Kernews : Tous vos collègues parlent de
l’accrochage que vous auriez eu avec Michèle
Alliot-Marie lors de la dernière réunion du groupe
UMP de l’Assemblée nationale, quelques jours avant
Noël… Que s’est-il passé ?
Didier Julia : J'ai eu l'occasion, lors de la
réunion du groupe UMP qui rassemble tous les
députés, en l'absence de François Fillon, de poser
trois questions à Madame Alliot-Marie, ministre des
Affaires étrangères. Ma première question était de
savoir pourquoi la France s'engage-t-elle au premier
plan dans un problème de politique intérieure qui
concerne la Côte d'Ivoire. La deuxième question :
pourquoi le gouvernement français envisage-t-il de
prendre des mesures de rétorsion à l'égard de
l'entourage du président sortant de Côte d'Ivoire,
qui serait à Paris, en leur retirant leurs visas et
leurs passeports, alors que cela peut mettre en
danger les 15 000 Français qui sont en Côte d'Ivoire
et qui subiraient la même procédure. La troisième
question : si les soldats français devaient ouvrir
le feu sur des Ivoiriens pour un problème de
politique intérieure ivoirienne, ce serait une
abominable image pour la France, un recul de 50 ans,
époque de la canonnière de la colonisation. Au
XXIème siècle, ne serait-ce pas vraiment une
régression du point de vue historique ? Ces trois
questions ont suscité une colère extrêmement
violente de Madame Alliot-Marie et cela m'a beaucoup
étonné de la part d'un ministre qui se présente
comme étant de tradition gaulliste. Le fait pour la
France de s'identifier à la position américaine, qui
est anti Gbagbo, parce qu'ils n'ont jamais pu
conquérir les marchés de Côte d'Ivoire, ce n'est pas
une position gaulliste. La position gaulliste, c'est
d'abord le respect des pays et de leur indépendance.
Ensuite, nous ne sommes pas des supplétifs des
Américains dans la politique mondiale. J'ai été
frappé par cette réaction passionnelle. J'ai eu
l'occasion de passer une note au premier ministre
François Fillon en lui disant que l'intérêt de la
France et la morale en politique voulaient que nous
laissions les pays de l'Union africaine s'occuper de
la Côte d'Ivoire et que ce n'était certainement pas
à l'ancienne colonie d’imposer son point de vue. Le
premier ministre partage tout-à-fait cette approche
du problème ivoirien.
Selon certaines indiscrétions émanant de vos
collègues, Michèle Alliot-Marie, en privé, aurait
des doutes sur la sincérité du scrutin annoncé par
l'ONU… Qu'en pensez-vous ?
Notre problème, ce n'est pas d'être pro Gbagbo ou
pro Ouattara… Nous nous interrogeons tous en
commission des affaires étrangères et je peux dire
que l'opinion majoritaire, de tous ceux qui
s'intéressent au problème, est de dire qu'il y avait
d’un côté une commission soi-disant indépendante,
qui était sous le contrôle des Américains, en tout
cas sous le contrôle des opposants au président
Gbagbo et, de l’autre, un Conseil constitutionnel
dont on dit que ce sont des amis de Monsieur Gbagbo,
mais c'est quand même le Conseil constitutionnel…
Par conséquent, je connais le nord de la Côte
d'Ivoire qui est entre les mains de chefs de guerre
qui pratiquent, comme chacun sait, le racket sur le
coton et le diamant, et il était impossible aux
populations qui sont sous leur tutelle de voter
autrement que ce qu'elles ont voté. Donc, le
problème de la légalité discutable dans le Nord est
un réel problème.
Nous avons reçu des témoignages précis
d'assesseurs représentant le candidat Gbagbo qui ont
dû quitter le bureau de vote à 9 heures du matin
parce qu'on les menaçait avec une kalachnikov…
Oui, au sein de la commission indépendante aussi, il
y avait deux assesseurs représentant le candidat
Gbagbo, contre dix, et ils ont aussi fait l'objet de
menaces. Par conséquent, les conclusions de la
commission indépendante posent vraiment un problème.
Mais je n'en veux pas à Michèle Alliot-Marie. C'est
une femme pour laquelle j'ai de l'amitié et une
certaine admiration. Ce qui m'inquiète plutôt, c'est
qu'elle incarne une tradition gaulliste et, si son
attitude l'amenait à soutenir aveuglément le point
de vue américain et à ne pas respecter la réalité du
scrutin pour des raisons qui m'échappent, eh bien,
je dis que son image en pâtirait.
Comment analysez-vous l'influence des médias sur
ce dossier ? Il n'y a aucune explication précise sur
le fond de l'affaire, on n’entend aucun discours
contradictoire, mais une dialectique de guerre et de
diabolisation…
Les médias agissent de la même façon dans tous les
domaines. Tout le monde a hurlé contre Éric Woerth
en le qualifiant d’escroc, de voleur, de menteur, de
truqueur, de profiteur… Aujourd'hui, plus personne
n'en parle. Lorsqu'ils s'apercevront tous qu’ils se
sont trompés, il y en a pas un qui aura l'honnêteté
de le dire. Il y aura une petite ligne disant que
Monsieur Woerth n'était finalement pas concerné par
les problèmes sur lesquels il était critiqué. J'ai
connu cela à propos de l'affaire irakienne : ils se
sont déchaînés contre nous pendant dix jours ! Le
procureur général et les juges ont conclu que
l'accusation de collusion avec une puissance
étrangère pour intenter aux intérêts fondamentaux de
la France était une affaire purement ubuesque et
sans fondement. Nous avons été totalement relaxés et
nous avons eu droit à trois lignes dans les
journaux… Regardez, toute la presse s'est déchaînée
sur le problème des retraites. A l'étranger,
certains pensaient que la France était sens dessus
dessous et que c'était la révolution dans la rue…
Tout le monde nous interrogeait sur le désordre de
la société française et plus personne ne parle des
retraites aujourd'hui ! Dans la presse française,
tout le monde va dans le même sens et, lorsqu'ils
feront marche arrière, on va passer à autre chose…
Alors, faisons un peu de prospective, car chaque
opération de désinformation qui a été entreprise a
des conséquences sur une décennie. La conséquence de
la première guerre du Golfe a été l'émergence de
l'islamisme radical et des attentats du 11 septembre
2001…
C’est vrai…
La deuxième guerre a entraîné le massacre des
chrétiens d'Irak et d'Orient, qui doivent fuir leurs
pays respectifs…
Oui…
Alors, quelles seront les conséquences de cette
affaire ivoirienne ?
J'ai dit à Michèle Alliot-Marie que si nous
continuons dans cette voie, les Français seront tous
remplacés par les Chinois, les Brésiliens, les
Indiens, et la France disparaîtra de l'Afrique.
C'est très dommage. J'ai aidé le président Sarkozy à
être élu, je soutiens son action réformatrice très
méritante en France, mais je ne peux pas suivre une
politique mondiale lorsqu'elle met en cause
l'influence et la crédibilité de la France dans un
continent, surtout l'Afrique, qui est le continent
d'avenir. En 2050, l'Afrique sera plus peuplée que
la Chine. C'est un continent en pleine expansion
économique, qui est en train de s'organiser, dont
les ressources sont considérables, et c'est vraiment
un continent d'avenir. La France risque de se couper
pendant longtemps d'un pays d'avenir. Si cela
s'amplifiait, ce serait une grave régression.
Kernews