, je retire une impression
différente de la vôtre. Israël semble se demander si
l’administration Obama est du lard ou bien du cochon. Toutefois,
Obama n’est pas déterminant, dans cette question. Il a été élu
par le peuple américain pour diriger la nation américaine, et
non pas pour libérer le peuple palestinien. Le peuple
palestinien se libèrera par lui-même, avec ou sans Obama. Si
Obama réussissait à retirer les soldats américains de l’Irak, de
l’Afghanistan et du Pakistan, cela représenterait déjà un pas en
avant considérable.
VS : A rendre les choses encore pires,
Israël menace aujourd’hui ouvertement l’Iran d’une guerre. Et
vous dites vous-mêmes que cette politique jouit du soutient de
la majorité de l’opinion publique israélienne. Où voyez-vous des
signes d’une défaite d’Israël et quel genre de scénario
envisagez-vous, qui rendrait cette défaite irréfutable ?
GA : Je vois dans le mur (de Sharon) l’aveu
par les Israéliens eux-mêmes du fait qu’Israël est une entité
apeurée. Israël reconnaît que le temps joue contre lui. Cela, en
soi, suffit à générer une panique totale. Ils n’ont aucune
solution à long-terme à leur portée.
VS : A propos de l’opinion publique
israélienne, je voulais vous poser une question toute simple :
qu’est-ce qui cloche, chez eux ?
GA : Permettez-moi de vous répondre sans
ambages que manifestement, il y a quelque chose qui ne va pas.
Mais de quoi s’agit-il ? Je n’en sais rien. Je consacre
énormément de ma propre énergie à expliquer les symptômes.
Quelle est exactement la maladie, je n’en sais rien précisément.
Mais je subodore que cette maladie se situe entre trois
éléments : le suprématisme, l’élection et le narcissisme.
VS : Pourtant, les Israéliens sont
vraisemblablement « des gens comme tout le monde », non ?
GA : Eh bien, en réalité, ça n’est pas
clair. L’endoctrinement sioniste peut tout aussi bien faire
d’eux une collectivité très dangereuse, bien plus dangereuse que
tout ce avec quoi nous sommes familiarisés.
VS : Certes. Pourtant ils soutiennent
manifestement le génocide, les violations flagrantes des droits
de l’homme, les violations des lois de la guerre, l’idéologie
raciste (le fameux « Etat juif »). Quelles sont les racines de
tout ce mal ?
GA : Cela doit avoir quelque chose à voir
avec leur interprétation séculière de la Bible, et à leur
adoption de la religion holocaustique pour précepte
essentiel... ?
VS : Comment des gens qui ont émigré en
Israël du monde entier, et dont on peu supposer qu’ils ont été
éduqués dans des circonstances extrêmement diverses, soient
ainsi unanimes à produire une idéologie raciste, auto-adoratrice
et parfaitement inhumaine ?
GA : Là, vous tapez probablement sur le bon
clou. Dès lors que vous êtes sioniste, peu importe d’où vous
sortez. Vous devenez quelqu’un de possédé, de totalement en
proie au désir de vengeance. Vous n’avez même pas à être juif.
Comme nous le savons, beaucoup des nouveaux immigrants russes en
Israël ont très rapidement adopté les idées de droite les plus
extrémistes. En dépit du fait que beaucoup d’entre eux n’étaient
absolument pas juifs.
VS : Le rabbin Yeshaiyahu Karelitz a dit un
jour que « la charrette des juifs laïcs est vide » et Shlomo
Sand, qui le cite, dit qu’il est d’accord avec lui.
Partagez-vous vous aussi cet avis ?
GA : Assurément. Mais les laïcistes et les
nationalistes s’arrangent très bien pour remplir la boîte vide
avec un fatras de contenus phantasmatiques et imaginaires. Comme
vous le savez sans doute, j’affirme que le marxisme juif et
l’antisionisme juif ne sont pas différents, en tant que
catégories, du sionisme. Les premiers, comme celui-ci, sont en
effet conditionnés de manière tribale, et non pas mus par
l’universalisme.
VS : Selon vous, quels traits nationaux, ou
quel éthos, les juifs ont-ils en commun, qui les
distingue(raie)nt des non-juifs ?
GA : La souffrance ; ils sont amoureux de
leur legs de souffrance. C’est là probablement la raison pour
laquelle le chercheur israélien Yeshayahu Leibowitz a suggéré
l’idée que la religion holocaustique est la nouvelle religion
juive. Toutefois, c’est là précisément le point où la tragédie
juive trouve son origine. La religion holocaustique manque de
bonté, de miséricorde ou de douceur. C’est à travers la
vengeance et le narcissisme qu’elle offre le salut.
VS : Si l’on considère que la plupart des
juifs se déclarant tels ne sont pas religieux, comment le
judaïsme rabbinique a-t-il pu définir, ou déterminer, leur
identité ?
GA : Mais le judaïsme rabbinique ne fait
pas cela… Les juifs laïcs se définissent par l’absurde. Au lieu
d’être définis par ce qu’ils sont, ils sont définis par ce
qu’ils ne sont pas. Alors qu’un juif observant est défini par
son système de croyance, par le fait qu’il respecte les lois
halachiques, qu’il respecte le repos du shabbat, etc., le juif
laïc se défini par un ensemble de négations : il n’est pas un
juif religieux, mais il n’est pas pour autant un goy ; il n’est
ni Américain, ni Anglais, ni Français. Le juif laïc émancipé ne
se définit pas par des qualités positives, mais bien par divers
jeux de négations.
VS : Quel est donc, alors, le contenu
positif de la conscience d’être juif, et comment celle-ci se
traduit-elle dans le désir, soit de vivre dans un pays raciste
et génocidaire, soit de soutenir un tel pays, fusse de loin ?
GA : Un contenu positif est une notion on
ne peut plus relative. Je suppose que le nationalisme juif, de
gauche, de droite et du centre, peut être perçu comme une
aspiration vaine et futile à une quelconque forme
d’authenticité… ?
VS : Une dernière question : vous affirmez
que les Palestiniens vont se libérer par eux-mêmes – de quelle
manière, selon vous, cela se produira-t-il ? Pensez-vous qu’à
l’instar des Blancs sud-africains, les juifs israéliens finiront
par prendre conscience du fait que la nature raciste de leur
régime politique est immorale et qu’ils « changeront de camp »,
ou bien alors que, comme dans le cas de l’Algérie, les
colonisateurs devront partir en empruntant des bateaux ?
GA : Non, je ne pense pas que les
Israéliens en viendront jamais à reconnaître l’immoralité qui
est la leur. L’introspection est totalement étrangère à la
philosophie et à l’identité juives, tant religieuses que
séculières. Je pense qu’Israël sera vaincu et contraint de se
plier aux faits sur le terrain. Ils sont en train de devenir la
minorité. Le temps est le pire ennemi d’Israël.
Seules les communautés juives orthodoxes sont à même de
sauver les Israéliens d’une catastrophe démographique à court
terme. Apparemment, l’Israélien en veut plus à ses frères
orthodoxes qu’aux Palestiniens. Israël est une entité isolée,
dans une région qui a de plus en plus de mémoire et qui a de
moins en moins tendance à pardonner. Israël est empêtré avec ses
voisins. A un certain moment, il ne sera plus à même de
sauvegarder sa sécurité par sa politique de flicage intensif :
c’en sera fini de lui.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier