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Fériel Berraies Guigny

Agnès Levallois: « Le propre d'une chaine de télévision aujourd'hui, est d'être indépendante » !


Agnès Levallois

Les médias au sein des sociétés contemporaines, sont à la fois un miroir et une lentille déformante. Ils sont des outils de connaissance mais ils mettent aussi en œuvre, par facilité ou conformisme, des caricatures et des simplifications.
Dans le cas de l'image du monde arabe dans les médias occidentaux, l’idée qui ressort est qu’il y a plusieurs mondes arabes . Un Monde qui ne présente pas une façade unie et dont la diversité ajoute à sa complexité.
Les rapports entre les nations constitutives du monde arabe et l’Occident et les lignes politico-diplomatiques de ces derniers, ont contribué à certaines déformations, creusant le fossé des incompréhensions entre Orient et Occident.
Les médias occidentaux n'offrent pas tous la même lecture des réalités politiques ou sociales arabes. L’Expression a rencontré Agnès Levallois, Directrice adjointe de rédaction pour le contenu en arabe de France 24. Auparavant elle fut directrice de l’information de RMC-MO (filiale en langue arabe de RFI) de février 2005 à septembre 2006. Elle est l’auteur de Moyen-Orient mode d'emploi (Stock), a co-écrit plusieurs ouvrages : Jérusalem de la division au partage ? (éditions Michalon), Dico rebelles (éditions Michalon), Perspectives Égypte, Les États-Unis et la Méditerranée. Elle a également apporté sa contribution à différentes publications telles que Télérama, les Cahiers de l’Orient, Sciences po magazine ou le Bilan du monde.
France 24 avait officiellement lancé l’ouverture de son canal en langue arabe, en avril 2007. Un souci de proximité par rapport à cette population et un rappel des liens privilégiés que la France a avec le monde arabo-musulman, selon les termes de la Directrice.
France 24 est la première télévision occidentale à émettre dans cette langue, à l'exception de l'américaine Al-Hurra, créée en 2004 et financée directement par Washington. La chaîne française est accessible par satellite à l'ensemble des populations arabophones d'Europe, d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
À l'antenne, trois présentateurs incarnent cette version arabe, dont deux Tunisiens : Taoufik Mjaied — vingt ans de journalisme, dont six à RMC Moyen-Orient, qui apporte son expérience et un riche carnet d'adresses — et Hakim Beltifa, 29 ans, passé par plusieurs télévisions du monde arabe. Aziza Nait Sibaha, jeune trilingue de 30 ans, a commencé sa carrière il y a neuf ans au Maroc. Elle est le visage féminin du canal.

Entretien :

Que pensez vous du paysage médiatique arabe actuel ?

C’est un paysage qui s’est énormément évolué avec l’émergence de chaines de télévisions satellitaires à travers le Monde arabe, depuis une dizaine d’années. Cela a commencé avec Al Jazira qui a permis l’ouverture à un paysage médiatique très diversifié. Ceci a bouleversé les habitudes des téléspectateurs qui étaient auparavant habitués aux chaines nationales. Cela impliquait un conformisme certain dans le traitement de l’actualité. Aujourd’hui ces téléspectateurs sont devenus très friands et très exigeants par rapport à cette information. Cette diversité des choix de chaines qu’elles soient nationales ou internationales, arabes ou occidentales, font qu’ils deviennent demandeurs par rapport à des points de vue plus diversifiés . Le téléspectateur aujourd’hui, avec la pluralité médiatique veut forger son propre point de vue, en regardant toutes ces différentes chaines.

On parle d'un déclin de l'audiovisuel français au Maghreb, qu'en pensez vous ? la Francophonie est en perte de vitesse à quoi attribuez vous cela ?

Aujourd’hui il est certain que le public par rapport à ces chaines, est moins important. Notamment depuis la concurrence des chaines satellitaires arabes. Effectivement il y aussi une perte d’influence de la francophonie d’une certaine façon. Ceci renvoie aussi à la politique française, je ne m’avancerai donc pas sur la question. Bien sur les élites au Maghreb et au Moyen Orient continuent à avoir un certain intérêt pour la langue française, mais cela reste une minorité. La chaine francophone TV5 continue toujours à être présente dans le paysage médiatique de ces pays là.

Beaucoup pensent que depuis le 11 septembre, l'arabisation du paysage audiovisuel est une forme de protestation contre l'agressivité médiatique de l'Occident vis-à-vis du Monde arabe, quel est votre sentiment ?

Il est vrai que le 11 septembre a été un tournant crucial dans la perception du monde arabe et ce, des deux côtés. L’arrivée des chaines satellitaires arabes a permis de rééquilibrer l’information, mais également les perceptions réciproques. De plus, ces chaines arabes ont un staff très professionnel, formé la plupart dans les chaines occidentales comme la BBC. C’est la diversité et la pluralité des chaines d’information qui ont instauré un climat sain de l’information. Il est important que le monde arabe puisse avoir « ses propres images » à savoir son propre regard dans le traitement de l’information. Par ailleurs, les pays occidentaux doivent aussi « voir et entendre » ce qui se fait dans les pays arabes.

On reproche au journalisme français, un certain traitement médiatique de la Guerre du Golfe, dans les rédactions des télévisions françaises : occultation de certains faits, non-suivi et suivi de l'information, information en direct (quand "l'Histoire en train de se faire"), censure militaire et autocensure, manipulations réciproques, désinformations, et propagande à la télévision ?

Je ne suis pas d’accord avec cette approche de la situation, s’agissant du traitement de l’information. Il est vrai que la guerre du Golfe est un tournant d’un point de vue journalistique. Suivre la guerre « en direct » est une nouvelle donne, un exploit technologique. Il n’y a par conséquent aucun recul dans ce que l’on donne au téléspectateur. On peut penser alors qu’il y a quelques manipulations, il est vrai qu’il y a eu quelques cas. L’information spectacle peut entraîner ce genre de dérive. Mais s’agissant du journalisme français durant la guerre du Golfe je suis pas tout à fait d’accord pour dire qu’il y ait eu uniquement manipulation. Bien sûr ce que l’on a pu reprocher, c’est peut être en rapport avec certaines personnes qui s’autoproclament expert de la région ou du conflit en tant que tel. Ce qui est cause dans la question que vous posez, serait de savoir comment devrions nous réagir face à un événement direct, quand on est une chaine d’information continue. Ce robinet ouvert en permanence ne permet pas toujours le recul nécessaire pour digérer l’information.

La politologue, Olfa Lamloum, auteur d'Al Jazira, miroir rebelle et ambigu du monde arabe (La Découverte, 2005), parle d'un véritable agacement du monde arabe, face à la surmédiatisation d'experts français polémiquant sur l'Islam, votre sentiment ?

Il y a quelques figures qui sont omniprésentes sur les chaines françaises. Mais la plupart du temps, nous obéissons à des contraintes de disponibilité. On finit alors par se retrouver avec des figures qui se pontifient à force ; certaines personnes ont des choses importantes à dire, d’autres parlent de tout et de n’importe quoi. Il y a donc forcément un moment, où l’on devient moins compétent.
Or, il faut des compétences et des expertises pour enrichir le débat, mais dans un contexte d’urgence d’une chaine d’information continue, il faut s’attendre au contre coup négatif de notre système. Alimenter une chaine 24 h sur 24 n’est pas une mince affaire.

Les pays arabes sont également hostiles à tous les amalgames qui sont attribués au fait islamique, comme le port du voile, l'intégrisme, le terrorisme, ne pensez vous pas que les médias occidentaux ont tendance à conforter ces clichés ?

Oui en effet, il n’y a pas toujours la rigueur nécessaire pour traiter de ces sujets qui sont extrêmement délicats. A France 24, nous essayons justement d’avoir le recul nécessaire pour ne pas tomber dans les clichés. Nous voulons informer, mais aussi apporter nos points de vue. Nous voulons organiser des tables rondes, des débats pour laisser les différentes opinions s’exprimer voire s’affronter. Il faut donner à réfléchir au téléspectateur. Il ne faut pas abonder dans la caricature ou vers une vision manichéenne des choses. Il y a une dimension pédagogique dans nos chaines d’information, que l’on doit développer. Il faut aider à une meilleure connaissance des uns et des autres. Des débats de qualité, peuvent amener cette meilleure connaissance.

Quel a été le rôle des médias français dans l’affaire des caricatures ?

J’avais assisté à l’époque à l’émission de monsieur Calvi « mots croisés » et j’avais trouvé que certains invités avaient des positions très caricaturales. Mon point de vue se voulait plus nuancé, je voulais comprendre les divergences des uns et des autres. Il y a eu beaucoup de réactions très viscérales à ce sujet. Le drame c’est que bien souvent, sur ces questions qui touchent à la religion ce sont « les tripes » qui parlent. C’est là, où nous journalistes, avons un sacré boulot à faire, pour éviter les amalgames et les banalisations. Nous devons reprendre le débat en mains.

On sent également s'agissant de certaines chaînes francophones, qu'il y a un véritable parti pris favorable, en faveur d'Israël, votre sentiment ?

Je ne suis pas d’accord avec ça, car je trouve qu’il y a quand même en France, des médias qui sont très nuancés et on arrive à entendre différents points de vue. C’est vrai aussi que la radicalisation du conflit, fait qu’il est de plus en plus difficile de pouvoir organiser des débats constructifs sur le fond. On est de plus en plus, dans des positions radicales des deux côtés. La presse peut refléter par conséquent la situation d’impasse politique. Il y a dix ans en arrière après les Accords d’Oslo, il y a eu une grande ouverture avec beaucoup de débats et des points de vue très complémentaires qui s’exprimaient. Mais je ne dirais pas pour autant que la prise de position médiatique qui ressort, est pour autant, une prise de position israélienne.

On dit qu’Al Jazeera est une entreprise idéologique, est ce un cliché venu de l’Occident? Les Etats Unis qui la voyaient comme une menace on créé Al Hurra en 2004, est ce une manière pour eux de légitimer leurs actions dans la région ?

Il est vrai que la création d’Al Hurra a correspondu à un véritable besoin pour les américains d’expliquer et de légitimer leur politique dans la région. C’est une façon de contrer l’influence d’al Jazeera. Mais Al Hurra est tellement marquée comme étant issue de la propagande américaine, que du coup c’est une chaine qui n’a aucune crédibilité. Le propre d’une chaine de télévision aujourd’hui, c’est d’être indépendante.

Comment la France perçoit Al Jazeera ?

On ne sait pas quelle est la ligne éditoriale de cette chaine, tout ce que l’on sait, c’est que sur cette chaine, on peut tout entendre. Tous les points de vue sont là, mais en l’absence d’une ligne éditoriale claire, certains peuvent penser qu’elle est idéologiquement très marquée, d’autres trouveront que c’est beaucoup plus ambigu. Mais cette chaine a complètement ouvert le champ médiatique du monde arabe. C’est une chaine intéressante, qui a des journalistes très compétents, les sujets sont très intéressants. Parfois je suis un peu perplexe sur la ligne éditoriale, je sais aussi qu’il y a des lignes rouges qui ne seront jamais franchies. On ne parlera par exemple jamais de la situation interne au Qatar, mais cela reste une chaine libre qui parle de tout et qui est tout à fait respectable. C’est une chaine à regarder avec le recul nécessaire, surtout quand on sait que certains groupes peuvent l’utiliser pour faire passer certains messages. Il faut toujours procéder au décryptage de l’information. Bien sur la surenchère de l’information existe aussi, car depuis dix ans, Al Jazeera a vu apparaître des chaines concurrentes.

Pensez vous que France 24 va « rompre avec tout ce qui peut paraître arrogant et triomphaliste » pour le monde arabe ?

Nous sommes une chaine d’information internationale qui a la particularité de diffuser la même information en langue arabe, nous n’avons donc pas de positionnement avec le Monde arabe. Nos objectifs est d’atteindre un public le plus large possible. C’est par la langue que nous basons notre proximité. Bien sûr l’actualité du Monde arabe nous touche, mais ce qu’il faut savoir à l’instar d’Al Jazeera c’est que la ligne éditoriale est la même dans les trois langues ; français, anglais et arabe. Nos trois desk forment une seule rédaction qui émet les même sujets dans trois langues.

En conclusion, quel est votre parcours et votre rôle au sein du desk arabe de France 24 ?

Brièvement, j’ai appris l’arabe tard à 18 ans à Paris, ensuite j’ai passé deux ans à Damas et j’ai même pris des cours à Bourguiba School. Aujourd’hui cela fait 25 ans que je travaille en arabe et auprès du Monde arabe. Avant France 24, j’ai été des années Directrice de l’information de RMC Moyen Orient, filiale arabophone de RFI. Sur France 24, je m’occupe de la chaine arabe que ce soit la partie télévision ou internet. Je suis en charge de tous les programmes en langue arabe de France 24. Je m’intéresse à cette région depuis des années et j y’ai fait pas mal d’analyses. Je participe dans cette volonté qu’à la France de jeter des ponts avec cette région avec laquelle elle entretien des liens historiques. Je crois beaucoup au dialogue entre les deux rives de la Méditerranée. Et France 24 peut répondre à ce besoin de dialogue, de discussion et de débat entre le Nord et le Sud. Il y a là un enjeu essentiel pour éviter les clichés et les caricatures entre nos deux régions. Nous avons cette liberté de pouvoir traiter tous les sujets et c’est un champ d’investigation fabuleux.

 

Crédits Presse : Courtesy of F.B.G Communication
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Entretien réalisé exclusivement pour  l’Expression Tunisie.
Publiée le 12 février 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny



Source : Fériel Berraies Guigny


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