Interview de Bassam Tahhan par Frédéric
Saillot
Quelques vérités
sur la Syrie
Bassam
Tahhan
Jeudi 11 octobre
2012
Etonné par la pertinence des propos et
la façon dont pour une fois à la
télévision ( "Ce soir où jamais" du 4
septembre) un vrai spécialiste, Bassam Tahhan, "renvoyait dans les cordes" la
journaliste mercenaire Florence Aubenas
et les faux spécialistes attitrés des
médias, l’inévitable Mathieu Guidère et
le pontifiant Dominique Moisi, je l’ai
contacté.
A
l’évidence Bassam Tahhan connaît son
sujet. Originaire d’Alep, où vit sa
famille avec laquelle il est en contact
quotidien, c’est en major de sa
promotion à l’Université d’Alep avec la
distinction Gulbenkian des Universités
du Proche-Orient qu’il fait son arrivée
à Paris voici une quarantaine d’années,
où il passe plusieurs maîtrises et un
doctorat en lettres françaises à l’École
Normale Supérieure sous la direction de
Roger Fayolle. Enseignant à Paris III,
1er maître de conférences d’arabe à
l’École Polytechnique, titulaire de la
chaire supérieure de lettres arabes en
France, il enseigne actuellement en
classes préparatoires à Henri IV.
Également directeur de séminaire au
collège inter-armé de Défense et
consultant auprès du gouvernement
marocain, c’est un spécialiste
mondialement reconnu de l’islam dont il
prône la réforme ainsi qu’une lecture
historique et critique du coran. Depuis
le début de la crise syrienne il est
porte-parole du Collectif pour la Syrie
[1],
qui prône le dialogue
entre toutes les tendances de
l’échiquier politique syrien pour
trouver une solution à cette crise, avec
pour principe que cette solution doit
être trouvée par les Syriens eux-mêmes,
sans ingérence étrangère. Ce qui est
conforme à la résolution adoptée par
l’ONU à la conférence de Genève le 30
juin dernier, proposée par la diplomatie
russe, et que les Occidentaux
s’ingénient à saboter depuis sans
résultats autres que l’aggravation des
violences, notamment djihadistes, sur le
terrain.
Comme il l’avoue lui-même, Bassam Tahhan
est "un homme de l’oral", un oriental
pratiquant l’art de la digression qui
paraît s’éloigner d’un sujet qui finit
toujours par être traité au cœur. C’est
avec un très grand intérêt que je l’ai
écouté au cours de ce très riche
entretien, où il traite aussi bien de la
crise des médias en France que des
derniers développements de la situation
en Syrie, qu’il replace avec une grande
pertinence dans le contexte géopolitique
et géostratégique du Moyen-Orient.-
Frédéric Saillot
Frédéric Saillot :
Je vous ai écouté hier
soir sur BFM à propos de la situation en
Syrie. J’ai été étonné par
l’incompétence sur le sujet d’un des
journalistes présents sur le plateau,
Ulysse Gosset, dont l’interview de
l’ex-général déserteur de l’armée
syrienne, Manaf Tlass, "exfiltré" par
les services spéciaux français, était
passée en boucle toute la journée...
Bassam Tahhan :
Dans chaque chaîne des médias français,
il y a un "Monsieur de l’international"
; parfois ils sont plusieurs, mais il y
a un patron de l’international. Et il
est très difficile pour une seule
personne de couvrir les événements du
monde et d’être spécialiste dans tous
les domaines, à moins d’être un
baratineur comme beaucoup de gens qui
vous noient de petits détails mais qui
n’ont aucune vision d’ensemble. Dans le
genre Adler par exemple. Vous l’écoutez,
il est capable de vous parler de tout et
de rien avec une rhétorique creuse. Je
ne parle d’ailleurs pas simplement de
lui, cette rhétorique creuse concerne
tous les "Monsieur de l’international",
parce qu’ils sont obligés de meubler, de
dire qu’ils savent, qu’ils sont au
point, qu’ils sont à la page, mais il
est très difficile à un esprit humain
aujourd’hui d’être encyclopédiste comme
au Moyen-âge, parce que le savoir humain
n’est plus celui du Moyen-âge et on a
des techniques beaucoup plus modernes ;
donc il est très difficile pour ce
"Monsieur de l’international" sur chaque
chaîne, d’être pertinent et percutant.
Par exemple dans l’émission "Ce soir où
jamais" du 4 septembre où je suis passé
il y avait un monsieur qui a parlé de la
situation actuelle en Syrie, en
comparant ça à la guerre civile
d’Espagne ; c’était de la palabre
creuse, de la rhétorique.
F.S. :
Oui, Dominique Moisi, de
l’IFRI (Institut Français de Recherches
Internationales) ; je l’ai écouté sur
d’autres sujets, c’est en effet un
"Monsieur de l’international"
B.T. Oui,
moi je ne suis pas un "Monsieur de
l’international"…
F.S. :
Vous êtes un spécialiste
du sujet
B.T. Vous
savez, c’est comme tous ces gens que
forme Sciences Po, je n’en ai pas une
très haute idée. Je n’ai pas suivi les
cours de Sciences-Po mais j’ai des
élèves qui l’ont fait faute d’avoir pu
intégrer une grande école ; à mon avis
Sciences Po n’est pas une grande école
bien que de très bons éléments y aient
été formés. On vous dit : "la culture du
concombre au Cameroun", et il faut être
capable - et c’est pareil pour les
énarques - même si vous ne connaissez
pas vraiment ni le Cameroun ni le
concombre, de disserter dix minutes
d’une manière brillante et convaincante
sur la culture du concombre au Cameroun.
C’est un peu ça les médias français
aujourd’hui ; et ça concerne toutes les
personnalités de l’international des
médias en France : un discours
rhétorique creux, de la palabre, parfois
en s’égosillant pour bien prononcer les
noms propres étrangers, comme quoi on
respecte et on connaît ; c’est
ri-di-cule ! C’est un discours vain ! Et
évidemment quand ils affrontent un vrai
spécialiste du domaine, ils perdent des
plumes, ça leur fait de l’ombre...
F.S. :
Vous avez notamment
renvoyé dans les cordes, mardi dernier à
"Ce soir ou jamais", Mathieu Guidère, le
spécialiste invité systématiquement à
chaque fois qu’il y a un problème
concernant le monde musulman.
B.T. :
Mathieu Guidère je vais vous dire qui
c’est. Il a l’âge de mes élèves, il a
été agrégé d’arabe il y a de cela
dix-sept ou dix-huit ans. C’est
quelqu’un qui travaille pour l’armée
française - il a d’ailleurs francisé son
nom - qui travaille également pour le
Qatar. Il a été à la cour du prince du
Qatar pour former de jeunes membres de
la famille, voilà. Donc forcément, il y
a un proverbe arabe qui dit : "Qui mange
du plat du sultan, frappe avec son
sabre". Donc Guidère ne peut en aucun
cas être objectif pour tout ce qui
concerne le Qatar, puisqu’il mange dans
l’écuelle du prince. Quant à ses
renseignements - il avait d’ailleurs sur
le plateau un comportement un peu facho
en déclarant qu’il crierait plus fort,
mais je n’ai pas joué du tout à crier
plus fort, je contredisais simplement de
temps en temps les chiffres qu’il
avançait...
F.S. :
Oui, en effet il a cité
l’AFP...
B.T. :
L’AFP et l’OSDH ! Monsieur Guidère a
toujours des sources « sûres ». Quelles
sont ces sources « sûres » ? On m’a
proposé à moi aussi, il y a longtemps,
sur le dossier nucléaire irakien, de
former des militaires, mais c’était dans
le cadre de grandes écoles ou de stages,
mais je n’ai jamais été fonctionnaire,
on ne m’a jamais confié de traductions
secrètes, confidentielles pour les
services secrets. Lui, je crois qu’il
l’a fait ; alors il croit que parce
qu’il a eu entre les mains quelques
papiers qu’on a ramassés par-ci par-là,
il a la vérité révélée. Et les médias,
c’est un profil qui leur plaît, surtout
qu’il est là pour défendre l’idéologie
ambiante du pouvoir ! On parle de
liberté d’expression, mais moi je n’y
crois pas, la France n’a pas la liberté
d’expression. Je peux écrire, tout comme
Pascal Boniface dans son dernier livre
que j’aime beaucoup, un autre livre sur
les démêlés que j’ai eus avec les médias
depuis bientôt 38 ans que je vis en
France. Ce genre de profil (Guidère)
plaît aux médias, parce qu’il a tout
pour plaire et pour être instrumentalisé
pour défendre la politique de l’État.
Alors dites-moi franchement : quelle est
la différence entre la télé syrienne,
qui fait exactement la même chose, et
les médias français ? Je trouve que la
télé syrienne, dans ce cas-là, est plus
honnête. Et il n’y en a qu’une seule,
tandis qu’en France on a plusieurs
télés, mais qui en fait reviennent à la
même leçon de morale et au même message.
Non, c’est ridicule, franchement.
F.S. :
Ce que vous dites sur le
« muselage » des médias en France est
tout-à-fait juste, pensez-vous qu’il y a
une interaction entre médias et
opérations sur le terrain pour revenir à
la Syrie ?
B.T. :
J’ai donné le numéro de téléphone de mon
frère en Syrie à des journalistes
français. Ils l’ont appelé avant-hier,
et apparemment ça a été brouillé la
première fois, la journaliste elle-même
lui a dit : "je crois qu’on est
brouillés", on entendait parler d’autres
langues, puis ça a coupé. Tout le monde
sait, c’est un secret de polichinelle,
que les services secrets français,
britanniques et américains, avec l’aide
de la Turquie, basés à mon sens en
Jordanie également, n’en déplaise à
Laurent Fabius, et en Turquie,
brouillent toutes les chaînes de
communication avec la Syrie, c’est
clair. Et tout ce qui est Syrien ici à
Paris en ce moment est sur table
d’écoute, c’est évident. Donc peut-être
même que les renseignements que vous
donnez sont exploités dans les
opérations, mais ça on n’y peut rien :
un individu peut-il lutter contre un
establishment ? Il est perdant d’avance,
mais cela n’empêche qu’il peut au moins
faire quelque-chose, ce petit galet peut
peut-être, comme on dit peut soutenir la
grande jarre.
F.S. :
Vous avez été
spécialiste de la question syrienne à
I-télé
B.T. :
J’ai commencé mes interventions
télévisées pour ne rien vous cacher en
2003, sur l’invasion de l’Irak. J’ai été
contacté par un institut de stratégie me
promettant qu’ils allaient plus ou moins
m’embaucher, me confier des sujets à
traiter, et puis je me suis rendu compte
que ces instituts de stratégie sont
souvent des sociétés écrans qui cachent
beaucoup de choses. Par exemple : on
vous commande une étude très précise sur
un pays précis et vous ne savez pas à
qui elle est destinée, à qui elle est
revendue. On vous donne 10 000 euros
pour faire une étude sur les Frères
musulmans en Égypte par exemple, ça a
été le cas en 2004, vous voyez, donc
bien avant. Moi tout naïf j’ai dit :
"Admettez que j’aille en Égypte et que
je vous fasse une étude sur les Frères
musulmans - je suis linguiste et je
parle syrien et égyptien couramment - et
si jamais on m’arrête là-bas ? Est-ce
que j’ai une couverture ou quoi que ce
soit ?". On me dit : "Mais pourquoi ils
vous arrêteraient ?". Je réponds : "Mais
écoutez, je vais sûrement être filé par
les services secrets égyptiens ; ils
vont voir que je rencontre des gens, des
Frères musulmans et je vais peut-être me
retrouver en taule". Alors on me dit "Et
bien non, personne ne répondra de vous".
J’ai compris rapidement que beaucoup de
ces instituts de recherche commandent
des études qui sont en fait revendues à
des États étrangers ou à des services
secrets. Peut-être que j’ai été
pressenti parce qu’ils ont vu que je
connaissais bien l’Égypte et le monde
arabe, que je parle plusieurs dialectes
arabes, mais j’ai refusé. J’ai refusé
non pas parce qu’en cas de pépin
personne ne me recouvrirait, mais parce
que j’ai trouvé quelque chose de
malhonnête dans tout cela. C’est vrai,
c’est une voie difficile, mais j’ai
toujours choisi les voies difficiles. Ça
ne rapporte pas d’argent, mais au moins
il y a une éthique dans ce que vous
écrivez, et ça j’y tiens. Chose que
peut-être ceux qui travaillent avec les
services secrets français n’ont pas, et
qu’on voit parader sur les plateaux de
la télé.
F.S. :
C’est là que vous avez
commencé à faire du journalisme alors ?
B.T. :
Oui, c’était en 2003, j’ai un peu
commenté ce qui se passait en Irak,
c’était sur LCI. Le correspondant de LCI
aux États-Unis m’avait écouté et il leur
a dit : "Il faut inviter cet inconnu de
Tahhan, il parle très bien". J’ai été
invité, c’était gratuitement ; et suite
à cela j’ai été remarqué par I-télé. Ils
m’ont invité et chez eux j’étais payé.
Ils m’ont dit : "Vos interventions nous
plaisent, on vous embauche." J’étais
intermittent du spectacle, en contrat
déterminé, et que je vienne ou pas je
touchais une petite somme. Mais c’est là
qu’on se rend compte qu’il n’y a pas de
liberté d’expression. Car à I-télé mon
aventure aura été très courte, un an et
quelques mois. Plusieurs épisodes m’ont
fait comprendre que j’étais indésirable
en fait, même si, selon beaucoup, mes
interventions avaient du succès. Par
exemple : Moqtada al-Sadr était assiégé
en Irak, et voilà que les journalistes
me posent la question : "Vous ne pensez
pas que pour éviter l’effusion de sang,
Moqtada al-Sadr devrait sortir et se
rendre, comme ça on ne détruit pas la
mosquée, on ne détruit pas les
cimetières d’à côté et les civils et
tout ?". J’ai répondu : "Écoutez,
Moqtada al-Sadr, si vous avez remarqué,
a un turban noir. C’est un chiite, et
tout chiite qui a un turban noir est
descendant du prophète. Or, lui où
est-il ? Il est dans une mosquée, dans
un établissement religieux qui est la
propriété des descendants du prophète,
alors c’est à qui de quitter la maison ?
Au propriétaire de la maison ? Ou à
celui qui vient en agresseur ? C’est les
États-Unis, c’est l’armée américaine qui
devraient partir et laisser tranquille
Moqtad al-Sadr."
Suite
à cette émission, j’ai eu un coup de fil
du ministre de l’Éducation nationale au
Maroc que je connais, il m’a dit :
"Bravo Bassam, c’est très bien ce que tu
as dit, mais je crois que ce n’est pas
du politiquement correct ça pour une
chaîne française, tu risques de le payer
cher". Effectivement il ne s’était pas
trompé. Il y a eu une autre émission sur
Arafat, où j’ai dit que si l’on traite
Arafat de terroriste, les fondateurs
d’Israël l’étaient également. Mais paix
à leurs âmes tous, bon, pour leurs
peuples c’étaient des héros ! Ben
Gourion par exemple, ou d’autres, si
Arafat est terroriste, dans une certaine
lecture eux aussi le sont ! C’était en
2004, et à la fin du mois je reçois ma
fiche de paye où il n’y avait que la
moitié de ce que je touchais d’habitude.
Je prends mon téléphone, j’appelle la
secrétaire je lui dis : "Mais enfin je
ne comprends pas, c’est la moitié", et
elle dit : "Attendez c’est peut-être une
erreur" et puis elle regarde et elle me
dit : "Non, c’est le directeur qui a
signé". Et puis après on ne m’a plus
appelé. J’ai appelé pour intervenir,
comme cela se faisait, mais plus rien.
Ils étaient tellement lâches, voyez,
qu’ils n’avaient pas le courage de
m’inviter au bureau, de me dire :
"Écoutez monsieur Tahhan, on n’est pas
d’accord avec vos positions, vous nous
excusez, puis c’est tout", non !
F.S. :
Ça aurait été avouer…
B.T. :
Oui, peut-être ; alors suite à cela,
quelques mois après, j’ai invité ce
directeur qui m’avait embauché à
déjeuner, à l’orientale, il n’a soufflé
mot de tout ça. Il me regarde comme si
de rien n’était, et voilà ça c’est
terminé comme ça. Voilà mon histoire
avec I-télé. Par la suite un rédacteur
en chef à I-télé, qui y est toujours,
m’a dit : "Bassam, j’ai entendu dire
dans la maison que tu faisais beaucoup
d’ombre à leurs vedettes, tu étais très
télégénique, franchement, et tu parlais
bien, mais ce n’était pas dans la ligne
de la rédaction. C’est-à-dire : tu
étonnais par tes positions." J’avais par
exemple critiqué l’ambassadeur américain
aux Nations Unies, j’avais dit que
c’était l’Antéchrist de la démocratie,
quelqu’un qui avait trempé dans des
affaires louches avec la CIA. Ça a aussi
compté sans doute, et ce qui est curieux
c’est que j’ai été limogé si je puis
dire suite à la visite du directeur de
la chaîne aux États-Unis. Est-ce qu’il y
a un lien à faire, je n’en sais rien.
Mais peut-être qu’ils ont vu que j’avais
une audience et qu’il fallait me réduire
au silence, ce qu’ils ont réussi à
faire.
Je
peux vous en raconter d’autres également
sur d’autres chaînes et d’autres radios.
Alors qu’on arrête de me dire que
l’information en France est libre, qu’il
y a une liberté de penser et
d’expression, c’est totalement faux. Le
jour où l’on fera le procès des médias
en France, on va découvrir des choses
vraiment à rougir de honte, parce qu’on
nous fait avaler à longueur de journée
des couleuvres et on nous traite comme
des veaux.
F.S. :
C’est d’autant plus
scandaleux que la France est un pays où
la presse a pris naissance. Je voudrais
maintenant vous poser une question sur
la genèse de la crise syrienne : j’ai
entendu deux versions différentes et
peut-être complémentaires de la genèse
de cette crise ; l’une dans la bouche de
Gérard de Villiers lors de l’émission
"Ce soir ou jamais" le 4 septembre, qui
a parlé d’une révolte des Frères
musulmans à Deraa (en 1982)...
B.T. :
Oui, et qui n’était pas pacifique, c’est
vrai…
F.S. : ...qui
a été réprimée de façon assez musclée
par l’armée syrienne et c’est cela qui a
provoqué une réaction en chaîne, une
escalade, avec la demande des Frères
musulmans - lesquels avaient été
sévèrement réprimés par Hafez el Assad,
le père de l’actuel président en 82 -
qui ont fait appel au Qatar, lequel État
aide les Frères musulmans partout dans
le monde...
B.T. : Le
Qatar et l’Arabie saoudite, les deux !
On a même des dons des particuliers de
tous les pays du Golfe. C’est pour se
faire pardonner les soirées bien
arrosées en Occident, c’est dans la
mentalité musulmane : on donne pour se
faire pardonner, vous voyez. Et même la
femme du prince Bandar, ambassadeur de
l’Arabie saoudite aux États-Unis avait
transporté des fonds, la femme de
Bandar, qu’elle a donnés à certaines
personnes qui étaient impliquées dans
les attentats du 11 septembre, et ça
embêtait beaucoup l’administration
américaine... Vous voyez à quel point
l’islam de ces pays du Golfe est quelque
chose de très difficile à cerner, il est
très difficile d’en démonter tous les
rouages...
F.S. : ...et
donc la deuxième version de la genèse de
la crise syrienne c’est vous même qui
l’avez donnée en évoquant le printemps
arabe en Tunisie qui a connu des échos
en Syrie mais qui très rapidement a été
instrumentalisé par les Occidentaux et
les États-Unis qui ont profité de la
situation pour briser l’ « arc chiite »
- vous êtes vous-même l’inventeur de ce
concept « arc chiite » dont la clé de
voûte se trouve en Syrie, donc
pouvez-vous revenir sur la genèse de la
crise syrienne ?
B.T. :
Bien avant le printemps arabe
voyez-vous, il y avait une arête dans la
gorge des pays du Golfe et de leurs
princes - ça c’est une expression arabe
- qui leur est restée dans le gosier,
ils ne pouvaient pas l’avaler, vous
allez comprendre pourquoi. C’est que
pendant la guerre du Hezbollah contre
Israël, en 2006, Bachar el Assad qui
avait soutenu le Hezbollah, avait
prononcé un discours en utilisant une
phrase de l’imam Ali, cousin du
prophète, la figure du chiisme, et qui
était de traiter les musulmans qui ne
l’ont pas soutenu, lui Ali, de
demi-hommes : "O demi-hommes !" Et dans
la bouche de Bachar, ça avait un impact
sur la psychologie de tous ces princes
du Golfe qui étaient traités de
demi-hommes. Si vous voulez vraiment
humilier un Bédouin, traitez-le de
demi-homme, ou comparez-le à une femme.
Et ça il l’a dit parce que tout le monde
savait que les pays du Golfe avaient
soutenu le gouvernement Siniora au Liban
donnant à Israël le feu vert pour
complètement écraser le Hezbollah. Or
Israël n’a pas réussi à écraser le
Hezbollah. Et ils se rendaient compte
que les Alaouites en Syrie, alliés de
l’Iran, formaient un croissant chiite
important qui empêchait leur politique
de propagande et de prosélytisme de
l’islam de produire son effet. Parce que
dans l’histoire récente de l’islam
chiite, après l’arrivée d’Assad au
pouvoir, il faut retenir plusieurs dates
: 1970, Assad arrive au pouvoir ; il
commence à aider les chiites du Liban en
tant que minoritaires. Les chiites du
Liban ne sont pas alaouites, ils sont un
peu différents mais c’est la même
famille.
Quand
Khomeiny arrive au pouvoir, dix ans
après environ, Assad aide Khomeiny dans
la guerre contre Saddam. Il devient un
allié important. S’il y a eu des progrès
dans l’industrie balistique et la
fabrication de missiles en Iran, le père
Assad y est pour beaucoup. Ce Bismark du
Proche-Orient a compris que les
prochaines guerres seraient des guerres
de missiles. Quand il a vu que Saddam
arrosait l’Iran de missiles et que
l’Iran n’avait pas la technologie des
missiles, il a envoyé en Iran ses
missiles qui ont été démontés,
fabriqués, modernisés, avec toute la
technologie dont il disposait qui était
à l’époque celle de l’Union soviétique,
peut-être un peu chinoise, certains
disent même un peu coréenne, je n’ai pas
vérifié dans les détails, ce n’est pas
mon domaine.
Toujours est-il que les Frères musulmans
et l’islam intégriste wahhabite, qui
constituent deux tendances distinctes,
se trouvaient dans le même camp face à
ce qu’ils appelaient le danger
stratégique des chiites constitué par
l’Iran, avec un allié de l’autre côté
qui faisait tenaille.
Et
n’oubliez pas aussi le Bahreïn, dont la
majorité est chiite. Il est gouverné par
un prince sunnite qui possède
pratiquement tout l’archipel et où les
citoyens chiites sont vraiment mal
considérés par le pouvoir central, on
l’a vu. Donc cela explique si vous
voulez, une haine qui couve, qui
n’attend qu’un événement pour sortir au
grand jour et essayer de casser la
Syrie. Il n’y a pas de complot, je
m’oppose à ces théories complotistes,
mais il y a en géostratégie, en
géopolitique, un échiquier, et il y a
des forces, des constantes et des
variantes. Ces variantes sont dictées
par le rapport de force des constantes.
Donc si l’Arabie saoudite d’un côté
trouve que l’alliance irano-syrienne est
dangereuse pour ses intérêts nationaux,
au moindre événement qui peut lui
permettre de contrer cela, c’est une
variante, et c’est ce qui s’est passé.
Le
printemps arabe en Syrie a connu cet
essor, enfin cette tournure d’événements
parce que sur l’échiquier il y avait
cette opposition qui couvait, surtout
après l’échec au Liban du gouvernement
Hariri qui était soutenu par l’Arabie
saoudite. Donc les Saoudiens ont bien
compris que ce croissant chiite avait
plusieurs cartes en main : il avait le
Liban, il avait le Hamas, alors que le
Hamas est sunnite, en Palestine. Car le
Hamas avait beaucoup plus de rapports
avec le croissant chiite, avec l’Iran et
la Syrie, qu’avec l’Arabie saoudite et
le Qatar. Ils ont essayé d’intervenir,
mais ça n’a pas marché, pourquoi ça n’a
pas marché ? Mais les Palestiniens du
Hamas n’étaient pas dupes, ils savaient
que leur chef - que les Israéliens
avaient cherché à assassiner par du
poison en Jordanie - Khaled Meshaal,
avait son siège à Damas. C’est Damas qui
l’a accueilli.
Vous
voyez le jeu est très complexe. Donc ça
a été une occasion en or pour le camp
occidental, dès que le printemps arabe a
pris naissance en Afrique du Nord, de
déjà commencer à planifier comment il
serait instrumentalisé et exploité en
Syrie. Et ce fut le cas, et là, ce
n’était pas uniquement les États-Unis et
les Anglais, parce que d’habitude il y a
en géopolitique une opposition
anglo-saxonne/latine, la France est
plutôt dans le camp latin, enfin,
jusqu’à de Gaulle. Après les vedettes de
Cherbourg, au temps de Pompidou la
France est outre-Atlantique. Avec
Mitterrand, les socialistes ont toujours
aidé Israël, c’est connu. En 1956, c’est
grâce au gouvernement socialiste
qu’Israël a pu faire des progrès dans le
domaine nucléaire. C’est Shimon Peres,
par ailleurs lui-même chercheur, qui
était venu en France pour négocier les
accords dans le domaine nucléaire. Dans
la guerre de 56 Israël avait accepté le
scénario d’intervenir ; en contrepartie
la France recevait une aide nucléaire, à
l’époque où même la France n’avait pas
de bombe nucléaire.
Donc
voilà la genèse... la meilleure preuve
c’est qu’Assad, après les événements de
Deraa, a reçu les notables de Deraa, et
ils lui ont promis que tout rentrerait
dans l’ordre. A peine sont-ils rentrés
c’est reparti de plus belle. Vous savez
ce jeune garçon dont on prétend qu’il a
été tué, violé, tout ça c’est de la
blague. C’est suite à un prêche de Deraa
et des villages à côté, les prêches des
cheikhs, qu’il fallait aller s’attaquer
aux habitations des militaires syriens
comme quoi ce sont des alaouites, ce qui
est faux, dans l’armée syrienne il y a
pas que des alaouites. C’est impossible
écoutez, les alaouites font deux
millions et c’est une armée de 400 000
hommes, il y a un service militaire
obligatoire vous ne pouvez donc pas dire
que c’est une armée d’alaouites. Ils ont
donc appelé les gens à aller s’attaquer
à la cité militaire et à mettre à sac
les habitations alors que les officiers
étaient absents, et ce garçon Hamza a
été abattu par une femme de militaire !
Alors
encore une fois on cache la vérité, Al
Jazeera s’en est mêlé. En tout cas si on
veut faire un inventaire des mensonges
de Al Jazeera, il y a de quoi remplir
les rayons d’une bibliothèque entière.
Et c’est dommage, parce que la chaine Al
Jazeera était quelque chose de bien au
départ ; mais maintenant elle a perdu
toute crédibilité. Aussi bien Al Jazeera
qu’Al Arabiya, la chaîne rivale lancée
par l’Arabie saoudite, et que les arabes
appellent Al Hebria, la chaîne
hébraïque, ce qui veut tout dire.
F.S. :
Pouvez-vous revenir sur
cette opposition entre chiisme et
sunnisme. Si j’ai bien compris c’est une
querelle dynastique, mais sur le plan
théologique est-ce qu’il y a une
différence qui explique cette
confrontation entre chiites - sunnites ?
B.T. : Et
bien, là on ouvre un grand dossier,
comment vous répondre ? Je peux le faire
par des généralités. D’abord les
sunnites sont de loin les plus nombreux
dans le monde, ils sont un milliard et
quelques ; les chiites sont à peu près
deux cent millions, c’est-à-dire
peut-être un sixième des musulmans dans
le monde sont des chiites, et les cinq
autres sont des sunnites. Les chiites se
distinguent par un clergé bien
structuré, ça ressemble un peu à la
hiérarchie chrétienne, il y a un chef
suprême, qui est l’ayatollah, et puis il
y a un clergé très bien structuré. Les
chiites croient que celui qui doit
succéder au prophète au niveau temporel
et spirituel, doit être descendant
d’Ali, c’est-à-dire du cousin du
prophète, et de la fille du prophète qui
est Fatimah.
Pour
les sunnites on peut en principe élire
quelqu’un qui ne soit pas descendant du
prophète mais en pratique les sunnites
sur ces deux points ont fait exactement
comme les chiites, mais sans fondement
idéologique. D’abord, si vous remarquez
la majorité des rois dans l’histoire
étaient descendants du prophète ou se
prétendaient tels : le roi du Maroc, il
est descendant du prophète, le roi de
Jordanie, il est descendant du prophète,
qui fait exception à cela ? Les
Saoudiens, c’est vrai. Mais les
Saoudiens vous savez c’est très récent,
dans tous les cas de l’histoire quand il
y a avait des califats c’étaient des
descendants du prophète, même chez les
sunnites. D’autre part on vous dit : il
n’y a pas de clergé chez les sunnites,
c’est faux. Ils disent qu’il n’y a pas
de clergé mais en fait il y a un clergé.
Cependant le système chiite est plus
ouvert philosophiquement, parce qu’il
n’a pas fermé la porte de l’effort
personnel d’interprétation et d’exégèse.
Alors
que dans l’islam orthodoxe sunnite, dans
la théologie comme dans le droit, cela
se limite à quatre rites et vers l’an
mille, c’est-à-dire il y a mille ans
pratiquement, tout effort personnel a
été condamné. Donc l’islam sunnite
paraît si vous voulez plus
traditionaliste et plus formel tandis
que le chiisme ouvre la voix à des
visions religieuses beaucoup plus
spirituelles. Mais vous me posez une
question énorme. Toujours est-il que cet
islam, ces deux islams, ont été affreux
l’un vis-à-vis de l’autre, ils se sont
massacrés pendant toute l’histoire de
l’islam. Mais là, ce qui gêne l’Arabie
saoudite, pour revenir à la question du
moment, c’est qu’elle voit d’un mauvais
œil l’arrivée au pouvoir d’un clergé qui
n’est pas sunnite et qui distribue de
l’aide, qui n’a plus peur de cacher sa
doctrine et qui comme eux fait la
propagande du chiisme, autant en Afrique
qu’en Amérique que partout ailleurs.
C’est pour cela que le roi d’Arabie
saoudite a dit qu’il fallait "écraser la
tête du serpent", dans un mail ou un
télégramme que WikiLeaks a révélé au
grand jour. Et si vous lisez les
recommandations de chaque congrès
wahhabite, les chiites sont toujours
représentés comme des ennemis, des
mécréants.
C’est
donc très difficile de les réconcilier
si dans le dogme wahhabite déjà, il y a
un parti-pris contre cette minorité
musulmane. Sans compter qu’une des
régions les plus riches en Arabie
saoudite est une région habitée par des
chiites, le Hassa, et ils forment la
majorité au Getaif. Et ces gens-là sont
persécutés : chaque fois qu’ils se
révoltent, ou qu’ils manifestent, les
autorités saoudiennes disent qu’ils
obéissent à un agenda étranger,
c’est-à-dire aux Iraniens. J’ai eu
beaucoup de discussions avec des
sunnites, et s’ils apprennent que vous
êtes chiite, tout de suite ils changent
d’attitude, pour eux vous êtes un
hérétique et parfois on entend "Il faut
tous les massacrer les chiites !" Je
l’ai entendu, j’étais comme ça en
confidence avec un Saoudien, il m’a dit
"Mais il faut tous les tuer ! C’est
quoi, un demi-million, pourquoi on ne
s’en débarrasserait pas, ce serait fini
! L’islam est un, c’est celui de la
tradition mahométane, du prophète !" On
élève le sunnite un peu partout dans le
monde avec la haine des chiites, en leur
faisant croire, moi je vois ça auprès de
mes élèves maghrébins, que les chiites
disent que Allah s’est trompé, qu’il
aurait dû donner le Coran à Ali plutôt
que de le donner à Mohamed. Chose qui
est complètement stupide.
C’est
comme le Protocole des sages de Sion,
quand les Arabes en parlent, ils disent
que c’est la vérité absolue alors que
l’on sait que c’est un faux, un truc qui
a été écrit pour être utilisé, notamment
par les nazis, contre les Juifs. Ou ils
vous disent par exemple que les chiites
divinisent Ali ou alors : "qu’est-ce que
c’est que ces pratiques, pourquoi ils
s’auto-flagellent et tout ?"
N’empêche, que les sunnites ont pris
quelque chose aux chiites alors que les
sunnites n’admettent pas d’innovation
dans les rites de prière. Vous savez la
naissance du prophète musulman, c’est
une fête chiite, que les Fatimides
chiites d’Égypte ont instaurée, et les
sunnites aujourd’hui la suivent, donc
ils sont en contradiction : si on
n’innove pas dans les cérémonies
religieuses alors pourquoi ils fêtent la
naissance du prophète ?
Et
n’oubliez pas, une dernière chose :
pourquoi Damas ? Et pourquoi tant de
haine vis-à-vis des alaouites ? Quand le
califat va s’installer à Damas, c’est
après les quatre premiers califes qu’on
appelle orthodoxes, on s’est mis à
maudire Ali sur toutes les chaires des
mosquées de Syrie, et notamment la
mosquée des Omeyyades, la mosquée
centrale de Damas, jusqu’à l’arrivée
d’un autre calife sunnite qui va
interdire cette malédiction. Alors vous
vous imaginez, les sunnites de Syrie,
qui savent que dans cette mosquée Ali a
été maudit pendant des siècles, que
quelqu’un qui est alaouite gouverne, et
les gouverne, ils ne peuvent pas avaler
ça. Dans une perspective religieuse
étriquée, pour eux c’est l’ennemi qui
les gouverne. D’ailleurs quand ils
disent du mal de ces alaouites qu’ils
appellent nousrani, ils font un jeu de
mot nousayri-nousrani, c’est-à-dire :
nousayri, "espèce de chrétien". Ça dit
tout de la tolérance de certains
sunnites !
F.S. :
J’ai écouté un certain
nombre de vos interviews et les
précisions que vous donniez sur le
Conseil national syrien et l’Armée
syrienne libre. Vous en parlez comme de
conglomérats, est-ce que vous pouvez
revenir dessus ?
B.T. :
Oui, aujourd’hui, je peux vous donner
les dernières informations sur ces deux
conglomérats. Aujourd’hui la France a
lâché le Conseil national syrien.
C’est-à-dire que les accolades données
par Hollande aux cinq représentants du
Conseil étaient juste d’apparence, la
rentrée s’étant faite suite aux attaques
de la droite, de Sarkozy et de Fillon,
concernant le dossier syrien. Parce
qu’ils se sont rendu compte - "ils" à
l’Élysée et aux Affaires étrangères -
que ce Conseil national syrien
s’effilochait et ne représentait plus
grand-chose.
Maintenant, quant à l’Armée syrienne
libre, comme dans le CNS, il y a
différents groupes armés qui ne se
reconnaissent pas entre eux. Il y a eu
d’ailleurs trois-quatre jours des
combats au nord d’Alep - d’Alep à la
frontière turque c’est 45 km qui nous
séparent - entre branches armées de
cette ASL, une lutte entre bandes, parce
que ce sont des bandes, qui représentent
deux tendances de l’ASL. Et là hier, un
autre général, vient d’essayer d’unifier
ces forces à Alep, mais il n’a pas
réussi : certains ont dit oui, d’autres
non. Voilà les dernières informations
sur le CNS qui s’effiloche, qui part
dans tous les sens.
L’Élysée a compris, parce qu’ils veulent
former un gouvernement, que ce Conseil
n’existe plus et il y a un changement de
cap dans la politique française. Quant à
l’Armée syrienne libre, ils ont compris
aussi que c’était divisé, comment faire
? Alors, ils ont "exfiltré" Tlass, qui
est le plus gradé, dans l’espoir que ce
Tlass, qui est le plus gradé des "défectionnistes",
qui est sunnite, dont le père et la sœur
habitent la France - ce sont des
millionnaires sunnites - dans l’espoir
que ce Tlass soit peut-être une carte
importante que jouerait la France, parce
que Tlass est soutenu par le Qatar mais
pas par l’Arabie saoudite, parce que dès
qu’il a annoncé sa défection, Al Jazeera
s’est réjoui de l’accueillir, manque de
chance il est allé en Arabie saoudite et
pas au Qatar. N’empêche que maintenant
les Français croient qu’après tout,
pourquoi pas Tlass, alors ils me font
vraiment rire parce que ce Tlass est
détesté du peuple syrien, même des
sunnites, parce que ils se disent : il
est doublement traître, il serait
alaouite, passe encore, il a volé le
peuple, il est alaouite, les alaouites
sont nos ennemis. Mais c’est pire, c’est
un sunnite, dont le père a été ministre
de la Défense, chef des Armées, on lui
attribue des ventes d’armes, des
commissions, enfin la famille Tlass n’a
pas une odeur de sainteté auprès des
sunnites de Syrie.
Donc
là aussi je crois que les Français ne
savent pas quoi faire, parce que et
l’Élysée et le Quai d’Orsay, sont
peuplés d’incompétents. La France vit
une période médiocre, on baigne dans la
médiocrité la plus totale, non seulement
dans la diplomatie mais dans beaucoup
d’autres domaines.
Ça va
faire quarante ans que je suis en France
et j’ai vu ce pays décliner sans arrêt.
Et là aussi, dites-moi pourquoi les gens
qui connaissent la situation, et de
manière très profonde, ne sont jamais
écoutés ? Je ne vous cache pas que les
Américains, en 82 ou 83, m’ont fait des
ponts en or, pour aller à UCLA en
Californie, présider un centre de
documentation d’Orient contemporain. Et
j’ai dit non, parce que moi franchement
j’aime beaucoup la France, mon père
aimait la France, c’est peut-être par
fidélité à l’image du père, je suis
francophone, francophile, voilà. Mais ce
qui me fait mal au cœur, c’est qu’avec
tout ça on n’est jamais écouté ! Jamais
!
F.S. :
La France a du mal à
trouver sa place dans la mondialisation,
c’est vrai. Mais pour revenir à l’ASL,
elle fait 30 000 membres ?
B.T. :
C’est ce qu’ils disent, 30 000, mais je
ne crois pas à ce chiffre. Bon pour le
chiffre, il y a des gens qui sont
enrôlés qui n’ont même pas de barbe, 14
- 15 ans, on leur donne des armes, alors
évidemment si vous intégrez tous ces
gens-là, on peut peut-être dépasser les
30 000 ! Mais 30 000 vraiment
militaires, j’en doute fort. Maintenant
il ne faut pas oublier aussi que comme
le Conseil national syrien est bourré de
Frères musulmans, d’islamistes de toutes
tendances, il en est de même de l’ASL.
Donc cette image que l’ASL serait
laïque, avec 20% d’islamistes à côté,
est complètement fausse. Parce que si
nous prenons le nom des bataillons de
cette ASL, suivez moi : "L’unification
divine, ou monothéiste", "Les
descendants du prophète", "Les
libérateurs des mécréants", alors
trouvez moi une armée dans le monde qui
se croit une armée révolutionnaire et
laïque et qui a toutes ces appellations
religieuses : on se croirait dans un
traité de droit ultra-orthodoxe du 11ème
12ème siècle ! Non, ce n’est pas sérieux
tout ça.
Donc
l’ASL ; en gros il y a quatre groupes
dans l’ASL en ce moment : il y a le
premier qui s’est défait, Riad Al-Assaad,
on a voulu faire de lui un maréchal,
alors les autres qui sont plus gradés
qui l’ont rejoint un an ou un an et demi
après ont dit : "Mais enfin, pourquoi il
serait maréchal, il n’est que lieutenant
!", alors la réponse a été, c’est à
mourir de rire tout ça, que oui mais lui
a été le premier à faire défection ! Et
les autres de répondre que ce n’est pas
une histoire de priorité. Alors
là-dessus - vous voyez pourquoi on ne
peut pas avoir une unité nationale au
niveau de toute cette opposition bidon,
je dis bien bidon - la déclaration du
président du Conseil national
aujourd’hui, par rapport à Tlass, ce
sunnite gradé copain de Bachar, est que
ce n’est pas parce qu’il a fait
défection qu’il aura un poste dans la
nouvelle Syrie.
Donc
la France se trouve le cul entre deux
chaises, elle veut bien soutenir le
Conseil national, c’est le "Club de
Paris", elle s’est fait avoir avec ce
"club de Paris", avec le dossier Juppé.
Ca veut dire c’est des gens : ce n’est
pas un conseil, il n’est pas national,
il n’est pas syrien. Mais à un moment
donné, il fallait comme en Libye qu’il y
ait un Conseil dans l’espoir
d’intervenir. La France a compris
qu’elle ne pouvait pas intervenir, alors
elle aurait souhaité qu’au moins ce
Conseil s’entende avec l’ASL. Là aussi
ça ne marche pas puisque son président
condamne la nouvelle carte du génie
fabiusien qui est d’exploiter Tlass pour
la nouvelle Syrie. C’est-à-dire que
peut-être ce Tlass ce super-grand
général de l’Armée syrienne sunnite va
pouvoir unifier cette ASL, mais même les
gens de l’ASL voient en lui un traître.
F.S. :
C’est quoi les trois
autres composantes de l’ASL ?
B.T. :
Vous avez Assaad : c’est celui qui le
premier s’est barré en Turquie ; vous
avez deux autres colonels qui sont comme
des caïds, qui ont leur boutique, hein,
et tout le monde, vous voyez, comme
l’argent qui afflue sur la Syrie, vient
de plusieurs sources, donc chacun, comme
on dit en arabe, frappe avec le sabre de
celui qui le finance. Donc il n’est pas
étonnant que dans cette ASL, vous voyiez
des gens pro-Qatar, parce que c’est le
Qatar qui paie, d’autres pro-français,
parce que ce sont les services secrets
qui exfiltrent, qui infiltrent ;
d’autres pour les Saoudiens. Ils ne
roulent donc pas tous pour le même
maître, chacun représente plus ou moins
la voix de son maître. Là hier à Alep
est apparu un nouveau général, très
gradé, qui dit unifier au moins sur
Alep. Quand on voit tout ça, alors
inutile de vous dire que cette armée
institue des tribunaux d’inquisition
islamiques. J’en ai parlé aujourd’hui
sur BFM, vous avez un reportage sur la
ville d’el-Bab, qui a été bombardée ; il
y a trois-quatre jours ils ont bombardé
les écoles transformées en casernes pour
les rebelles.
Donc
il n’y a d’union ni dans l’ASL, ni dans
le Conseil national syrien, et bien
malin est celui qui peut former un
gouvernement. Là aussi il y a une erreur
stratégique, politique et diplomatique
que commettent la France, et les autres,
qui veulent lancer un gouvernement ; ce
gouvernement va être un élément
supplémentaire de division parce que il
y a déjà division. Si vous écoutez les
témoignages, vous les scrutez, certains
membres de l’ASL vous disent : "on va
éliminer l’autre branche armée, dominer,
et on va marginaliser le Conseil
national, et c’est nous qui
gouvernerons". Vous écoutez le Conseil
national dire : "on a formé un bureau de
coordination des militaires au sein du
Conseil national, on dominera l’ASL, on
l’éliminera et c’est nous qui
gouvernerons", et ainsi de suite.
Comment voulez-vous former un
gouvernement d’exil avec ces gens-là ?
C’est impossible.
N’oubliez pas une chose ; admettez que
sur le terrain il y a 300 000 - 350 000
soldats syriens et pas 438 000 comme
disent les statistiques officielles à
cause des "défections" ; mais ce ne sont
pas des défections, c’est le problème
des transports, un appelé ne peut plus
rejoindre sa caserne s’il est au fin
fond de la Syrie, comment voulez-vous
qu’il puisse aller à Koneitra, le point
frontière avec Israël ? C’est des
problèmes matériels, de communication,
de transport. Cette armée-là tient
toujours bon. Et jusqu’à maintenant
admettez qu’elle n’a été utilisée qu’à 5
à 10% de ses capacités militaires.
Encore une fois, l’armée, la Syrie,
étaient préparées à toutes les guerres,
sauf la guerre civile, et c’est là son
talon d’Achille. C’est là où l’Occident
a compris que sans intervention directe,
en nourrissant une révolte armée, il
pouvait casser ce beau pays qui n’a pas
signé de paix avec Israël, qui soutient
le Liban pour que le Liban ne signe pas
de paix avec Israël, qui soutient la
Palestine et maintient cette rivalité
entre l’Autorité palestinienne et le
Hamas, entre Ramallah et Gaza, et c’est
un gros morceau, et qui en même temps
présente un danger pour les monarchies
du Golfe puisque vous le voyez ce
croissant chiite est énorme.
L’erreur des Américains, évidemment, je
l’avais dit, c’est d’avoir renversé
Saddam, l’erreur dans leur optique,
s’ils veulent vraiment se débarrasser
des chiites. En renversant Saddam ils
ont amenés les chiites au pouvoir,
maintenant l’Irak est une colonie
iranienne, qu’on le veuille ou non. Et
depuis qu’ils se sont retirés d’Irak, la
voie est libre pour que l’Iran
transporte tout ce qu’elle veut en
Syrie. Alors là, si vous voulez, ce
croissant chiite avec le Hezbollah, les
chiites d’Irak, les alaouites de Syrie,
du Barhein, et aussi du Yémen, les
chiites de Getaif, l’Iran et ajoutez
l’inconnue que les Américains n’avaient
pas calculée et ignorée totalement,
c’est qu’en Turquie il y a 22 millions
d’alaouites ! Si ces 22 millions
d’alaouites rejoignent le croissant
chiite, alors là il y a une nouvelle
donne au niveau géostratégique et
géopolitique qui va changer tout le
paysage du Moyen-Orient. Et s’ils font
éclater la Syrie, qui nous dit que la
Turquie ne va pas éclater, imploser : un
tiers de kurdes, un tiers de sunnites et
un tiers d’alaouites en Turquie, en gros
pour simplifier.
F.S. :
Vous dites le manque de
préparation de l’armée syrienne à la
guerre civile ; les groupes djihadistes
eux ne sont-ils pas mieux préparés au
combat de rue et ne posent-ils pas de
problèmes, notamment à Alep ?
B.T. :
Oui, alors ils posent des problèmes, non
pas parce qu’ils sont mieux formés, pas
du tout, je ne le crois pas, et qu’on
leur a donné des armes. Bon, il y a des
mitrailleuses lourdes sur 4…
F.S. :
Oui, vous avez parlé du
quartier d’Hanenau
B.T. :
Salahadine. Salahadine est bombardé.
Hanenau est bombardé aussi. Aujourd’hui
il y a l’Arkoub ; il y a plusieurs
quartiers, Al-Kasr, Boustane al-Bacha ;
dans ma tête je vois les immeubles, les
quartiers, c’est ma ville, c’est vrai
que ces quartiers sont bombardés, Izaa,
le quartier de la radio qui est le plus
proche du centre ville par rapport à
Salahadine a été rasé, enfin des pâtés
entiers, parce que là il y a avait des
djihadistes en grand nombre.
F.S. :
Je voudrais revenir sur
les "Amis de la Syrie", le "club de
Paris" que vous évoquiez tout à l’heure.
Vous vous êtes plaint que lors de la
réunion des "Amis de la Syrie" à Paris
le 6 août, Fabius ne vous ait pas invité
en tant que représentant du collectif
pour la Syrie, à votre avis pourquoi
?
B.T.
Écoutez, le problème est que Fabius est
l’erreur de la diplomatie française :
elle n’a pas cherché à fédérer les
acteurs syriens, elle a seulement
cherché à fédérer les opposants
aventuriers, arrivistes, opportunistes
qui faisaient partie de ce "Club de
Paris" et qui ont joué le jeu avant la
création même de ce Conseil national, à
l’époque, juste après la mort,
l’assassinat de Hariri. Le fils Hariri a
aidé comme j’ai dit des Syriens à Paris
financièrement et c’est de là que c’est
parti. C’est Juppé qui a pris ces
gens-là et Fabius a continué pour x
raisons, mais je ne crois pas à
l’indépendance de pensée de Fabius dans
ce domaine...
F.S. :
Est-ce que B.H. Lévy a
joué un rôle ?
B.T. Ah
sûrement, sûrement, évidemment parce que
il faut pas se faire d’illusions, vous
savez : quel est le pays qui tient tête
à Israël, jusqu’à maintenant, dans la
région, et qui a refusé de couper les
ponts avec l’Iran ? C’est la Syrie.
Clinton lui a dit : "Coupez les ponts
avec l’Iran et on vous garde au
pouvoir", c’était clair ! Le lendemain
Assad s’est affiché avec le président
iranien et le secrétaire général du
Hezbollah, c’était vraiment se moquer
des Américains et de leur puissance.
Donc
je crois que ça joue le jeu d’Israël
toute cette guerre. Alors de là à
accuser les responsables français de
pro-israéliens, je n’irai pas jusque-là,
mais quand même, il y a quelque-chose
là. On ne peut pas ne pas penser :
tiens, les socialistes ont une histoire
d’amitié avec Israël qui commence avec
le début de la création d’Israël, je
vous ai parlé de 56, c’est si vous
voulez dans la ligne directe de toute
cette politique arabe socialiste qui est
plus pro-israélienne que pro-arabe, mais
c’est clair ! Alors ça fait le jeu des
Israéliens et c’est là où je dirais si
guerre de procuration il y a et bien
vous remarquez qu’il y en a eu d’autres
de guerres de procuration : Israël n’a
pas eu besoin de s’attaquer à l’Irak,
l’Irak a été rasée, par une alliance
internationale. Là aujourd’hui, s’il y a
intervention, et bien ce sera pareil
pour la Syrie. Je ne pense pas qu’il y
aura intervention parce que c’est plus
explosif qu’au temps de l’Irak, l’Irak
n’avait aucun allié, la Syrie a des
alliés, et puis la situation
internationale géostratégique a changé.
Enfin
il y a la Chine et la Russie, et c’est
la première grande bataille après la
Guerre froide. C’est-à-dire on n’est
plus dans un monde unipolaire, les
Russes et les Chinois veulent montrer
aux Américains que le monde est
bipolaire à nouveau. Qu’il y ait les
non-alignés ou pas.
F.S. :
Est-ce que vous pouvez
parler de la réalité de la présence
russe en Syrie ?
B.T. :
Alors en Syrie, la présence russe est
très importante. Quand vous allez à
Alep, les enseignes sont en russe, les
gens parlent russe. Vous allez au souk ;
au souk on parle toutes les langues du
monde, mais il y a eu tellement
d’ouverture économique - c’est une
présence économique avant d’être
militaire - que c’est partout marqué :
"Nous parlons russe" et les enseignes
sont en russe, dans tout le souk, dans
toute la ville, peut-être moins
maintenant. Moi quand j’y suis allé j’ai
été frappé par le cyrillique qui ornait
les enseignes du souk d’Alep qui
côtoyait l’arabe, et ça c’est important,
ils venaient acheter du tissu, beaucoup
de choses. Puis n’oubliez pas que la
Russie a des racines profondes dans
l’orthodoxie chrétienne, et dans
l’Orient les souks d’Alep, avec les
souks d’Istanbul, ce sont les plus
grands souks du monde, et c’est
construit en dur. Imaginez la ville de
Fez au Maroc, les souks de Fez
multipliés par vingt fois, ça fait je ne
sais pas combien d’hectares les souks
d’Alep, en dur et ça remonte au 15ème
siècle, l’époque où Alep était plus
grande que Paris, plus peuplée.
C’est-à-dire quand Alep comptait 350 000
habitants, au 16ème siècle c’était
important, Paris devait en compter
moins, dans les 250 à 300 000 habitants.
La
Russie a toujours été l’alliée de la
Syrie depuis le début ; le parti
communiste syrien a été créé je crois
deux ans après la révolution d’octobre.
Et puis n’oubliez pas que les Syriens
sont contre la création d’Israël, sont
contre Sykes-Picot [2],
le partage du Proche-Orient entre
l’Angleterre et la France. Et qui a
révélé au monde Sykes-Picot ? Les
Russes. C’est un diplomate, après la
révolution, qui a dit : "Écoutez, voilà
il y a Sykes-Picot". Le monde arabe va
découvrir la trahison de l’Occident, la
trahison de Faycal, de la révolution
arabe de 1916, par les Russes. C’était
un diplomate qui avait les documents sur
Sykes-Picot, un diplomate qui va dire
"Écoutez bon voilà, regardez ce qu’on
fait les Français et les Anglais". Et
alors à ce moment-là la Syrie a cherché
à être américaine. Au temps de la
Société des Nations, ils ont envoyé un
Comité, la Syrie n’a pas voulu du mandat
français, elle voulait un mandat
américain, c’est dit ça dans l’histoire.
Quand
les Américains ont sacrifié la Syrie,
ils l’ont donnée à l’Europe, à la
France, les Syriens évidemment ont
trouvé que les Soviétiques, les
"Russes", étaient beaucoup plus justes,
parce qu’ils n’ont jamais divisé ce
pays, ce n’est pas eux qui ont accordé
l’indépendance du Grand Liban. Pour
beaucoup de Syriens la création du Grand
Liban reste une plaie ouverte, ils n’ont
jamais avalé cette création du
Grand-Liban. Le petit Liban, passe
encore, mais pourquoi la Bekaa, la Bekaa
a toujours été syrienne. Mais plus
encore, la France a cédé tous les
contreforts du Taurus, qui étaient
riches en sources aquatiques, pourquoi ?
Pour la Syrie ça a été trois fois donné
par les Français aux Turcs. Alors vous
vous imaginez, c’est-à-dire que pour les
Syriens la Russie ou l’Union soviétique,
n’était pas un pays ennemi, dans son
histoire contemporaine, au contraire ils
n’ont pas cherché à diviser, et ça vous
explique après l’Union avec l’Égypte,
toute cette amitié syro-russe...
Vous
savez ça me rappelle le professeur
Alexandre Minkovski, qui était un de mes
amis et que j’aimais beaucoup ; un jour
on discutait et il m’a dit : "Bassam
dis-moi pourquoi la révolution
palestinienne, les Syriens, pourquoi cet
amarrage à gauche ? Pourquoi la gauche,
pourquoi l’Union soviétique, pourquoi ?
Vous êtes francophones", j’ai dit "Et
bien écoutez quand il s’est agi d’armer
la Syrie, de demander de l’aide,
l’Occident nous a tourné le dos. Qui
pouvait nous donner des armes ? L’"autre
camp", dans cette équation bipolaire".
Hé mais c’est normal, pourquoi Arafat ?
Parce que tout l’armement de cette
révolution palestinienne était
soviétique. Qui s’est opposé à Nasser ?
Les alliés des Américains : l’Arabie
saoudite. Et le jour où ils ont eu un
bonhomme qui voulait prier à Jérusalem,
le roi Faycal, a été assassiné par son
neveu. Et l’assassinat de Faycal c’était
la CIA, le neveu c’était le bras, mais
le cerveau ce n’était pas le neveu, il y
avait la CIA derrière. Alors il y a une
présence militaire, et quand en 67 les
Syriens ont perdu la bataille, Assad a
commencé à recruter des pilotes de
guerre à partir de très jeunes, je crois
que c’était même avant le bac. Il
prenait les plus doués, et ils étaient
formés, c’est pour ça qu’après, dans les
batailles de 73, les pilotes syriens
étaient vraiment de bons pilotes, pas
comme en 67.
Il y
a donc une implication militaire très
importante, ce sont les experts
soviétiques qui ont formé l’armée
syrienne, dont le noyau est français, la
formation est française au départ.
Jusqu’à maintenant dans le jargon
militaire de l’armée syrienne il y a des
mots français : par exemple on dit "dousir"
pour le dessert, ou on dit "elcâr", pour
le quart, et la première académie
militaire qui a formé Assad père, elle a
été fondée par les Français, c’est
l’académie de Homs, qui avait donné la
chance à beaucoup de gens d’origine
modeste, de devenir des gens qui
gouverneront la Syrie plus tard. Donc la
présence russe est importante
économiquement, socialement également,
il y a beaucoup de mariages mixtes,
ainsi qu’au niveau commercial.
On
dit aussi, que les Russes auraient
trouvé de l’uranium dans les phosphates
du désert syrien, ce n’est pas mon
domaine, je n’ai pas vérifié, mais vous
savez il n’y a jamais de rumeurs comme
ça sans fondement.
Et il
y a une présence militaire, il faut dire
que la Russie a toujours rêvé, l’empire
soviétique aussi, d’un port dans les
eaux chaudes. Et ils l’ont à Tartous, la
base militaire de Tartous, d’ailleurs
certains accordent une grande importance
à ce Tartous, on vous présente ça comme
une base militaire à la James Bond,
qu’il y aurait des choses souterraines,
je ne crois pas à ça, c’est simplement
un port militaire où viennent mouiller
des bâtiments russes. Alors on vous dit
: "Vous savez, avant de s’attaquer à la
Syrie, vous savez ce qu’il y a dans la
base de Tartous ?" Je crois que ça tient
plus des romans-fiction que de la
réalité.
Voilà
en gros si vous voulez, et puis
n’oubliez pas qu’il y a une composante
orthodoxe dans la population syrienne.
Des Syriens et des Libanais orthodoxes
avant la création du Liban, avaient leur
petit séminaire à Kiev ou à Moscou, dont
l’illustre écrivain libanais Michael
Nouaima, qui est mort très vieux,
centenaire, et qui a été petit
séminariste en Russie tsariste, bien
avant la révolution. Alep enseignait le
russe au début du siècle, au lycée des
Trois Lunes, les trois lunes c’est les
trois pères de l’Église, Saint Jean
Chrysostome, Saint Basile et Saint
Grégoire. Et culturellement c’est
énorme, l’apport russe dans la culture
syrienne chrétienne et musulmane, c’est
toute l’école orientaliste russe qui a
étudié les manuscrits musulmans. Un des
plus grands centres qui contient des
vieux manuscrits du Coran et d’autres,
c’est Saint-Pétersbourg. Et pour les
chrétiens, vous savez qu’il y a une
grande école d’iconographie à Alep, qui
est connue dans le monde entier, on a
4-5 grands peintres, les Mousawer, c’est
une grande famille de peintres. Tout au
début, les Syriens faisaient l’icône, et
c’est les envoyés moines de Russie
tsariste qui peignaient les visages et
les mains, parce que ça demandait plus
de technique. Et petit à petit, avec
cette coopération monastique,
aujourd’hui si vous avez une icône de
l’école d’Alep du 17ème siècle, ça n’a
pas de prix. Il y a eu des expositions à
Paris de cette école d’Alep.
Il ne
faut pas non plus oublier qu’Alep, je
vous dit pourquoi j’ai fait référence à
François 1er dans les capitulations avec
l’empire turc, c’est qu’il avait compris
l’importance de ce Proche-Orient, de ces
minorités. Et il était un peu le mécène
et le protecteur des minorités face à
l’autorité ottomane qui a accepté son
autorité, c’est là la grandeur de la
France et son exception, quand on la
compare à la médiocrité actuelle. J’y ai
fait allusion chez Bourdin sur BFM, j’ai
dit "Enfin la grandeur de François 1er
c’est d’avoir défendu les minorités,
puisse François Hollande suivre la bonne
voie, de ses prédécesseurs !".
N’oublions pas encore une dernière
chose, c’est que ce que ne pardonne pas
la Syrie à la France, et voit donc d’un
bon œil la Russie, c’est quand la France
a décapité tous les chrétiens d’Orient,
tous les chrétiens : Jordaniens,
Palestiniens, Libanais, Irakiens en
décapitant le christianisme en donnant
Antioche, la première capitale du
christianisme , c’est notre Rome à nous,
à la Turquie. Pour la désaxer à la
veille de la Deuxième Guerre mondiale,
alors que la grande majorité des
habitants d’Antioche et d’Alexandrette
étaient chrétiens orthodoxes et
alaouites et parlaient arabe, les Turcs
étaient une minorité, d’ailleurs
Antioche/Antiochus, général d’Alexandre,
c’est le créateur de la Syrie antique.
Et en donnant Alexandrette, qui est la
ville d’Alexandre - c’est le port qui
était le port d’Alep - on a cassé
économiquement la première échelle de
l’Orient, Alep, qui avait comme voie
maritime Alexandrette.
On a
donné tout ça, on a organisé un
referendum truqué pour chasser les
chrétiens orthodoxes de cette région qui
sont venus se réfugier à Alep, parce que
le Atay, ce que les Turcs appellent le
Atay, nous on l’appelle Liwa ou le
Sandjak, c’est-à-dire toute cette
province d’Antioche et d’Alexandrette a
été cédée à la Turquie. Et jusqu’à
maintenant dans les cartes syriennes
c’est en pointillés, et c’est pour cela
que dans le collectif pour la Syrie,
dans notre esquisse de déclaration, on a
mis que nous on tenait à Antioche.
Parce
que vous ne pouvez pas parler de Syrie,
vous ne pouvez pas parler de
christianisme, sans Antioche. Tous les
patriarches aujourd’hui, quel est leur
titre ? Patriarche d’Antioche et de tout
l’Orient. Et Antioche est en tête.
N’oubliez pas également que le premier
État chrétien du monde c’est l’Arménie,
tout le monde le sait, mais quels liens
il y a eu dans l’histoire entre
l’Arménie et Antioche ? Avec la période
des croisades, c’est énorme ! Donc vous
voyez, l’Occident chrétien est le
premier ennemi de la chrétienté
d’Orient. Jamais dans l’histoire il n’y
a eu autant de conversions forcées vers
l’islam que pendant la période des
croisades.
Et là
aujourd’hui je qualifierais cette
intervention occidentale de nouvelle
croisade, la croisade qu’a promise Bush,
aujourd’hui c’est Obama qui la réalise,
lui qui est anti-belliqueux, anti-guerre
dans ses déclarations. Et qui en est
l’instrument ? C’est justement l’Europe
latine, c’est honteux. Et je rappelle,
permettez moi de développer ce parallèle
parce qu’à la télé on ne m’a pas permis
de le développer, parce qu’il y a des
partis-pris dans cette télé, il y a des
gens qui ont le droit de disserter et
d’autres pas. Alors c’est quoi ? Quand
la 1ère croisade arrive à Jérusalem, qui
sont ses premières victimes ? C’est les
juifs et les chrétiens, d’Orient, les
croisés vont massacrer tous les
chrétiens et tous les juifs.
F.S. :
Comme ils avaient mis à
sac Constantinople
B.T. :
Bien sûr, et là je crois, dans cette
nouvelle croisade, croyez moi c’est les
minorités qui vont être massacrées mais
quelles minorités ? Contrairement à ce
qu’on pense, les chrétiens, les juifs,
les Kurdes, les chiites, ne sont pas les
seuls minoritaires de ce Proche-Orient.
La forte minorité du Proche-Orient ce
sont les musulmans sunnites modérés. Et
c’est ceux-là qui sont en train de payer
les pots cassés, la facture de cette
nouvelle croisade. Avec la restauration,
l’institution des tribunaux
d’inquisition islamiques, cette terreur
de barbus, croyez moi, on va vraiment
vers un Orient fanatique, où la majorité
justement, prônerait le modèle
wahhabite, à savoir : couper la main aux
voleurs, lapider l’adultère, décapiter
le renégat, enfin je veux pas rentrer
dans une longue dissertation des
prescriptions wahhabites mais c’est ça,
on est en train d’installer ça. Alors
est-ce que c’est un jeu de la part de
l’Occident ? Aujourd’hui éliminer les
chiites ouverts en utilisant l’arme des
djihadistes pour après s’attaquer à
l’Arabie saoudite, peut-être. Mais si
c’est un mauvais calcul et que ces
gens-là après deviennent très forts et
qu’on arrive plus à les éliminer, tout
comme ce qui s’est passé en Afghanistan
?
La
guerre d’Afghanistan, je suis désolé,
les États-Unis l’ont perdue. Ils l’ont
gagnée peut-être sur les Soviétiques à
un moment donné, mais ça a donné le 11
septembre, ça a donné toutes ces vagues,
les nouveaux sanctuaires d’Al Qaida ne
sont plus en Afghanistan, ça va être en
Syrie, et aujourd’hui ils sont plutôt en
Afrique noire. Qui a rasé les tombeaux
des saints de Tombouctou à la wahhabite
? C’est bien les djihadistes du Mali !
Alors expliquez-moi comment Fabius veut
lever une armée et l’envoyer contre les
islamistes du Mali, et en même temps
aider les islamistes en Syrie ! Cela
montre vraiment qu’il n’y a aucune
cohérence ou qu’il y a tout simplement
de la traîtrise.
F.S. :
J’ai une question sur
l’alliance tactique et stratégique de
l’Occident avec l’islam sunnite dans sa
version la plus traditionaliste, le
wahhabisme : est-ce que dans cette
alliance, l’Occident espère que l’islam,
y compris dans ses versions les plus
rigoristes, va se dissoudre dans la
mondialisation, va se démocratiser, ou
est-ce que derrière tout ça il y a
l’idée d’un partage du monde entre un
islam qui représente un milliard
d’individus dans sa version sunnite et
l’Amérique où l’islam n’est pas présent
?
B.T. :
Enfin l’islam est présent dans les deux
Amériques.
F.S. :
Mais de façon très
minoritaire
B.T. :
Oui, mais vous ne savez pas comment.
Vous savez l’avenir de l’islam au niveau
démographique est très important parce
que la femme musulmane est plus féconde,
plus fertile, c’est connu. C’est comme
ça d’ailleurs qu’il y a eu des gens
d’extrême-droite qui ont fait circuler
sur le net des films comme quoi tout le
monde serait musulman sous très peu de
temps, vu l’évolution des choses, moi je
crois pas à cette thèse. Bon c’est un
danger, c’est vrai, mais c’est-à-dire il
faut voir.
Moi
je ne crois pas à la fidélité dans les
amitiés occidentalo-américaines. Tous
les amis des Américains, sont tombés,
c’est la politique du citron pressé.
Moubarak, est-ce qu’il y avait meilleur
ami des Américains que Moubarak ? Ca y
est, ils l’ont sacrifié ! Saddam était
bien l’ami des Américains et de
l’Occident puisqu’il a essayé de
contenir la révolution chiite de
Khomeiny, il est tombé ! Kadhafi, on lui
avait bien vendu des mirages, Sarkozy
allait même lui vendre notre
bombardier-chasseur invendable, le
Rafale, juste avant hein ! Non, vous
savez, ça ça donne de la force à
l’islam, on se dit : "qu’est-ce que
c’est que cet Occident mercantile ? Où
sont les valeurs de la chrétienté ?".
C’est pour cela que moi, j’ai honte pour
l’Occident chrétien, j’ai vraiment
honte, on se demande : "Mais c’est
quelle morale ? Enfin où est l’éthique
dans tout ça ?" Quelle éthique il y a à
armer des djihadistes en Syrie, au nom
de la démocratie ?
C’est
exactement comme la grande croisade qui
est partie pour libérer le Saint
Sépulcre, pour que les pèlerins puissent
aller se recueillir sur le tombeau du
Christ. Aujourd’hui on a remplacé le
Saint Sépulcre par la démocratie. Mais
tout le monde sait, que le Saint
Sépulcre, historiquement c’était un
prétexte faux, et aujourd’hui la
démocratie est aussi un faux prétexte.
Parce que, s’ils se piquent de
démocratie ces pays occidentaux, quel
est le pays le moins démocrate dans le
monde arabe ? Ce n’est sûrement pas la
Syrie.
La
Syrie a une constitution, elle a un
parlement, elle s’est modernisée comme
elle a pu, avec toutes les guerres
qu’elle a vécues, isolée du monde
entier, l’Occident ne voulait plus
d’elle, parce qu’elle n’a pas plié
l’échine vis-à-vis de l’Angleterre et de
la France, elle s’est vue obligée de
pactiser et de demander la coopération
avec l’Union soviétique. Ils étaient
obligés, ce n’est pas par amour des
Russes, ils ne pouvaient pas faire
autrement, et là aujourd’hui, au nom de
la démocratie, on veut casser ce pays
qui, lui, a été un refuge pour les
Arméniens. S’il y a des Arméniens qui
existent aujourd’hui dans le monde,
c’est grâce à la Syrie. Enfin une grande
partie de ceux qui ont été en Occident,
ceux qui ont émigré ils sont pas venus
d’Erevan, ils sont venus de Syrie. Alep,
moi mon grand-père a offert - il avait
une carrière à Alep - il a offert tout
le terrain autour de sa carrière aux
premiers immigrés arméniens. Qu’ils
soient chrétiens, musulmans ou tout ce
que vous voulez, les Syriens n’ont
jamais persécuté les Arméniens, jamais,
ça a toujours été une terre d’asile et
de refuge. Ne serait-ce que en tant que
terre d’asile je peux vous dire que la
Syrie, c’est ma fierté de Syrien qui
parle, est plus une terre d’asile que la
prétendue "France terre d’asile".
Un
exemple tout simple et tout récent, on a
eu combien d’immigrés irakiens ?
Certains disent entre 1 million et demi
et 2 millions et demi, est-ce que la
Syrie a demandé une aide ? Non, jamais !
Les Syriens sont fiers : pourquoi
demander une aide ? On n’est pas des
mendiants nous ! C’est le pays le moins
endetté, et il ne suit pas le modèle
libéral américain. Je passe, pourquoi
aujourd’hui alors un pays qui a un taux
de croissance de 10 à 11 et demi, la
Turquie, demande une aide pour les
réfugiés ? La Jordanie, bon, la Jordanie
c’est vrai, c’est un pays pauvre, ça a
toujours été la province désertique du
sud de Damas, passons, elle reçoit
l’aide de l’Arabie saoudite parce que
les Saoudiens ont chassé les hachémites
de la Mecque. Moi mon rêve serait que
les descendants du prophète reprennent
la Mecque, il y a une parenthèse dans
l’histoire où les Saoudiens depuis
1921-22 ont conquis la Mecque, vivement
que cette Mecque revienne aux
descendants du prophète !
La
Jordanie aujourd’hui dit avoir besoin de
750 millions de dollars pour les camps
de réfugiés syriens. Alors que tout le
monde sait, les gens qui se réfugient en
Jordanie c’est les mêmes clans, c’est
les mêmes tribus, parce que la frontière
a été tracée à la règle entre la Syrie
et la Jordanie. Par exemple vous avez
l’oncle qui est syrien et le frère est
jordanien. Et on demande une aide
internationale, pour ces réfugiés
syriens, non, où est la fierté bédouine
de ces Jordaniens ? Vous voyez, en
faisant éclater la Syrie, cette
population du Proche-Orient a perdu son
âme. Il n’y a plus d’éthique, il n’y a
plus de valeurs : ce n’est pas humiliant
pour le roi de Jordanie de demander une
aide pour les réfugiés syriens ?
F.S. :
C’est un phénomène
général donc, lié à la mondialisation,
cette perte des valeurs.
B.T. :
Sûrement, et c’est là une raison de plus
je vous dis, pour admirer ce peuple qui
malgré tout les sanctions, cet État,
même s’il y a de la kleptocratie, ça je
suis le premier à le dénoncer, mais qui
n’était pas endetté, c’est incroyable !
Et on oublie tout ça, pour défendre le
petit Liban chrétien, mais le Liban
n’est pas chrétien, qu’est-ce que c’est
que ces trucs-là que la France est la
mère de chrétiens d’Orient, mais quelle
mère ? C’est du n’importe quoi !
Ils
sont en train de bousiller le berceau du
christianisme qui est la Syrie et
franchement l’Occident chrétien, avec
cette alliance sacrée avec l’islam
intégriste, eh bien on mettra longtemps
à oublier ça, et je crois que viendra un
jour où il faudra traduire les
responsables français en justice. C’est
des crimes de guerre et des crimes
contre l’humanité.
Alors
écoutez, dites-moi pourquoi parmi tous
ces correspondants du
Monde, de Libération,
de je ne sais qui, personne n’a soulevé
le problème des quatre villages chiites
entre Alep et la Turquie qui ont été
assiégés par des djihadistes - l’ASL si
vous voulez, c’est bonnet blanc, blanc
bonnet - ils étaient obligés de manger
du bois, pour survivre, il y a eu des
viols, des massacres, alors dites-moi
dans toutes ces visites guidées de
correspondants, de différentes instances
médiatiques occidentales, comment ça se
fait que personne n’a fait un détour de
cette visite guidée pour voir ces
villages chiites, je vous les cite :
Fouaa, Fatimah Azahra, Noubbol et la
région des Magawlas (les Mongols). Ces
gens-là ont été massacrés par ces
djihadistes, ce ne sont pas des
alaouites, ce sont des chiites,
c’est-à-dire duodécimains, personne n’en
parle ! J’aurais voulu moi que Aubenas
ou je ne sais qui a été là-bas aille
voir et dise : "Effectivement il y a des
minorités musulmanes qui ont été
persécutées". On n’en souffle mot. Ça on
ne m’a pas permis de le dire à la télé :
"On a compris, passez à autre chose" !
F.S. :
Vous avez précisé dans
une de vos interviews les raisons pour
lesquelles le Qatar finançait les Frères
musulmans partout dans le monde, et vous
avez rappelé que le Qatar achetait des
immeubles, des entreprises ici en France
et des entreprises de presse, est-ce que
vous pouvez citer précisément lesquelles
?
B.T. :
Apparemment le Qatar était actionnaire
du Monde [3],
il ne l’est plus. Mais il est
actionnaire d’autres. Mais ça ne
m’étonne pas que même les Français, je
crois à leur bonne volonté, mais ils
peuvent être manipulés, on est tous plus
ou moins manipulés, mais au moins qu’on
soit conscients que l’on peut être
manipulés, c’est ça qui est important.
Les journalistes vous savez font de
l’auto surveillance de l’autocensure,
atroce, et moins on est gradés plus on
fait de l’autocensure dans la presse
française. C’est-à-dire les vraiment
grands patrons, je vais vous donner un
exemple : moi j’aime beaucoup Michel
Field, pourquoi ? Depuis le début de la
crise syrienne et du printemps arabe,
comme je l’ai senti, je suis sur une
liste noire, j’ai des preuves. Je vous
en parlerai après. Comme on ne
m’invitait pas, parce que je tenais un
discours qui représentait, qui incarnait
une note dissonante dans cette
orchestration des médias, qui disait
toujours n’est-ce pas que Assad est un
tortionnaire, est un dictateur qui tue
son peuple, il faut se dépêcher vite de
le balayer à la libyenne, voilà. Moi
j’ai toujours dit "non, vous comprenez
mal la situation". Le seul journaliste
qui me permettait de soutenir toujours,
de jouer cette note dissonante, c’est
Michel Field à LCI. Je crois que c’est
un grand journaliste qui est
indépendant, qui ne subit pas, ce n’est
pas le chef de la chaîne qui va
l’appeler, lui dire : "Vous bazarder ce
Tahhan". C’est un indépendant.
Par
contre, je vous donne un autre exemple,
je vous ai parlé de
I-télé, je peux vous parler de
France 24. Je suis l’un des fondateurs
de France24 en
arabe. J’intervenais presque une fois
toutes les deux semaines sur trois ans,
gratuitement. Quand j’ai appris ce que
gagnait Christine Ockrent, un paquet !
Et que moi parfois je devais aller à
onze heures et demi du soir, parfois je
faisais sauter des cours pour défendre
un point de vue qui était important, je
demandais l’autorisation de mes
supérieurs... Et un beau jour,
j’interviens sur France
24 en français, sur le problème
syrien, et encore une fois je dis que là
ce n’est pas une vraie révolution.
J’étais intervenu en français et en
arabe pour la révolution en Tunisie, en
Libye, en Égypte, au Yémen ; je suis
prof de Prépa depuis trente ans ; j’ai
appelé mes élèves à descendre dans la
rue, à manifester, à prendre le pouvoir.
J’ai interpellé, que Dieu ait son âme,
le pape copte, en arabe, en lui disant :
"Je vous parle Votre Sainteté, c’est le
moment de prendre position"
Enfin bref, dans une émission avec
Vanessa Burgraf j’ai dit mon point de
vue sur la Syrie. Depuis ce jour-là,
l’émission c’était le 17 avril 2011, on
est en septembre 2012, je n’ai jamais
été réinvité, ni en arabe ni en
français.
On
m’a invité trois fois : un quart d’heure
ou une demi-heure avant l’invitation,
ils se sont excusés, parce que le
sous-fifre qui n’était pas au courant
qu’il ne fallait pas m’inviter- il avait
vu que c’est l’homme de la situation ce
Tahhan qu’il fallait l’inviter sur ce
sujet - a reçu l’ordre : "non, vous
dites qu’on a changé d’émission, que..."
Alors, un collègue dont je peux citer le
nom, qui est le rédacteur en chef d’Afrique-Asie,
était un jour à France
24, il était un peu à
l’arrière-plan, Majed Nehmé, il
m’appelle et il me dit : "Ecoute Bassam,
tu es sur une liste noire". Je lui dis :
"Comment ça ?", il m’explique : "J’étais
à l’arrière-plan devant le rédacteur en
chef Ahmad Kamel - qui est viré
maintenant de France 24
- il disait à ses collaborateurs qu’il a
barré ton nom sur l’ordinateur, et en
parlant en arabe il a dit : “Vous
n’invitez plus M. Tahhan, hors de
question.” Il a ajouté : "Il savait pas
que j’étais derrière, j’entrais moi pour
intervenir en français, il a pas su que
j’ai entendu, mais moi je te le dis
entre amis : tu es sur une liste noire,
ils ne t’inviteront plus". Majed a
lui-même été sur la même liste noire
quelques temps après, il n’intervient
plus. J’étais étonné, j’appelle les
journalistes et je leur dis : "Mais
qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi je ne
suis pas invité ?" Ils me répondent :
"Mais nous on n’est au courant de rien."
Ouassine Nasr, un nouveau, une nouvelle
recrue de France 24,
il m’a invité une fois, je lui ai dit
"fais gaffe, parce que peut-être tu vas
te faire taper sur les doigts si tu
m’invites", il me répond : "Ah bon ?
excusez-moi, moi je viens d’être
embauché, je veux pas d’histoires,
attendez je vais me renseigner". Il se
renseigne et il me dit : "Effectivement,
ne venez pas, je vous en prie, et puis
ne me parlez pas, ne citez pas mon nom.
Moi je viens d’être recruté je ne veux
pas avoir d’histoire, apparemment il ne
faut pas vous inviter, c’est ce que j’ai
compris". Ouassime Nasra, il est
toujours à France 24.
Alors bon moi, ça m’a permis de faire un
tour chez Michel Field, de venir de
temps en temps à BFM. Entre-temps il y a
eu un changement de la direction de
l’information, la nouvelle directrice de
l’information je la connais, j’ai son
numéro. Je l’appelle pendant les
vacances, au mois de juillet :
"Qu’est-ce que c’est que cette liste
noire, maintenant que tu es la
directrice de l’information ?", elle me
répond : "Non, non, ne t’inquiète pas je
vais enquêter". Je n’ai jamais eu de
réponse. Là il y a quelques jours, je
lui ai envoyé un SMS, Nahida Nakad : "Tu
en es où dans ton enquête sur cette
liste noire ? Toujours est-il que depuis
plus d’un an et demi, je n’ai jamais été
invité par vous ni en français ni en
arabe"
F.S. :
Elle a travaillé dans
les Balkans Nahida Nakad
B.T. :
Peut-être, oui, quand il y a eu le
problème entre Pouzilhac et Christine
Ockrent, elle qui a été recrutée par
Christine Ockrent elle a pris le parti
de Pouzilhac pour rester et elle a eu
une promotion. On a viré Philippe di
Nacera qui était le directeur de
l’information, pour la mettre elle. Et
comme moi dans le temps pour aider un
journaliste qui est la star de
France 24 arabe,
j’étais intervenu en sa faveur comme il
me l’avait demandé auprès du directeur
de l’information de l’époque, qui
n’était pas Philippe di Nacera, "parce
que c’est pas normal, ce que fait Nahida
Nakad vis-à-vis de moi en arabe, je suis
le premier speaker", après elle m’a
appelé, elle m’a dit : "Je n’ai pas
apprécié Bassam que sans me dire tu
ailles intervenir auprès du directeur de
l’information". Serait-elle rancunière
ou obéirait-elle à des consignes venues
d’en haut ? Alors je lui ai dit : "Qu’à
cela ne tienne, donne moi ton numéro, si
j’avais eu ton numéro je t’aurais
appelée tout de suite en disant que là
ça va pas ce que vous faites en arabe".
Bon
je suis quand même auteur d’un rapport
sur les médias au Maroc, j’ai
restructuré tous les médias marocains en
2003, justement suite à mes
interventions sur LCI. Nabil Ben
Abdallah, le ministre de l’information
de l’époque, à l’été 2003, m’a invité
officiellement pour lui faire un rapport
sur les médias. Alors je lui ai fait
l’étude de l’école de presse de Rabat,
sur la manière dont il fallait changer
les programmes, j’ai été voir toutes les
télés, les radios, j’ai fait un boulot
énorme, j’ai été l’auteur d’un rapport
pour contrer le terrorisme au Maroc en
revoyant la politique des médias.
Bref,
jusqu’à maintenant je n’ai aucune
réponse de Nakad, aucune, je vais vous
montrer mon courrier avec elle, que je
vous raconte pas d’histoire, elle n’a
toujours pas répondu, et on est
plusieurs à être exclus et à figurer sur
une liste noire : "Bonne année, c’est la
troisième fois qu’on m’a invité à
intervenir pour s’excuser une heure
avant, lamentable de médiocrité,
meilleurs vœux, Bassam Tahhan",
"Bonjour, Elu porte-parole du Collectif
pour la Syrie, j’aimerais être
interviewé par tes soins, félicitations
pour ton nouveau poste, B.T.", "Chère
Nahida", alors elle m’envoie son mail le
11 juillet comme quoi elle est en
vacances, que sa secrétaire va traiter
ma demande ! Bref, "Chère Nahida, où en
es-tu de l’affaire de la liste noire
d’Ahmed Kamel et la présentation du
collectif pour la Syrie ? Bien à toi
B.T.", "Chère amie, où en es-tu de ton
enquête sur la liste noire d’Ahmed Kamel
et des conséquences, toujours est-il que
je n’ai pas eu l’honneur d’être invité
par France 24 depuis
plus d’un an et demi. Bien à toi".
[1]
http://collectifpourlasyrie.monsite-orange.fr
[2]
Les accords Sykes-Picot sont des accords
secrets signés le 16 mai 1916 entre la
France et la Grande-Bretagne (avec
l’aval des Russes et des Italiens)
prévoyant le partage du Moyen-Orient à
la fin de la guerre.
[3]
Voir :
http://lepetitblanquiste.hautefort.com
: "Qatar : main basse
sur les médias français ?" du
23/01/12 selon lequel le Qatar vient de
porter à plus de 10% sa participation au
capital du groupe média Lagardère.
Le
dossier Syrie
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