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Historique
Affaire Vincent Geisser / Fonctionnaire sécurité de défense du
CNRS:
5 ans de harcèlement sécuritaire
Vincent Geisser est chargé de recherche
au CNRS (CR 1) et président du Centre d’information et d’études
sur les migrations internationales (CIEMI). Il a été recruté au
CNRS en octobre 1999, affecté à l’Institut de recherches et
d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM), localisé à
Aix-en-Provence. Avant cette nomination, il était chargé de
mission au Ministère des affaires étrangères (MAE : 1995-1999),
en tant que chercheur à l’Institut de recherche sur le Maghreb
contemporain (IRMC) de Tunis. Dans ce cadre, il dirigeait un
programme scientifique euro-maghrébin sur les migrations
étudiantes et intellectuelles dans le bassin méditerranéen, dont
les résultats ont été publiés en 2000 aux éditions du CNRS.
C’est donc tout naturellement qu’il a sollicité en 2003-2004,
auprès des instances du CNRS, une « Aide à projet nouveau », en
vue de poursuivre ses recherches sur les migrations
intellectuelles entre l’Europe et le Maghreb, en s’intéressant
cette fois-ci aux chercheurs maghrébins ou d’origine maghrébine
travaillant pour les institutions publiques françaises
(université, CNRS et INSERM…). Il s’agissait pour son équipe de
faire une évaluation scientifique rigoureuse de la contribution
des « chercheurs et des universitaires maghrébins » au
rayonnement de la recherche française dans le monde, en
privilégiant les sciences fondamentales. Ce projet a
particulièrement intéressé les instances du CNRS, puisqu’elles
ont décidé de financer son programme de recherche APN à hauteur
d’environ 20 000 euros. C’est précisément dans ce cadre « APN »
labellisé « CNRS » qu’il a lancé officiellement en avril 2005
cette enquête quantitative sur « les
enseignants-chercheurs issus des migrations maghrébines ».
Cette enquête a toutefois débuté dans un
climat assez lourd et passionnel. En tant qu’auteur de l’ouvrage
La Nouvelle islamophobie,
paru en septembre 2003 aux éditions La Découverte et qui a connu
une certaine médiatisation (10 000 exemplaires vendus), V.
Geisser a fait l’objet de nombreuses attaques provenant de
différents milieux, notamment de l’extrême droite. Ce rappel
permettra de comprendre beaucoup de choses et, en particulier,
la surveillance étroite dont il a fait l’objet de la part du
Fonctionnaire défense du CNRS.
En effet, c’est en septembre 2004 que se
manifeste pour la première fois le Fonctionnaire sécurité de
défense (FD) du CNRS. Avant cette date, V. Geisser ne
connaissait même pas son existence. Le FD adresse un email au
directeur de son unité de recherche (IREMAM), lui faisant part
d’un certain nombre de problèmes inhérents à son enquête. Il
s’agit officiellement de régulariser l’enquête auprès de la CNIL
[Commission nationale informatique et liberté]. Au départ, V.
Geisser pense que cette intervention dans le dossier est de
nature purement technique, voire juridique. En réalité, il va
très rapidement se rendre compte des soubassements sécuritaires
de l’affaire. Dans le même email, le Fonctionnaire défense
annonce que l’IREMAM va être prochainement classé en « établissement
sensible » et qu’il appartient au directeur de l’Unité de
lui fournir mensuellement la liste des stagiaires étrangers
hors-Union européenne. C’est devenu une pratique routinière des
directeurs de laboratoires du CNRS que de transmettre chaque
mois la liste des « étrangers » travaillant dans leurs murs. En
somme, l’email du Fonctionnaire défense tend à accréditer l’idée
que cette enquête sociologique - pourtant banale - constitue une
enquête « sensible » dans un établissement « sensible »,
touchant une population « sensible », sur une zone géographique
« sensible » (le Maghreb et le monde arabe en général). Mais, il
est vrai, qu’au départ, V. Geisser ne fait aucun lien entre
l’objet de son enquête - strictement scientifique - et le
« climat sécuritaire » qui commençait à gagner certaines
institutions. C’est la lecture
a posteriori des
correspondances e-mail qui fait apparaître ce « climat de
suspicion » qui entoure son laboratoire, en général, et certains
chercheurs, en particulier, notamment ceux qui, comme lui,
travaillent sur les questions d’islam, d’islamisme et
d’autoritarisme dans le monde arabe.
Dès lors, le Fonctionnaire défense ne le
lâchera plus. A partir de septembre 2004, il ne ce cessera de
faire pression sur les instances locales, régionales et
nationales du CNRS afin de le limiter dans ses activités
scientifiques et intellectuelles, allant jusqu’à exiger des
sanctions à son égard. Il se déplacera même à Aix-en-Provence,
le 2 février 2006, pour l’inspecter, en présence du Directeur de
son unité de recherche et du Délégué régional du CNRS
« Provence ». Officiellement, la visite du FD a un but purement
technique, afin de finaliser la mise en conformité de son
enquête avec les exigences de la CNIL. Ce que V. Geisser conçoit
tout à fait. Mais après deux heures d’examen, le FD commence à
lui poser des questions précises sur le contenu d’un certain
nombre de ses écrits, conférences ou déclarations de presse. A
sa grande stupéfaction, il se rend compte alors que le
Fonctionnaire défense dispose d’un dossier complet sur ses
activités publiques, y compris des prises de parole à l’étranger
dans le cadre du Conseil de l’Europe. Il lui demande de se
justifier sur un certain nombre de prises de positions,
notamment ses critiques sur l’association « Ni Putes, Ni
Soumises ». L’examen technique du questionnaire (objet officiel
de la rencontre) se transforme en interrogatoire sur ses
activités scientifiques, philosophiques et politiques. De même,
il met en garde le directeur d’unité sur les chercheurs
signataires de certaines pétitions et lui demande de les
rappeler à l’ordre afin qu’ils ne signent plus avec la mention
« CNRS ». V. Geisser ressent personnellement un profond malaise
dans une situation où un simple entretien professionnel se
transforme rapidement en « interrogatoire politique ». A sa
grande stupéfaction, il découvre qu’un véritable système de
fiches de renseignements sur les chercheurs – ou, du moins, sur
certains d’entre eux - a été mis en place par le Fonctionnaire
défense au sein même du CNRS.
Alors qu’un dossier de régularisation de son
enquête auprès de la CNIL avait été constitué, celui-ci ne sera
jamais transmis. Le 15 mars 2007, un courrier officiel reçu du
secrétaire général du CNRS demande de
« procéder à la
destruction de tous les éléments collectés dans le cadre de
cette enquête ». Le secrétaire général du CNRS se réfère à
une jurisprudence de la CNIL et non à une décision motivée par
ladite commission. En somme, il semblerait que le dossier n’a
jamais été transmis à la CNIL, alors que tous les éléments de
« mise en conformité » avaient été envoyés et que le CNRS avait
même rédigé un projet de lettre à son président. Ni le directeur
de l’IREMAM, ni le responsable de l’enquête, n’ont été informés
de cette « mise en sommeil » unilatéral du dossier. Tous
pensaient sincèrement qu’il était en cours d’examen à la CNIL.
Cela confirme bien l’hypothèse sécuritaire : il semblerait que
l’action du Fonctionnaire défense durant ces 4 années n’avait
nullement pour but d’assister V. Geisser techniquement dans la
procédure de légalisation de l’enquête mais tout simplement de
l’enterrer, sous prétexte que son auteur serait suspect d’ « islamophilie »
ou de relations de proximité avec les milieux musulmans. Cette
hypothèse lui est confirmée oralement par un collègue du
CEVIPOF, qui dit avoir été consulté par le ministère de la
Défense sur son enquête à propos du « risque » de constitution
d’un « lobby arabo-musulman » au sein du CNRS (sic). A ce
moment, V. Geisser se confie à ses collègues chercheurs, ainsi
qu’à un certain nombre de spécialistes des enquêtes
quantitatives qui lui conseillent de réagir, y compris en
publicisant « l’Affaire ». V. Geisser avoue que pour protéger
l’institution et ne pas nuire à l’image du CNRS, il n’a pas
voulu en faire une « affaire d’Etat ».
En juillet 2008, la directrice SHS (sciences
humaines et sociales) du CNRS, Marie-Françoise Courel, prévient
oralement l’un de ses collègues, directeur de recherche, que le
Fonctionnaire défense veut obtenir des sanctions à son égard
pour ses écrits d’opinion. La directrice SHS se pose en
médiatrice, en le prévenant officieusement par email des
pressions incessantes exercées par le Fonctionnaire défense sur
les instances du CNRS afin qu’il soit sanctionné. Son moral est
au plus bas et ce qu’il perçoit comme un véritable « harcèlement
moral » finit par peser sur sa santé. Il hésite alors à déposer
plainte. Mais encore une fois, il ne veut pas nuire aux intérêts
de son laboratoire et au prestige du CNRS, qui plus est dans une
période de crise institutionnelle et de restructuration.
Le 4 avril 2009, il adresse un message privé
et personnel par email au Comité de soutien de la jeune
allocataire de recherche « Sabrina ». Dans le communiqué publié
par ce Comité, il apparaît clairement que le Fonctionnaire
défense est intervenu directement pour obtenir le non
renouvellement de son allocation de recherche. V. Geisser
reconnaît que la modération dont il avait fait preuve jusqu’à
présent finit par céder, et ce d’autant plus qu’il constate que
le FD a fait une « nouvelle victime ». Il est vrai que dans son
message privé de soutien à Sabrina, il comparait l’action
sécuritaire du FD aux méthodes utilisées contre les Juifs et les
Justes. A aucun moment, il ne met en cause le CNRS en tant
qu’institution scientifique. Il s’étonnait simplement que la
logique sécuritaire finisse par prévaloir sur la logique de la
science et de la diffusion du savoir. Toutefois, il tient à
rappeler que son e-mail avait un caractère strictement privé,
voire intime, et qu’il n’était pas destiné à être publié ni sur
un Blog, ni sur un quelconque site Internet. C’est précisément
pour cette dernière affaire qu’il est convoqué officiellement
devant le « conseil de discipline » du CNRS.
En réalité, ce qu’il faut bien appeler
« l’Affaire Geisser / Fonctionnaire Défense » s’inscrit sur le
long terme (2004-2009) et non simplement dans la « temporalité »
de ces dernières semaines, fruit d’une attitude de suspicion et
de pratiques concrètes de surveillance de ses écrits et de sa
pensée qui ont souvent frôlé le harcèlement moral et ont nui à
ses activités de chercheur et d’universitaire. Sur un plan plus
général, cette affaire traduit l’intrusion inquiétante de
logiques policières et sécuritaires au sein même des milieux
scientifiques et universitaires, dont la finalité est de
contrôler la production et la diffusion du savoir.
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