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Centre Palestinien
d'Information
Hamas : son histoire de l'intérieur (64)
Photo CPI
Lundi 1er février 2010
Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage
Hamas : Son histoire de l’intérieur
de Dr. Azzam Tamimi s’inscrit dans
une volonté de montrer au monde la vision du mouvement du
Hamas et d’expliquer ainsi son développement. Le département
français du Centre Palestinien d’Information (CPI) a donc
jugé intéressant d’en présenter ici la traduction complète,
diffusée régulièrement en de nombreuses parties.
Le djihad et le martyre (5)
Sacrifice ou suicide ?
Les défenseurs de l’attaque-suicide la considèrent comme un acte
de sacrifice, alors que ceux qui s’y opposent la voient comme un
simple suicide. Ceux qui parlent en sa faveur voient celui qui
l’exécute comme un martyr, une personne qui se donne pour une
noble cause, qui remporte la plus grande des récompenses et qui
est désigné pour les plus hauts rangs du paradis. De ce point de
vue, l’acte est non seulement permis, mais il est aussi
grandement louable et apprécié. Ceux qui défendent cette
tactique croient qu’il ne serait pas juste de dire que l’acteur
a vraiment commis un suicide, car le suicide est strictement
interdit en islam. Ceux qui l’exécutent ne se tuent pas par
désespoir, déclarent-ils, autrement, leur action serait un péché
majeur. Ce qu’ils font doit être pris comme un acte de
sacrifice.
Ceux qui s’opposent aux attaques-suicides sur des bases
religieuses, toutefois, supposent que ceux qui les exécutent
sont des individus désespérés, qui préfèrent mourir plutôt que
vivre, ayant perdu espoir ou patience. De telles personnes sont
d’avis que ce que ces individus commettent n’est rien d’autre
qu’un suicide, car ils savent que leur moyen d’action aura
inévitablement leur mort pour résultat. Ainsi, ils concluent que
celui qui exécute une attaque-suicide est un pécheur destiné au
feu de l’enfer.
Il est certain que le Coran est sans équivoque sur
l’interdiction du suicide : « Vous qui croyez, ne dévorez pas à
tort vos biens entre vous, sauf dans le négoce et de gré mutuel.
Et ne vous tuez pas, car Dieu a pitié de vous. Quiconque passe
outre et se rend coupable, Nous le jetterons dans le feu, Dieu
le peut sans peine » (sourate Al-Nissa’ 4:29-30). Al-Bukhari
rapporta que le prophète Muhammad dit : « Il y a eu un jour un
homme avant vous qui souffrait d’une blessure ; il ne pouvait
supporter la douleur, alors il a pris un couteau et s’est saigné
jusqu’à la mort. Dieu le Tout Puissant a dit : “Mon serviteur a
pris sa propre vie ; je lui interdirai donc l’entrée au
paradis” ». On rapporte aussi que le Prophète dit : « Quiconque
se tue avec un instrument en fer le portera pour toujours en
enfer. Quiconque prend du poison et se tue avalera pour toujours
le poison en enfer. Quiconque saute d’une montagne et se tue
tombera pour toujours dans les profondeurs de l’enfer ».
En réalité, seule une fine ligne sépare le suicide du sacrifice.
Cette séparation est déterminée par l’intention de l’acteur. A
l’opposé du suicide, le sacrifice de sa vie pour une noble cause
est quelque chose que l’islam enjoint et pour lequel il promet
les plus grandes des récompenses. Une personne qui se change en
bombe pour menacer ou déranger l’ennemi est donc vu comme un
héro qui prend le plus grand des sacrifices pour sa foi, son
pays ou sa communauté.
Peu d’érudits musulmans à l’intérieur de la Palestine, s’il y en
a, aujourd’hui, souscrivent à l’avis selon lequel un sacrifice
de soi de ce genre est un acte de suicide. Sheikh Ikrima Sabri,
le mufti de Jérusalem et le mufti officiel de l’autorité
palestinienne, qualifia les opérations martyres d’acte de
sacrifice noble pour l’amour de Dieu. Il critique aussi avec
force ces érudits, notamment d’Egypte et d’Arabie Saoudite, qui
dénoncèrent les opérations martyres en les qualifiant de
suicide, les accusant d’ignorance, n’ayant pas réussi à
comprendre le contexte dans lequel ces opérations ont lieu à
l’intérieur de la Palestine. Le président de la cour suprême
palestinienne Sheikh Tayssir Al-Tamimi porte un avis similaire.
Les défenseurs des opérations martyres déclarent que le code de
guerre islamique s’applique seulement dans une guerre
conventionnelle et refusent d’accepter qu’il doive s’applique
dans le cas de la Palestine, où la situation est loin d’être
conventionnelle. La Palestine, selon un tel avis, est une
exception. Le peuple sans arme et sans défense de la Palestine
est envahi et opprimé par une puissance lourdement armée avec
les armes les plus modernes, qui leur permettent de tuer, de
mutiler et de détruire, tout en étant largement hors de portée
de la part de leurs victimes. De ce point de vue, tout ce que
font les Palestiniens pour se défendre et décourager leurs
oppresseurs est légitime. Il est souvent affirmé que seulement
lorsque les Palestiniens auront accès aux types d’armes que
possèdent les Israéliens, il sera illégitime pour eux d’avoir
recours à des moyens d’auto-défense non-conventionnels.
Cependant, l’attitude des érudits et des institutions
religieuses à l’extérieur de la Palestine envers les opérations
martyres varie. Les divisions semblent être animées par des
considérations politiques plutôt que jurisprudentielles. En
principe, personne ne nie l’existence du concept du sacrifice de
soi, étant donné qu’il est explicitement défini dans le Coran et
les hadiths. Toutefois, un certain nombre d’érudits officiels,
représentant des institutions religieuses contrôlées par les
gouvernements en Arabie Saoudite et en Egypte, déclarèrent que
les opérations martyres sont illégitimes. Certains d’entre eux
considèrent de telles actions comme étant des actes de suicide
en raison de la certitude de la mort. D’autres s’y opposent car
elles violent le code de guerre islamique, en tuant des civils
innocents de façon inconsidérée, dont des enfants.
L’un des savants les plus directs qui s’opposent aux opérations
martyres est le mufti d’Arabie Saoudite, Sheikh Abd Al-Aziz
Al-Sheikh, qui est nommé par un décret royal. Il considère de
telles opérations illégitimes. Il dit qu’il ne les considère pas
comme étant une partie légitime du djihad et exprima de
l’inquiétude, disant qu’elles pouvaient revenir à du suicide.
Plusieurs savants en Arabie saoudite publièrent des communiqués
ou des fatwas en opposition à sa position. Les critiques du
mufti négligent sa fatwa sur cette question, suspectant qu’il ne
l’ait publié qu’en réponse à une requête du gouvernement
saoudien, qui se trouve sous la pression de ses alliés, les
Etats-Unis, pour obtenir un tel édit religieux de son plus haut
savant.
D’autre part, Sheikh Hamud bin Uqlaa Al-Shu’aybi est un des
plusieurs hauts savants indépendants en Arabie Saoudite à
défendre les opérations martyres. Le sheikh, qui est suivi par
nombre de gens à l’intérieur comme à l’extérieur du royaume, les
considère comme des opérations martyres accomplies par des
musulmans en Palestine, en Tchétchénie et dans d’autres pays
musulmans qui se battent contre les ennemis envahisseurs. Il
alla plus loin, disant que ces opérations font partie du djihad
dans la voie de Dieu et qu’elles font parties des moyens de
djihad les plus efficaces contre les ennemis des musulmans. Il
conclua sa fatwa avec une explication de la différence entre le
suicide et le martyre : « Une personne qui commet un suicide se
tue par abattement, impatience ou perte d’espoir, dans un acte
qui ne plaît pas à Dieu. Cependant, un moudjahid qui accomplit
une opération martyre agit tout en étant dans un état de joie et
en désirant le paradis. Son objectif est d’infliger des dommages
à l’ennemi. Par conséquent, il est erroné de mettre sur un pied
d’égalité une personne qui s’offre en martyr avec quelqu’un qui
commet un suicide ».
En Egypte, il y a aussi un désaccord. Sheikh Muhammad Sayyid
Tantawi, qui est désigné par le président de l’Egypte et qui
l’informe directement, est un autre opposant direct aux
opérations martyres. Alors que le bureau du mufti en Arabie
Saoudite fut au moins logique dans sa position, Sheih Tantawi se
contredit à plusieurs occasions. Il semble refléter l’humeur
politique à l’intérieur de l’Egypte à chaque fois qu’il parle.
Sa fatwa initiale exprimait une prohibition marquée, affirmant
que les opérations martyres étaient illégitimes en raison des
gens innocents qu’elles tuaient. Il ne se montra pas s’opposer à
l’utilisation de telles opérations contre du personnel
militaire. Puis il apparut pour donner un soutien total aux
opérations martyres, considérant ceux qui l’exécutent comme des
martyrs du plus haut degré. En 2003, toutefois, parlant lors
d’une conférence sur le terrorisme à Kuala Lumpur, il retourna à
sa position originale de condamnation directe.
Entre-temps, Sheikh Yussuf Al-Qaradawi publia une fatwa
distinguant le martyre du suicide. « Les opérations martyres
sont les plus grandes sortes de djihad dans la cause de Dieu,
dans lesquelles une personne sacrifie son âme dans la cause de
Dieu en soumission totale au verset coranique : “Parmi les gens,
il y a ceux qui se donnent dans la recherche du plaisir de
Dieu”. Quelqu’un qui commet un suicide le fait par désespoir en
raison d’un certain échec : il cherche à se débarrasser de sa
vie. A l’opposé, se donner en martyre est un acte d’héroïsme et
un acte considéré par la majorité des savants musulmans comme
étant la plus grande forme de djihad ».
Comme Al-Shu’aybi et Al-Qaradawi, la plupart des avants
indépendants décidèrent de considérer les attaques-suicides en
Palestine comme des opérations martyres, qui sont identifiées
comme le niveau de djihad le plus noble. Des savants en
Jordanie, au Liban, en Arabie Saoudite, en Egypte, en Iran, au
Pakistan, en Malaisie et en Indonésie furent aussi cités pour
confirmer la légitimité de la stratégie de l’attaque-suicide en
Palestine. Un certain nombre de raisons sont en général données
pour soutenir les opérations martyres contre des cibles
israéliennes, dont ces points :
-
Les opérations ne sont pas des suicides parce qu’elles
impliquent le sacrifice du plus haut niveau pour la plus noble
des causes.
-
Israël est un avant-poste militaire dans lequel personne n’est
compté comme étant un civil à être épargné, à part les enfants.
Tous les hommes et femmes en Israël servent à l’armée. Tant que
les attaquants prennent toute précaution pour éviter les
enfants, toutes les autres cibles en Israël sont légitimes. Si
des enfants sont touchés par inadvertance, c’est parce que c’est
inévitable.
-
Il ne reste aucun autre choix aux Palestiniens, comme leur
ennemi est lourdement armé alors qu’il leur manque les moyens
d’auto-défense de base. Tant que cette situation se poursuit,
les Palestiniens ne sont pas tenus coupables pour de telles
attaques. Les Palestiniens sont donc exceptés du code de guerre
islamique.
-
Si les Israéliens souhaitent la fin de telles opérations, ils
devraient accepter les propositions de trêve présentées à
plusieurs reprises par le Hamas et d’autres factions
palestiniennes. Cependant, s’attendre à ce que les Palestiniens
cessent unilatéralement toute résistance dans l’espoir que les
Israéliens arrêtent de les attaquer est injuste et inacceptable.
Hamas: son histoire de
l'intérieur (63)
Hamas: son histoire de
l'intérieur (65)
Traduction réalisée
par le Centre
Palestinien d’Information (CPI)
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