Interview
«En Libye, il ne s’agit plus d’une
révolution, mais d’un coup d’Etat»
Allain Jules
Dimanche 25
septembre 2011
J’ai eu
l’honneur et le privilège de faire la
UNE du journal algérien La Nouvelle Réoublique où j’ai donné, hier, un
entretien exclusif au journaliste Cherif
Abdedaïm. Précédant ainsi au
prestigieux et juste journaliste belge
Michel Collon. Comme à mon habitude, je
n’ai pas été tendre avec ceux qui mènent
une guerre de prédation en Libye. Oui,
le CNT ne représente pas les Libyens
mais l’OTAN.
La
Nouvelle République/ Commençons
d’abord par cette fameuse résolution
1973. Dans l’un de vos articles, vous la
considérez comme une « coup d’Etat ».
Cela ne signifierait-il pas que ce coup
d’Etat a été murement organisé et de
façon collective, en connivence avec
l’ONU qui n’a même pas réagi aux
violations de ladite résolution ?
Allain Jules: Avant de vous
répondre, permettez-moi de féliciter
votre Gouvernement qui n’a pas accepté
le diktat des grandes puissances, avec
l’accueil de certains membres de la
famille Kadhafi. Ceci dit, faut-il
encore vous faire un dessein sur la
trituration de la résolution 1973 qui
est entrain de détruire la Libye ? Je
pense que non. Toute honte bue, les pays
de l’OTAN engagés dans une nouvelle
guerre de prédation, ne se sont même pas
sentis obligés de respecter les règles
qu’ils ont eux-mêmes édicté, érigé. Sur
les 29 articles constituant cette
résolution onusienne, revenons
simplement sur le chapitre dit
« Application de l’embargo sur les
armes ». La France l’a violé sur les
montagnes du Djebel Nefoussa en toute
impunité, en mer aussi. Le Qatar a fait
pareil. Alors, pas besoin de revenir sur
le reste. A partir du moment où l’on
prend des armes, il ne s’agit plus d’une
révolution mais d’un coup d’Etat car, on
veut renverser le régime en place. Or,
toutes les têtes de pont de ce conflit,
de Barack Obama le président américain
au président français Nicolas Sarkozy,
en passant par David Cameron le premier
ministre britannique, tous juraient, la
main sur le cœur, en nous regardant qui
plus est dans le blanc des yeux, que le
guide libyen, Mouammar Kadhafi, n’était
pas le but de ce coup d’Etat masqué en
révolution. Quant à l’ONU, c’est
désormais une coquille vide qui ne sert
que les grands pays. Elle manœuvre en
leur faveur, pour que la doxa
occidentale perdure, malgré ses
insuffisances, au même titre que la Cour
pénale internationale (CPI), la plus
grosse arnaque judiciaire créée contre
les Africains indociles.
La NR/
A propos de coup d’Etat, d’autres voix
vont encore plus loin en expliquant
comment cela a été fomenté par la France
pour des raisons purement
économico-financières. Kadhafi aurait eu
l’intention de retirer tous ses avoirs
relatés aux ventes de pétrole Libyen, et
qui se trouvaient en particulier dans
des banques Françaises, pour les
transférer vers des banques Asiatiques ;
ce qui aurait été catastrophique pour la
France et l’Europe. Alors ? Il faut
l’abattre ? Quel est votre avis ?
Allain
Jules: La précipitation avec
laquelle la France s’est engagée contre
le régime libyen laisse pantois.
D’ailleurs, au début du conflit, avant
la prise en main des opérations par
l’OTAN, de nombreux atermoiements
étaient constatés sur le terrain,
l’improvisation était criarde. Je n’ai
pas d’information relative aux soucis
supposés ou non de la France en matière
économico-financière. En revanche,
toutes les économies occidentales sont
dans le rouge. Il suffit d’observer le
yo-yo boursier. De là, à faire ce
glissement et amputer le vol des avoirs
souverains libyens, il n’y a qu’un pas.
Peut-être qu’on en saura un peu plus
dans les semaines à venir. Néanmoins,
les raisons profondes que certains
Africains mal informés ignorent, c’est
que l’homme que les médias occidentaux
et même certains, dits africains,
présentent comme un fou, est plutôt un
visionnaire. Kadhafi avait pour but -et
c’est d’autant plus étrange qu’il soit
attaqué maintenant-, de sortir l’Afrique
de l’ornière en créant une armée commune
pour la préservation de sa souveraineté,
mettre en place le dinar or pour son
pays, et booster l’économie africaine
par divers investissements relatifs aux
fonds libyens. J’ai réalisé récemment
pour la chaîne qatari Al Jazeera, une
étude sur les fonds libyens en Afrique
subsaharienne. Ce qu’on y découvre est
vraiment formidable pour les générations
futures.
La NR/
Sarkozy a pris de vitesse ses alliés en
entamant les hostilités en Libye.
Maintenant, le revoilà qui surprend tout
le monde avec cette visite à Tripoli et
Benghazi ; pourquoi d’après-vous ?
Allain
Jules : Oui, en réalité, il
croyait dans son for intérieur, que, la
France allait faire de la Libye une
bouchée en 72h chrono. Trompé sans doute
par des think tanks bien rémunérés et
dont on ne voit aucun résultat concret
sur le terrain. C’est cet
amateurisme-là, qui leur est reproché,
lui, son état major et ses conseillers
« toxiques », passez-moi l’expression.
Son voyage napoléonien en pays arabe est
un poker menteur insipide. Atterrir dans
un aéroport vide, rouler dans un
véhicule blindé aux vitres teintées
jusqu’à un hôpital avant de se rendre
dans un hôtel ultra sécurisé, est d’une
tristesse abyssale. Quant à Benghazi, ce
fut le bouquet. Avec un libérateur qui
ne peut parler que devant 1000 ou 1500
personnes dans une ville comptant 800
000 âmes, il faut avouer que parler de
triomphe comme je l’ai lu ici et là,
c’est l’hôpital qui se fout de la
charité… Ce voyage n’a vraiment pas
apporté une moisson de bonnes nouvelles,
au contraire. En fait, Nicolas Sarkozy
voulait occuper le terrain médiatique
en….France car, son déplacement
coïncidait avec le premier débat des
socialistes français qui concourent à la
candidature pour choisir le représentant
de leur parti à l’élection
présidentielle de 2012. Donc les Libyens
selon Sarkozy…
La NR/
Lors de cette visite, on s’attendait à
ce qu’il soit accompagné de son ministre
des Affaires étrangères, rien de cela.
Au contraire, c’est toujours ce fameux
BHL qui est mis en scène, pourquoi
d’après-vous ?
Allain
Jules: Si, Alain Juppé le
ministre français des Affaires
étrangères était de la partie. Annoncé
absent, puisqu’il devait comparaître
devant un tribunal francilien pour
malversations dans le cadre des emplois
fictifs de Paris, par un tour de micmac,
il a été du voyage. Quant à l’autre
quidam, BHL, son anthropomorphisme et
ses indignations sélectives me rebutent.
Il est ainsi fait notre cher « Botul »
pour les intimes, ou Mickey le
philosophe, au choix. C’est un humaniste
des plateaux de télévision et des
papiers glacés. Adepte du terrorisme
intellectuel, de la censure de ses
contradicteurs, il restera dans
l’histoire comme le seul philosophe
ayant promu la guerre en lieu et place
de la paix et de la négociation. Ce
n’est pas reluisant. Son voyage libyen
est narcissique comme le personnage qui
voulait, par celui-ci, montrer son
autosatisfaction. Mais, moi, avoir ainsi
du sang de milliers de Libyens sur les
mains, je ne dormirai plus la nuit. Pour
BHL en revanche, c’est le dernier de ses
soucis, tout pour sa gloriole. C’est
pathétique.
La NR/Selon,
un communiqué de l’OTAN, « Il n’existe
simplement pas de solution militaire à
cette crise, mais nous avons besoin d’un
processus politique pour une transition
pacifique à la démocratie en Libye ».
Quelle lecture possible peut-on faire de
cette déclaration ?
Allain
Jules: Taratata ! OTAN en emporte
le vent ! C’est de l’esbroufe. Du vent.
Une ruse supplémentaire pour faire
croire que le but est la pacification de
la Libye alors qu’elle apporte son
soutien à des renégats, des terroristes,
des islamistes et des racistes patentés.
Donc, il n’en est rien. Si c’était vrai,
ça se saurait. Depuis le début du
conflit, ne l’oublions pas, il y a un
camp, le seul, qui a toujours voulu
l’arrêt des hostilités. Ce n’est pas
celui belliqueux représenté par l’OTAN
et ses sous-fifres du CNT. Pourquoi donc
prolonger sa mission au moment où, tout
le monde est convaincu que c’est plié ?
L’inéluctable guerre civile qui se fait
jour aujourd’hui, à moins d’être autiste
et porter des œillères, devrait ouvrir
la porte à des négociations pour arrêter
ce massacre. Mais, quand vous entendez
Nicolas Sarkozy pérorer aux Nations
unies sur Kadhafi qui « doit être
jugé », c’est comprendre simplement
qu’en Libye, il y a un concept nouveau
en matière de système politique : la
démocratie d’exclusion. La victime, le
clan Kadhafi. Ça ne vous met pas la puce
à l’oreille ? Ils ont peur de la
popularité de ce clan, en Libye, et
veulent l’éliminer pour s’accaparer des
richesses libyennes en toute impunité.
Aucun régime au monde ne peut résister
face à une révolution populaire. Ce
n’est pas le cas en Libye et en Syrie.
Ne vous méprenez pas. J’entends déjà les
cris d’orfraie de ceux qui défendent une
soi disant « démocratie mondiale » et la
« liberté » brandies comme trophée, la
panacée, alors que dans les faits, rien
ne change. Que reste-il de la révolution
du jasmin en Tunisie ? C’est Lampedusa
et le tourisme qui baisse en faveur des
destinations européennes. Diantre. Que
reste-t-il de la révolution égyptienne ?
C’est le procès hypocrite de l’ancien
Raïs, Hosni Moubarak et le secteur
touristique qui périclite, ainsi que les
intérêts d’Israël dans la région
menacés. Faut-il des révolutions, de la
liberté ? Oui, mais que ce soient des
demandes spontanées, qui ne se basent
pas sur de faux prétextes, guidés par
l’étranger ou par mimétisme.
La NR/
« Notre mission, a déclaré le secrétaire
général de l’Alliance, Anders Fogh
Rasmussen, continuera tant que
continueront les attaques et les menaces
». D’après cette déclaration ne se
dirigeraient-on pas vers une situation à
l’irakienne ?
Allain
Jules : Anders Fogh Rasmussen est
un extrémiste. C’est connu. Sa
déclaration est d’un ridicule. Pourtant,
sur le terrain, c’est bien l’OTAN qui
menace et attaque. Cherchez l’erreur.
Mais, la question aujourd’hui est de
savoir qui va protéger les populations
civiles libyennes alors que c’est l’OTAN
qui était supposée y œuvrer, sensée le
faire ? A moins de protéger des renégats
armés, et de tuer justement ces civils
qui refusent le diktat du CNT, la
mission de l’OTAN a jeté son dévolu sur
la personne de Mouammar Kadhafi et les
populations civiles tout en détruisant
les infrastructures libyennes.
Essentiellement. Il faut quand même
rappeler que son quartier général de Bab
Al Aziza a été bombardé 68 fois alors
qu’il n’a violé aucune résolution
onusienne. Le but était donc de le tuer.
Était-ce la mission inavouée de l’OTAN ?
Sans doute. C’est donc sans surprise que
la prolongation de 3 mois de sa tuerie
en Libye, en Afrique, se poursuit sans
que personne ne lève le petit doigt, la
raison du plus fort étant toujours la
meilleure même comme les voltiges
mensongères sautent aux yeux de tous,
sans exclusive. Nous, peuple européen,
ne nous mobilisons que lorsque notre
porte feuille est touché. Si le conflit
se poursuit ad vitam aeternam, peut-être
que les gens comprendront l’injustice
faite à la Libye qui n’a rien demandé à
personne.
La NR/
Certains analystes pensent qu’on assiste
à une reproduction exacte du schéma des
années 1920, c’est-à-dire que les
puissances mandataires vont installer
des élites qui se partagent des
Parlements dans le cadre d’élections et
d’une vie politique, le tout sous la
stricte surveillance d’un haut
commissaire. Maintenant, nous nous
retrouvons avec cette fameuse Conférence
internationale de soutien à la Libye
nouvelle. Cela ne viserait-il pas à
instaurer une démocratie parlementaire
de façade, sous contrôle des puissances
coloniales, et avec l’approbation de
l’ONU successeur de la SDN ?
Allain
Jules : Je suis du même avis. Les
évènements et les scandales d’hier n’ont
toujours pas servi de leçon,
aujourd’hui. Personne ne semble voir la
reproduction des mêmes schémas. C’est
quoi la nouvelle Libye ? Sur quelle base
l’étranger doit-il la définir ? Si ce
n’est pas sa re-colonisation, alors
dites-moi, j’ai dû louper un épisode,
quelque chose sans doute mais, qu’est-ce
que c’est la nouvelle Libye ? Dans ce
dossier ridicule, derrière les
salmigondis de ceux qui agressent la
Grande Jamahiriya, il y a plus de:
« l’Homme est un animal métaphysique »
de Schopenhaeur que « l’Homme est par
nature un animal politique » d’Aristote.
Ils sont dans le déni perpétuel et
veulent imposer leur vision sociétale
aux autres en usant de tous les
expédients et subterfuges possibles et
inimaginables. Penser qu’il y aura une
vraie démocratie en Libye c’est de la
poudre aux yeux. Dans la configuration
libyenne qui est profondément tribale et
dans la plupart des sociétés africaines,
la démocratie relève plus de l’utopie
que d’autre chose. On vote par affinité
ethnique surtout. Le cas libyen que je
connais ne peut apporter que des
hommes-liges au service de l’Occident.
Je ne vois aucun membre de la société
civile libyenne ou du CNT remporter les
suffrages devant un membre du clan
Kadhafi sur une vraie élection avec
supervision par exemple de l’Union
africaine (UA). Le reste n’est que
verbiage vaseux et falsification
historique. Néanmoins, il faut des
libertés. C’est indéniable. Quant à les
imposer par des Tomahawk, alors, je
m’inscris en faux. Qu’attend donc
l’Occident dit monde libre, encore une
escroquerie, pour aller défendre les
Biélorusses à quelques heures d’oiseaux
des démocraties ?
La NR/
Si cela se confirme quelles seraient,
d’après-vous, les répercussions de ce
nouveau schéma sur les plans externe et
interne ; étant donné que sur le plan
externe, cela va ostraciser la Russie et
la Chine, dont les influences sont
considérées comme des vestiges de la
guerre froide; alors que sur le plan
interne, on va peut-être assister à
l’instauration d’un régime républicain
sous l’intitulé de démocratie?
Allain
Jules: Permettez-moi de douter de
la formulation de régime républicain.
Parce que, la République est une forme
de gouvernement dans laquelle les
gouvernants sont désignés par l’élection
du peuple. Et par conséquent, en Libye,
ce n’est pas le cas et ça ne le sera
jamais tant que l’Occident aura les
manettes sur place et jouera le chef
costumier. D’ailleurs, croyez-vous
vraiment que le CNT peut gouverner la
Libye ? Sur quelle légitimité d’ailleurs
? J’en doute. Ils n’ont ni les capacités
ni la volonté de défendre la
souveraineté de leur pays. Quant à la
Russie et à la Chine, on ne peut
présager de rien pour l’instant. Elles
ont joué la neutralité. Vous savez,
l’histoire des relations internationales
est émaillée de surprises. Parce que, en
réalité, nul ne sait qui tire les
ficelles sur le dossier libyen. Ce n’est
pas toujours le gesticulateur du bocal
ou l’éjaculateur précoce, suivez mon
regard, qui est invité au dîner final.
Vous verrez.
La NR/
Après cette guerre libyenne, Sarkozy
semble avoir goûté aux « délices » des «
croisades », comme, d’ailleurs, il l’a
déclaré publiquement : « l’Iran pourrait
être la prochaine cible ». Quel serait
l’intérêt de la France, en particulier,
dans ce cas de figure ?
Allain
Jules : Encore une fois, il est
plutôt risqué de parler de la fin de
cette guerre. Elle ne fait que
commencer. Nous sommes entrés de
plain-pied, dans une guerre civile qui
risque de perdurer, surtout que l’OTAN a
décidé de terroriser les populations
civiles qui refusent le diktat du CNT.
Vous avez parlé de révolution ? Pourquoi
la population de Syrte ou de Bani Walid
ne se soulève pas contre les milices
dites pro-Kadhafi ? C’est qu’elle
n’existe pas et que c’est le peuple qui
a pris les armes pour se protéger
puisque la soi disant « communauté
internationale » organise un génocide
contre le peuple libyen avec l’aval,
hélas, de certains de ses propres fils.
C’est pathétique. Ceux qui tentent
d’ignorer cette réalité se rendront à
l’évidence. Sans vouloir jouer les
Nostradamus, je crois que c’est très mal
engagé, même si l’OTAN réussi sa
mission, celle d’assassiner le guide
libyen, Mouammar Kadhafi.
ENTRETIEN REALISE PAR CHERIF
ABDEDAÏM
Source:
La Nouvelle République
Publié avec l'aimable
autorisation d'Allain Jules
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