Entretien
Trois questions à Toumi Djaïdja
Pascal Boniface
Toumi
Djaïdja
Lundi 30 décembre 2013
30 ans après la Marche pour
l’égalité, Toumi Djaïdja, dans son livre
(1) écrit avec le sociologue Adil
Jazouli, revient sur cet évènement qui
avait marqué les esprits. Il raconte son
parcours, les motivations qui avaient
conduit à cette marche et l’accueil
reçu. Il constate lucidement que des
progrès ont été effectués depuis, mais
que beaucoup reste à faire. Un livre qui
se lit d’une traite et qui suscite de
nombreuses réflexions. L’auteur répond
aux questions de Pascal Boniface.
1/ Vous parlez d’une OPA de SOS
Racisme sur la Marche pour l’égalité,
pourquoi ?
Le 3 décembre 1983, la France toutes
origines confondues, toutes catégories
sociales, était rassemblée à
Montparnasse. Des mineurs, des cadres,
des gens des villes et des campagnes.
Tous unis pour porter ce message de paix
et d’égalité, pour faire partie du
cortège de « la Marche pour l’égalité»
qui fut un idéal qui rassemble et non
des slogans creux qui divisent. L’on
découvre alors la capacité de
mobilisation de cette jeunesse. C’est
ainsi que naît SOS racisme, parachutée
par une certaine gauche. Elle dispose
alors de moyens colossaux, financiers et
des plans de communications édifiants.
C’est en cela qu’elle fît une OPA, elle
a fait main basse sur cette mobilisation
révélée par notre mouvement. Nous étions
battus d’avance.
2/ Comment transcender
aujourd’hui la mobilisation des jeunes
des cités et passer d’un mouvement moral
et désintéressé à une stratégie
politique, ce qui n’a pu être fait en
1983 ?
En soi, le message de La Marche fut un
message qui a transcendé les partis
politiques. L’égalité doit être un
chantier permanent de La République,
c’est en cela que notre mouvement se
voulait apolitique. Au-delà de la
crainte d’être récupérés, c’était de
dire "l’égalité est l’affaire de tous et
doit dépasser les clivages politiques".
Aujourd’hui, je considère qu’il y a deux
paramètres à prendre en compte pour que,
s’il y a mobilisation des jeunes et afin
qu’elle soit porteuse d’une stratégie
politique, celle-ci puisse se faire : il
y a une véritable crise morale et
politique qui frappe notre pays,
l’intégrité de certains de nos élus doit
être infaillible, leur mission et
l’intérêt général doivent primer sur
l’intérêt individuel. Une partie de nos
dirigeants doit mesurer son degré de
responsabilité et la complexité des
relations humaines. Encore faudrait-il
qu’ils se sentent français et légitimes
dans leur pays. D’où à mon sens, la
nécessité impérieuse de faire que
l’histoire de cette marche, cette petite
histoire s’inscrive dans l’histoire de
France, car "Si on n’est pas légitime
dans une histoire, on n’est pas légitime
dans un pays".
3/ La mémoire de la colonisation et de
la guerre d’Algérie pèsent-elles
toujours sur les perceptions nationales
?
C’est une évidence. La guerre d’Algérie est une guerre sans nom.
Aujourd’hui encore, elle éveille des
passions par tant de non-dits et de
malentendus non dissipés. Pourtant "La
mémoire c’est l’histoire", mais comment
faire mémoire commune quand l’histoire
se raconte différemment des deux rives
de la Méditerranée ? Il faut mettre un
terme à cette "concurrence des
mémoires". Les perceptions nationales en
sont d’autant plus imprégnées que c’est
une histoire et par ricochet une mémoire
qui sont fantasmées. La passion empêche
toute objectivité.
L’histoire de la France est liée à son
passé colonial.
(1) Toumi Djaïdja, avec Adil Jazouli,
La Marche pour l'Égalité, Editions
de L'Aube, 2013, 160 p
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