Site d'information sur la Palestine, le Moyen-Orient et l'Amérique latine

 

Palestine - Solidarité

 

Retour :  Accueil  Sommaire Fériel Berraies Guigny  -  Originaux  Analyses  Ressources  -  Mises à jour


Par Fériel Berraies Guigny. Paris

Les Etats Parias des Etats Unis : doctrine ou dérive politique à l’international ? 

A l'occasion de son Discours sur l'Etat de l'Union en début d'année 2002, le Président George W. Bush avait mentionné devant les parlementaires l'existence d'un "axe du mal" passant par l'Iran, l'Iraq et la Corée du Nord. Antérieurement, l’administration Reagan avait aussi  créé et employé le terme "d'Empire du mal" pour désigner l'Union Soviétique avant sa dissolution.

Un jeu diplomatique international qui a longtemps permis aux  Etats-Unis de » stigmatiser l’adversaire et au demeurant, de justifier les interventions militaires unilatérales dans bien des régions du Monde. Cette appellation était initialement réservée à sept pays - Irak, Corée du Nord, Cuba, Iran, Syrie, Libye et Soudan -, l’expression « Etat voyou » (rogue State) désignait des « Etats rebelles et hors-la-loi qui ont non seulement choisi de rester hors de la communauté démocratique, mais mettraient en danger ses valeurs mêmes ». En clair, des nations qui, selon Washington, soutiennent le terrorisme international, poursuivent des programmes d’armement non conventionnels - fabrications d’armes biologiques, chimiques ou nucléaires-, encouragent le commerce de la drogue ou oppriment leurs propres populations. Ces entités rebelles affichent aussi la particularité d’être anti-occidentales et donc susceptibles de menacer les « intérêts vitaux » américains. Nimbée d’une légalité floue et exacerbée par les attentats du 11 septembre, la théorie de l’Etat voyou, devenue celle de l’ « axe du mal », puis des « postes avancés de la tyrannie », a donné naissance à la doctrine contestée de « guerre préventive » qui a permis les guerres offensives actuelles, dont certaines sont con sidérées par le droit international comme de véritables crimes contre l’humanité.

Dirigeant une équipe de chercheurs français et canadiens, Barthélémy Courmont de l’IRIS s’est penché sur la question et au travers de son ouvrage «  Washington et les Etats voyous », aux (éditions Dalloz, collection enjeux stratégiques, 2007) nous dresse un aperçu  de la relation entre Washington et les États voyous. L'intérêt de l'étude permettant également une vision de l’avenir pour savoir, au-delà des régimes considérés aujourd'hui comme nuisibles, les États qui pourraient bientôt rejoindre cette liste, et ceux qui ont su, pour des raisons diverses, en sortir.

Fériel Berraies Guigny a contacté Barthélémy Courmont, directeur de l’ouvrage, chercheur à l’IRIS et responsable du Bureau IRIS à Taiwan, pour discuter de ce qui pourrait se profiler dans l’avenir pour ces Etats rebelles. 

Entretien :


Barthelemy Courmont

Sur quels bases légales se fondent les américains pour définir l’Etat voyou ? Cette définition n’est elle pas  floue et dangereuse puisqu’on passe  progressivement d’Etats isolés, à Etats terroristes et hors la loi, dés le début des années 80 ?

Il n’y a pas de base légale à ce concept. Il s’agit simplement d’une question de perception, comme c’est d’ailleurs souvent le cas dans les relations entre les Etats. L’ONU réfute l’appellation d’Etats voyous, et la plupart des partenaires de Washington n’y adhèrent pas. Cependant, quand la première puissance mondiale impose un traitement de ce type à certains Etats, il est difficile de ne pas s’y soumettre d’une manière ou d’une autre, à moins de connaître le courroux de Washington (Paris en a fait les frais en 2003). Par ailleurs, les Etats figurant sur la liste sont sélectionnés en fonction de critères tels que l’absence de démocratie, la prolifération d’armes de destruction massive, ou le soutien à des organisations terroristes transnationales. Dans ce contexte, tous les Etats considérés par Washington comme voyous sont dans la ligne de mire de ce que l’on appelle communément la communauté internationale, et pas uniquement les Etats-Unis. Les divergences concernent donc plus le traitement des Etats voyous que le fait de savoir si ces régimes sont condamnables ou non. 

Le concept d’Etats Voyous est il le corollaire de toute « initiative » préventive?

Pas nécessairement. Ce concept peut se décliner, dans les réponses apportées par Washington, sous des formes multiples. L’usage de la force, cas le plus extrême et expérimenté en Irak, en est une. Mais l’aide au développement, afin de promouvoir la démocratie par l’accès à la mondialisation en est une autre. Après tout, les Etats voyous de la Guerre froide étaient les démocraties populaires d’Europe centrale et orientale, et Washington n’a pas eu besoin de faire usage de la force pour imposer la démocratie dans les dictatures communistes. Plus récemment, et même si ce projet fut éclipsé par la focalisation sur l’axe du mal et la guerre en Irak, les Etats-Unis proposèrent à l’occasion du sommet sur le développement durable de Monterrey, au Mexique, en mars 2002, de renforcer leur aide publique, selon un principe donnant-donnant imposant aux Etats bénéficiaires de se joindre à la guerre contre le terrorisme international. Il s’agit bien entendu d’une vision manichéenne, mais il convient de reconnaître que les effets sont plus positifs que l’usage de la force de façon préventive. En revanche, il est vrai que sans l’identification des Etats voyous, le principe de guerre préventive n’existerait pas. Selon ce concept, les Etats-Unis identifient les Etats qui posent problème, et par extension ceux qui pourraient poser un problème de plus en plus grand. Dès lors, la porte à l’usage de la force afin de prévenir la menace est grande ouverte, à condition bien entendu que l’opinion publique et le Congrès (qui en est l’écho) y adhèrent. 

Cette stratégie de guerre préventive n’a-t-elle pas atteint ses limites ?

La guerre préventive a bien entendu été très fortement mise à mal avec le fiasco irakien. D’ailleurs, la stratégie américaine a amorcé un virage important depuis, en particulier après la réélection de George W. Bush en novembre 2006, la nomination de Condoleezza Rice au Département d’Etat, la stratégie transformationnelle qu’elle a initié dès 2005, et plus récemment la victoire des démocrates aux élections mi-mandat. Il reste certains faucons pour plaider en faveur de l’usage de la force de manière préventive, notamment contre l’Iran, mais la ligne directrice à Washington est désormais celle de la prudence. Le remplacement du Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld par le nettement plus pragmatique Robert Gates confirme que la guerre préventive est pour l’instant mise de côté, même s’il serait exagéré de croire qu’elle est définitivement enterrée. 

N’est il pas paradoxal, que les Etats-Unis prêchent contre des Etats fauteurs de troubles, alors qu’ au sein de sa politique intérieure mais également extérieure, elle est coupable d’omissions et d’actes également répréhensibles d’un point de vue démocratique et de la légalité internationale ?

Cette question fut souvent évoquée, notamment en ce qui concerne les libertés individuelles, le traitement de prisonniers, et l’usage de la torture. Il convient cependant de rester prudent. Les dérapages inadmissibles relevés au sein des forces armées américaines, notamment à Abu Grahib, ont été sanctionnés très sévèrement. Les Etats-Unis ont certes commis de graves, et même fatales erreurs, au cours des dernières années, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une démocratie, ce qui n’est ni le cas de l’Iran, ni de la Corée du Nord, ni de Cuba, ni de l’Irak de Saddam Hussein, ni même de la Chine. Attention donc à ne pas opposer à une vision manichéenne une autre forme de manichéisme que les régimes autoritaires récupèrent, et dont ils se nourrissent. Cela dit, il est indiscutable que face à la barbarie, la dictature, le terrorisme radical, et toute autre forme d’excès dont les Etats voyous se rendraient coupables, les grandes puissances doivent se montrer irréprochables. Il en va de leur crédibilité et même de leur survie. La réponse au radicalisme n’est pas dans un effet miroir, par la pratique d’un autre radicalisme tout aussi excessif. Il faut savoir faire preuve de fermeté, et sur ce point les démocraties occidentales, qu’il s’agisse des Etats-Unis ou d’autres, ne peuvent se montrer trop laxistes, mais la fermeté doit se faire en respect des libertés individuelles et des droits les plus fondamentaux. L’une des leçons de la guerre contre le terrorisme et de ses déclinaisons en Afghanistan et en Irak est que le radicalisme nourrit les extrémismes, et que plus les grandes puissances seront montrées du doigt, à tort ou à raison, pour des agissements douteux, plus les mouvements radicaux seront nombreux. La clef du succès dans la guerre contre le terrorisme transnational et les éventuels soutiens dont il pourrait bénéficier se trouve dans la légitimité des réponses. 

L’unipolarité est-elle source de sécurité collective ? La stabilité régionale et internationale peut elle s’obtenir par la répression ?

L’unipolarité n’est pas source de sécurité en soi, mais elle conduit immanquablement à l’hégémonie, et cette dernière peut être perçue comme un impérialisme. C’est ce qui s’est passé avec les Etats-Unis au cours des dernières années. Sous l’administration Clinton, Madeleine Albright, Secrétaire d’Etat, parlait de « nation indispensable » pour définir les Etats-Unis, jetant les bases d’une hégémonie bienveillante, et du rôle positif de la première puissance mondiale. Sous l’influence des mouvements néoconservateurs et des conservateurs les plus radicaux, l’administration Bush a transformé cette hégémonie bienveillante en unipolarité souvent perçue comme un néo-impérialisme. La leçon de cette crise est que la multipolarité, même plus difficile à maîtriser, reste plus souhaitable, car elle répond d’avantage à l’intérêt collectif. 

Le 11 septembre n’a t-il pas radicalisé cette vision ? Le concept d’Etat voyou n’est il pas en fait un mythe uniquement crée pour rassembler les voix aux Etats-Unis et justifier la politique étrangère ?

Le 11 septembre a plus exactement été un prétexte, voire un alibi. Prenons le cas de l’Irak. Avant même l’élection de Bush en 2000, les milieux conservateurs américains souhaitaient en découdre avec le régime de Saddam Hussein. Richard Perle avait même expliqué à l’automne 2000 que le seul moyen, selon lui, de faire avancer le processus de paix au Moyen-Orient était de « se débarrasser de Saddam Hussein ». Sans le 11 septembre et l’impact considérable, et souvent sous-estimé, qu’il eût aux Etats-Unis (à la fois dans l’opinion publique et dans la classe politique, les démocrates faisant référence à un principe d’union sacré pour soutenir les initiatives sécuritaires de l’administration Bush), il n’est pas certain que cette guerre eût été possible. 

Le clivage ami ennemi n’est il pas une stratégie inspirée de la thèse de Huntington ? Comment parler d’Etat hors la loi, dés lors que la légalité internationale n’est pas appliquée de la même manière pour tous et que la sanction reste sélective ? Que penser de la situation palestinienne par exemple ?

La vision manichéenne des Etats voyous et, plus encore, de l’axe du mal (qui est en fait cette fameuse radicalisation sus-évoquée), est au cœur des limites de ce concept. A partir du moment où le même traitement n’est pas appliqué pour tous, et dans la mesure où certains Etats, certaines régions, certains peuples, se sentent laissés pour compte et traités de façon injuste, il est difficile d’obtenir des résultats satisfaisants. Là encore, tout est question de perception. Si l’Etat est véritablement animé de mauvaises intentions, dangereux pour ses voisins, proliférant et soutenant le terroriste international, alors le concept d’Etat voyou trouve toute sa pertinence, et il se trouvera peu de candidats pour le soutenir, à moins de se ranger à son radicalisme. Mais de tels cas sont rares, voire quasi impossibles. Sans défendre les stratégies jusqu’au-boutistes de certains régimes autoritaires, il convient de s’interroger sur les raisons qui les poussent à radicaliser leur position. Avant de combattre ses ennemis, il convient de les connaître, et de les comprendre. Le concept d’Etat voyou et son évolution au cours des dernières années n’a pas pris en compte cet aspect. 

Qui sont les prochains sur la liste des Etats Voyous ? quelle opération préventive pourriez vous voir dans le futur ?

La liste est susceptible d’évoluer de façon permanente. On entre et on sort, en fonction des évolutions politiques, et des perceptions. La Libye a réussi le tour de force de sortir de la liste sans changement de régime ! D’autres au contraire sont parvenus, avec les mêmes têtes au pouvoir, à passer du statut d’allié à celui d’ennemi à abattre. Saddam Hussein en fut l’exemple le plus caricatural. Mais on peut aussi penser au Pakistan, allié encombrant de Washington, indispensable dans la guerre contre le terrorisme, mais qui pose problème malgré tout, et dont les relations trop étroites avec la Chine sont qualifiées de douteuses. Certains Etats ne présentent pas particulièrement de danger pour Washington, mais leur attitude est fortement critiquée, et il n’est pas impossible qu’ils figurent un jour sur la liste. Le Myanmar, « poste avancé de la tyrannie » selon les propos de Condoleezza Rice, fait partie de ceux-là. D’autres Etats sont au contraire considérés officiellement comme des partenaires, mais la perception de leur montée en puissance en fait presque des Etats voyous. On pense bien sûr à la Chine, traitée dans l’ouvrage, mais également à la Russie, abordée dans l’introduction. Moscou se plaint du traitement qui lui est fait, notamment par le biais du bouclier antimissile que Washington propose de déployer en Pologne et République tchèque, et estime que nous sommes revenus à l’époque de la Guerre froide. En d’autres termes, Moscou pourrait faire son grand retour sur la liste des Etats voyous ! 

Qui doit donc jouer le rôle du gendarme ? Que penser de l’engagement sélectif des membres de certains programmes onusiens ? Les opérations de maintien de la paix sont-elles le seul espoir ?

L’ONU a pour rôle d’identifier les zones grises, les dangers sécuritaires et humanitaires, et d’y apporter une réponse. Mais cette organisation dépend de son organe politique, le Conseil de Sécurité, et celui-ci est intimement lié aux positionnements des Etats qui le composent. Le Conseil de Sécurité est un garde-fou, mais il se montre inefficace dès lors que ses membres ne se mettent pas d’accord sur la perception de la menace. Là encore, l’exemple irakien, avec l’impossibilité de parvenir à un vote d’une résolution, en est la plus nette illustration. Le constat est là, implacable. L’ONU ne parvient pas, dans le cas du traitement des Etats voyous, à imposer une voix qui serait acceptable à tous. Mais la solution ne doit pas consister, comme ce fut pour l’Irak, à contourner l’ONU, mais à la réformer afin de lui donner les moyens d’être plus efficace. Il s’agit d’un des grands chantiers du multilatéralisme des prochaines années.

Crédits : Article de presse, Courtesy of Fériel Berraies Guigny

F.b.g Communication. France

www.fbg-communication.com

Avec l’aimable collaboration de l’Iris, France et le directeur des relations extérieures et presse, Alexandre Tuaillon.

« Washington et les Etats Voyous »  aux éditions Dalloz ( 2007), collection Enjeux Stratégiques. Sous la direction de Barthélémy Courmont : Catherine Croisier, Charles-Philippe David, Pierre-Olivier Drai, Olga Gille-Belova, Olivier Guillard, Alexandre Hummel, Jean-Jacques Kourliandsky, Etienne Lévesque, Graciela Lopez Marclay, Sylvie Matelly, Barah Mikaïl, Jean-Philippe Racicot, Julien Tourreille 
 

Publié avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny



Source : Fériel Berraies Guigny


Avertissement
Palestine - Solidarité a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Moyen-Orient et de l'Amérique latine.
L' auteur du site travaille à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui lui seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas Palestine - Solidarité ne saurait être tenue responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont elle n'a pas la gestion, Palestine - Solidarité n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.
 
Pour contacter le webmaster, cliquez < ici >

Retour  -  Accueil Ressources  -  Analyses  -  Communiques  -  Originaux