Opinion
L’impasse de la politique française au
Proche-Orient
Philippe de Saint Robert*
Mardi 28 juin 2016
L’impasse où s’est
engagée récemment la diplomatie
française dans bien des domaines est
devenue une évidence pour tous,
notamment dans sa politique
proche-orientale. C’est l’ancien
Secrétaire général du Quai d’Orsay,
Francis Gutman, qui l’écrivait récemment
« La France était un acteur majeur
sur la scène internationale. Quoi qu’il
nous plaise de croire, ce n’est plus le
cas aujourd’hui. La France se
caractérisait par son indépendance et
son intelligence des situations. Elle
n’a plus de vision en propre du monde.
Si ses intentions sont souvent
généreuses, elle définit sa politique
moins par rapport à ce qu’il est qu’en
fonction de ce qu’elle souhaiterait
qu’il fût. Elle ne cherche pas à
anticiper, elle réagit au coup par coup
».
La dernière
manifestation significative de notre
politique internationale remonte à 2003,
lorsque Jacques Chirac s’opposa à la
seconde agression américaine en Irak :
si elle eut lieu, elle dut passer outre
au refus du Conseil de Sécurité de la
légitimer. On connaît aujourd’hui les
effets de cette folie.
Le désengagement de
notre politique et de ses fondamentaux
commença peu après, avec le retour
inapproprié de la France dans
l’Organisation militaire du Pacte
atlantique, puis avec notre lamentable
expédition en Libye, où notre action
parvint même à outrepasser un mandat
arraché à l’ONU, mandat qui ne nous
donnait aucun droit de procéder à une
intervention au sol et à l’assassinat
d’un dirigeant en fonction. On sait les
conséquences tant de l’intervention en
Irak que de l’intervention en Libye.
François Hollande
et Laurent Fabius ont malheureusement
mis leurs pas dans ceux de leurs
prédécesseurs. Syndrome de Suez,
néo-atlantisme, que sais-je ? Notre
rupture diplomatique avec la Syrie
allait à l’encontre de toutes nos
traditions diplomatiques : à la
différence des Etats-Unis, nous avons
toujours reconnu des Etats et non des
régimes ; il s’agissait donc d’un
alignement de plus, qui aujourd’hui nous
coûte cher dans le domaine du
renseignement et de notre présence aux
négociations. Pire, l’Exécutif français
a couvert et soutenu toutes les
initiatives guerrières de l’Etat
d’Israël, pour se présenter en
négociateur récusé.
Comment feindre
d’ignorer voire de récuser que le
conflit palestino-israélien est à
l’origine et nourrit un désordre
sanglant qui, de la région, s’étend au
monde entier, et aux politiques
intérieures des Etats ? Laurent Fabius,
rendons lui cette considération, avait
tenté une ultime démarche qui avait au
moins une sanction à la clef : la
reconnaissance par la France de l’Etat
palestinien en cas d’échec du processus
engagé. Son successeur a tôt fait de
faire sauter la clef au vu des
protestations de Benjamin Netanyahou,
qui n’a même pas crédité, en le
recevant, Manuel Vals de son sionisme
inconditionnel.
Il faudrait
peut-être revenir à la fameuse
Déclaration de Venise, conclue fin 1980,
par les Neuf qui composaient alors la
Communauté européenne et qui visait à
découpler la politique de l’Europe de
celle des Etats-Unis. Accord qui fut
malheureusement dénoncé par François
Mitterrand dès son élection. Aller
ensuite prêcher, et d’autres après lui,
à la Knesset pour la création de deux
Etats, se ramenait à des vœux pieux
compte tenu du réalignement de l’Europe
sur la politique américaine. Quel Etat
palestinien est-il encore possible dans
l’état d’occupation et de colonisation
permanente de la Palestine ?
Revenons au projet
Fabius de conférence internationale que
nous venons d’évoquer. Il est vrai que
l’Union européenne vient, ce 20 juin de
donner son aval à la démarche française
au grand dam de Netanyahou. Mais c’est
lui, lui le problème et la majorité, qui
ne se fragmente toujours pas qui le
soutient, ainsi que les nouveaux bruits
de bottes (c’est un euphémisme) que la
nomination à la Défense de Liberman
semble bien annoncer.
L’imbécile querelle
qu’on nous dit en feignant de confondre
toute opposition à la politique sioniste
telle qu’elle se présente depuis plus de
dix ans, avec la résurgence de l’anti-
sémitisme, est un scandale sémantique.
Nous savons parfaitement qu’il existe en
Israël, et même jusque dans la sphère la
plus haute de l’armée, comme on vient de
le voir, des réticences, voire des
oppositions à cette politique qui ne
respecte ni les droits de l’homme
(internements administratifs, exécutions
extra-judiciaires, ….) ni les droits de
la guerre, comme on l’a vu lors des
récentes répressions à Gaza. Netanyahou
et Liberman sont des personnages qui
trahissent non seulement toutes les
chances de la paix, mais les intérêts
mêmes de leur pays.
Les Américains qui
non seulement ont capitulé
diplomatiquement, mais ne cessent
d’encourager militairement l’Etat
d’Israël à n’accepter aucun compromis,
aucune négociation réelle, portent de
toute évidence une responsabilité
accablante dans la situation actuelle.
Netanyahou a
proposé à Valls de remplacer la
conférence internationale suscitée par
Paris par une rencontre en tête-à- tête
entre Mahmoud Abbas et lui-même à Paris.
C’est une plaisanterie cynique. A quoi
rimerait, en effet, une négociation du
fort au faible, entre Israéliens et
Palestiniens, sans le moindre arbitrage,
ni la moindre garantie internationale ?
Personne ne peut y croire. Cela n’a
aucun sens, qu’un refus obstiné de la
paix de la part d’une des parties, que
j’invite, ainsi que les dirigeants de
notre diplomatie, à relire la conférence
de presse du général de Gaulle du 27
novembre 1967, dont je me permets de
rappeler les termes de la mise en garde
qu’il fît le 24 mai 1967 à Abba Eban :
« Je ne doute pas que le cas échéant,
vous remporteriez des succès militaires,
mais, ensuite, vous vous trouveriez
engagés sur le terrain, et au point de
vue international, dans des difficultés
grandissantes, d’autant plus que la
guerre en Orient ne peut pas manquer
d’augmenter dans le monde une tension
déplorable et d’avoir des conséquences
très malencontreuses pour beaucoup de
pays, si bien que c’est à vous, devenus
des conquérants, qu’on imputerait peu à
peu les inconvénients. » Le Général
soulignait ensuite qu’Israël organisait
« sur les territoires qu’il a pris,
l’occupation qui ne peut aller sans
oppression, répression, expulsions, et
il s’y manifeste contre lui une
résistance, qu’à son tour il qualifie de
terrorisme. » Le Général ajoutait
: « Il est bien évident que le conflit
n’est que suspendu et qu’il ne peut
avoir de solution, sauf par la voie
internationale ». Quelle autre voie
pourrait suivre aujourd’hui la France ?
Philippe de
Saint Robert est écrivain, ancien
Commissaire général à la langue
française (1984-1987).
*Intervention au
colloque "La nouvelle diplomatie
française au Moyen-Orient" organisé
par l'Académie de Géopolitique de
Paris (23/6/16).
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