Par Fériel Berraies Guigny. Paris
Afef Jnifen « Le retour en force Berlusconi, ne présage
rien de bon pour la communauté arabe d'Italie » !
Afef Jnifen - © Afef Jnifen
A l issue des élections législatives et sénatoriales en Italie qui ont annoncé le retour en Force de la ligue du
Nord et de son « cavaliere » Berlusconi, nous nous sommes
entretenus avec Afef Jnifen pour qu'elle nous fasse part de ses
premières impressions, mais également de son combat pour
démystifier l'image négative de l'Islam en Italie. Une
discussion à bâtons rompus, sur les effets de la polémique Magdi
Alam suite à sa conversion et le poids des accusations qu'il a
portées à l'encontre de la religion musulmane dans le Monde,
s'en est suivie.
Afef Jnifen est plus qu’une simple icône
du glamour et de la beauté, bien qu’elle avoue devoir beaucoup à
ce Monde qui continue à la séduire. Afef Jnifen aux côtés de
l’actrice française d’origine algérienne Rachida Brakni sont les
deux premières égéries du Monde arabe à pénétrer dans le monde
si fermé de la
haute cosmétique avec l’Oréal. Et
ce qui ne gâche rien, elle est aussi est l'épouse de Marco
Tronchetti Provera,
président de Telecom Italia et de
Pirelli.
Elle fera aussi une entrée très
remarquée au Festival de Cannes 2008 qui l’intronisera et par la
même, la fera connaître à la presse internationale. Une entrée
de plein feux dans le people world qui ne l’empêche pas pour
autant de prêter sa notoriété à des causes nobles, comme
l’enfance en danger ou malade.
Et surtout, de continuer à
militer contre l’image négative de
l’immigration et de l’Islam dans son pays d’adoption.
Entretien
avec Afef Jnifen :
1/ Icône de la mode puis de la télévision
italienne, comment expliquez vous votre intérêt pour le
politique et les questions sociales?
La mode est certainement une vocation que
je continue d’exercer ; d’ailleurs l’Oréal m’a dernièrement
intégrée dans sa campagne cosmétique. Je suis la première égérie
du monde arabe à avoir cet honneur. Avant moi il est vrai que
l’on optait plus pour des Jane Fonda, Claudia Schiffer ou encore
Pénélope Cruz. Quant à la télévision italienne, il est vrai que
le programme satirique sur la société italienne que j’avais
animé l’année dernière avait reçu un franc succès. J’ai
d’ailleurs obtenu un oscar de la télévision italienne pour ce
programme. S’agissant de mon intérêt pour la politique, j’y
baigne déjà depuis ma plus tendre enfance, à travers la carrière
de mon père, et encore aujourd’hui je l’avoue je suis de très
près les mutations de la société italienne et sa vision du Monde
arabe. Face à certaines déclarations, certaines images faussées
concernant le Monde arabe, il m’est difficile de rester stoïque.
C’est ce qui m’a poussée à réagir à bien des occasions. Les
questions liées à l’immigration arabe, au communautarisme
religieux, ont fait que j’ai profité de ma notoriété pour
défendre cette communauté. Même si moi-même je ne relève pas de
l’immigration économique, je me sens investie de ce rôle, celui
qui consiste à
déconstruire certains stéréotypes
extrêmement dangereux s’agissant de l’Islam et de l’immigration
en Italie. Du reste, la Communauté arabe d’Italie soutient mon
combat et est très fière de mes actions.
2/ Vous êtes connue pour vos prises de
position contre la xénophobie en Italie, quel est pour vous
l’image que la femme arabe devrait donner en terre d’Occident ?
Je suis désireuse avant tout de casser
certains clichés qui nous présentent comme des femmes soumises,
sans droit et sans fonction. Je me bats pour expliquer qu’au
contraire, dans certaines sociétés non seulement la femme est
l’égale de l’homme mais elle occupe aussi de hautes fonctions.
En Tunisie, par exemple il y a plus de femmes dans le Parlement
qu’en Italie ou en France. Je considère qu’elles n’ont rien à
nous apprendre, ces sociétés occidentales. Bien sûr les
mentalités arabes doivent aussi évoluer notamment au sein de
certains pays du Golfe. Mais pour ce qui est du Maghreb, la
femme a certainement une place importante au sein de la société.
Le plus grand danger aujourd’hui
provient des médias occidentaux qui déforment certaines
réalités.
3/ On vous voit beaucoup dans le sillage
des politiques, auriez vous des velléités d’une carrière ?
Je suis vraiment à l’aise dans ces sphères
là, il est vrai. La politique m’attire, mais aujourd’hui je
n’envisage pas de faire une carrière, et puis je ne suis pas
encore dans l’âge politiquement correct, je n’y pense donc pas
pour l’instant, peut être dans quelques années. Et puis, il me
faudra alors avoir quitté le monde de la mode, pour avoir une
certaine crédibilité.
4/ Des rumeurs vous disaient promue à un
passage dans le Sénat italien ?
Il y a deux ans, il est vrai que la
collaboration avec Berlusconi et certaines de mes
prises de position s’agissant du
Monde arabe, ont fait que j’y avais pensé, mais ensuite le
gouvernement a changé.
5/ Entre temps Berlusconi est revenu ?!
Oui mais aujourd’hui, à l’instar d’il y a
deux ans, je n’envisage plus une collaboration avec lui. De plus
j’ai soutenu pendant cette campagne, la candidature de Veltroni,
je suis plus proche de ses idéaux politiques. Et pour moi, la
défaite d’aujourd’hui est assez éprouvante car elle signe
également un retour en force de la ligue et tout ce qui va
s’ensuivre d’effets négatifs pour la communauté arabo-musulmane
d’Italie.
6/ Vous vous dites « Conseillère
Technique » pour les questions touchant le monde arabe, cette
expérience vous tenterait elle une seconde fois ?
Oui peut être, pourquoi pas, une fois mes
engagements avec la mode finie. Mon travail était simple, il ne
me demandait pas vraiment de démontrer une connaissance en
géopolitique ou en diplomatie, je conseillais selon ma propre
opinion personnelle, basée sur la connaissance que j’ai du monde
arabe et de sa mentalité. La connaissance des deux cultures et
le fait de constater que nos deux mondes passent par une période
de crise, ont fait le reste.
7/ Vous êtes par ailleurs engagée dans certains combats
humanitaires, pouvez nous en parler ?
Je fais
beaucoup d’actions pour venir en aide aux enfants malades, ou
encore pour contrer le phénomène de la pédophilie, et celui des
enfants des rues. Cette action s’inscrit dans le cadre national.
8/
L’Italie actuelle enregistre une montée du racisme, et une
méconnaissance du monde musulman, à quoi attribuez vous cela ?
Je pense que les médias ont un rôle très
important dans l’approvisionnement en clichés et stéréotypes
faussés. Par ailleurs, il est vrai aussi que le Monde arabe a
parfois un discours dur et assez violent qui court le risque
d’être récupéré par l’Extrême droite. Entre nous par ailleurs,
nous ne savons pas dialoguer dans la mesure et quand on fait
face à l’Occident c’est toujours dans une dynamique agressive et
sans concession. Et cela alimente les discours de haine et la
désinformation, on ne récupère en Occident, que ce qui peut être
sensationnel et contre le monde musulman.
9/
Parlez de l’Affaire Majdi Alam, pensez vous que cette polémique
va contribuer à creuser davantage les écarts entre les
communautés religieuses ?
Dans ma réponse sur la Stampa en Italie,
j’ai bien expliqué que non,
l’affaire Majdi Allam n’allait
sûrement pas générer des émeutes ou des attentats, il n’est pas
si important que ça, même si on sait que c’est un individu qui a
des procédés qui sont plus du registre du coup médiatique. Je
pense qu’il a un problème de reconnaissance, et c’est presque
narcissique. Je pense que ce monsieur a un sérieux problème
d’identité, un jour il dit quelque chose, le lendemain il dit le
contraire. Le problème ne vient pas de sa conversion, mais des
accusations qu’il a porté à l’encontre de l’Islam qui ont encore
plus exacerbé les haines et l’incompréhension entre les
communautés en Italie.
10/
Dans ce cas de figure, que pensez vous de l’implication du
Vatican pour la conversion au catholicisme de Monsieur Alam ?
Monsieur Alam voulait jouer au martyr
potentiel, il en a fait une véritable mise en scène. Je ne
comprends pas qu’il puisse devenir plus royaliste que le roi,
les articles qu’il a écrit sur l’Islam excédent de loin les tons
de certains mouvements d’extrême droite.
En fait il en a fait un fond de
commerce, la haine contre l’islam. Et le jour de sa conversion,
je disais aux médias italiens, vous verrez qu’il écrira un best
seller sur le sujet et le lendemain même, j’ai été informée
qu’il avait fini son livre à
paraître prochainement. Je l’ai
attaqué et j’ai critiqué ses propos. C’était un véritable bras
de fer, entre les deux seules personnalités du Monde Arabe en
Italie : Moi versus Lui. Quand à sa conversion par le pape, je
pense qu’il a profité du fait qu’il connaissait énormément de
monde qui évoluait autour du Vatican, pour profiter d’une
conversion hautement médiatique.
11/ Vous
vous êtes insurgée plusieurs fois contre les écrits anti
islamiques de Oriana Fallaci?
C’est aussi un autre cas, mais je trouve
cela un peu plus légitime, qu’une italienne parle en ces tons,
même si je ne suis pas d’accord avec ces propos, qui disaient
que les arabes allaient envahir l’Europe, car non seulement
c’est faux, mais cela incite
également à une profonde
incompréhension par rapport à l’Islam. Aujourd’hui, elle n’est
plus de ce monde, dieu ait son âme. Je suis plus gênée
s’agissant de Magdi Alam, un ancien musulman, qui tient des
propos extrêmement racistes et le danger vient
justement du fait qu’il est
extrêmement lu en Italie. L’Eurabie serait
juste un mythe selon vous ?
oui absolument, la communauté
arabe en Italie n’est pas si nombreuse par ailleurs, la
communauté est surtout composée de main d’œuvre, il n’y a pas
d’intellectuels. C’est la raison pour laquelle, cette Communauté
ne peut se défendre contre les discours incitant à la haine.
12/
Comment qualifierez vous l’Italie d’aujourd’hui, d’anti-métisse?
Non pas vraiment, l’italien n’est pas
raciste dans sa nature. Mais le retour en force de la ligue, à
partir d’aujourd’hui n’augure rien de bon pour notre communauté.
Il faut s’attendre à des temps durs avec ce nouveau
gouvernement, car les fossés d’incompréhension grâce aux médias
vont se creuser. On risque de revenir à ce qu’on avait
expérimenté, déjà il y a deux ans. C’est un coup terrible pour
nous, je suis personnellement assez éprouvée, ce soir à la
lecture des résultats.
Merci Afef
Jnifen
Crédits :
La source de cet article, provient
d’une
interview exclusive obtenue par la
journaliste correspondante tunisienne, Fériel Berraies Guigny,
parue vendredi 25 avril,
pour
l’hebdomadaire Tunisien, l’Expression.
Les droits réservés de la photo sont de Afef Jnifen.
Article de presse Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
Publié le 28 avril 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies
Guigny
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