La Voix de la
Russie
Entretien par Mikhaïl Gamandiy-Egorov
« Nous sommes très heureux de voir que
les positions responsables de la
Fédération de Russie, surtout depuis les
dernières années, nous ont fait revenir
à une situation de plusieurs centres de
pouvoir dans le monde ».
Boniface Guwa Chidyausiku
Photo : M.
Gamandiy-Egorov
Lundi 19 janvier 2015
Entretien avec M. Boniface Guwa
Chidyausiku, ambassadeur de la
République du Zimbabwe en Fédération de
Russie. Suite de
la première partie de
l’entretien.
LVdlR : Après
le référendum de mars dernier en Crimée
ayant validé le ralliement de la
presqu’île à la Russie, les USA ont
voulu via l’Assemblée générale de l’ONU
faire reconnaitre ce référendum comme
étant illégitime. Grand nombre de pays
n’ont pas soutenu cette initiative
étasunienne et se sont massivement
abstenus. Quant à votre pays, le
Zimbabwe, il s’est non seulement abstenu
de cette « initiative » mais s’en est en
plus radicalement opposé. D’autre part,
votre ministre de l’Environnement, de
l’Eau et du Climat, M. Saviour
Kasukuwere, a visité tout récemment la
Crimée en tant que territoire russe.
Est-ce que l’Occident a mis encore plus
de pression sur votre nation depuis ?
S.E.M. Boniface G.
Chidyausiku : Leur pression
a très peu d’effet sur nous car notre
politique extérieure est véritablement
indépendante. Nous nous sommes
effectivement opposés à la résolution
étasunienne à l’Assemblée générale de
l’ONU qui visait le référendum de
ralliement de la Crimée à la Russie. Au
niveau de notre pays, nous reconnaissons
que le ralliement de la Crimée à la
Russie comme étant une décision
souveraine des habitants de la Crimée.
Car nous nous basons sur le principe du
droit à l’autodétermination des peuples.
Et le référendum de Crimée était en
parfaite conformité avec ce droit. Quant
à la visite de notre ministre en Russie
de décembre dernier, lorsque un
représentant d’un pays souverain rend
visite à un autre pays souverain, il n’y
aucune raison de ne pas visiter telle ou
telle partie ou région du pays visitée.
Donc aucune raison valable pour que
notre ministre n’aie pas visité la
Crimée. Et en ce qui concerne le
Zimbabwe et comme déjà dis précédemment,
nous reconnaissons le principe du droit
d’autodétermination des peuples. Et cela
a rejoint entièrement la volonté des
Criméens qui ont exprimé leur volonté
via le référendum de mars 2014. Nous
avons donc soutenu ce principe et nous
nous sommes opposés à la position
ukraino-étasunienne à l’Assemblée
générale de l’ONU.
LVdlR : Une
question que j’aimerai également aborder
avec vous M. l’Ambassadeur est celle du
terrorisme. Nous sommes bien évidemment
tous au courant de ce qui s’est passé
tout récemment en France. Néanmoins ce
que nous observons aujourd’hui est qu’il
y a une attention énorme de certains
médias sur cette attaque lorsque
parallèlement nous assistons à un
terrorisme pratiquement journalier à
différents endroits du monde et qui ne
mérite vraisemblablement pas une
attention aussi ardue du mainstream
médiatique occidental. Je pense
évidemment à la Syrie, à l’Irak, au
Nigeria, au Cameroun. Ces pays mènent
quotidiennement une lutte sans relâche
contre le terrorisme.D’ailleurs,
plusieurs spécialistes pensent que les
groupes terroristes opérant dans ces
pays sont ouvertement manipulés de
l’extérieur. Mais ma question à vous
sera la suivante : quel est le meilleur
moyen de combattre le terrorisme, aussi
bien en Afrique que dans le reste du
monde ? Comment s’opposer à toute forme
d’extrémisme qui représente un vrai
danger pour toute l’humanité ?
S.E.M. Boniface G.
Chidyausiku : Je pense que
le terrorisme est en effet un défi à
toute l’humanité. Quant à la presse
internationale, en premier lieu
occidentale, elle donne effectivement
beaucoup plus d’attention lorsque le
terrorisme touche les pays dits
développés, ceux d’Europe ou les
Etats-Unis. Mais comme vous l’avez bien
mentionné, un grand nombre de personnes
sont mortes en Afrique suite aux
massacres terroristes, que ce soit au
Nigeria, au Kenya, en Somalie, ou encore
en Egypte. Evidemment les médias
occidentaux n’y attachent pas une
attention aussi importante que ce que
nous voyons par rapport à la France.
D’ailleurs le terrorisme visant la
Russie n’a lui aussi pas une attention
adéquate de la part de ces médias alors
que nous avons observé des attentats
terribles visant la Russie.
Nous devons donc
affronter ce défi terroriste ensemble.
Et nous ne devons pas attacher une plus
grande attention lorsque cela touche les
uns, et une moins grande attention
lorsque cela touche les autres.
Lorsqu’on observe les organisations
terroristes telles que l’Etat islamique,
Al-Qaida et d’autres encore, on y trouve
souvent une participation américaine.
Les USA ont participé à la création de
certaines de ces organisations
terroristes. Les djinns sont sortis
alors de leurs bouteilles. Nous ne
devons donc pas adopter des mesures à
court terme qui demain nous causeront
encore plus grand nombre de problèmes.
Nous devons affronter le problème
terroriste de front. Avec humanisme. Et
où que ce soit : au Royaume-Uni, en
Russie, au Zimbabwe ou au Nigeria. Le
terrorisme est le terrorisme.
L’extrémisme basé sur une justification
religieuse représente un grand danger et
nous devons le condamner sans répit. Et
cela ne doit aucunement servir d’excuse.
Et nous devons également accepter nos
différences, qu’elles soient religieuses
ou culturelles. Nous pouvons tous
coexister car faisons tous partie de ce
monde. Nous pouvons avoir des
interprétations différentes, notamment
basées sur la religion, mais cela ne
doit jamais nous empêcher de coopérer.
Et nous devons tous lutter contre le
fanatisme, quel qu’il soit.
LVdlR : Vous
avez mentionné un point très important :
la solidarité internationale dans la
lutte contre l’extrémisme et le
terrorisme. Mais un certain groupe de
pays tentent, hier comme aujourd’hui,
d’utiliser l’excuse de la menace
terroriste pour intervenir dans les
affaires intérieures d’autres pays, le
tout dans l’objectif d’atteindre des
avancées dans leurs intérêts
géopolitiques. Comment devons-nous
lutter également contre cela ? La
Russie, la Chine, les nations BRICS et
votre pays également, sont fermement
opposées à ce type de politique. Que
devons-nous faire ?
S.E.M. Boniface G.
Chidyausiku : Oui, c’est
bien stupide de la part de certains
Etats d’avoir des stratégies tellement à
court terme, dont le seul but est
l’élimination ou le changement de tel ou
tel régime, dans tel ou tel pays, au
point de créer des organisations
terroristes pour atteindre ces objectifs
malsains et effectuer les changements
voulus. Nous avons tous vu ce qui s’est
passé en Libye. Ils ont détruit un Etat
qui fonctionnait bien, le tout au nom de
la « démocratie ». Et aujourd’hui nous
observons un Etat en échec évident. Mais
ils sont toujours convaincus qu’ils
savent quoi faire et mieux que
quiconque. C’est un défi à nous tous. Et
à ce titre, nous sommes très heureux de
voir que les positions responsables de
la Fédération de Russie, surtout depuis
les dernières années, nous ont fait
revenir à une situation de plusieurs
centres de pouvoir dans le monde. Cela
est bénéfique pour le monde entier. Ce
qui a suivi les années 1990 et aussi le
début du XXIème siècle, représentait
tout simplement un monde unipolaire. Et
lorsque nous nous trouvions dans l’unipolarité,
certains se sont autoproclamés gendarmes
du monde. Nous sommes heureux
qu’aujourd’hui la Fédération de Russie,
y compris au niveau du Conseil de
sécurité de l’ONU, participe activement
à la défense du droit international.
C’est très important. Et lorsque nous
voyons que certains pays au sein du
Conseil de sécurité interprètent à leur
guise le droit international selon leurs
propres intérêts, cela est un vrai
problème. Et c’est pourquoi nous sommes
heureux d’avoir aujourd’hui un monde
multipolaire devenu réalité et qui
permet de rebalancer les forces et au
final apporter une plus grande sécurité
aux nations du monde entier.
LVdlR : Dernière
question M. l’Ambassadeur. Vous avez
bien mentionné la multipolarité du monde
devenue désormais réalité. Mais il y a
encore tellement de choses sur
lesquelles il faut travailler. En tant
que représentant de la République du
Zimbabwe et de l’Afrique aussi,
êtes-vous globalement optimiste et quels
sont les domaines sur lesquels nous
devons encore avancer ? Notamment dans
le cadre de la volonté des BRICS
d’interagir activement avec l’Afrique.
Et comment pouvons-nous améliorer
ensemble ce monde multipolaire ?
S.E.M. Boniface G.
Chidyausiku : Il y a un
certain nombre de choses à faire encore.
La première serait à mon avis de
réformer le Conseil de sécurité de
l’Organisation des Nations Unies. Il est
grand temps que l’Afrique ait son siège
au sein du Conseil de sécurité. On
pourrait alors décider du pays africain
qui prendrait cette place. L’ONU a été
créée en 1945. Et il faut avoir à
l’esprit que la situation d’antan et
celle d’aujourd’hui sont bien
différentes. Nous devons donc nous
adapter à la nouvelle réalité.
Deuxièmement, il
faut en effet avoir une interaction
encore plus importante entre l’Afrique
et les pays BRICS. Dans les domaines du
commerce, de la finance, ainsi que dans
le domaine de la coordination des
positions sur l’arène internationale.
Troisièmement, nous
devons mettre fin au monopole du dollar
US. Nous devons avoir beaucoup plus de
devises de référence et ne pas avoir à
dépendre d’une seule. Car nous savons
parfaitement que ladite devise est un
instrument de politique extérieure et
aussi de déstabilisation des économies
d’un certain nombre de pays. La Russie
et la Chine se sont déjà mis d’accord de
passer aux paiements dans leurs devises
nationales dans le domaine de leur
commerce mutuel et de leurs projets
communs. C’est la bonne voie. Nous
devons trouver des alternatives à la
domination du dollar US.
LVdlR : Merci
beaucoup M. l’Ambassadeur ! C’est un
plaisir de s’être entretenu avec vous.
S.E.M. Boniface G.
Chidyausiku : Le plaisir
est partagé.
© 2005—2015 La
Voix de la Russie
Publié le 22 janvier 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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