Eclairage sur la
Conférence d’examen de Durban
« Le document final ne répond pas aux aspirations des
peuples »
M. l’ambassadeur
Germán Mundaraín Hernández
Samedi 25 avril 2009
Entretien avec M. l’ambassadeur Germán Mundaraín Hernández,
représentant permanent de la République bolivarienne du
Venezuela auprès de l’ONU, à Genève. Propos recueillis par
Silvia Cattori et Sandro Cruz, le 22 avril 2009.
Silvia Cattori :
De nombreux Etats d’Amérique latine et d’autres continents se
sont fortement engagés ces derniers mois dans les travaux
préparatoires qui devaient redéfinir les critères et les normes
en matière de lutte contre le racisme. Israël, de son côté,
avait commencé tout de suite après la « Conférence mondiale
contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et
l’intolérance qui y est associée » qui s’est tenue à Durban en
2001, à propager son hostilité à la « Conférence d’examen de
Durban » [1]
qui vient de se tenir à Genève, aidé en cela par des
personnalités comme Bernard-Henri Lévy et Elie Wiesel et
quantité d’organisations juives venues à Genève en force. La
désinformation et les mensonges qui avaient entouré la première
de ces deux conférences ont atteint ici à Genève des sommets.
Il convient de rappeler
qu’Israël n’a jamais accepté qu’à Durban des ONG puissent
stigmatiser ses politiques de « purification ethnique »,
« d’apartheid », « de génocide », « de crimes racistes » contre
le peuple palestinien. Le lobby pro-israélien a donc tout tenté
pour faire passer comme vraie la fable selon laquelle cette
conférence avait été le théâtre de manifestations
« antisémites », de slogans « antisémites », alors même que les
politiques racistes menées par Israël sont parfaitement
documentées par le Comité national palestinien [2]
Ici, à Genève, le
comportement brutal de la diplomatie française, conduite par
Bernard Kouchner, a passablement choqué [3]
La France n’a-t-elle pas manœuvré pour servir les intérêts des
Etats-Unis et d’Israël absents ? Nul ne peut ignorer que la
France, depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, a tout
mis en œuvre pour jeter la suspicion sur la « Conférence
d’examen de Durban », agiter la menace du boycottage, et
entraîner le plus possible de pays dans son sillage. C’est
Jean-Baptiste Mattéi, l’ambassadeur de France auprès de l’ONU à
Genève, qui a donné le signal du départ des représentants de
l’Union européenne lors du discours du président iranien. Ceci
pour la partie visible. Que s’est-il passé dans les coulisses
lors de la préparation de cette conférence et comment les
délégations qui sont restées dans la salle et ont applaudi au
discours de M. Ahmadinejad ont-elles jugé tout ce tapage ?
Germán Mundaraín Hernández [4] :
Vous avez donné la réponse en rappelant que la France et
quelques pays européens ont travaillé depuis longtemps à saboter
cette « Conférence d’examen de Durban » qui se tient ici à
Genève. Mais en réalité, la « Conférence mondiale contre le
racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et
l’intolérance qui y est associée » avait déjà été sabotée à
Durban même.
Cela dit, vous devez savoir
qu’à Durban, en 2001, il n’y avait qu’Israël et les Etats-Unis
qui avaient saboté et quitté la conférence. Ce qui a changé
maintenant, est que ces deux pays ont trouvé quelques alliés.
Mais ils ne représentent pas une majorité. C’est un groupe de
pays que l’on pourrait définir comme d’anciens pays
colonisateurs, de néo-colonialistes, avec ceux qui ont tiré
profit du colonialisme sans avoir été eux-mêmes des pays
colonisateurs.
C’est une constante, aux
Nations Unies et dans les organisations internationales, que,
lorsqu’il s’agit des grands crimes et des grandes violations des
droits de l’Homme, commis par les grandes puissances, on les
ignore, on ne leur donne pas l’importance qu’ils méritent. On ne
veut pas admettre que la colonisation et l’esclavage étaient un
crime contre l’humanité. Le racisme, la traite des esclaves, de
tout cela il reste une idéologie : l’idéologie selon laquelle il
y a une race supérieure et les faibles sont considérés comme une
race inférieure.
Le racisme, la xénophobie,
l’exclusion, sont des sujets dont les grandes puissances ne
veulent pas discuter. De la même façon qu’elles ne veulent pas
discuter de la crise économique. Et c’est la même chose. Les
responsables de la colonisation, de la conquête, de la traite
des esclaves, du racisme, de même que les responsables de la
crise financière, ne veulent pas discuter de l’origine et des
causes de ces phénomènes, ni de l’indemnisation de ceux qui sont
les victimes des conséquences de ces deux grandes tragédies.
Silvia
Cattori : La délégation palestinienne
en accord avec l’Autorité palestinienne de Ramallah, a accepté
que soit supprimée toute mention d’Israël et du sort fait au
peuple palestinien vivant sous l’occupation étrangère. Cela
n’est-il pas difficile à comprendre ?
Germán Mundaraín Hernández :
Cette conférence a été conditionnée par le chantage, par la
menace d’un groupe de pays de se retirer. Ces pays ont
conditionné le texte final à leur présence. Dans l’esprit de
trouver un consensus, les autres pays ont fait des concessions
sur le texte final, selon les pressions qui ont été faites sur
cette cause : on ne veut pas parler de la Palestine. Parce que
la Palestine, c’est une honte pour le monde : un territoire
occupé, un peuple qui ne peut pas exercer son droit à
l’autodétermination, et qui est victime d’exclusion et de
discriminations. On ne veut pas parler de cela. On ne veut pas
parler de la haine raciale et de la diffamation sous le prétexte
de défendre la liberté d’expression.
La liberté d’expression est
une chose importante, mais elle suppose la responsabilité, et on
ne peut pas inciter à la haine, à la guerre, et à la haine
religieuse. Et ainsi, comme à une époque on a diabolisé les
juifs dans l’Allemagne nazie, aujourd’hui dans beaucoup de pays
occidentaux on diabolise les musulmans. Je peux donner un
exemple très clair : la presse dans le monde a souvent parlé du
« terrorisme islamique » et, jamais que je me souvienne, elle
n’a parlé de « terrorisme catholique » ou « protestant » en
Irlande du Nord. Pourquoi ? Est-ce que par hasard les musulmans
sont des terroristes ? Il peut y avoir des musulmans qui sont
des terroristes ; il peut y avoir des catholiques qui sont des
terroristes ; ou des athées ; mais cela ne découle pas de leur
religion.
Silvia
Cattori : Saviez-vous, en venant à
cette conférence, qu’il allait y avoir cette sorte de
confrontation entre deux forces ; que ceux qui ne veulent pas
que l’on touche à Israël et à l’idéologie du monde unipolaire
allaient peser de tout leur poids ?
Germán Mundaraín Hernández :
Oui, je m’y attendais. Ce sont des choses qui se passent ici à
l’ONU. On appelle à une unité contre le racisme, mais il n’y a
pas d’unité, et il ne peut pas y en avoir. Dès le premier
moment, il n’y a pas eu beaucoup d’unité. C’est très difficile
de rassembler, parce que ces Etats que j’ai mentionnés
persistent dans leur idéologie de la race supérieure et leur
croyance qu’il y a des races inférieures. C’est pareil pour la
conférence sur la tolérance. Ils ont donné des signes de leur
intolérance. Un groupe de pays s’est retiré de cette
conférence. [5]
Ils y ont participé au début
pour obtenir leurs desideratas, puis ils se sont retirés. Ici,
le monde a pu voir la chose en direct : quand le président
Ahmadinejad a parlé, le premier jour de la conférence, les
représentants d’un groupe de pays – un petit nombre de 33 pays -
ont quitté la salle. Par ce comportement, ils n’ont pas donné la
meilleure démonstration de tolérance. Tout comme ces quelques
personnes qui ont profité du manque de vigilance du service de
sécurité de l’ONU pour protester contre le président iranien au
nom de l’Holocauste. Ils ne veulent pas reconnaitre toutes les
victimes. Et que, si les juifs ont été victimes de l’Holocauste,
chez nous l’Holocauste vient comme une crise financière où ceux
qui en souffrent ne sont pas ceux qui l’ont causée.
Aucun pays d’Amérique latine
et des Caraïbes ne s’est retiré ; ni aucun pays d’Afrique et
d’Asie. Ils ont applaudi M. Ahmadinejad et ils ont hué le groupe
de ces intolérants qui avaient programmé le sabotage et qui
n’ont pas voulu entendre la déclaration du président iranien.
Celui-ci n’a d’ailleurs rien dit de déplacé. Les pays
occidentaux ont diabolisé Ahmadinejad. Il y a eu des discours
plus forts ici, mais malgré tout, tous s’en sont pris à
Ahmadinejad.
Il y a des pays, ici, qui
nient que le racisme ait été un crime contre l’humanité. Cela
nous rappelle que les grands crimes restent dans l’impunité
totale. Ils ne s’en repentent pas, ils n’ont pas demandé pardon.
Et ils sont encore moins prêts à toute forme d’indemnisation. Et
parfois ils recourent à des subterfuges en disant « ne parlons
pas du passé », comme l’a dit Obama à Trinidad. Nous aussi, pays
en développement endettés, nous pourrions dire « ne parlons pas
du passé » quand nous allons au Fonds monétaire ou à la Banque
mondiale.
Silvia
Cattori : La « ligne rouge » telle que
définie comme indépassable par les diplomates français, a donc
servi à empêcher que l’on qualifie l’Etat juif d’Israël
d’exclusif, de raciste. Donc à faire triompher la politique des
deux poids deux mesures en légitimant les actes criminels de cet
Etat ?
Germán Mundaraín Hernández :
Je crois que, dans cette conférence, le document final ne répond
pas aux aspirations des peuples du monde.
Silvia
Cattori : La « Conférence d’examen de
Durban » est-elle devenue le lieu de l’échec pour les peuples
qui aspirent à la multipolarité ?
Germán Mundaraín Hernández :
Je ne dirais pas que c’est un échec. Je ne chercherais pas des
qualificatifs comme échec ou succès. Mais je dis que le document
ne répond pas aux aspirations des peuples du monde. Le sujet des
indemnisations pour les peuples d’Afrique, les excuses, et le
repentir, les pays que j’ai mentionnés ne veulent pas en parler.
Ils ne veulent pas parler de la diffamation des religions, de
l’islamophobie. Ils ne veulent pas parler de la Palestine. Je
crois que cette conférence est conditionnée, comme beaucoup
d’autres conférences des Nations Unies, par les pressions et par
le chantage d’un groupe. Le même groupe qui a exercé des
pressions pour que l’Assemblée générale ne se prononce pas sur
la Palestine. Les mêmes pressions qui ont été exercées pour
empêcher que l’Assemblée générale débatte et cherche des
solutions à la crise financière. Les grandes puissances veulent
toujours imposer leur agenda.
Silvia
Cattori : Peut-on conclure en disant
que le texte voté ici à Genève [6]
est un recul par rapport à celui qui avait été voté à Durban en
2001 ?
Germán Mundaraín Hernández :
Je ne dirais pas que l’on a reculé. Je dirais que les choses
sont restées dans un douloureux équilibre qui maintient le
chantage et le rapport de force imposé par les pays occidentaux.
Je crois que l’on en est resté au même point. Avec la crainte
que le racisme ne renaisse sous l’effet de l’augmentation de la
pauvreté. De quelle couleur sont les millions d’enfants qui
meurent chaque jour de faim ? Ils sont indigènes ou africains.
Cette crise économique et financière va aggraver la pauvreté et
va provoquer davantage d’exclusion et de racisme à l’encontre
des migrants. L’islamophobie est essentiellement un processus
qui s’est accentué dans la décennie allant des années 90 à ce
jour. Et ma crainte est donc que ce document ne prépare pas les
réponses à ce qui se profile.
Silvia
Cattori : Pensez-vous que les partisans
du monde unipolaire ont été si agressifs parce qu’ils commencent
à éprouver des difficultés à imposer leur vision des choses et
qu’ils sentent qu’un nouveau rapport de force est en train de se
dessiner ?
Germán Mundaraín Hernández :
Je crois qu’ils essaient des mécanismes pour éviter que la
multipolarité ne devienne un catalyseur qui profite aux pays en
développement.
Sandro
Cruz : La fracture entre les deux blocs
s’est-elle creusée ici à la « Conférence d’examen de Durban » ?
Les peuples du sud vont-il se réveiller ?
Germán Mundaraín Hernández :
Je ne me risquerais pas à dire que les peuples du monde se sont
réveillés. Je dirais qu’ils sont en train de se réveiller. Ils
sont sur le chemin du réveil. S’ils étaient déjà réveillés, nous
aurions eu un autre document final.
Propos
recueillis par Silvia Cattori et Sandro Cruz
Traduction de l’espagnol par Sandro Cruz
[1]
Les délégations africaines se sont opposées à ce que l’on
utilise l’appellation « Durban II » pour cette conférence (bien
que cette appellation soit fréquemment utilisée par les médias)
[2]
« Déclaration de principe pour la Conférence de suivi de la
Conférence de Durban de l’ONU » élaboré par le Comité National
Palestinien de la campagne de Boycott, Désinvestissement et
Sanctions. Cette déclaration s’appuie sur les mécanismes des
droits de l’Homme de l’ONU et sur les conclusions et
recommandations d’experts indépendants qui ont exprimé leur
préoccupation au sujet de l’institutionnalisation de la
discrimination raciale et de l’Apartheid par Israël.
Cette Déclaration de
principe, y compris la liste des signataires, est disponible
en :
anglais :
http://bdsmovement.net/files/English-BNC_Position_Paper-Durban_Review.pdf
arabe :
http://bdsmovement.net/files/Arabic-BNC_Position_Paper-Durban_Review.pdf
espagnol :
http://bdsmovement.net/files/Spanish-BNC_Position_Paper-Durban_Review.pdf
italien :
http://bdsmovement.net/files/Italian-BNC_Position_Paper-Durban_Review.pdf
[3]
M. Kouchner a constamment adopté une position de négociation
dure, arrogante, menaçant de se retirer si la mention d’Israël
figurait dans le projet de déclaration finale. Le fil rouge pour
lui était de ne pas parler de réparations pour le colonialisme,
d’interdire toute stigmatisation d’Israël, et la création d’une
norme contre la diffamation des religions.
[4]
Voir :
le site
de la Mission permanente de la République bolivarienne du
Venezuela auprès des Nations Unies à Genève :
http://www.onuginebra.gob.ve/
le
discours prononcé par M. Germán Mundaraín Hernández lors de la
conférence :
http://www.onuginebra.gob.ve/content/view/292/75/
[5]
M. l’Ambassadeur fait ici allusion à la « Conférence sur le
dialogue interreligieux au service de la paix » qui s’est tenue
à l’ONU, en novembre 2008, à l’initiative de l’Arabie saoudite.
[6]
Voir :
http://www.un.org/french/durbanreview2009/pdf/final_outcome_doc.pdf
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