Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage
Hamas : Son histoire de l’intérieur
de Dr. Azzam Tamimi s’inscrit dans
une volonté de montrer au monde la vision du mouvement du
Hamas et d’expliquer ainsi son développement. Le département
français du Centre Palestinien d’Information (CPI) a donc
jugé intéressant d’en présenter ici la traduction complète,
diffusée régulièrement en de nombreuses parties.
Le djihad et le martyre (2)
Le djihad
La première apparition du terme jahada ou djihad
dans la révélation du Coran fut associée avec le combat de
la communauté musulmane naissante contre l’oppression. Le
djihad était une lutte pour la liberté de culte de la
communauté selon sa foi monothéiste et pour le droit
d’inviter les autres à l’embrasser. Lorsque l’islam fut
d’abord prêché à la communauté arabe à la Mecque, les
anciens de la ville le perçurent comme une rébellion
destinée à changer le statu quo politique. Les hommes au
pouvoir se sentirent menacés par l’appel aux gens de
Muhammad à réexaminer leurs croyances et valeurs héritées.
Ce qui était particulièrement menaçant était sa forte
critique du mode de vie des autres citoyens, que le Coran
décrivit comme immoral et égaré.
Les révélations du Coran, narrées par ces quelques personnes
qui osaient suivre le Prophète en dépit de l’intimidation à
laquelle elles étaient soumises, rejetaient l’idolâtrie et
condamnaient les Arabes parce qu’ils prétendaient que leurs
dieux leur avaient donné le pouvoir de faire ce que l’islam
considérait comme des crimes haineux et des actes immoraux.
Le défi face aux détenteurs de l’autorité était sérieux. Le
prophète de la nouvelle foi déclarait être l’héritier
légitime d’Abraham, le père ancestral des Arabes et des
Israélites, et se présentait comme la confirmation de tous
les messages et prophètes qui le précédèrent. Il fit appel
aux faibles et aux opprimés, aux pauvres et aux destitués,
et à tous ceux qui étaient discriminés par les Arabes.
Durant les treize premières années de sa mission, d’environ
610 à 622, le Prophète s’abstint de défier les polythéistes
arabes, si ce n’est en se lançant dans des débats et en leur
récitant le Coran. Il attira les membres opprimés de la
communauté, qui voyaient en son message une promesse
d’émancipation et une délivrance de la servitude. Son défi
aux forts et puissants était : « Accordez-moi la liberté de
parler et accordez aux gens la liberté de choisir ».
La principale tribu à la Mecque, dans laquelle naquit le
Prophète Muhammad aux alentours de 570, était celle de
Quraysh. Les anciens de la tribu étaient déterminés à ne pas
le laisser leur retirer leur prestige ou les priver de leur
autorité en mettant les jeunes hommes de la tribu, et leurs
femmes, esclaves, et servants contre eux. Ils orchestrèrent
une campagne pour le dénigrer, déclarant que c’était un
charlatan, un magicien, un poète et un voyant. On demandait
aux gens de rester à l’écart de lui, de peur qu’ils ne se
retrouvent son l’influence de ses incantations. Lorsque ces
tactiques échouèrent, les opposants du Prophète Muhammad
utilisèrent la force contre lui et ses partisans. Ceux
d’entre eux qui étaient faibles et ne pouvaient demander le
soutien d’une tribu forte étaient persécutés. Ils étaient
torturés, et certains perdirent leur vie. A un moment, toute
la communauté de monothéistes fut bannie dans une vallée
infertile. Le commerce avec eux fut interdit pendant trois
ans et les Arabes à l’intérieur et autour de la Mecque
avaient pour ordre de les boycotter. Lorsque ceci ne réussit
pas non plus à freiner la croissance du nombre de partisans
du Prophète Muhammad, les anciens cherchèrent à négocier un
compromis avec lui. Ils proposèrent de reconnaître son Dieu
à condition qu’il reconnaisse leurs idoles. Leur suggestion
était que toutes les divinités supposées, le sien et les
leurs, devaient être adorées.
Le Prophète fut ordonné par le Coran de ne pas prendre garde
à l’appel à un tel compromis : « Dis : Vous les kafirun
[ceux qui sont ingrats ou qui rejettent la foi], je n’adore
pas ce que vous adorez et vous n’adorez pas ce que j’adore.
Non, je n’adore pas ce que vous adorez et vous n’adorez pas
ce que j’adore. A vous votre religion, à moi la mienne »
(sourate Al-Kafirun 109:1-6). Au lieu de cela, il reçut pour
ordre, par le Coran, d’accomplir jihadan kabiran
(une très grande lutte) contre eux (sourate Al-Firqan
25:52). Ce verset de la sourate Al-Furqan fut révélé à la
Mecque et fait partie de la réponse du Coran à l’effort
constant des polythéistes de la Mecque de dissuader le
Prophète de prêcher le monothéisme. En termes
chronologiques, on pense que ce verset fut la première
référence coranique au djihad. Similaire est la référence
suivante au djihad dans la sourate Al-Hajj : « Combattez
pour Dieu, Il a droit à ce combat. Il vous a choisis, Il ne
vous a pas imposé de gêne dans votre religion, la religion
de votre père Abraham » (sourate 22:78).
Le djihad à l’époque n’impliquait pas de qital
(lutte ou combat) : c’était une forme de combat totalement
non-violente. En fait, à travers la période mecquoise,
treize ans sur un total de vingt-trois de la prophétie de
Muhammad, il était interdit pour les musulmans d’utiliser la
force. L’interdiction n’était pas auto-imposée, mais elle
suivait le commandement divin. Même lorsqu’ils subirent la
persécution ou qu’ils furent torturés, ils n’étaient pas
autorisés à répondre par la violence. Il leur était dit
d’être patients, de montrer de la retenue et de se retenir
les mains.
L’observance de la patience et de la retenue était saluée
comme un acte noble, un djihad, pour lequel Dieu promit les
plus hautes récompenses dans l’au-delà. Considérons par
exemple la référence au djihad dans le dernier verset de la
sourate Al-‘Ankabut : « Mais ceux qui auront combattu pour
Nous, Nous les guiderons dans Nos sentiers. Oui, Dieu est
avec ceux qui agissent bien ». Il ne serait pas possible
d’interpréter ce verset correctement sans prendre en
considération les quelques premiers versets de ce même
chapitre. Les versets 1 à 6 associent sans équivoque le
djihad à la retenue et l’abstention de l’utilisation de la
force en réponse à la persécution : « Les hommes pensent-ils
qu’on va les laisser dire : “Nous croyons”, sans les
éprouver ? Certes, Nous avons éprouvé leurs devanciers. Dieu
saura ceux qui disent vrai et ceux qui mentent. Ceux dont
les œuvres sont mauvaises, pensent-ils Nous échapper ? Ils
se trompent beaucoup. Celui qui compte rencontrer Dieu, eh
bien, le jour de Dieu approche. Oui, Dieu entend et Il sait.
Celui qui combat, combat pour soi, car Dieu se suffit et n’a
pas besoin des mondes » (sourate Al-‘Ankabut 29 2-6).
En dépit de la clarté de la nature du concept original de
djihad, on peut difficilement trouver un dictionnaire de
langue anglaise qui ne suggère par « guerre sainte » pour sa
signification. Selon le dictionnaire Merriam-Webster, par
exemple, le djihad est « une guerre sainte lancée par
l’islam en tant que devoir religieux ». Le dictionnaire
fournit deux autres définitions : « Un combat personnel en
dévotion à l’islam, impliquant notamment une discipline
spirituelle » ; et « une croisade pour un principe ou une
croyance ». Cependant, il n’y a rien du tout dans les
sources islamiques qui décrive la guerre comme sainte.
L’interprétation du terme djihad en “guerre sainte” est plus
liée à l’histoire du christianisme en Europe qu’aux
enseignements ou à l’histoire de l’islam. Le terme “guerre
sainte” est une invention chrétienne européenne datant
d’environ l’an 1096 après J.-C., lorsque Rome commença à
prêcher une “sainte croisade” « pour libérer la ville sainte
de Jérusalem de la domination d’hérétiques et d’infidèles ».