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Les pays africains doivent
quitter la CPI
Toussaint Alain
© Sputnik
Mardi 1er septembre 2015
Mikhail Gamandiy-Egorov
Source:
Sputnik
Entretien avec
Toussaint Alain, un ex-conseiller et
ancien porte-parole du président
ivoirien Laurent Gbagbo
Toussaint Alain est
un ex-conseiller et ancien porte-parole
du président ivoirien Laurent Gbagbo,
dont il fut le représentant dans l'Union
européenne entre 2001 et 2011. Depuis
mai 2011, cet ami de la Russie préside
les destinées de Côte d'Ivoire Coalition
Inc., une organisation de lobbying
politique représentée dans plusieurs
pays.
Sputnik:
L'actualité ivoirienne a été récemment
marquée par la tentative de meurtre à
Paris d'un opposant au régime d'Alassane
Ouattara. Cela vous fait-il peur?
Toussaint Alain:
Cette violence exportée hors des
frontières de mon pays est préoccupante.
Elle est la marque de fabrique, l'ADN,
du régime d'Alassane Ouattara. Il veut
user de tous les moyens pour réduire
l'opposition au silence. Des désœuvrés
de banlieue parisienne ou des dealers
recyclés sont ainsi conditionnés, mis à
contribution, pour s'attaquer aux
opposants, à tous ceux qui émettent la
moindre critique contre ce dictateur. Le
recours à la force n'a jamais rien
résolu. Si Ouattara est allergique à la
critique, alors qu'il renonce à la vie
publique. En Côte d'Ivoire,
l'irrévérence envers les pouvoirs et
leurs représentants n'est pas nouveau.
Rien ne doit être prétexte à la
répression, à l'assassinat d'adversaires
politiques et à l'instrumentation des
antagonismes pour régler des comptes. Ce
micro-terrorisme ne m'effraie pas outre
mesure. En politique, la haine et la
bêtise n'ont jamais fait bon ménage.
Sputnik:
Justement, ne craignez-vous pas une
escalade de la violence à l'approche de
l'élection présidentielle prévue pour
octobre?
Toussaint Alain:
Bien avant cette échéance, la terreur
règne déjà dans le pays. Rien n'a
vraiment changé depuis 2011. Nous ne
sommes certes pas à l'abri d'une
nouvelle catastrophe mais
personnellement, je souhaite que cette
échéance se déroule à la date prévue, et
de la meilleure des façons possibles
afin de tourner définitivement la page
Ouattara. Je reconnais toutefois que les
divisions au sein de l'opposition
amenuisent sérieusement cette
perspective. D'autre part, mes amis ont
tergiversé trop longtemps, palabré les
uns contre les autres, avant de se
lancer dans la bataille. Or, une
présidentielle exige du temps de
préparation, une logistique énorme ainsi
que des femmes et des hommes capables
d'être le moteur ou les inspirateurs du
changement espéré par les populations.
Ouattara a été incapable de réconcilier
le peuple, de réduire les inégalités
sociales, de lutter contre l'insécurité,
de créer des emplois pour tous,
d'instaurer un climat de paix et de
confiance réciproque entre Ivoiriens.
Bien sûr, économiquement et sur le plan
des infrastructures, on a pu noter
quelques avancées mais cela reste encore
très insuffisant pour endiguer de
manière significative la misère,
relancer la machine de façon durable. La
croissance économique est donc
appauvrissante pour les foyers modestes.
Sans oublier la mainmise du clan
Ouattara sur tous les secteurs
stratégiques de l'économie ivoirienne.
La Côte d'Ivoire a réellement besoin
d'un nouveau souffle, de nouveaux
dirigeants désintéressés, au service de
leurs concitoyens.
Sputnik:
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont
toujours détenus à la Cour pénale
internationale (CPI) de La Haye. Combien
de temps cela va-t-il encore durer,
selon vous?
Toussaint Alain:
Je l'ai dit à plusieurs reprises sur vos
antennes. Laurent Gbagbo et Charles Blé
Goudé sont injustement détenus.
Pourtant, la vérité est là, belle, sous
les yeux de la procureure de la CPI. Le
procès devrait s'ouvrir le 10 novembre.
Je crains que l'on soit parti pour
plusieurs années de procédure. Lorsque
la CPI change les chefs d'accusation
selon ses humeurs, cela est bien la
preuve que cette juridiction manque de
sérénité. Jusqu'à présent, personne n'a
apporté le moindre début de preuve aux
allégations incriminant Laurent Gbagbo
et Charles Blé Goudé. Mais j'ai
confiance en leurs capacités à se
défendre pour faire échouer ceux qui ont
ourdi ce procès politique. Je l'ai dit à
Blé Goudé lors de ma visite le 26 juin
dernier au Centre pénitentiaire de la
CPI, à la Haye aux Pays-Bas. La
situation est difficile, mais il faut
tenir.
Sputnik: Au
dernier sommet de l'UA en République
d'Afrique du Sud, la CPI a tenté de
faire arrêter le président soudanais
Omar el-Béchir sur le territoire
sud-africain. Cette requête a été
refusée par le leadership du pays hôte
du sommet. Votre commentaire?
Toussaint Alain:
C'est hallucinant! Les gouvernements
africains doivent ignorer désormais les
décisions de la CPI. Tout le monde sait
que ce tribunal ne s'attaque qu'à des
prétendus criminels africains. Il ne
vous aura pas échappé que l'ensemble des
mandats d'arrêt aujourd'hui en vigueur
concerne des Africains. Il ne faut pas
s'étonner que cela mène à de sérieux
soupçons sur le continent africain.
L'ancien président américain George W.
Bush ne devrait-il pas être inculpé de
crimes de guerre pour avoir illégalement
envahi un pays souverain, l'Irak?
Certains répondent opportunément que la
CPI ne peut arrêter que les citoyens de
pays membres de la CPI, et les
Etats-Unis n'en font pas partie. Mais le
Soudan non plus! Etrangement, les mêmes
accusateurs invoquent une exception pour
les présumés criminels qui ont été
spécifiquement désignés comme tel par le
Conseil de sécurité des Nations unies,
ce qui serait le cas d'Omar el-Béchir.
Vous voyez bien que tout cela ne tient
pas debout. La CPI est une Cour
politique, financée par les grandes
puissances occidentales auxquelles elle
obéit et rend des comptes.
Sputnik: Que
pensez-vous de la volonté déclarée de
plusieurs pays africains de sortir du
système reconnaissant la juridiction de
la CPI? Quelles conséquences aurait
cette sortie, aussi bien pour les pays
concernés que pour le système pénal
international en général?
Toussaint Alain:
La CPI est clairement une Cour
coloniale. Sa crédibilité est entachée.
Certes, certains dirigeants africains
ont parfois tendance à se placer
au-dessus des lois mais il est
préférable que les affaires les
impliquant relèvent des juridictions
nationales. La justice peut être rendue
dans les pays africains. Voyez la
manière dont la CPI a commis des
erreurs, en s'attaquant au Président du
Kenya, Uhuru Kenyatta. Je pense que la
CPI est une entreprise qui ne mérite
plus d'être menée. L'intention visant à
construire un monde gouverné par la loi,
et non par la force, a échoué. Les 34
pays africains (sur 54) signataires du
Statut de Rome doivent en tirer toutes
les conséquences en quittant cette
instance.
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Publié le 3 septembre 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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