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Par
Fériel Berraies Guigny. Paris
« L’Islam
doit se libérer de sa prison théologique »
selon Abdelwahab Meddeb
Abdelwahab Meddeb
Né à Tunis en 1946, vivant
actuellement à Paris, Abdelwahab Meddeb est écrivain, enseignant
et essayiste; il anime l'émission "Cultures d'Islam"
sur France Culture.
Dans
« Contre prêches » ouvrage qui vient de paraître ce
mois de novembre( éditions du Seuil, 2006) l’écrivain
franco-tunisien Abdelwahab Meddeb, qui vit et enseigne à Paris,
exhorte l’islam à s’affranchir du radicalisme de la pensée
théologique islamiste.
«Ce n’est pas à l’Europe de
s’adapter à l’islam; c’est à l’islam de s’adapter à
l’Europe. A l’islam d’apprendre à subir la critique, même
la plus offensante, sans en venir au crime de sang pour se défendre.
A l’islam d’admettre que les critiques les plus virulentes qui
lui sont adressées peuvent se justifier au vu de la contradiction
qui s’exacerbe entre l’évolution du monde et la fixité de
ses moeurs. Enfin, c’est en Europe que le sujet d’islam doit
sentir la part manifestement obsolète de son héritage.»
Un discours explosif qui a autant
d’émules que de critiques !
En Europe et ailleurs, l’islam est
aujourd’hui à la croisée des chemins, embourbé dans une polémique
entre ceux qui croient aux valeurs de la démocratie, de la liberté,
de l’humain , et ceux qui les nient au nom de la « souveraineté
divine ».
Dans
ces contre prêches, Abdelwahab Meddeb fait tout un réquisitoire
pour démontrer que l’islam
« peut renaître de ses cendres » et que point
n’est besoin de « tout réduire en cendres » au nom
d’un retour à la foi absolutiste. L’Islam pour Meddeb serait
capable en théorie
et en pratique, de sortir de son héritage de servitude.
L’islam, doit croire en la création humaine et en
sa liberté.
L’auteur
n’en finit pas de défrayer
la chronique ces dernières années, à
chaque sortie d’un essai parlant de l’Islam, et avec
force érudition, tout en alliant le jeu de la séduction du verbe
et de la pensée. Il
est l’auteur de plusieurs essais dont tous ont une histoire
en commun ; celle de dénoncer l’Islam contemporain, celui
qui est contaminé par le fanatisme religieux. Ecrivain
engagé et courageux, qui n’a pas sa langue dans la poche, il
n’a de cesse de défier toute une communauté, voire une religion en mal de reconnaissance en Occident. Mais pour l’auteur,
le temps n’est plus à la langue de bois, même si on pourrait
reprocher à ce dernier de conforter certaines « opinions »
en France.
Abdelwahab
Meddeb pose le doigt là où ça fait mal et ”, selon sa
formule, considère qu’il est de sa responsabilité, en tant
qu’écrivain, “ de pointer la dérive des siens et
d’aider à ouvrir les yeux sur ce qui les aveugle ”.
On peut présager que ce
livre et sa pensée en générale va
choquer. Pour comprendre “ l’idéologie islamiste ”,
l’auteur remonte aux sources premières et explique comment
l’impérialisme américain a généré un désir de vengeance de
la part de populations frustrées de ne plus être au cœur de la
production des idées, de la science et des techniques. Selon ses
propos, si les arabes « ne
réorientent pas la perspective, on peut raisonnablement penser
que les Arabes, confinés dans le cadre de la croyance islamique,
sont destinés à rejoindre les civilisations mortes.»
Terrible prédiction
mais n’est- ce pas trop alarmiste ?
Pour l’heure, l’auteur est convaincu que les causes
externes de la décadence arabo musulmane ne sauraient être
attribuées aux seules causes externes. L’Islam est rongé de
son intérieur, par ses propres fidèles qui exhortent au retour
du grand religieux.
Dans ce livre, mais également
dans sa pensée littéraire, Abdelwahab Meddeb aborde
les questions gênantes. Il est à contre courant de tout
ce qui se dit pour tenter de justifier la violence et la terreur
du monde musulman. Mais sont ce les paroles
d’un grand laïc ou d’un illuminé, puisqu’on le nomme le
Voltaire arabe ?
Notre rencontre avec l’écrivain,
pour l’hebdomadaire tunisien Réalités, nous donnera un début
de réponses.
Rencontre
avec Abdelwahab MEDDEB
1)
Qui êtes-vous M. Abdelwahab MEDDEB ? Un écrivain tunisien
d'expression française ou un écrivain français d'origine
tunisienne ? Vous êtes né dans le cœur historique,
culturel et religieux de la ville de Tunis. Votre grand père et
votre père ont été respectivement ulémas en sciences
religieuses et mudarris à l'Université de la
Zitouna. Comment expliquez-vous votre cheminement qui est antithétique
aux leurs ?
AM. Il me plaît de
dire ce que je suis, tel que je me suis constitué, de double généalogie,
la part tunisienne héritée, entretenue par la fréquentation des
textes de l'époque classique de l'islam, et la part française
assurée par l'amour de la langue et l'adhésion aux acquis européens
de la modernité, sinon de la post- modernité. Mais il est sûr
que c'est la première scène tunisoise qui compte le plus dans
cette formation, ce temps de l'enfance, je reste fasciné
par les jours et les heures passées entre la grande mosquée de
la Zitouna où avaient en effet enseigné mon grand père et mon père
et les grandes maisons de Tunis, comme Dar Lasram où hantait
l'ombre de ma grand-mère et Dar Ben 'Achour où habitait une de
mes tantes et toute sa famille. Il est sûr que l'amour du beau
m'est venu de la fréquentation précoce de ces splendides
espaces. Je conserve une fidélité infidèle à cette origine, à
cette enfance; je n'entretiens pas avec elle un lien qui en
sacralise les conventions, les rites, les reconductions, avec ce
que cela comporte comme manquements à la liberté du sujet qui
est pour moi non négociable ; je respecte plus l'esprit que la
lettre de cette origine. Et tout homme qui s'éloigne de la tribu,
en optant pour l'errance, doit s'écarter forcément de la norme;
toute personne qui choisit la poésie se fait quelque peu mystique
spirituellement, anarchiste politiquement, c'est à dire
socialement irrécupérable. Vous devez savoir que l'aventure de
la modernité a un goût de traîtrise.
2)
Vous dites que l'Islam est malade et vous attribuez le déclin des
pays musulmans au refus de « l'Autorité théologique »
d'admettre le principe d'innovation. Entendez-vous par là
l'innovation dans l'interprétation du texte sacré ou encore
autre chose ?
AM. Je fais référence précisément à la notion
théologique de bid'a, laquelle a été invoquée par
les docteurs pour refuser l'apport du siècle : elle a constitué
une terrible clôture qui a dressé un obstacle contre l'évolution
de l'islam, tant dans l'adoption de nouveaux principes de pensée
pour lire autrement les textes fondateurs et les interpréter avec
un oeil neuf que dans le choix de modes d'être en cohérence
avec les révolutions techniques et le confort matériel qu'elles
apportent. Ce qui fait que la nouvelle façon de vivre à
l'européenne adoptée par le plus grand nombre a été
plus subie que choisie. Et il n'est plus aliénante
occidentalisation que celle qui s'est faite passivement, d'une
manière quasi inconsciente. Il faut prôner à propos de cette
adaptation au siècle une politique pragmatique qui devrait répudier
toute forme d'a priori dogmatique.
3) Pour vous
la question de la violence dans l'Islam est une réalité. Vous
venez corroborer les propos tenus par le Pape Benoît XVI et
attribués à un empereur byzantin. Ne craignez-vous pas de
provoquer à votre tour une véritable levée de
bouclier ? Pensez-vous par ailleurs que la violence soit
absente dans les autres religions ?
AM. Si vous écoutez
mon émission "Cultures d'islam" qui passera demain
dimanche 5 novembre sur France Culture et que je consacre à
la conférence prononcée par le pape à Ratisbonne, vous
saurez comment nous approchons les propos de Benoît XVI
avec mes deux invités l'helléniste Jean Bollack et le philosophe
Christian Jambet; il s'agit d'une conférence très technique, très
sophistiquée, qui parle à partir des traditions allemandes de la
philologie et de l'universitas, impliquant la précision des
concepts; en vérité les sous-entendus et les tenants et
aboutissants de ce discours procèdent de l'implicite; on découvrira
que les potentialités que recèle cette conférence nous amène
à affirmer que le pape conviait l'Islam à retrouver son temps
philosophique pour contribuer à la mise en place d'un logos
élargi, redevable aux Grecs et dont la réinstauration constitue
un préalable pour le dialogue entre les cultures. Un tel
dialogue ne peut être entretenu dans le culte de la
violence et la négation de l'autre; il ne peut se concrétiser
que dans le cadre de l'universelle raison dont l'instrument est la
rhétorique de persuasion. Or, ce qui gagne en ce moment
dans le monde islamique, c'est l'interprétation identitaire qui
insiste sur l'exclusivisme, sur l'appel à se préserver dans son
cocon par peur de se dissoudre dans ce que la mondialisation
offre comme bain uniformisateur; et cet appel protecteur est réactif,
il prône le refus de l'altérité : c'est l'arme du faible. En
somme, nous en venons à la conclusion que le message de
Ratisbonne consiste à demander à l'islam de retrouver le
logos perdu (celui d'Averroès par exemple). Ainsi par les
retrouvailles avec ce passé pertinent le sujet d'islam gagnerait
la propédeutique qui l'aiderait à vivre la mutation de
l'intellect qui éclaire notre siècle et qui s'épanouit à
travers la sortie de soi, l'acceptation de la confrontation
de soi avec l'autre dans la mêlée des signes, des idiomes et des
credo. Et tous ceux qui s'enferment dans la violence pour la
défense de soi ou pour l'exercice de quelque hégémonie se
trouvent dès lors en déphasage avec cette mutation de
l'intellect. Le discours du pape à Ratisbonne, lu dans cette
perspective, condamnerait non seulement l'islam (lorsqu'il se
fonde sur l'épée, sur le jihad) mais aussi le judaïsme
exclusiviste ainsi que le christianisme historique qui, avec les
Croisades, l'Inquisition et l'aval donné aux Conquêtes et au
Colonialisme, aura trahi Jésus dont la lettre procède de la
logique du Dieu purifié de toute violence tel qu'il a pu être
pensé par les présocratiques, Empédocle comme Le Parménide.
4)En somme de quel Islam vous
prévalez-vous ?
AM. De
l'islam intérieur, celui des soufis lorsqu'ils sont de la trempe
d'un Tirmidhî, cet extraordinaire créateur d'une éthique de la
subtilité, homme du Xe siècle, ayant vécu en Bactriane, au
coeur du pays alexandrin, en Asie Centrale, entre Afghanistan et
Turkmenistan. Dans son Livre
des Nuances (Kitâb al-Furûq wa man' at-Tarâduf), il cherche
à établir la moindre nuance de sens que comportent des mots
proches, il va même jusqu'à refuser la notion de synonymie pour
conserver au sens toutes ses nuances, il procède ainsi pour avoir
à analyser le moindre de ses actes, cherchant à en déterminer
le rapport entre l'intention déclarée et les motivations cachées
sinon l'intentionnalité inconsciente. C'est après une telle
introspection qu'il osera juger des actes produits par les autres
: le soi ainsi prospecté devient le miroir en lequel se réfléchit
l'autre. Ainsi la relation intersubjective se dégage du
jugement accusateur et de la censure que veut exercer l'humain sur
ses congénères. Dans cette exigence du travail sur soi se
dissout la police des moeurs qui corrompt les sociétés
islamiques et les enferme dans le carcan du conservatisme. Cette
éthique de la nuance peut nous délivrer du moralisme bête qui
est en train de rendre les sociétés islamiques irrespirables,
infréquentables. Vous voyez que les ressources du renouveau
peuvent être fécondées au sein de la textualité héritée de
notre classicisme.
5)Vous dites
que c'est à l'Islam de s'adapter à l'Europe en épousant sa
modernité. Ne pensez-vous pas que de son côté l'Europe a des
pas à faire, en commençant par reconnaître sa responsabilité
dans une relecture du passé colonial et en admettant et en
corrigeant ses fautes vis-à-vis des peuples arabes et musulmans ?
AM. Avec de telles revendications et recherche de
culpabilisation qui accablent l'autre, le sujet d'islam attribue
tout le mal qui le corrompt à la malfaisance des autres. Cette
victimisation est insupportable. Je préfère user de la critique
adressée avant tout à soi-même. J'appelle à agir à l'échelle
des communautés comme l'exige Tirmidhi à la hauteur des
individus. Je rappelle aux musulmans qu'ils furent eux aussi conquérants,
bourreaux : que dire de la violence qu'ils apportèrent à un pays
comme l'Inde en instaurant la fête annuelle du sacrifice, du sang
de la bête versée dans la culture qui vénère les animaux, qui
voient en eux des humains réincarnés?
6) On vous
surnomme le « Voltaire arabe » voire le
"Camus de Tunisie » : qu'en pensez-vous ? Vous
plaidez pour l'introduction des «Lumières" en terre d'Islam ?
AM. Je ne suis pas responsable de ce que disent les autres
sur moi. Tout ce que je sais c'est que je ne suis pas voltairien
par nature ; je perçois immédiatement la réduction qui est la
sienne sur la part à accorder à l'irrationnel, à ce qui déborde,
à la polarité dionysiaque qui m'est chère en raison de ses
capacités esthétiques qui puisent dans le continent noir de l'âme
humaine. Sans elle, la poésie ne serait pas. Mais lorsque les
superstitions et la violence fanatique se déversent sur nous
comme la pire des régressions, alors, oui, vivement Voltaire. Il
constitue en effet le recours le plus efficient face à de tels fléaux.
Il a su en diagnostiquer la maladie contagieuse
d'abord chez ses coreligionnaires catholiques. Quant à
Camus, je suis aussi bien conscient de ses lucidités que de ses
points aveugles. Mais il est vrai qu'il avait la vertu de ne s'être
pas aliéné par les valeurs déclarées positives par
l'intelligentsia de son époque ; s'il avait vécu plus longtemps,
il n'aurait pas eu à déchanter car il n'avait jamais cru en des
lendemains qui chantent.
Parmi
les essais Best
Sellers :
2006
2005
2005
2004
Romans :
2003
Crédits :
Source : Réalités Tunisie (novembre 2006)
Article de presse : Courtesy
of Fériel Berraies Guigny pour F.b.g Communication. France
www.fbg-communication.com
email : fbgcommunication@yahoo.fr
Publié le 7 juin 2007 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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