Interview
Al-Assad :
Celui qui
veut aider la Syrie doit demander à la
Turquie, à l’Arabie saoudite, et au
Qatar de cesser de financer les
terroristes et à l’Occident de cesser de
les couvrir médiatiquement et
politiquement !
The Sunday
Times
Photo:
Sana
Lundi 4 mars 2013
Sunday Times : Monsieur le Président,
votre récente offre de « dialogue
politique » a été fermement rejetée par
ces mêmes groupes que vous devez
pacifier pour mettre fin à la
violence : les rebelles armés et la
Coalition nationale syrienne, principale
alliance de l’opposition. Vous offrez
donc un rameau d'olivier à la seule
opposition loyaliste, en majorité
interne, qui renonce à la lutte armée et
reconnaît effectivement la légitimité de
votre leadership. Avec qui êtes-vous
vraiment prêt à dialoguer ?
Le président Assad
: Pour plus de précision, permettez-moi
de commencer par
corriger certaines
idées fausses
qui circulent
et qui sont
sous-entendues dans
votre question.
Sunday Times : Bien.
Le président Assad : Premièrement,
lorsque j'ai annoncé « le plan » [1],
j'ai dit que je m’adressais à ceux que
le dialogue intéresse, parce que vous ne
pouvez proposer un plan reposant sur le
dialogue à qui ne croit pas au dialogue.
J'ai donc été très clair sur cette
question.
Deuxièmement, ce « dialogue ouvert » ne
doit pas avoir lieu entre certains
groupes exclusifs, mais entre tous les
Syriens et à tous les niveaux. C’est un
dialogue qui porte sur l'avenir de la
Syrie. Nous sommes 23 millions de
Syriens et nous avons tous le droit de
participer à la construction de l'avenir
du pays. Certains peuvent le regarder
comme un dialogue entre le gouvernement
et certains groupes de l'opposition
« externe ou interne ». C’est, en fait,
une façon très superficielle de le voir.
Il est beaucoup plus global et concerne
chaque Syrien et tous les aspects de la
vie syrienne. L’avenir de la Syrie ne
peut être
déterminé par ses seuls
dirigeants, mais par les ambitions et
les aspirations de tout son peuple.
L'autre aspect de ce dialogue est qu'il
ouvre la porte aux groupes armés pour
qu’ils déposent leurs armes. D’ailleurs,
nous avons accordé plus d’une amnistie
pour faciliter cela. C'est la seule
façon d’installer le dialogue avec ces
groupes. Cela avait commencé, avant même
l’annonce du plan, certains ayant déjà
rendu les armes et repris le cours de
leur vie normale. Mais, ce « plan » rend
le processus plus méthodique,
publiquement annoncé et clair.
Concernant l’opposition, une autre
erreur de l’Occident consiste à mettre
toutes les entités, mêmes hétérogènes,
dans le même panier ; comme si tout ce
qui s’oppose au gouvernement est dans
cette opposition. Nous nous devons
d’être clairs sur ce point. Nous avons
une opposition correspondant à des
entités politiques et nous avons des
terroristes armés. Nous pouvons engager
le dialogue avec l'opposition, mais nous
ne pouvons pas engager le dialogue avec
les terroristes ; nous luttons contre le
terrorisme
!
Une phrase revient souvent [en
Occident] : « l'opposition de
l'intérieur de la Syrie » ou «
l'opposition interne loyale envers le
gouvernement »… Les groupes d'opposition
devraient être patriotes et loyaux
envers la Syrie ! L'opposition interne
et externe ne relèvent pas d’une
localisation géographique, mais de leurs
racines, de leurs ressources, et de
leurs représentants. Sont-elles
enracinées dans la terre syrienne ?
Représentent-elles le peuple syrien et
les intérêts syriens ou les intérêts
d’un gouvernement étranger ? C'est notre
façon de regarder le dialogue, c'est
ainsi que nous l’avons commencé, et
c’est ainsi que nous allons le
poursuivre.
Sunday Times : La plupart l'ont rejeté,
du moins si nous parlons des opposants
de l’extérieur qui sont devenus
« l’organisation saluée en tant
qu’Opposition » avec, fondamentalement,
le monde entier derrière eux. La plupart
l’ont en effet rejeté et certains de ces
opposants ont décrit votre offre comme
une «perte de temps» ; d’autres ont
déclaré qu'il s’agissait d’une
« rhétorique creuse » fondée sur un
manque de confiance ; William Hague,
ministre britannique des Affaires
étrangères, considérant qu’elle allait
« au-delà de l'hypocrisie », les
Américains disant que vous étiez dans un
" déni de la réalité " !
Le président Assad : Je ne ferai aucun
commentaire sur ce que ces soi-disant
organisations, extérieures à la Syrie,
ont dit. Ces organisations ne sont pas
indépendantes. En tant que Syriens, nous
sommes indépendants et nous devons
répondre à des organisations
indépendantes, ce qui n'est pas leur
cas. Alors, intéressons-nous aux autres
allégations.
À propos du « déni de la réalité » : la
Syrie se bat contre les adversaires et
les ennemis depuis deux ans ; vous ne
pouvez pas le faire si vous n'avez pas
le soutien du peuple. Le peuple ne vous
soutiendra pas si vous êtes détaché de
la réalité. Au Royaume-Uni, une étude
récente montre qu’une proportion non
négligeable de britanniques demandent à
leur gouvernement de « rester en dehors
de la Syrie » et pensent pas qu’il ne
devrait pas fournir du matériel
militaire aux rebelles en Syrie. En
dépit de cela, le gouvernement
britannique continue de pousser l'Union
européenne à lever son embargo sur les
armes en direction des rebelles en
Syrie, et à entreprendre de leur livrer
des « armes lourdes ». Etre ainsi
détaché de votre propre opinion
publique, c'est ce que j'appelle un
« déni de la réalité » !
Ils vont plus loin encore lorsqu’ils
déclarent qu'ils veulent envoyer une
« aide militaire » qu’ils présentent
comme « non létales » ; alors que les
renseignements, l’assistance financière
et en moyens de communication fournis,
sont quand même létaux ! Les événements
du 11 Septembre n'ont pas été commis par
des « aides létales ». C’est
l’utilisation et l’entrainement à une
technologie non-létale qui ont causé les
atrocités. Le gouvernement britannique
veut envoyer une aide militaire aux
« groupes modérés », en sachant très
bien que ces groupes modérés n'existent
pas en Syrie. Maintenant, nous savons
tous que nous combattons Al-Qaïda ou
Jabhat al-Nusra - qui est une émanation
d'Al-Qaïda - et d'autres groupes
d’individus endoctrinés par des
idéologies extrémistes. C'est cela qui
est « au-delà de l'hypocrisie » !
Ce qui est « au-delà de l’hypocrisie »
est que vous parliez de « liberté
d'expression » quand vous bannissez la
diffusion des chaines de télévision
syriennes par les satellites européens ;
quand vous pleurez pour quelqu'un qui a
été tué par des terroristes en Syrie,
tout en empêchant le Conseil de sécurité
de prononcer une déclaration dénonçant
un attentat suicide, tel celui qui a eu
lieu la semaine dernière à Damas, alors
que vous y étiez, et où trois
cents Syriens dont des femmes et des
enfants ont été tués ou blessés… tous
des civils ! C’est au-delà de
l'hypocrisie quand vous prêchez les
droits de l'homme et que vous allez, en
Irak, en Afghanistan et en Libye, tuer
des centaines de milliers de personnes
dans des guerres illégales. C’est
au-delà de l'hypocrisie quand vous
parlez de démocratie et que vos alliés
les plus proches sont les pires régimes
autocratiques du monde et appartiennent
aux siècles médiévaux. C'est cela
l'hypocrisie !
Sunday Times : Mais vous vous référez
toujours aux personnes qui se battent
ici [en Syrie] comme à des terroristes,
acceptez-vous, même si certains sont de
Jabhat al-Nusra ou affiliés à Al-Qaïda,
qu’il en existe d'autres qui sont de
l’ASL [Armée Syrienne Libre] ou sous
l'égide de l’ASL ? Acceptez-vous que
certains soient des déserteurs et que
certains autres soient simplement des
gens ordinaires qui ont initié une
frange de la rébellion ? Ceux-là ne sont
pas des terroristes ; ce sont des gens
qui se battent pour ce qu'ils croient
être bon pour le moment.
Le président Assad : Quand nous disons
que nous combattons Al-Qaïda, nous
voulons dire que le groupe terroriste
principal et le plus dangereux est
Al-Qaïda. J’ai dit lors de plusieurs
interviews et discours que ce n'est pas
le seul groupe présent en Syrie. Le
spectre va des petits criminels, aux
trafiquants de drogue, aux groupes qui
kidnappent et tuent juste pour de
l'argent, jusqu’aux mercenaires et
rebelles armés. Il est clair que ceux-là
n'ont ni programme politique ni aucune
motivation idéologique.
La soi-disant « Armée Syrienne libre »
n'est pas l’entité que l'Occident
voudrait faire croire à vos lecteurs. Il
y a des centaines de petits groupes tels
que définis par les organismes
internationaux qui travaillent avec
Annan et Al-Ibrahimi. Il ne s’agit en
aucun cas d’une entité, il n'y a pas de
leadership, il n'y a pas de hiérarchie ;
mais différents gangs oeuvrant pour
diverses raisons. L' « Armée syrienne
libre » est tout simplement le titre, le
parapluie utilisé pour légitimer ces
groupes.
Cela ne veut pas dire qu’i il n'y avait
pas un mouvement spontané au tout début
du conflit. Il y avait des gens qui
voulaient des changements en Syrie et je
l'ai moi même publiquement reconnu à
plusieurs reprises. C'est pourquoi j'ai
dit que le dialogue n’est pas pour le
conflit en soi mais concerne l'avenir de
la Syrie, parce que beaucoup de groupes
persistent dans leur volonté de
changement et sont désormais contre les
terroristes. Ils continuent à s'opposer
au gouvernement, mais ne portent pas
d'armes. Que vous ayez des besoins
légitimes ne rend pas vos armes
légitimes !
Sunday Times : Dans votre plan en 3
étapes, la première parle de la
cessation de la violence. Manifestement,
il y a d’une part l'armée et d’autre
part les combattants. Or, dans le cas de
l'armée vous avez une hiérarchie et donc
si vous voulez un cessez-le-feu, il ya
un commandant qui peut le contrôler.
Mais quand vous proposez la cessation de
la violence ou du feu, comment
pouvez-vous supposer la même chose pour
autant de groupes rebelles que vous
dites si dispersés et sans direction
unifiée ? C'est donc l'une des exigences
de votre plan qui parait
fondamentalement
impossible. Ensuite, vous parlez
de référendum, mais étant donné le grand
nombre de personnes déplacées à
l’intérieur et à l’extérieur de vos
frontières dont beaucoup sont l'épine
dorsale de l'opposition, il ne semble
pas que les résultats de ce référendum
puissent être justes. Enfin, la
troisième étape de votre plan concernant
les élections législatives, espérées
avant 2014, fait que la liste des
réalisations à atteindre d’ici là est
fort longue ! Dès lors, quelles sont vos
véritables conditions pour que le
dialogue se tienne, et est ce que
certaines de vos conditions suggérées ou
offertes ne sont pas impossibles à
réaliser?
Le président Assad : Cela dépend de la
façon dont nous regardons la situation.
Tout d'abord, disons que l'article
principal du plan est le dialogue,
lequel dialogue décidera du calendrier
de tout le reste, dont les procédures et
les détails de ce même plan. Le premier
article implique la cessation de la
violence. Si nous ne pouvons pas arrêter
cette violence, comment pourrions-nous
parvenir aux autres articles tels que le
référendum et les élections, et ainsi de
suite ? Mais dire que vous ne pouvez pas
arrêter la violence n'est pas une raison
pour ne rien faire. Oui, il ya beaucoup
de groupes sans réel leadership comme je
les ai décrits, mais nous savons que
leur véritable leadership se situe dans
ces pays qui les financent et leur
fournissent armes et équipements ;
principalement la Turquie, le Qatar et
l'Arabie saoudite. Si des pays tiers
veulent vraiment aider le processus
planifié, ils doivent faire pression sur
ces pays afin qu’ils cessent
d’approvisionner les terroristes. Comme
tout autre État souverain, nous ne
négocierons pas avec des terroristes !
Sunday Times : Vos critiques disent que
d’authentiques et véritables
négociations pourraient mener à votre
chute et à celle de votre gouvernement
ou régime, que vous le savez, et que
c’est pour cela que vous proposez des
scénarios pratiquement irréalisables
pour le dialogue et les négociations.
Le président Assad : En fait, je ne sais
pas cela, je sais son contraire !
Restons logiques et réalistes. Si tel
était le cas, ces ennemis, adversaires
ou opposants devraient pousser au
dialogue puisqu’ils estiment qu'il leur
offrira ma chute. En réalité, ils font
tout le contraire. Ils empêchent les
«organisations de l'opposition
extérieures à la Syrie » de participer
au dialogue, car je pense qu’ils croient
l’exact opposé de ce qu’ils disent et
savent que ce dialogue n’amènera pas ma
chute, mais fera que la Syrie en sortira
vraiment plus forte. Ceci pour le
premier aspect.
Le deuxième aspect est que l'ensemble du
dialogue porte sur la Syrie, sur
l’avenir de la Syrie et aussi sur le
terrorisme ; non sur les postes et les
personnalités. Par conséquent, ils
feraient mieux de ne pas détourner
l'attention du peuple en parlant de ce
dialogue et de ce qu’il pourrait
apporter ou non au président. Je ne le
fais pas moi-même. En fin de compte,
c’est une contradiction. Ce qu'ils
disent est
en
contradiction avec ce qu’ils font !
Sunday Times : Vous avez bien dit que
s’ils poussaient au dialogue, ils
pourraient entrainer votre chute ?
Le président Assad
: Non, vu ce qu’ils
déclarent pouvoir amener ma chute, j'ai
dit : pourquoi
ne viendraient-ils pas
au dialogue?
Ils disent que le
dialogue conduira à la
chute du
président et
moi, je les invite
au dialogue.
Pourquoi
n’acceptent-ils pas
un dialogue pour
s’offrir ma
chute ? La réponse est
évidente.
C'est pourquoi
j'ai dit qu'ils se
contredisent !
Sunday Times : Monsieur le Président,
John Kerry, un homme que vous connaissez
bien, a commencé une tournée qui le
mènera ce week-end en Arabie saoudite,
au Qatar et en Turquie où il leur
parlera des moyens de « faciliter votre
éviction ». En début de semaine, il a
déclaré à Londres comme à Berlin que le
président Assad devait partir et aussi
qu’une de ses premières actions serait
d'élaborer des propositions
diplomatiques pour vous persuader
d'abandonner le pouvoir.
L'inviteriez-vous à Damas pour en
discuter ? Que lui diriez-vous ? Quel
serait votre message du moment, étant
donné ses déclarations et ce qu’il s’est
préparé à dire à ses alliés lors de sa
visite de cette fin de semaine ? Et, si
possible, comment le décririez-vous en
fonction de vos relations dans le
passé ?
Le président Assad : Je préfère décrire
les politiques plutôt que de décrire les
personnes. Aussi, il est encore trop tôt
pour le juger. Il est à seulement
quelques semaines de sa nomination en
tant que secrétaire d'État. Mais, avant
tout, le point que vous avez évoqué est
lié à des questions ou à des affaires
internes syriennes. Aucun sujet syrien
de cet ordre ne sera soulevé avec des
personnes étrangères. Nous n’en
discutons qu’entre syriens et en Syrie.
Je ne vais donc pas en discuter avec
quiconque qui viendrait de l'étranger.
Nous avons des amis et nous discutons de
nos problèmes avec les amis. Nous
écoutons leurs conseils, mais finalement
la décision est nôtre et il nous
appartient, en tant que syriens, de
penser ou de faire ce qui est bon pour
notre pays.
Si quelqu'un veut « vraiment » - et
j'insiste sur le mot vraiment - aider la
Syrie et aider à la cessation de la
violence dans notre pays, il ne peut
faire qu'une seule chose ; il peut se
rendre en Turquie et s’asseoir avec
Erdogan pour lui dire de stopper la
contrebande de terroristes vers la
Syrie, d’arrêter d'envoyer des armes, de
cesser de fournir un soutien logistique
aux terroristes. Il peut aussi aller à
Arabie saoudite et au Qatar pour leur
dire de cesser de financer les
terroristes en Syrie. C'est la seule
chose que n'importe qui pourrait faire
en ce qui concerne le versant externe de
notre problème, mais nul étranger ne
peut s’occuper du versant interne.
Sunday Times
: Alors, quel est
votre message à
Kerry ?
Le président Assad : Il est très clair.
Il faut comprendre que ce que je dis
aujourd’hui, n’est pas un message
adressé à Kerry seulement, mais à tous
ceux qui parlent de la question
syrienne : seul le peuple syrien peut
dire au président de rester ou de
quitter, de venir ou de partir. Je le
dis clairement afin que tous les autres
ne perdent pas leur temps et sachent sur
quoi se concentrer.
Sunday Times
: Quel rôle,
le cas échéant,
voyez-vous
pour la
Grande-Bretagne au
niveau du processus de paix
en Syrie ?
Y a-t-il
eu des
contacts informels
avec les
Britanniques ?
Quelle est votre
réaction devant le
soutien de
Cameron à l'opposition ? Que lui
diriez-vous si
vous étiez assis en face de lui
en ce moment, surtout
que
la Grande-Bretagne
appelle à
l'armement des
rebelles ?
Le président Assad
: Il n'y a pas
de contact
entre la Syrie et
la Grande-Bretagne
depuis longtemps.
Si nous
parlons de son rôle,
nous ne pouvons pas le
séparer de sa
crédibilité, comme
nous ne pouvons pas
séparer
sa crédibilité,
elle-même, de
l'histoire de
ce pays. Pour
être franc, maintenant que
je parle à
une journaliste
britannique et à
un public britannique,
la Grande-Bretagne
a joué un fameux rôle
[dans notre
région], un rôle
non constructif
dans plusieurs domaines et
depuis des décennies,
certains diraient
depuis des siècles !
Je vous dis ici
la perception que nous
en avons dans
notre région.
Le problème avec
ce gouvernement
est que sa rhétorique
superficielle et
immature ne
fait que souligner
cette tradition
de harcèlement et
d'hégémonie. Franchement,
comment
peut-on s’attendre à
ce que nous
demandions à la
Grande-Bretagne
de jouer un rôle en Syrie
alors qu'elle
est déterminée
à militariser
le problème ?
Comment pourrions-nous
leur demander de jouer
un rôle
pour que la situation
s’améliore et se stabilise ? Comment
pourrions-nous nous
attendre à ce qu’ils
contribuent à atténuer la violence,
alors qu'ils veulent
envoyer des
fournitures
militaires aux terroristes
et n’essayent même
pas de
faciliter le dialogue
entre les Syriens ?
Ce ne serait pas
logique. Je
pense qu'ils
travaillent
contre nous et
contre les propres intérêts
du Royaume-Uni.
Ce gouvernement agit
d'une manière
naïve,
confuse
et peu réaliste.
Si les Britanniques
veulent jouer
un rôle, ils
devraient changer
cela et agir
d'une manière plus
raisonnable et
responsable. D’ici-là,
nous n’attendons pas
qu'un pyromane
se comporte en pompier
!
Sunday Times : En 2011, vous aviez dit
que vous ne gaspillerez pas votre temps
à parler avec les meneurs de
l'opposition. Je parle ici des
organisations externes dont vous aviez,
en fait, à peine reconnu l’existence.
Qu’est-ce qui vous a récemment fait
changer d’avis ? Quel type de
pourparlers avez-vous, le cas échéant,
avec les rebelles qui sont un facteur et
une composante majeure dans cette crise
? Ce, d'autant plus que votre ministre
des Affaires étrangères, Mouallem, a
déclaré plus tôt dans la semaine et lors
de sa visite en Russie que le
gouvernement est ouvert à des
discussions avec l'opposition armée.
Pouvez-vous préciser ?
Le président Assad : En réalité, je n'ai
pas changé d'avis. Encore une fois, ce
plan ne leur est pas destiné, mais à
tout Syrien qui accepte le dialogue.
Donc, cette dernière initiative ne
traduit pas un changement d'avis.
Ensuite, depuis le premier jour de cette
crise, commencée il y a deux ans, nous
avons dit que nous étions prêts au
dialogue ; rien n'a changé depuis. Nous
avons une position très cohérente à
l'égard du dialogue. Certains pourraient
comprendre que j'ai changé d'avis parce
que je n’ai pas reconnu la première
entité [de l’opposition], alors que je
reconnaitrais la seconde entité. Je n’ai
reconnu ni l’une, ni l’autre. Plus
important encore, le peuple syrien ne
les reconnait pas et ne les prend pas au
sérieux. Lorsqu’ un produit échoue sur
le marché, ils le retirent. Ils changent
son nom, changent son emballage avant de
le rélancer. Il n’empêche qu’il est
toujours défectueux. La première et la
deuxième organisation de l’opposition
sont un seul et même produit avec un
emballage différent.
Concernant
la déclaration de notre ministre, M.
Moallem, elle était des plus claires.
Une part de notre initiative est que
nous sommes prêts à négocier avec
quiconque, y compris avec les rebelles
qui déposent leurs armes. Nous ne
traiterons pas avec des terroristes
déterminés à garder leurs armes pour
terroriser la population, tuer des
civils, attaquer les lieux publics ou
les entreprises privées, et détruire le
pays.
Sunday Times : Monsieur le Président, le
monde regarde la Syrie et voit un pays
en cours de destruction, avec au moins
70 000 morts, plus de 3 millions de
personnes déplacées, et des divisions
sectaires de plus en plus profondes.
Beaucoup de gens autour du monde vous
blâment. Qu’est-ce que vous leur
répondez ? Êtes-vous à blâmer pour ce
qui s'est passé dans le pays que vous
dirigez ?
Le président Assad : Vous donnez ces
chiffres comme s'il s’agissait d’un
tableau numérique, alors que certains
acteurs les utilisent pour faire avancer
leur agenda politique, et c’est
malheureusement la réalité. Pour nous
Syriens et indépendamment de leur
exactitude, chacun de ces chiffres
représente un homme, une femme ou un
enfant syriens. Quand vous parlez de
milliers de victimes, nous voyons des
milliers de familles qui ont perdu des
êtres chers dont ils porteront le deuil
pendant des années et des années.
Personne ne peut éprouver cette douleur
plus que nous-mêmes !
Si nous nous penchons
sur la question des agendas politiques,
nous devons nous poser des questions
plus importantes. Comment ces chiffres
ont-ils été vérifiés ? Combien de
combattants étrangers représentent-ils ?
Combien y a t-il de combattants âgés de
20 à 30 ans ? Combien d’entre eux
étaient des civils, des femmes ou des
enfants, tous innocents ? La situation
sur le terrain fait qu’il est presque
impossible d'obtenir des réponses
précises à ces questions.
Nous savons tous combien ont été
manipulés, dans le passé, les chiffres
de morts et de blessés pour ouvrir la
voie à des « interventions
humanitaires ». Le gouvernement libyen a
récemment annoncé que le nombre de morts
« avant l'invasion » de la Libye a été
exagéré; ils ont parlé de cinq mille
victimes de part et d’autre tandis que
les chiffres qui ont circulé à l'époque
[de l’invasion] parlaient de dizaines de
milliers de personnes.
Les Britanniques et les Étatsuniens,
présents physiquement en Irak pendant la
guerre, ont été incapables de fournir
des chiffres précis sur les victimes
tuées du fait de leur invasion. Soudain,
voilà que ces mêmes sources sont
capables de décompter très précisément
les victimes syriennes. C'est un étrange
paradoxe !
C’est en toute simplicité que je vous
dis que ces chiffres n'existent pas dans
la réalité. Ils font partie de leur
réalité virtuelle, celle qu’ils veulent
créer pour faire avancer leur agenda et
pousser vers une intervention militaire,
sous couvert d’une intervention
humanitaire !
Sunday Times : Si je puis me permettre
de revenir sur ce point en particulier,
même si les chiffres sont exagérés et
pas vraiment précis, ils sont corroborés
par des groupes syriens et quoi qu’il en
soit, il n’en demeure pas moins que des
milliers de syriens ont été tués.
Certains étaient des combattants, mais
d’autres étaient des civils. Certains
sont morts lors d’offensives militaires
menées, par exemple, par l'artillerie ou
l’aviation sur certains secteurs. Donc,
même si nous ne nous basions pas sur des
chiffres exacts, ils continuent à vous
blâmer pour les civils tués lors
d’offensives de l’armée. Acceptez-vous
cela ?
Le président Assad
:
Tout d'abord,
nous ne pouvons pas
parler de leur nombre sans citer des
noms.
Les personnes
qui ont été tuées
ont des noms.
Ensuite, pourquoi
sont-ils morts?
Où
et comment ont-ils
été tués?
Qui les a tués?
Les bandes armées,
les groupes
terroristes,
les criminels, les kidnappeurs,
l'Armée,
qui les a tués ?
Sunday Times
:
Une combinaison de toutes ces opérations.
Le président Assad : C’est, en effet,
une combinaison ; mais il semble que
vous laissez entendre qu'une seule
personne est responsable de la situation
actuelle et de toutes les pertes en vies
humaines. Dès le premier jour, la
situation en Syrie a été influencée par
les dynamiques militaire et politique,
le tout évoluant très rapidement. Dans
de telles situations, vous avez les
catalyseurs et les obstacles. Supposer
qu’un côté est responsable de tous les
obstacles alors qu’un autre est
responsable de toutes les catalyses est
absurde.
Beaucoup trop de civils innocents sont
morts et beaucoup trop de Syriens sont
dans la souffrance. Comme je l'ai déjà
dit, personne n'est plus en peine que
les Syriens eux-mêmes et c’est pourquoi
nous incitons à un dialogue national. Je
ne suis pas dans une affaire de blâme,
mais si vous parlez de ma
responsabilité, il est clair que j'ai la
responsabilité constitutionnelle de
garder la Syrie et son peuple à l'abri
des terroristes et des groupes radicaux.
Sunday Times : Quel est le rôle
d'Al-Qaïda et d'autres djihadistes et
quelles menaces représentent-ils pour la
région et l'Europe ? Craignez-vous que
la Syrie ne se transforme en quelque
chose de semblable à la Tchétchénie il y
a quelques années ? Êtes-vous préoccupé
par le sort des minorités si vous
perdiez cette guerre, ou encore par une
guerre sectaire comme en Irak ?
Le président Assad : Le rôle d'Al-Qaïda
en Syrie est comme le rôle d'Al-Qaïda
partout ailleurs dans le monde;
assassinat, décapitation, torture,
interdiction des enfants d'aller à
l'école parce que, comme vous le savez,
l’idéologie d'Al-Qaïda prospère là où il
y a de l’ignorance. Ils tentent de
s'infiltrer dans la société avec leurs
sombres idéologies extrémistes, et ils
réussissent !
Si vous deviez vous inquiéter pour quoi
que ce soit en Syrie, ce n’est pas pour
les « minorités » qu’il faudrait vous
inquiéter. C’est une vision trop
superficielle car la Syrie est un
creuset de religions, de confessions,
d’ethnies et d’idéologies qui, ensemble,
forment un mélange homogène sans rapport
avec des proportions ou des
pourcentages. Nous devrions plutôt nous
inquiéter pour la majorité des Syriens
modérés qui, si nous ne combattons pas
cet extrémisme, pourraient devenir la
minorité. Alors la Syrie cessera
d'exister !
Si vous envisagez votre inquiétude dans
ce dernier sens, vous auriez du souci à
vous faire pour le Moyen-Orient, parce
que nous sommes le dernier bastion de la
laïcité dans la région. Et si vous
admettez cela, alors le monde entier
devra s'inquiéter pour sa stabilité.
Voilà la réalité telle que nous la
voyons.
Sunday Times : Jusqu’à quel point
Al-qaïda est-elle menaçante aujourd'hui
?
Le président Assad : Elle est menaçante
par son idéologie plus que par ses
assassinats. Certes les attentats sont
dangereux, mais ce qui est tout aussi
irréversible est la dangerosité de son
idéologie. Nous avons mis en garde
contre ceci depuis de nombreuses années,
même avant le conflit, et nous avons eu
à faire avec cette idéologie depuis les
années soixante-dix. Nous étions les
premiers de la région à faire face à ces
terroristes qui ont revêtu le prétendu
manteau de l'Islam.
Nous n’avons cessé d’avertir de cela,
surtout pendant la décennie de
l'invasion et de l'occupation de
l'Afghanistan et de l'Irak. L'Occident
se contente de réagir face à une
situation donnée, mais n'agit pas. Nous
devons commencer par traiter
l’idéologie. Une guerre contre le
terrorisme sans s'attaquer à l'idéologie
ne mènera nulle part et ne fera
qu'empirer les choses. Elle est une
menace et un danger
non seulement pour la Syrie, mais pour
toute la région.
Sunday Times : Récemment, et notamment
hier, il a été rapporté que des
responsables US auraient déclaré que la
décision de ne pas armer les rebelles
pourrait être révisée. Si cela devait
arriver quelles seront, selon vous, les
conséquences en Syrie et dans la région
? Que diriez-vous pour mettre en garde
contre cela, maintenant qu’ils parlent
d’équiper « directement » les rebelles
avec des véhicules blindés et des gilets
de protection en plus d’assurer leur
entrainement militaire.
Le président Assad : Vous savez que le
crime ne concerne pas uniquement la
victime et le criminel, mais aussi le
complice et le soutien , qu'il s'agisse
d'un soutien moral ou logistique. J'ai
dit à plusieurs reprises que la Syrie se
trouvait sur une « ligne de faille »
géographiquement, politiquement,
socialement et idéologiquement. Par
conséquent, jouer sur cette ligne aura
de graves répercussions dans tout le
Moyen-Orient. Aujourd’hui, la situation
est-elle meilleure en Libye ? Au Mali ?
En Tunisie ? En Egypte ? N’importe
quelle intervention n’améliorera pas les
choses, elles iront de pire en pire.
L'Europe, les États-Unis et d'autres
vont tôt ou tard payer le prix de
l'instabilité dans cette région, ce
qu’ils n’ont pas prévu.
Sunday Times : Quel est votre message à
Israël après ses raids aériens sur la
Syrie ? Userez-vous de représailles ?
Comment répondrez-vous à une future
attaque, d’autant plus qu’Israël a
déclaré qu’il attaquerait de nouveau
s’il pensait devoir le faire ?
Le président Assad : À chaque fois la
Syrie a riposté, mais à sa façon et pas
nécessairement du tac au tac. Nous avons
riposté à notre manière et les
Israéliens savent ce que nous voulons
dire.
Sunday Times
:
Pouvez-vous développer
?
Le président Assad : Oui. Riposte ne
veut pas dire missile pour missile ou
balle pour balle. Notre manière de
riposter n'a pas à être annoncée; les
Israéliens savent de quoi je parle.
Sunday Times
: Pouvez-vous
nous dire comment ?
Le président Assad
:
Nous n'avons pas
à faire ce genre d’annonce.
Sunday Times
: J'ai rencontré un
garçon de sept ans
en Jordanie…
Le président Assad
:
Un
garçon syrien
?
Sunday Times : Un garçon syrien qui
avait perdu un bras et une jambe par un
tir de missile dans Herak. Cinq enfants
de sa famille avaient été tués dans
cette explosion. En tant que père, que
pouvez-vous dire à ce petit garçon ?
Pourquoi tant de civils innocents
sont-ils morts sous des frappes
aériennes, parfois des bombardements de
l’armée et parfois, je cite, sous
«
les fusillades des chabiha » ?
Le président Assad
:
Quel est son nom
?
Sunday Times
:
J'ai son nom
...
Je vous le donnerai plus tard.
Le président Assad : Comme je l'ai déjà
dit, toutes les victimes de cette crise
ont un nom et chaque victime a une
famille. Par exemple, le petit Saber a
cinq ans et a perdu une jambe, sa mère
ainsi que d'autres membres de sa famille
alors qu’il ne faisait que prendre son
petit déjeuner à son domicile familial.
Le petit Rayan a quatre ans, il a vu ses
deux frères se faire égorger parce
qu’ils avaient participé à une
manifestation. Aucune de ces familles
n’avait d’affiliations politiques.
Les enfants sont le maillon le plus
fragile dans n’importe quelle société
et, malheureusement, ils paient souvent
le plus lourd tribut en cas de conflit.
En tant que père de jeunes enfants, je
sais ce que c’est que de voir son enfant
touché par une légère blessure, alors
que dire en cas de graves blessures ou
de décès ; la pire des choses qui puisse
arriver à un famille que toute la
famille ?
Dans tous les conflits, vous vivez de
tels événements douloureux qui affectent
toute la société ; et c’est justement la
raison majeure qui nous incite fortement
à lutter contre le terrorisme. Les
véritables humanistes qui ressentent
notre douleur face à ceux que nous avons
perdus, et face à nos enfants, devraient
encourager leurs gouvernements à
interdire la contrebande d'armes et de
terroristes et à empêcher les
terroristes de recevoir des fournitures
militaires de tous les pays.
Sunday Times : Monsieur le Président, la
nuit, quand vous êtes couché dans votre
lit, entendez-vous les explosions à
Damas ? Comme tant d’autres syriens,
êtes-vous inquiet pour votre famille ?
Craignez-vous qu’à un moment donné votre
propre sécurité soit menacée ?
Le président Assad : Je vois les choses
tout à fait différemment. Quelqu’un
peut-il être sûr que lui et sa famille
puissent rester à l'abri quand tout le
pays est en danger ? En réalité, NON !
Si votre pays n'est pas en sûreté, vous
ne pouvez pas être en sûreté. Ainsi, au
lieu de vous soucier de vous-même et de
votre famille, vous devez vous soucier
de chaque citoyen et de chaque famille
de votre pays. C’est donc une relation
mutuelle.
Sunday Times : Vous savez les
préoccupations internationales
concernant les armes chimiques de la
Syrie. Est-il possible que votre armée
les utilise en dernier ressort contre
vos adversaires ? Des rapports suggèrent
qu'ils ont été déplacés à plusieurs
reprises. Si oui, pourquoi ?
Partagez-vous la crainte internationale
de les voir tomber aux mains des
rebelles islamistes? Quel est le pire
qui puisse arriver ?
Le président Assad : Tout ce qui a été
mentionné dans les médias ou par les
déclarations rhéthoriciennes de
responsables politiques, sur les armes
chimiques syriennes, relève de la
spéculation. Nous n'avons jamais
discuté, et nous ne discuterons jamais
de nos armements avec qui que ce soit.
Ce dont le monde devrait se soucier
c’est des matières chimiques arrivées
entre les mains des terroristes. Des
séquences vidéos ont déjà été diffusées
les montrant en train de tester des
matières toxiques sur des animaux, et
aussi en train de menacer le peuple
syrien de mourir de cette façon ! Nous
avons partagé ce matériel vidéo avec
d'autres pays. C'est là-dessus que le
monde devrait se concentrer au lieu de
gaspiller ses efforts à créer des titres
insaisissables sur les armes chimiques
syriennes pour justifier n’importe
quelle intervention en Syrie.
Sunday Times : Je sais que vous ne dites
pas si ces armes sont en lieu sûr ou
non. Il n’empêche que des craintes
existent sur le fait que certains
puissent se les approprier.
Le président Assad : C'est l'ambiguïté
constructive. Aucun pays ne parle de ses
capacités en la matière.
Sunday Times : Un autre sujet est aussi
très commenté : Quels sont les rôles du
Hezbollah, de l'Iran et de la Russie
dans la guerre sur le terrain ?
Savez-vous s’il y a des combattants du
Hezbollah en Syrie et que font-ils ?
Quelles armes vous sont livrées par vos
alliés russes et iraniens, et quels
sortes d’autres soutiens vous
apportent-ils ?
Le président Assad : La position de la
Russie est très claire en matière
d'armement. Les russes fournissent à la
Syrie des armes défensives, en
conformité avec le droit international.
Le Hezbollah, l'Iran et la Russie
soutiennent la Syrie dans sa lutte
contre le terrorisme. La Russie a été
très constructive, l'Iran nous a très
favorablement soutenus, et le rôle du
Hezbollah est de défendre le Liban non
la Syrie. Nous sommes un pays de 23
millions d'habitants avec une armée
nationale forte et des forces de police.
Nous n’avons pas besoin de combattants
étrangers pour défendre notre pays. La
question qui devrait nous être posée
concernerait plutôt le rôle d’ autres
pays - le Qatar, la Turquie, l'Arabie
saoudite, la France, le Royaume-Uni, et
les Etats-Unis, - qui soutiennent le
terrorisme en Syrie, directement ou
indirectement, politiquement ou
militairement.
Sunday Times : Monsieur le Président,
permettez-moi de vous interroger sur
votre propre position. Le ministre russe
des Affaires étrangères, M. Lavrov, a
récemment déclaré que Lakhdar Ibrahimi
s’était plaint du peu de flexibilité de
votre régime et que, même si vous
semblez ne jamais dire NON, vous ne
semblez jamais dire OUI. Pensez-vous
qu’un règlement négocié soit possible
tant que vous resterez président,
question que beaucoup de gens se posent
?
Le président Assad : N’attendez pas d’un
politicien qu’il vous réponde par un oui
ou par un non dans un sens absolu,
quoiqu’il ne s’agisse pas de questions à
choix multiples où vous cochez la bonne
ou la mauvaise réponse. En revanche vous
pouvez attendre d’un politicien qu’il
vous parle d’une vision. La nôtre est
très claire. Nous avons proposé un plan.
Celui qui veut travailler avec nous,
peut le faire sur la base de ce plan.
C’est très clair et il est inutile de
perdre son temps. Ceci dit, votre
question traduit « la personnalisation
du problème syrien » prêchée par les
médias occidentaux pour laisser croire
que l'ensemble du conflit relève du
président et de son propre avenir.
Si ce prétexte est correct, mon départ
ferait cesser les combats ; ce qui est
clairement absurde. Les précédents
récents, en Libye, au Yémen et en Égypte
en témoignent. Ce qui les motive est
d'essayer de se soustraire à l'essentiel
du problème : le dialogue, les réformes
et la lutte contre le terrorisme.
L'héritage de leurs interventions dans
notre région a été le chaos, la
destruction et le désastre. Par
conséquent, comment peuvent-ils
justifier une nouvelle intervention ?
Ils ne le peuvent pas ! Alors, ils se
concentrent sur le blâme du président,
poussent à son départ, font douter de sa
crédibilité, se demandent s’il vit dans
une bulle, et prétendent qu’il est dans
le déni de la réalité. C’est ainsi que
le point de focalisation du conflit
devient le président !
Sunday Times : Certains fonctionnaires
étrangers ont appelé à vous juger pour
crimes de guerre devant la Cour pénale
internationale en tant que personne
responsable, en dernier ressort, des
exactions de l'armée? Craignez-vous les
poursuites par cette Cour, ou d’autres
poursuites futures lors d’éventuels
procès en Syrie ?
Le président Assad : Chaque fois qu’un
problème lié à l'ONU est soulevé, vous
soulevez la question de sa crédibilité.
Nous savons tous que ces vingt dernières
années, et particulièrement suite à
l'effondrement de l'Union soviétique,
l'ONU et toutes les organisations qui en
dépendent sont, sans exceptions, les
victimes de l'hégémonie au lieu d'être
des bastions de la justice. Elles sont
devenues des outils politisés pour créer
l'instabilité et attaquer des pays
souverains, ce qui est contraire la
Charte de l'ONU ! Maintenant, la
question que nous devons nous poser :
vont-ils juger les dirigeants US et
britanniques pour avoir attaqué l'Irak
en 2003 et avoir fauché plus d'un
demi-million de vies sans parler des
orphelins, des handicapés, des défigurés
et malformés ? Vont-ils juger les US,
les britanniques, les français et
d'autres qui se sont rendus, l’année
dernière, en Libye sans résolution de
l'ONU pour faucher à nouveau des
centaines de vies ? Ils ne vont pas le
faire. La réponse est très claire.
Par ailleurs, savez-vous que l'envoi de
mercenaires dans tout pays est un crime
de guerre selon les principes de
Nuremberg et conformément à la Charte de
Londres de 1945. Vont-ils juger Erdogan
devant ce même tribunal parce qu'il a
envoyé des mercenaires en Syrie ?
Vont-ils faire de même avec les
Saoudiens et les Qataris ? Si nous
avions les bonnes réponses à ces
questions, nous pourrions continuer à
parler des organisations pour la paix et
de leur crédibilité.
Ma réponse à moi est très brève: lorsque
des personnes défendent leur pays, ils
ne tiennent compte de rien d’autre !
Sunday Times : Regarder en arrière est
une chose merveilleuse, Monsieur le
Président. Si vous pouviez remonter le
temps deux ans en arrière, auriez-vous
géré les choses différemment ?
Croyez-vous qu'il y a des choses qui
auraient pu ou auraient dû être faites
d'une autre manière ? Quelles sont les
erreurs commises par vos partisans que
vous penseriez rectifier ?
Le président Assad : Vous pouvez poser
cette question à un président qui serait
le seul responsable du cours des
événements. Dans notre cas, en Syrie,
nous savons qu’interviennent de nombreux
acteurs extérieurs. Partant de ce
présent, vous devez juger
rétrospectivement chacun des acteurs.
Avec le recul, vous devez demander à M.
Erdogan : auriez-vous envoyé des
terroristes pour tuer des Syriens et
leur auriez-vous procuré toutes sortes
de soutien logistique ? Avec le recul,
vous devez demander au Qatar et à
l’Arabie saoudite : auriez-vous financé
des terroristes, des réseaux d’Al-qaïda
ou toute autre organisation terroriste
pour tuer des Syriens ? Avec le même
recul, vous devriez poser les mêmes
questions aux fonctionnaires US et
européens : auriez-vous offert un
parapluie politique aux terroristes qui
tuent des civils innocents en Syrie ?
En Syrie, nous avons pris deux
décisions. La première consiste à lancer
le dialogue, la seconde consiste à
lutter contre le terrorisme. Si, avec le
recul, vous demandez à n’importe quel
Syrien : diriez-vous NON au dialogue et
OUI au terrorisme? Je ne pense pas
qu’une seule personne, saine d'esprit,
serait d'accord. Donc, avec le recul, je
pense que nous avons commencé par le
dialogue et que nous allons continuer le
dialogue. Avec le recul, nous avons dit
que nous allons lutter contre le
terrorisme et nous allons continuer à
combattre le terrorisme.
Sunday Times
: Avez-vous
jamais pensé vivre
en exil
si les choses en arrivaient jusque là ?
Et est-ce que vous quitteriez votre pays
si cela devait augmenter
les
chances de paix
en Syrie
?
Le président Assad
: Encore une fois,
il ne s'agit pas
du président.
Je ne
pense pas que n’importe quel patriote ou
citoyen
pourrait songer
à vivre
hors de son pays.
Sunday Times
:
Vous
ne quitterez jamais
?
Le président Assad
:
Nul
patriote ne peut
songer à vivre
hors de son pays.
Je suis
comme n'importe quel
autre
syrien
patriote.
Sunday Times: Jusqu’à quel point
avez-vous été secoué par la bombe qui a
tué certains de vos plus hauts généraux
l'été dernier, y compris votre
beau-frère ?
Le président Assad : Vous avez mentionné
mon beau-frère, mais ce n'est pas une
affaire de famille. Lorsque des hauts
fonctionnaires sont assassinés c'est une
affaire nationale ! Un tel crime, vous
rend plus déterminé à combattre le
terrorisme. Cela ne concerne pas ce que
vous ressentez, mais plutôt ce que vous
devez faire. Nous sommes plus déterminés
dans notre lutte contre le terrorisme.
Sunday Times: Pour finir, Monsieur le
Président, puis-je vous interroger sur
ma collègue, Marie Colvin, qui a été
tuée lors du bombardement par
l’opposition d'un centre de médias de
Bab Amr, le 22 Février de l'année
dernière. A-t-elle été ciblée, comme
certains l'ont suggéré, parce qu'elle
avait condamné les destructions sur les
télévisions américaines et britanniques?
Ou bien a-t-elle simplement manqué de
chance? Avez-vous entendu parler de sa
mort à l'époque et, si oui, quelle a été
votre réaction ?
Le président Assad : Bien sûr, j'en ai
entendu parler par les médias. Quand un
journaliste se rend dans les zones de
conflit, comme vous le faites en ce
moment même, pour couvrir un événement
et le transmettre au monde, je pense que
c'est un travail très courageux. Toute
personne honnête, qu’il s’agisse de
responsables ou de membres du
gouvernement, devrait soutenir les
efforts des journalistes car cela aidera
à faire la lumière sur ce qui se passe
sur le terrain et démontera la
propagande là où elle existe.
Malheureusement, dans la plupart des
conflits un journaliste a payé le prix
ultime. C’est toujours triste quand un
journaliste est tué parce que les
journalistes ne sont partie prenante et
ne font même pas partie du problème. Ils
cherchent juste à couvrir l'événement.
Il ya une guerre médiatique contre la
Syrie pour empêcher que la vérité ne
soit connue du monde extérieur. Quatorze
journalistes syriens ont aussi été tués
depuis le début de la crise, et tous ne
sont pas tombés sur le champ de
bataille. Certains ont été ciblés à leur
domicile en dehors des heures de
travail, kidnappés, torturés, puis
assassinés. D'autres sont toujours
portés disparus. Plusieurs bâtiments de
la télévision syrienne ont été attaqués
par les terroristes et leurs bombes. Et,
actuellement les chaines de télévision
syriennes sont interdites de diffusion
par les systèmes satellitaires
européens.
On sait maintenant comment les rebelles
ont utilisé les journalistes dans leur
propre intérêt. Il ya eu le cas du
journaliste britannique qui a réussi à
s'échapper…
Sunday Times : Alex Thompson ?
Le président Assad : Oui. Il a été
dirigé vers un piège mortel par les
terroristes dans le but d’accuser
l'armée syrienne de sa mort. C'est
pourquoi il est important d'entrer
légalement dans le pays, d'avoir un
visa. Ce ne fut pas le cas pour Marie
Colvin. Nous ne savons pas pourquoi et
ce n'est toujours pas clair. Si vous
entrez illégalement, vous ne pouvez pas
attendre de l'État qu’il soit
responsable.
Contrairement à la croyance populaire,
depuis le début de la crise des
centaines de journalistes de partout
dans le monde, y compris vous, ont
obtenu un visa d’entrée en Syrie et ont
rendu compte librement, à partir de la
Syrie, sans interférences dans leur
travail et sans obstacles contre leurs
missions.
Sunday Times : Je vous remercie.
Le président Assad : Merci à vous.
The Sunday Times
03/03/2013
Monsieur le Président est interviewé par
Madame Hala Jaber
Texte original : Sana-syria
http://www.sana-syria.com/eng/21/2013/03/03/470326.htm
Texte traduit de l’anglais
par Mouna Alno-Nakhal pour
Mondialisation.ca
Notes
[1]
Syrie : Qui est dans le déni de la
réalité ?
http://www.mondialisation.ca/le-president-al-assad-lance-une-solution-politique-de-la-crise-en-syrie/5318025
Extrait de l'interview du président
Bachar Al Assad avec le SUNDAY TIMES
http://www.youtube.com/watch?v=NVJFJzaTZc0
Le
dossier Syrie
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