Interview
« Les BRICS libèrent peu à peu l'Afrique »
Thierry Mbepgue
© Sputnik
Jeudi 2 juillet 2015
Source:
Sputnik
Entretien réalisé par
Mikhail Gamandiy-Egorov
Thierry Mbepgue
est activiste patriote et souverainiste
camerounais. Il est en outre président
fondateur du Mouvement Africain pour la
Libération du Continent (MALCON),
secrétaire général adjoint du Réseau
Mondial des Défenseurs de la Cause
Africaine (RMDCA).
Il est aussi
fondateur du projet UNIRTA, destiné à
rassembler les différents mouvements
panafricains, aussi bien en Afrique
qu'au-delà. Entretien.
Sputnik:
Comment est la situation politique
actuelle au Cameroun? Quel regard
portez-vous sur les prochaines élections
présidentielles qui auront lieu dans
votre pays?
Thierry Mbepgue:
Le Cameroun est justement à un tournant
décisif de son histoire. Mis à part le
fléau de la secte Boko Haram et toutes
les victimes que cela a causé, ainsi que
les projets obscurs dévoilés de certains
opposants zélés pro-impérialistes qui
continuent de croire que c'est
l'Occident qui va les installer au
détriment du peuple, on peut dire que la
situation politique est relativement
stable. Les Camerounais savent où ils
vont, nul ne viendra décider à leur
place pour ce qui est bon pour eux. Mon
pays est non seulement à deux pas de sa
libération totale du joug colonial mais
également à deux pas d'une
recolonisation qui s'annonce farouche si
rien n'est fait par les patriotes
camerounais. Le chef de l'Etat a déjoué
tous les pronostics faits sur sa
succession par les opposants et certains
de ses collaborateurs. Vu le poids de
son âge, sera-t-il candidat aux
prochaines élections? Va-t-il céder le
fauteuil à quelqu'un d'autre, si oui à
qui? Comment va se passer cette
transition? Telles sont les questions
que plusieurs Camerounais se posent
actuellement. Loin des calculs
politiciens égoïstes que font les petits
esprits, j'ai compris depuis 2013 qu'il
ne fallait pas attendre l'approche des
prochaines élections pour se préparer,
raison pour laquelle mon équipe et moi
avions commencé depuis la mobilisation
dans tout le pays, et ceci dans le
but de mettre sur pied une force
démocratique qui va influencer sur les
prochaines élections présidentielles. Le
mouvement dont je suis le fondateur n'a
pas encore les moyens financiers
nécessaires pour présenter un candidat,
mais il soutiendra le candidat qu'il va
juger proche du peuple camerounais.
Sputnik:
Qu'en est-il de votre opinion sur les
futures élections en Côte d'Ivoire, pays
dont la souveraineté a été ouvertement
bafouée en avril 2011 par une
intervention armée occidentale directe
et qui a marqué l'esprit de nombreux
panafricanistes?
Thierry Mbepgue:
Je ne cesserai de le dire, la date du 11
avril 2011 en Côte d'Ivoire est la date
de la mort de la France en Afrique. Nous
avons assisté à une intervention
honteuse de l'armée française soutenue
par les casques bleus de l'ONU qui,
après plusieurs jours de bombardement du
palais présidentiel de la Côte d'Ivoire,
a arrêté le président de la République
Laurent Gbagbo pour le remettre aux
forces rebelles d'Alassane Ouattara. Mon
opinion en ce qui concerne les élections
présidentielles prochaines en Côte
d'Ivoire est la suivante: tout chien
renifleur de l'analyse politique en
Afrique sent l'odeur d'un danger qui
plane sur ce pays. On n'a pas encore
donné les résultats définitifs des
élections présidentielles passées de
2010 qu'on veut déjà faire une nouvelle
élection. Qui a gagné les élections en
2010? La réponse à cette question
résoudra peut-être tous les problèmes de
la Côte d'Ivoire et la conduira à la
réconciliation. Dans tout cela, il faut
aussi se demander quelle est la position
de la France qui avait installé le
régime actuel? Cela m'amuse quand même
de voir certaines personnes ou
intellectuels présentés comme étant de
grands démocrates africains terrés dans
un silence assourdissant lorsqu'il faut
parler de respect de la constitution en
Côte d'Ivoire. Je crois qu'il risque de
ne pas y avoir d'élection en octobre
comme prévu.
Sputnik:
Parlons maintenant des relations
BRICS-Afrique. On sait que de plus en
plus d'Africains souhaitent vivement le
renforcement des relations entre les
pays du continent africain et des
nations BRICS, d'autant plus qu'un pays
africain, la République d'Afrique du
Sud, fait partie de l'alliance. Selon
vous, qu'est ce qui doit encore être
fait pour que cet objectif de
renforcement soit atteint?
Thierry Mbepgue:
La présence des nations BRICS libère peu
à peu l'Afrique, c'est une présence
salvatrice. Il a fallu que certains pays
africains regardent du côté des BRICS
pour enfin amorcer leur processus de
développement. L'Afrique du Sud qui
aujourd'hui fait partie de cette
alliance est première productrice d'or,
de platine, de chrome, de vanadium et
deuxième productrice de manganèse et de
titane. Avec tout cela, elle devrait
être à mon avis le reflet d'une Afrique
qui tire l'essentiel de ses ressources
dans les matières premières. Voilà
pourquoi je souhaite par conséquent que
ce pays soit comme un wagon exemplaire
au sein des BRICS. Elle y est depuis
2011, avec quel impact sur les autres
pays africains? Qu'elle inspire les
autres Etats africains à développer des
mécanismes plus intéressants pour
capitaliser leurs ressources naturelles.
Je pense qu'il faut aller au delà de ce
qui lie l'Afrique à ces nations
actuellement, en renforçant les
relations par les échanges culturels et
industriels. Il faut faciliter les
voyages et faire en sorte que chacun se
sente à l'aise chez l'autre. Je dirai
enfin que le renforcement de cet
objectif va aussi passer par la capacité
des nations du BRICS à maintenir leur
politique actuelle basée sur le respect
des pays africains en tant qu'Etats
indépendants et souverains.
Sputnik: Les
élites occidentales sont radicalement
opposées à l'alliance des BRICS avec
l'Afrique, de peur de voir leurs
intérêts néocoloniaux réduits à zéro.
Que faire pour barrer la route à leurs
plans malsains?
Thierry Mbepgue:
L'Afrique est-elle leur propriété
privée? Les Occidentaux sont
pratiquement les seuls qui se plaignent
à tout moment de nos choix de
partenaires comme si nous n'étions pas
libres de choisir avec qui faire chemin.
Connaissant bien ces Occidentaux pour
avoir subi leur caprice pendant plus
d'un siècle, nous ne pouvons que
constater que leurs pleurnichements
annoncent la fin de leur hégémonie en
Afrique. Tant que les BRICS renforceront
leur présence et respecteront les
Africains, les Occidentaux ne se
sentiront pas à l'aise. Certaines
personnes vont certainement me demander
pourquoi tant d'espoirs placés en nos
nouveaux partenaires. Je les appelle
simplement à faire la comparaison entre
100 ans de coopérations avec nos
partenaires historiques et 15 ans avec
les pays du BRICS. Pour barrer la route
à leurs plans malsains, il faut que les
pays du BRICS soient prompts à venir au
secours des pays, des dirigeants ou même
des personnes persécutées par les
Occidentaux pour leurs idéaux en
Afrique, il faut qu'ils s'imprègnent de
la réalité africaine, qu'ils se
rapprochent des souverainistes, des
panafricanistes et des vrais patriotes
africains pour comprendre leur combats.
Sputnik:
Vous avez déjà dit que grand nombre de
problèmes et crises en Afrique sont dus
à la mauvaise interprétation des textes
de la constitution. Qu'est-ce que cela
signifie? Et d'autre part, la longévité
au pouvoir est-elle un obstacle à la
démocratie? Surtout dans le cas où un
leader a réellement le soutien de la
majorité de sa population?
Thierry Mbepgue:
La quasi-totalité des crises politiques
en Afrique porte la signature de
"non-respect ou mauvaise interprétation
de la constitution". Si ce n'est pas un
étranger qui veut se présenter comme
candidat dans un pays qui n'est pas le
sien, ce sera un dirigeant qui refuse de
se plier aux exigences de la
constitution ou même un dirigeant qui
veut modifier la constitution par voie
illégale. La longévité au pouvoir n'est
en aucun cas un obstacle à la démocratie
du moment qu'un leader demeure au
pouvoir parce que le peuple le souhaite.
Je prends le cas d'un chef d'Etat
africain qui décide de modifier la
constitution de son pays pour se
représenter à sa propre succession, le
problème qui se posera ne sera pas celui
de savoir s'il en a le droit ou pas,
mais plutôt comment va-t-il la modifier?
Ladite constitution le plus souvent
exige que tel projet soit soumis à un
referendum, c'est cela la démocratie, il
faut laisser le peuple décider. Les
Africains aiment à convoquer le principe
traditionnel de règlement de conflit qui
est l'arbre à palabre. Avec nos sociétés
modernes, on pourrait réactualiser cet
arbre à palabre au travers d'un minimum
de respect consensuel dégagé autour de
la constitution que le professeur
Gamberge définit comme le respect des
lois du jeu qu'on s'est fixé! Cela nous
éviterait des crises.
Sputnik: Les
élites occidentales possèdent pourtant
une longévité au pouvoir plus
qu'évidente (les Clinton et Bush aux USA
pour ne citer qu'eux, bien souvent les
mêmes visages aussi en Europe
occidentale). Pourquoi se mêlent-ils
alors constamment des affaires des
autres? Et qu'est-ce qu'un pouvoir «
légitime et légal » selon les
Occidentaux?
Thierry Mbepgue:
D'après eux, ils sont les maitres du
monde. Ce qui est bon c'est pour eux et
ce qui est mauvais c'est pour les
Africains. Les premiers à ne pas
appliquer la démocratie, ce sont les
élites occidentales. La preuve regardez
tous ces pays où ils sont venus
installer la "démocratie" en Afrique.
Regardez la Libye, regardez la Côte
d'Ivoire, regardez la Centrafrique. Ce
sont là des pays désormais
"démocratiques" pour eux. Dommage que
certains Africains ne comprennent pas
jusque là. Un pouvoir légitime et légal
selon les Occidentaux est un pouvoir
soumis à leur diktat, à la tête duquel
est tapis un pantin adoubé d'un potentat
dangereux pour son propre peuple.
Méfiez-vous de tous les pouvoirs en
Afrique dont les élites occidentales
chantent tous les jours les louanges et
soutenez ceux qui sont persécutés car
c'est parce qu'ils refusent de vous
vendre qu'on les persécute.
Sputnik: On
assiste en ce moment à une page
fortement intéressante dans les
relations russo-camerounaises, y compris
sur le plan militaire. Qu'est-ce que
cela vous inspire? Quels sont les
domaines dans lesquels les deux pays
peuvent encore étendre leur coopération?
Thierry Mbepgue:
Il était temps pour le Cameroun de se
mettre à l'abri d'une invasion militaire
comme au Mali (car il faut dire sans
faux fuyant que le but final de cette
campagne était l'installation d'une base
militaire au Mali pour contrôler le nord
du pays) ou d'une éventuelle agression
comme en Côte d'Ivoire où nous avons vu
les chars et avions français bombarder
la résidence présidentielle avec à
l'intérieur le chef de l'Etat et toute
sa famille. Je souhaiterais que cette
relation Russie-Cameroun s'étende sur le
plan du domaine de la santé, du commerce
et de l'industrie, et surtout sur le
plan socioculturel. Il faut vraiment que
des échanges aient lieu via des journées
d'échanges culturels entre les deux
pays. Il faut que des investisseurs
russes pensent également venir investir
au Cameroun et vice-versa.
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