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Centre Palestinien
d'Information
Hamas : son histoire de l'intérieur (56)
Photo CPI
Lundi 7 décembre 2009
Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage
Hamas : Son histoire de l’intérieur
de Dr. Azzam Tamimi s’inscrit dans
une volonté de montrer au monde la vision du mouvement du
Hamas et d’expliquer ainsi son développement. Le département
français du Centre Palestinien d’Information (CPI) a donc
jugé intéressant d’en présenter ici la traduction complète,
diffusée régulièrement en de nombreuses parties.
L’idéologie de libération du
Hamas (5)
Les attaques suicides
La hudna était la solution de Sheikh Ahmad Yassine à la
crise créée par la campagne d’attaques suicides du Hamas. En
avril 1994, des officiers de l’armée et des renseignements
israéliens rendirent visite à Sheikh Ahmad Yassine dans sa
cellule de prison dans l’espoir d’obtenir de lui une déclaration
qui puisse dissuader la branche militaire du Hamas d’accomplir
plus d’opérations suicides ou opérations “martyres”. Le Hamas
avait lancé une série d’attaques suicides à la bombe
dévastatrices en avril 1994, en réplique au massacre perpétré le
25 février 1994 dans la mosquée Al-Haram Al-Ibrahimi à Hébron
par un colon juif né au Etats-Unis, Baruch Goldstein. On pense
que Goldstein aida les soldats israéliens à entrer dans la
mosquée, où ils tirèrent sur les fidèles et leur jetèrent des
grenades à main alors qu’ils se prosternaient durant la prière
du matin, tuant vingt-neuf personnes et en blessant nombre
d’entre eux.
La série d’acte de revanche commença le 6 avril 1994 à midi,
lorsque Ra’id Abdullah Zakarnah, un membre des brigades
Ezzeddine Al-Qassam, conduisit un véhicule piégé avec une plaque
d’immatriculation israélienne dans la station de bus d’Afula et
l’explosa, tuant neuf Israéliens et en blessant plus de cent
cinquante. Un communiqué publié peu après par la branche armée
du Hamas, les brigades Ezzeddine Al-Qassam, déclarait leur
responsabilité dans l’attaque et avertissait les Israéliens
d’évacuer leurs colonies en Cisjordanie et à Gaza. Dans une
claire référence aux actions de Goldstein à l’intérieur de la
mosquée, le Hamas jura de faire payer aux Israéliens la peine et
le tourment que les colons juifs infligent aux Palestiniens sous
occupation. Le 31 avril 1994, Ammar AMarnah, un autre membre des
brigades Ezzeddine Al-Qassam, exécuta la seconde attaque. La
cible était cette fois un bus israélien d’Egad, à Al-Khadirah
(Hadera), au nord-ouest de Tulkarem. Amarnah se fit exploser
dans le bus, tuant cinq Israéliens et en blessant plus d’une
trentaine. D’autres opérations fut réalisées cette année et bien
plus encore dans les années suivantes. La plupart d’entre elles
venaient en réponse aux attaques de soldats israéliens ou de
colons juifs contre des civils palestiniens. Sheikh Ahmad
Yassine dit à ses visiteurs dans la prison israélienne que s’ils
voulaient voir une fin à ces attaques, ils pouvaient passer un
accord, qui serait soit limité, soit global. Dans son format
limité, la hudna épargnerait au moins les civils des
deux côtés. Dans son format le plus global, elle entraînerait
une fin des hostilités de tout genre entre les deux parties. Il
n’y a aucune preuve suggérant que les Israéliens aient pris un
jour la proposition de la hudna au sérieux.
Etant un recours de désespoir, les missions suicides – “les
opérations martyres” – étaient controversées à leur début. De
nombreux Palestiniens étaient tout d’abord choqués par la
tactique à la bombe humaine. Certains arguèrent contre elle d’un
point de vue purement pragmatique, déclarant qu’elle était si
choquante qu’elle allait causer du tort à la cause
palestinienne. Une opposition à ces opérations se faisait aussi
car elles étaient, par leur nature même, inconsidérées et
qu’elles résultaient en la mort de civils innocents, une chose
que les critiques croyaient ne pas pouvoir être justifiée ou
légitimée, quelles que soient les circonstances. A la base
l’autorité palestinienne dirigée par le Fatah s’opposa à ces
opérations en raison de son engagement à sa propre version du
processus de paix et au tort potentiel que de telles opérations
pourraient causer.
Les porte-parole du Hamas soutinrent que les attaques suicides
n’étaient que des moyens disponibles pour les Palestiniens afin
de décourager ceux qui pourraient copier Baruch Goldstein en
lançant d’autres attaques à l’encontre de la population
palestinienne sans défense. Avec le temps, un nombre croissant
de Palestiniens acceptèrent que la bombe humaine était
nécessaire pour compenser l’équilibre des forces, qui était
évidemment en faveur des Israéliens, qui faisaient l’acquisition
d’une technologie militaire très avancée des Etats-Unis et de
l’Europe. Dans l’ensemble, les Palestiniens approuvèrent
généralement et admirèrent l’héroïsme et l’altruisme des hommes
et des femmes donnaient volontairement leur corps et leur âme
pour partir dans une mission de sacrifice pour la cause de la
Palestine. Plus les Palestiniens se sentirent vulnérables, plus
ils supportèrent les opérations martyres et en demandèrent même
davantage. Il n’en fallut pas beaucoup pour convaincre ceux qui
portaient des inquiétudes que rien ne semblait plus efficace
comme moyen d’auto-défense et de dissuasion. Néanmoins, le
soutien public palestinien pour les opérations martyres varie.
Des sondages conduits à différents moments donnèrent des
résultats différents, mais le soutien pour ces opérations
s’effondra rarement en desous des cinquante pour cent. Dans un
sondage conduit dans la bande de Gaza par l’organisation
norvégienne Fafo dans la première semaine de septembre 2005, 61
pour cent des personnes interrogées s’accordaient avec
l’affirmation : « Les attaques suicides contre les civils
israéliens sont nécessaires pour qu’Israël fasse des concessions
politiques ». Fafo conduisit aussi une étude de face-à-face avec
huit cent soixante-quinze répondants sur les avis palestiniens
sur le retrait israélien de la bande de Gaza occupée. Le
Jerusalem Post rapporta le 16 octobre 2003 qu’un sondage
montrait que 75 pour cent des Palestiniens soutenait l’attaque
suicide du restaurant Maxim à Haïfa le 4 octobre 2003. Le
sondage d’opinion fut conduit par le Centre Palestinien pour la
Recherche Politique et Statistique (PSR) à Ramallah. Un
précédent sondage conduit par le Service d’Information de l’Etat
(SIS) de l’autorité palestinienne entre le 11 et le 13 juin 2002
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza avait révélé que 81 pour
cent de l’échantillon sondé s’opposait à l’appellation « actes
terroristes » employée par l’autorité palestinienne pour
désigner les opérations martyres. Cinquante-deux pour cent
dirent que l’autorité palestinienne étiquetait ces opérations
d’actions terroristes en raison d’une pression internationale.
Le nombre total des personnes sondées était de mille cent
trente-sept, âgées de dix-huit ans et plus, avec quatre cent
cinquante-six d’entre elles de la bande de Gaza et six cent
quatre-vingt-un de la Cisjordanie. En outre, le sujet révélait
aussi que 86 pour cent de l’échantillon « soutenait les attaques
militaires contre les soldats de l’occupation israélienne et les
colons juifs à l’intérieur des territoires palestiniens ».
Soixante-neuf pour cent pensaient que l’objectif des opérations
martyres à l’intérieur de villes israéliennes était de mettre
fin à l’occupation, alors que 13,4 pour cent croyaient que
l’objectif était de porter un coup au processus de paix. Enfin,
11,3 pour cent dirent que les opérations avaient pour intention
d’affaiblir l’autorité palestinienne et de la gêner devant la
communauté internationale.
Avant d’être employée en Palestine, la notion de l’attaque
suicide était considérée comme étrangère pour la communauté
sunnite dans l’islam. Elle était plus communément associée au
shiisme : on pense que les Iraniens furent les premiers
musulmans à l’employer. Ils le firent avec un certain succès
lors de la guerre avec l’Irak à travers les années 1980. Des
centaines de jeunes hommes iraniens furent envoyés en missions
martyres sur les frontières entre les deux pays, pour stopper
les soldats irakiens, qui étaient bien équipés et lourdement
armées, grâce au soutien occidental et arabe. La tactique fut
d’un grand service aux Iraniens, car les soldats irakiens d’en
face, dont nombre d’entre eux n’étaient pas convaincus de la
légitimité de la guerre avec le voisin de l’Irak lancée par leur
gouvernement, n’étaient pas prêts à faire de pareils sacrifices.
La tactique se déplaça ensuite au Liban suite à l’invasion
israélienne en 1982. La première opération martyre à l’intérieur
du Liban eut lieu le 11 novembre 1982, lorsqu’un jeune shiite,
Ahmad Qassir, identifié comme membre de la Résistance Islamique,
conduisit sa voiture dans les quartiers généraux du gouverneur
militaire israélien à Tyr, faisant exploser son demi kilogramme
d’explosifs et tuant soixante-quatorze Israéliens. Depuis lors,
l’attaque suicide devint une tactique habituelle employée par la
résistance libanaise contre les soldats de l’occupation
israélienne. Les plus mémorables de toutes les attaques suicides
au Liban furent les deux attaques simultanées exécutées le 23
octobre 1983 contre les quartiers généraux du bataillon de
l’équipe de débarquement des Etats-Unis et la base occupée par
les paramilitaires français, qui était située à juste environ
six kilomètres de Beyrouth. Les deux attaquants suicidaires, qui
décédèrent tous deux dans l’attaque, s’appelaient Abu Mazen, 26
ans, et Abu Sij’an, 24 ans. Un groupe inconnu auparavant appelé
le Mouvement Révolutionnaire Islamique Libre (FIRM) déclara sa
responsabilité dans les deux attaques, qui tuèrent au total deux
cent quarante et un Américains et cinquante-huit soldats
français. Le FIRM était apparemment composé de musulmans shiites
libanais associés à la milice Amal. Le Hezbollah n’avait pas
encore émergé, mais le FIRM peut avoir été son précurseur. Le
Liban produisit aussi la première attaquante suicidaire femme
dans le monde arabe : son nom était Sana’ Mhaidli. L’explosion
de la voiture contre un convoi militaire israélien le 9 avril
1985 fut revendiquée par le Parti Nationaliste syrien laïc. Le
Hezbollah libanais, fondé avec un soutien iranien comme une
réponse musulmane shiite à l’occupation israélienne au sud du
Liban, hérita de la tâche de la résistance et de la tactique de
l’attaque suicide. Il continua à employer la technique jusqu’au
retrait d’Israël unilatéral du Liban sud en mai 2000, ayant
conclu qu’elle ne pouvait plus supporter le coût humaine de sa
présence militaire dans une partie du Liban, dans laquelle plus
de mille soldats israéliens étaient morts.
L’attaque suicide est loin d’être un phénomène uniquement
musulman. Ailleurs dans le monde, les Tigres Tamouls du Sri
Lanka, qui luttent pour un état indépendant tamoul, commencèrent
les attaques suicides en 1987. Le nombre d’attaques suicides
qu’ils perpétrèrent depuis est estimé à plus de deux cents. Les
attaques tamoules à la bombe humaine furent employées à la base
pour assassiner des politiciens opposés à leur cause. En 1991,
ils assassinèrent l’ancien premier ministre indien Rajiv Gandhi,
et en 1993, ils assassinèrent le président Ranasinghe Premadasa
du Sri Landa. En 1999, les Tigres tentèrent d’assassiner le
président sri lankais Chandrika Kumaratunga avec une femme pour
bombe humaine.
Jusqu’à l’éruption de la seconde Intifada, les groupes
islamiques au Liban et en Palestine ne pensaient pas approprié
d’employer des femmes pour bombes humaines. Le Hamas était
réticent à recruter des femmes pour cette tâche, mais retira
l’interdiction sous la pression de ses membres femmes, dont
certaines menacèrent d’agir sur leur propre initiative ou en
association avec d’autres factions. La première bombe humaine
femme en Palestine fut Wada Idris, âgée de 26 ans, qui se fit
exploser dans la rue de Yaffa à Jérusalem le 28 janvier 2001.
Elle fut la première de dix autres femmes “martyres”. La
dernière de celles-ci fut Zaynab Ali, qui se fit exploser le 22
septembre 2004. La campagne de bombes humaines femmes fut lancée
par les brigades des martyrs d’Al-Aqsa du Fatah, qui fut vite
rejointe par le Jihad Islamique palestinien et le Hamas.
Il est très probable que le Hamas fut persuadé du bien-fondé de
l’utilisation d’attaques suicides lorsqu’il devint clair que la
tactique donnait des résultats au Liban. Cela ne peut être une
coïncidence que la première opération martyre en Palestine ait
été accomplie l’année après le retour des déportés du Hamas et
du Jihad Islamique du sud du Liban, où pendant une année, ils
eurent largement le temps d’écouter de d’apprendre de leurs
hôtes libanais. Cela apporta une pression à supporter par les
leaders politiques du Hamas qui, alors qu’ils défendaient la
tactique, ne souhaitaient pas être directement associés à la
planification des opérations ou à leur autorisation. Ils
déléguèrent cette tâche aux brigades Ezzeddine Al-Qassam. Les
porte-parole du Hamas s’efforçaient d’expliquer la distinction
entre les branches militaire et politique du mouvement. Ils
expliquèrent que cette dernière dirigeait aussi des institutions
éducationnelles, sociales et médiatiques qui devaient être
protégées des reprises israéliennes ou des mesures punitives de
la communauté internationale. La théorie était que la direction
politique du Hamas posait la politique générale du mouvement,
alors que la branche militaire était un corps autonome qui
fonctionnait indépendamment de la direction politique, mais en
accord avec les lignes générales déterminées par la direction
politique. Les Israéliens ne furent jamais convaincus de cela,
ni les Américains, ni les Européens. Vers 2003, le Hamas et
nombre d’organisations identifiées comme lui étant associées,
directement ou indirectement, furent interdits et placés sur les
listes occidentales des organisations terroristes. Les leaders
politiques du Hamas furent la cible d’assassinats de la part de
l’armée israélienne ou du Mossad. Certains en échappèrent, mais
nombreux furent ceux qui rendirent l’âme.
Hamas: son histoire de
l'intérieur (55)
Hamas: son histoire de
l'intérieur (57)
Traduction réalisée
par le Centre
Palestinien d’Information (CPI)
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