|
Par Fériel Berraies Guigny. Paris
Aminata Traore la mère de l'Alter mondialisme africain
Photo
: © John Foley/Opale
Aminata Dramane Traoré est une femme
politique et écrivain malienne, née en 1947 à Bamako (Mali).
Intellectuelle engagée, elle a été ministre de la culture et du
tourisme au Mali sous la présidence d'Alpha Oumar Konaré. Connue
comme étant l'une des principales figures de l'alter mondialisme
africain, la Malienne se bat sur tous les fronts: OGM, coton,
privatisations, préservation du patrimoine culturel, actions de
proximité. Après Lettre au président des Français à propos de la
Côte-d'Ivoire et de l'Afrique en général publié en 2005 où elle
analyse les crises africaines et plus particulièrement celle
déclenchée en septembre 2002 dans son « pré carré », L'Afrique
humiliée est son dernier essai réquisitoire qui met à nu les
rapports entre la France et ses ex-colonies. Elle dévoile
également les blessures d’une Afrique meurtrie par la
mondialisation et de la globalisation sauvage. Dans L'Afrique
humiliée, Aminata Traoré dénonce la responsabilité particulière
de la France face aux crises africaines et s'en prend très
directement au désormais célèbre «discours de Dakar» prononcé
par Nicolas Sarkozy, mais aussi à Brice Hortefeux (ministre
français de l'Immigration) et à Erik Orsenna, dont elle n'a
guère apprécié le chapitre malien de «Voyage aux pays du coton
». Son ouvrage est un cri d’amour et un cri d’indignation pour
un Continent qui n’en finit pas d’être mis à sac sous le
prétexte de l’assistance au développement. Nous nous sommes
entretenue avec elle, pour parler de son combat pour l’Afrique
et de sa nécessaire relève.
Entretien avec
Aminata Traore :
Même après la décolonisation, l'Afrique
continue de subir un second viol qui est loin d'être du registre
de l'imaginaire. A quand l'émancipation vis à vis du Nord ? Et
est ce une utopie réalisable ?
L’essai que j'ai intitulé " Le viol de l’imaginaire", vise à
démontrer jusqu'à quel point nous, Africain(e)s, sommes leurrés
et nous nous leurrons nous-mêmes en nous regardant dans le
miroir qui nous est tendu par les puissances occidentales et en
nous gargarisant de mots. Double langage et double standard
président à la gestion des affaires du monde et leur permettent
souvent d'imposer leurs vues et leurs normes. En intériorisant
les images qu'ils nous renvoient de nos réalités et les
interpellations qu'ils en font, nous leur prêtons main forte
dans la mise à sac du continent, la transformation de nos
sociétés dans le sens de leurs intérêts.
Les deux phénomènes – viol de l'imaginaire et paupérisation du
continent- vont, en somme, de pair. Nous sommes vulnérables
parce que malléables et corvéables à merci, faute de confiance
en nous-mêmes, en nos valeurs de culture. Mais la quadruple
crise qui secoue le monde – elle est financière, énergétique,
alimentaire et écologique- prouve que nos maîtres à penser se
sont trompés de défis en tentant de planétariser leur modèle –
productiviste, énergétivore, inégalitaire et insoutenable.
Devrons-nous continuer à leur obéir. N'avons-nous pas intérêt à
mettre cette crise à profit pour renouer avec la pensée critique
et nous émanciper ? Cette perspective est non seulement
réalisable mais, à mon avis, indispensable. Il ne nous manque
que le courage politique, une vision stratégique et la volonté
de changer radicalement la situation de subordination qui est
celle de notre continent. Chaque aspect de notre existence
–alimentation, éducation, santé, habitat, habillement,
urbanisme…- devient un lieu de questionnement mais aussi de
créativité, de reconstruction.
2- Vous dites que d'un côté il
y a une Europe des valeurs et de
l'autre une Afrique des ténèbres ?
Je suis
persuadée que la plupart des valeurs auxquelles nous avons été
amenés à tourner le dos, notamment l'humilité et la sobriété (au
lieu de l'ostension, le consumérisme et le gaspillage) ainsi que
la solidarité et le partage, nous seront d'une grande utilité le
long de ce XXIème siècle, siècle de tous les dangers. Je ne
prétends pas que ces valeurs nous sont spécifiques mais je sais
par expérience que la survie n'est possible dans la plupart de
nos contrées que parce que ces valeurs prévalent en dépit des
difficultés. C'est pour cette raison que je pense que nous ne
devons pas désespérer de notre continent. En plus de ses
immenses richesses naturelles, ses populations revendiquent des
valeurs de culture et de sociétés qui sont autant de remèdes aux
maux infligés au lien social et aux écosystèmes. Il va falloir
les explorer et rendre compte de leurs fonctions dans le vivre
ensemble et le mieux-vivre.
3-
Comment l'Afrique peut elle se réapproprier son destin ? Le
Panafricanisme est-ce la solution ? Qu'en est il de la
coopération Sud-Sud ?
Le
bilan des 50 dernières années d’essais de développement est
suffisamment édifiant quant à l’impérieuse nécessité d’explorer
une autre voie. Il faut, en effet, être dogmatique pour croire,
au regard de l'état actuel de la planète, qu'il n’y a pas
d'alternatives à la pensée unique qui vaut tant d'intolérance,
de violences et de souffrances à l'humanité.
Alors la première étape de cette quête d’alternative est, à mon
avis un bilan honnête et rigoureux des politiques économiques
que le continent a subies au nom d'un développement que nous
attendons toujours. Ce bilan devra porter également sur les
"transitions démocratiques". Car en économie comme en politique,
nous nous sommes comportés en consommateurs d'idées venues des
pays et des institutions qui financent. Autant dire comme Joseph
Ki Zerbo que "nous dormons sur la natte des autres". Ce
mimétisme continue d'enrichir les riches auprès desquels, nous
nous endettons en nous appauvrissant matériellement et
spirituellement. Notre "développement économique" aura consisté
jusqu'ici à produire en fonction des besoins des riches. La
crise alimentaire n’est que la conséquence logique de cette
extraversion dans le domaine de l'agriculture.
L'issue au marasme et à l'enlisement du continent n'est
nullement dans davantage d'hémorragie (service de la dette,
matières premières) mais dans la re-localisation de nos
économies, leur recentrage sur les biens et les services dont
nous avons besoin ; la production créera nécessairement des
emplois. Il ne s'agit pas pour autant d'enfermement sur
nous-mêmes mais de redéfinir les priorités.
Le panafricanisme relève de ce souci d'être nous-mêmes,
solidaires face à l'adversité et aux défis mondiaux. En tant que
tel, il devra nous inspirer dans la quête d'alternatives qui se
posent à nous.
Quant à la coopération Sud-Sud, nous regardons, pour
l'heure, dans la direction des pôles de concentration des
richesses matérielles, c'est-à-dire, le Nord. Nous ne savons pas
nous regarder et nous soutenir mutuellement, à plus forte raison
désirer et acheter les uns avec les autres, faute de confiance
en nous-mêmes. Le sursaut politique et intellectuel qui
s’impose, devra nous amener à rééduquer notre regard sur
nous-mêmes et à trouver des réponses sui generis à nos
problèmes.
4-
Que penser de la Chinafrique ? Espoir ou sino colonialisme
dangereux à venir ?
-
J’y suis allée, je ne suis pas impressionnée outre mesure par
les buildings qui poussent comme des champignons, des biens et
des services en abondance et un consumérisme débridé. Faut-il
envier cette Chine ? Faut-il la craindre ? Le coût social et
écologique du modèle chinois est tel que nous devrons être plus
prudents.
Autant je respecte la manière dont les dirigeants Chinois
résistent et s’imposent, autant je vois dans le modèle qui, en
Chine, déploie une menace pour nos pays au regard de ses besoins
immenses en matières premières.
Mais de là à parler d'une Chinafrique qui serait plus ou moins
similaire à la Françafrique, il y a là un pas que je ne
franchirai pas. Je ne pense pas que la Chine entretienne ou ait
l'intention de développer avec nos pays, les mêmes relations de
domination que les anciennes puissances coloniales.
Espoir oui, mais sans me faire trop d’illusions quant à la
générosité chinoise, ni aux principes politiques qui nous
accorderont, en tant que peuples, les marges de manœuvre dont
nous avons besoin dans la définition des relations de
coopération. Parce que je n’ai pas l’impression que les
dirigeants chinois sont soucieux de la vie de la population. Je
n’ai pas l’impression que la Chine libérale est à l’écoute du
peuple chinois. Je pense que les rapports entre l’Afrique et la
Chine peuvent être beaucoup plus égalitaires. Ils peuvent être à
mesure de comprendre notre volonté d’autonomie si nous nous
donnons les moyens de formuler clairement cette exigence.
Il devrait exister en dehors du libéralisme sauvage à
l’Occidentale et à la française, une alternative. Je vais plus
loin en soutenant que l’Afrique est un continent d’avenir si
elle apprend à mieux préserver ses ressources qui sont immenses
et à mieux négocier son destin et si elle tire surtout le
maximum d’enseignement matériel et économique des pays
développés qui ont débouché sur l’individualisme et une grande
solitude et parfois le désespoir.
5.
L'idéologie sécuritaire de Sarkozy a détruit la politique
africaine de France, qu'en reste t il aujourd'hui ?
-
Que reste-t-il de la politique africaine de la France ?
Il
est difficile de cerner les contours de la politique actuelle de
la France en dehors de l'immigration choisie de Nicolas Sarkozy.
Plus on avance, plus il renforce les barrières. On est dans une
situation qui consiste pour la France et les autres nations
riches et industrialisées à prendre au Sud dont l’Afrique ce
dont elles ont besoin sans peur ni crainte d’aggraver la
situation dans les pays d'origine. Nous avons du souci à nous
faire dans la mesure où le Président des Français met l’Europe à
contribution en exhortant les autres pays membres de l’UE à
davantage de durcissement à travers la Directive retour et le
pacte européen sur l'immigration et l'asile.
C'est une manière pour les plus puissants de se serrer les
coudes en vue de barrer la route aux ressortissants de pays dont
ils continuent de piller les richesses.
Mais les élites qui parviennent à se frayer un chemin
dans le monde cruel du capitalisme mondialisé ont du mal à
réaliser que les gagnants de ce système n'ont pas d’amis mais
des intérêts.
6. Que
pensez-vous de l'acharnement médiatique occidental sur Mugabe ?
-
Nous
avons pu mesurer dans le traitement de l'information sur le
Zimbabwe jusqu'où les dominants peuvent aller dans l'utilisation
des médias en vue d'atteindre leur but. L'élection
présidentielle étant le temps fort de la vie politique des
Etats, celle du Zimbabwe devait permettre aux USA, à la Grande
Bretagne et leurs alliés d'en finir avec le chef d'Etat africain
qui leur tient tête. Le vote devait réussir là où les sanctions
économiques, l'ingérence et la pression diplomatique n'ont pas
suffi.
Pourquoi cette intransigeance pour Robert Mugabé dans un
contexte où toutes les économies sont à bout de souffle et de
nombreuses élections truquées ? Parce que le dirigeant
zimbabwéen dérange considérablement dans un contexte
international dominé jusqu'ici par les intérêts économiques et
géostratégiques des puissances occidentales. Sa réponse à la
question foncière est un antécédent fâcheux à décourager et
lui-même est catalogué comme un insoumis à éliminer.
Par leur poids et leur parti pris dans la crise
zimbabwéenne au point d'utiliser en plus de l'opposition, les
médias, les sanctions économiques, le Conseil de Sécurité,
l'Union Africaine, le G8…les puissances occidentales ont mis à
nu ce que nous sommes nombreux à savoir : leur volonté
hégémonistique. La Chine et la Russie qui l'ont compris, usent
de leur droit de veto au Conseil de Sécurité pour les bloquer.
Un relent de guerre froide flotte dans l'air.
7- Une
certaine Afrique continue de collaborer, quel est votre
sentiment ?
-
Cette
Afrique qui a du mal à réaliser que la France n’a pas d’amis
mais des intérêts me navre. Malheureusement, elle se recrute
parmi ceux qui veulent absolument contrôler le pouvoir, qui
veulent accéder au pouvoir et parler en notre nom à tous. Ils
restent persuadés qu’il n’y a pas d’alternatives au tout marché
et qu’en observant le champ politique français en particulier et
européen en général, on constate qu’il n’y a pas d’unanimité et
qu’en réalité la majorité des Français n’a pas confiance en la
mondialisation néo-libérale. Alors, il faut croire qu’il y a des
gens qui sont plus royalistes que le roi. Il faut comprendre
aussi que cette Afrique est composée de la minorité des
gagnants, qui ont su se faire une place dans le système et qui
sont nécessairement déstabilisés quand tu les invites à penser
autrement l’économie, la politique et l’ouverture au monde.
8.
Les médias occidentaux abondent dans l' Afro-pessimisme et
certains dirigeants d'Afrique ne font rien pour changer cette
donne, que faudrait-il faire ?
-
Les médias occidentaux sont aux ordres des pays les plus
puissants mais aussi des multinationales qui ont fait main basse
sur la plupart d'entre eux.
Il nous est cependant loisible de constater qu’au-delà de
l’Afrique, la désinformation et l’assoupissement des consciences
fait partie du jeu à tous les niveaux, dans tous les domaines.
Le prisme déformant qu'ils utilisent souvent n’a rien d’étonnant
quand il s'agit de l'Afrique. Il s'agit de justifier des
relations de domination en présentant le continent comme
constamment victime d'elle-même.
Le rouleau compresseur qui est à l'œuvre nous permet de pouvoir
nous faire notre propre opinion et de créer à l'intérieur de nos
frontières, les moyens de contrôler nos dirigeants, de les
sanctionner. Nous ne devons pas laisser cette prérogative aux
nations riches plus particulièrement les anciennes puissances
coloniales et les USA.
Quand on considère les démocraties occidentales, force est de
reconnaître que les médias ne font pas non plus de cadeaux aux
dirigeants des pays riches avec, bien entendu, des partis pris
et des nuances selon leur appartenance idéologique. Mais les
terrains sur lesquels les médias occidentaux acculent les
dirigeants du Nord, ont, la plupart du temps, un lien avec des
enjeux majeurs : guerre en Irak et en Afghanistan ont valu à G.
W. Bush et Tony Blair une condamnation ferme sur de très
nombreux médias tandis qu'en France, par exemple, les
délocalisations, les privatisations, le pouvoir d'achat, les
retraités, les banlieues entre autres sont au cœur du débat
politique. La vie privée et les questions personnelles sont
secondaires par rapport à ces enjeux quand elles sont évoquées,
elles influent sur les opinions sans prendre le pas sur les
questions nationales et les enjeux mondiaux.
Les dirigeants de l'hémisphère Sud et plus particulièrement de
l'Afrique et du Moyen Orient sont souvent l'objet d'une
personnalisation à outrance qui tourne parfois à la
diabolisation sans débat de fond de nature à éclairer l'opinion
internationale sur les enjeux tels que la question foncière au
Zimbabwe ou le pétrole en Irak, au Soudan et au Tchad par
exemple. Des médias indépendants et soucieux de l'émergence
d'une opinion publique avisée quant aux grands défis du XXIème
siècle, focaliseraient moins sur le déroulement des élections
que sur la volonté et l'aptitude des acteurs politiques à opérer
des choix économiques conformes aux intérêts de leurs peuples.
Au Zimbabwe, comme au Darfour, au Tchad, en RDC et ailleurs, il
est question de leurs droits sans référence à la dette
extérieure et aux termes des échanges mondiaux qui les
condamnent à la pauvreté. Quant aux médias africains, ils se
comportent souvent en caisse de résonance, relayant le discours
dominant.
La balle est dans le camp des professionnels africains
des médias ainsi que des non africains qui réalisent que le
meilleur service qui puisse être rendu aux Africains
aujourd'hui, est de les aider à mieux comprendre l'état réel de
leur pays et du continent dans le monde afin de ne pas se
fourvoyer dans des combats d'arrière-garde.
9-
Le continent était, une fois encore, à l'ordre du jour juste
après le Sommet du G8 à Sharm El Sheikh. Dans un cas comme dans
l'autre, les perspectives sont mitigées. Quel est votre
sentiment ?
-
Le continent africain a, encore une fois, été instrumentalisé et
leurré par le club des riches qui pour faire bonne figure fait
semblant d'aider. Le G8 aura surtout réussi cette fois-ci à
dévoiler ce jeu en reconnaissant ouvertement qu'il n'a pas
respecté les promesses d'augmentation de l'aide publique au
développement, faites par ses membres en 2005, à Gleneagles
(Ecosse). Ces derniers en ont conclu qu'ils feront mieux à
partir de maintenant. Il est difficile de les croire au regard
des difficultés grandissantes dans lesquelles ils se débattent
eux-mêmes.
Les chefs d'Etat africains auxquels, ils ont offert encore une
fois des strapontins ont certainement bien fait de rappeler les
promesses non tenues. Mais, ce faisant, ils ont conforté la
posture de mendiants qui leur vaut d'être jugés, acculés et
sanctionnés par les "donateurs" qui volent ainsi aux peuples
d'Afrique leur droit de contrôle sur leurs gouvernants.
Les chefs d'Etat africains qui étaient à Hokkaïdo
auraient pu et dû rappeler avec force que l'Afrique n'aurait pas
eu besoin d'être aidée, si elle n'était pas pillée allègrement
dans le cadre d'un commerce international dont les règles jouent
en faveur des pays riches. Mais, le peuvent-ils dans la mesure
où la plupart d'entre eux ont mordu à l'hameçon de la
marchandisation du monde, en profitent et en font profiter leurs
clients, parents et amis. Les perspectives annoncées au Sommet
de L'Union Africaine sont sans issue dans le cadre d'un
libéralisme économique qui autorise en plus du pillage du
continent, l'enrichissement d'une poignée d'Africains pendant
que des centaines de millions d'autres sont condamnés au
chômage,,à la faim,,à la maladie et à l'exil.
10- Koffi
Annan et l'African progress report, nous signalent des
prévisions alarmistes s'agissant de l'avancée de la faim et des
maladies en Afrique sans compter les effets des aléas
climatiques, tout ceci ne risque t-il pas de générer des
conflits à venir ?
-
Le
pire est assurément à venir si nous ne faisons preuve de courage
politique, d'esprit critique et de perspicacité dans l'analyse
des erreurs d'appréciation et de stratégie qui sont à l'origine
des crises qui secouent le monde. La révolution verte en
laquelle Koffi Annan croit doit elle-même être examinée sous cet
angle.
11-
Vous avancez que l'Occident est
responsable des conflits au Kenya ? Que pensez alors de ce qui
s'est passé en Afrique du Sud ?
-
Pour me faire comprendre, je voudrais que l'on considère le
poids des institutions internationales de financement et les
puissances occidentales dans l'économie mondiale dont celle de
nos pays pris individuellement. Le Kenya, l'Afrique du Sud et la
quasi-totalité des pays africains dont le mien, s'attèlent
depuis des années à des politiques d'ouverture économique qui
ont aggravé le chômage, la pauvreté et les tensions
interethniques. Mais personne n'aide les victimes africaines du
libéralisme sauvage à comprendre les rouages de ce système pour
mieux défendre leurs intérêts. Par contre, l'occasion leur est
donnée lors des élections d'en découdre avec des dirigeants et
de s'entretuer sur l'instigation de leaders qui n'ont pas de
perspectives à leur offrir. Tous ceux qui se donnent les moyens
de comprendre le continent au-delà du prisme déformant des
médias qui ramènent tout au bon déroulement des élections et au
tribalisme, réalisent que tous nos pays sont sous le rouleau
compresseur d'un libéralisme forcené, aliénant et corrupteur. Il
n'a rien de vertueux et de durable dans nos pays. C'est du reste
pour cette raison que les pays les plus prometteurs du point de
vue des libéraux, finissent par imploser sous la pression des
injustices, des privatisations et des exclusions. Le gonflement
des bidonvilles, des flux migratoires, résultent de ces
mécanismes que les politiques et leurs bailleurs de fonds ne
veulent pas voir.
Et l'heure des élections n'est jamais celle du bilan des
réformes dont ils conviennent à l'insu des peuples. Aucun pays
africain n'est à l'abri de la violence sous une forme ou une
autre que les élections soient démocratiques ou pas, aussi
longtemps que l'information, l'éducation civique et politique ne
permettront pas aux électeurs de juger les tenants du pouvoir et
ceux qui y aspirent sur leurs capacités à défendre les intérêts
nationaux dans un monde de prédation
La chasse à l'Etranger à laquelle on a assisté en Afrique du
Sud, résulte en partie de la même désinformation et de
l'impréparation des populations à analyser leur situation en des
termes autres que le poids des étrangers.
Les adversaires de Mugabe et les analystes qui ne doutent pas
des méfaits des politiques néo-libérales, n'ont pas hésité à
conclure qu'il est responsable de la situation
En réalité, l'Afrique du Sud qui joue à fond la carte du
libéralisme, voit se creuser de jour en jour en son sein le
fossé entre, d'un côté la minorité blanche et les nouveaux
riches et de l'autre, l'immense majorité des Noirs, dont les
sans-terre.
12-
Quel est le rôle et la place de la Femme africaine pour
l'évolution de nos sociétés ? Que pensez-vous des combats de
certaines femmes comme Wangari Maathai ? Quelles sont les femmes
d'Afrique qui vous inspirent ? Les épouses des Chefs d'Etat
africains seraient elles aptes à prêcher la bonne parole et la
bonne action africaine ?
Il
y a un énorme effort de renouvellement de la réflexion à faire
sur la situation des femmes et la question de l'égalité. De même
qu'il est difficile de promouvoir la démocratie et le respect
des chartes de l'homme dans un ordre mondial inégalitaire et
violent, il me semble vain de prétendre à la promotion du rôle
des femmes là où la logique du tout marché les prive
d'éducation, de soins de santé, d'emploi et de nourriture. Du
fait de la division sexuelle des tâches, les femmes sont les
premières à souffrir, au sens des ménages, à la campagne et dans
les quartiers défavorisés des villes. De la dégradation de
l'environnement elles subissent les conséquences en allant
chercher l'eau et le bois de feu toujours plus loin. Le taux de
mortalité maternelle lors des accouchements demeure
scandaleusement élevé en Afrique. Sans oublier le lourd tribut
qu'elles paient aux maladies guérissables faute de médicaments,
et au Sida. En cas de conflits armés au nom d'une démocratie au
rabais, elles doivent fuir avec leurs enfants et subir des viols
au sein de leur camp et du camp adversaire.
En
temps ordinaire les méfaits des salaires de misère, de la baisse
des prix des matières agricoles et d'autres préjudices sont
gérés par les femmes qui sont sur pied nuit et jour. Rien que
cette situation des femmes et celles des enfants devraient
amener les politiques à davantage d'honnêteté et de sens de la
justice dans la lecture des faits, des rôles et des
responsabilités.
Les
multitudes d'actions initiées en leur nom et en leur faveur dans
les domaines les plus divers les soulagent certes, mais ne sont
que colmatages de brèches aussi longtemps que persisteront les
guerres de prédation et les luttes fratricides pour la parcelle
de pouvoir et les miettes que les puissants de ce monde
consentent à nos pays.
J'ai
beaucoup de respect pour Wangari Maatai et pour Vandana Shiva en
Inde en raison de leur engagement sur le front de
l'environnement et de la biodiversité. Mais, de toutes les
Africaines, ma mère est certainement celle qui m'a le plus
marquée.
Quant aux épouses des chefs d'Etats, j'évite, comme pour leurs
maris de tomber dans les clichés qui veulent qu'ils soient tous
mauvais et corrompus. Ce qui se passe du côté des hommes se
vérifient chez les femmes : nous avons souvent tendance à
courtiser en plus du chef, sa femme, ses enfants et son
entourage juste pour régler quelques problèmes et libéralisme
mafieux oblige, à avoir des marchés.
Pour changer les habitudes et les politiques au sommet, nous
devons engager à la base un débat de fond sur la culture
politique qui nous permet de contrôler et de discipliner nos
dirigeants si nous ne voulons pas que les pyromanes pompiers qui
sont à la tête des nations riches nous volent cette prérogative
en plus des richesses dont regorge le continent.
Watch this link :
http://www.dailymotion.com/video/x1etk_aminata-traore_business
Présentation de l’éditeur :
L’Afrique
fait figure de banlieue de la France à l’heure où celle-ci, au
nom de la lutte contre l’immigration clandestine, a décidé
d’avoir la main particulièrement lourde sur ses ressortissants.
Les migrants non rentables pour l’économie française sont
victimes de stigmatisation, de tri, d’expulsions et
d’assignation à résidence. Au-delà de la France, l’Europe
ultra-libérale développe des thématiques et des comportements
identiques au nom d’un idéal de société où la croissance et la
compétitivité sont devenues des valeurs indispensables. Ce
tournant d’une extrême gravité dans les relations
franco-africaines mais également eurafricaines exige leur mise à
plat.
L’Afrique Humiliée, 2008. Editions Fayard.
Paris
Biographie de l’ auteur :
Née en
1947 à Bamako, Aminata Dramane Traoré est écrivain et a été
ministre de la Culture et du Tourisme du Mali (de 1997 à 2000)
sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré. Titulaire d’un doctorat
de troisième cycle en psychologie sociale et d’un diplôme de
psychopathologie, elle a été chercheur en sciences sociales à
l'Institut d’ethnosociologie de l’université d’Abidjan
(1974-1988). Elle a occupé le poste de Directrice des Etudes et
des Programmes au ministère de la Condition féminine de
Côte-d’Ivoire (1979-1988), dirigé un programme régional du PNUD
sur l’eau et l’assainissement (PROWWESS-Afrique, 1988-1992) et
travaillé pour plusieurs organisations régionales et
internationales.
Aminata D. Traoré a publié, L’Étau. L’Afrique dans un monde sans
frontières (Actes Sud 1999), Le Viol de l’imaginaire
(Actes-Sud/Fayard, 2001) et Lettre au Président des Français à
propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général (Fayard,
2005) Elle nous revient en 2008 avec « l’Afrique humiliée » aux
éditions Fayard.
Crédits :
NEW AFRICAN PROPRIETE
EXCLUSIVE
Article de presse Courtesy of Fériel B.G
Rédactrice en chef
www.africasia.com
Photo
: © John Foley/Opale
Publié le 9 décembre 2008 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
|