Interview
Syrie : La guerre
pour le gaz et les gazoducs continue !
Imad Fawzi Shueibi
Mercredi 13 novembre 2013
Début Avril 2013 le Dr. Imad Fawzi
Shueibi parlait pour la première fois
sur une chaine de télévision, en
l’occurrence la chaîne Al-Mayadeen, des
découvertes pétro-gazières en
Méditerranée orientale transformant
certains pays du Moyen-Orient en États
producteurs et exportateurs de gaz et de
pétrole. Une véritable surprise, pour
les non initiés, concernant
essentiellement la Syrie, le Liban,
Chypre, Israël et la Turquie. Il avait
alors divulgué les documents et
graphiques de deux sociétés norvégiennes
spécialisées dans l’exploration du
sous-sol ayant ratissé la côte
méditerranéenne sur 5000 Km2.
Ces informations expliquent en grande
partie
l'intensité
du conflit
autour et
contre la Syrie dont
les ressources seraient de loin les plus
importantes,
d’autant plus qu’il nous apprend que la
société franco-américaine « CGGVeritas »
est entrée sur la ligne en rachetant les
deux sociétés norvégiennes qui n’avaient
pas livré tous leurs petits secrets.
Aujourd’hui, les masques sont tombés et
ne dissimulent plus ni les causes, ni
les moyens, ni les trahisons, ni les
mensonges, ni les crimes, ni les
turpitudes ayant nourri cette sale
guerre dite « par procuration » ; ce qui
lui a fait dire que la Syrie vivait une
« malédiction » là où elle aurait pu
espérer le contraire.
Les masques sont tombés, mais la guerre
continue malgré tout. En voici quelques
raisons tout bêtement commerciales
extraites d’une émission TV de la chaîne
libanaise NBN [NdT].
1. Docteur Shueibi, pensez-vous que la
Syrie se dirige vers une stabilisation
obligée ?
Je pense que nous
nous dirigeons obligatoirement vers
cela, car il s’agit d’une région riche
en gaz et en pétrole pour les cent
années à venir, sans compter les
gazoducs qui devront la traverser.
J’ajoute que je vois dans les derniers
évènements auxquels nous venons
d’assister le règlement du conflit
arabo-israélien. Ceci semble encore plus
évident si nous tenons compte des
récentes critiques, presque menaçantes,
prononcées par Kerry à l’encontre de
Netanyahou lorsqu’il lui a rétorqué : «
Est-ce qu'Israël veut une troisième
Intifada?» [1].
Parlant de nouvelle
intifada, Kerry a sans doute signifié
aux Israéliens que si depuis toujours
ils agissent à leur guise en tuant et
emprisonnant comme bon leur semble,
c’est bien parce qu’ils sont protégés
par l’ami américain. Mais voilà que les
USA ainsi que la Russie veulent régler
les problèmes de la région et en
éteindre l’incendie. A-t-on jamais vu
des guerres dans une une région gazière
et pétrolière ?
2. Parlez-vous d’une paix prochaine non
seulement pour la Syrie mais pour toute
la région ?
Sans vraiment
insister sur le mot « paix », parlons
plutôt d’une sorte de stabilité ou de
nouveaux équilibres entre les forces
belligérantes...
3. Quand ?
Dans un délai de 10
ans.
4. Est-ce à dire que la région ne
connaîtra pas de stabilité avant dix
ans ?
Je pense que si
Israël persiste dans son entêtement, il
n’y aura pas de retour à la stabilité et
cela affectera toute la région, y
compris Israël. Mais peut-être que l’on
arrivera à assouplir ses positions...
Notez que Netanyahou, malgré sa
bouderie, compte se rendre en Russie le
20 Novembre et qu’il a eu un contact
téléphonique avec Poutine hier.
L’Israélien est, à
ma connaissance, d’une grande
intelligence lorsqu’il s’agit de
rejoindre les forces ascendantes.
Rappelez-vous qu’en 1956 il a vite
permuté de la France et de la Grande
Bretagne vers les USA. Aujourd’hui,
c’est la Russie et la Chine qui
montent ! N’oubliez pas non plus que la
Russie a signé un accord concernant le
champ gazier situé au Nord d’Israël,
lequel champ est imbriqué avec celui du
Liban. Par conséquent, je demande à mes
frères libanais : « Ne vous-êtes
vous pas posés la question de savoir
pourquoi autant de précipitations
concernant le dossier pétro-gazier ? ».
5. Précipitation des Israéliens pour
voler nos ressources à nos frontières !
Cela fait un bout
de temps qu’ils volent... mais ceux qui
courent après ce dossier ont fini par
sentir qu’il était temps de songer au
partage de ces ressources.
6. Autrement dit, la part qui doit nous
revenir à nous les Libanais ?
Oui, la part
libanaise. Mais la question dangereuse
concerne la Syrie qui, en plus du gaz et
du pétrole dont elle regorge, est sur le
trajet que doivent emprunter divers
gazoducs. Alors de deux choses l’une ;
soit le calme revient d’ici deux ans,
suivi par les appels d’offre, les
forages aboutissant à la production dans
un délai de 7 années ; soit il y a
ajournement par ceux que cela arrange de
laisser brûler la Syrie pour que le prix
du gaz reste élevé.
Ce prix restera
élevé tant que le gaz syrien n’est pas
exploité, que le gaz iranien reste pour
une grande part hors circuit, que le
sort du gaz qatari [à l’origine de tout
ce jeu] reste indéterminé, et que le gaz
de l’Arabie saoudite n’est pas rendu en
mer Méditerranée. Tant qu’il en est
ainsi, les prix du gaz israélien et du
gaz russe resteront élevés !
7. C’est pourquoi l’on reporterait la
stabilisation à plus tard ?
L’une des théories
israéliennes voudrait que cette
instabilité perdure tant qu’Israël
n’aurait pas écoulé la moitié de son
gaz. Elle implique que sur ses 20 années
de réserves, il pourra vendre la moitié
de son gaz à prix élevé pendant 10 ans
pour ne pratiquer qu’ensuite le tarif
mondial qui ira nécessairement à la
baisse.
C’est une théorie
que nous devons prendre en
considération, tout en sachant que le
problème ne dépend pas de la seule
volonté d’Israël. Mais si elle devait se
vérifier, une analyse à froid m’amène à
penser qu’une telle situation serait
toute aussi intéressante pour la Russie
qui fournit 46% du gaz européen.
8. Mais n’est-il dans l’intérêt de la
Russie d’exploiter le gaz de notre
région ?
Bien sûr, c’est
dans son intérêt.
9. Et comme vous venez de le dire, elle
exploitera le gaz des territoires
occupés et participera pour une grosse
part à l’exploitation du gaz syrien ?
Et dans ce cas, ce
qui devient encore plus important est le
prix du gaz. En effet, s’il y a entente
entre la Russie, l’Europe et les USA, la
théorie israélienne n’est plus valable.
La Syrie en aura terminé avec cette
malédiction et le problème syrien sera
résolu. D’ailleurs, il me semble que la
Russie et les USA accélèrent dans ce
sens et qu’ils se sont déjà entendus non
seulement sur les modalités
d’exploitation mais aussi sur les prix.
10. Mais alors, partant de la théorie
qui veut que l’exploitation des
ressources pétro-gazières nécessite la
stabilité de la région, pourquoi a-t-on
allumé cette guerre incendiaire en
Syrie, avec son cortège de sang, de
morts et de destructions ? Pourquoi
n’a-t-on pas commencé par profiter de la
stabilité qui y régnait quitte à changer
d’avis en cas d’échec ?
C’est une question
de rigidité ou de souplesse des prises
de position des uns et des autres, et il
nous faut envisager la synthèse de tout
ce qui se passe dans notre région en
sachant que nous ne pouvons toujours pas
en donner une image définitive. Cette
image est jusqu’ici incertaine et ne
pourra être réglée qu’en fonction de la
nature des conflits, l’arrêt des
combats, les ententes régionales,
internationales et nationales.
Si l’Arabie
saoudite n’arrête pas son escalade dans
la violence et persiste à refuser de
suivre les USA, la guerre sera longue !
Certains disent qu’elle est totalement
inféodée aux USA et qu’elle suivra leurs
directives. D’autres pensent qu’elle
profite de leur faiblesse et se rebiffe
réclamant sa place au soleil. De
nombreux centres de recherche en
arrivent à la conclusion que l’Arabie
saoudite peut encore mener sa « Guerre
du pétrole » et que même si les USA
peuvent produire 12 millions de barils
de pétrole de schistes ou autres, par
jour ; ils auront quand même besoin de 4
millions de barils supplémentaires par
jour. Ils devront se les procurer
en grande partie du côté de cette même
Arabie saoudite qui reste ainsi un
facteur non négligeable de l’équation,
malgré sa dépendance... Ce n’est que
dans environ trois mois que nous
pourrons savoir si elle s’obstine dans
sa rébellion ou obtempère, à moins
qu’elle ne subisse à son tour les
méfaits de conflits internes. Ce que je
ne lui souhaite pas.
11. Ces conflits internes n’auront
peut-être pas lieu étant donné la
stabilité requise pour la région ?
Rappelez-vous les
paroles de Richard Perle disant que le
« chaos constructif » de notre région
devait commencer par l’Irak, puis passer
au Liban, à la Syrie, à l’Arabie
saoudite pour terminer par le grand prix
censé être l’Egypte. L’Arabie saoudite
était dans le collimateur... J’espère
qu’elle saura raison garder.
12. Mais qui a dit que le dossier du gaz
avait une telle incidence sur ce qui se
passe ? Qui a dit qu’il y avait de
telles ressources pétro-gazières en
Syrie et au Liban ? Quelles sont les
études menées dans ce cadre ?
J’ai déjà exposé
une partie de ces études sur Sham FM en
2012, puis dernièrement sur la Chaîne TV
Al-Mayadeen [3] [4]. C’est pourquoi, je
me contenterai d’en rappeler l’essentiel
avant d’apporter des données
supplémentaires.
Une société
norvégienne a délivré à la Syrie les
résultats d’une première exploration
off-shore en deux dimensions [2D]. Elle
révélait les 14 gisements de pétrole
dont j’ai déjà parlés. Ensuite, une
deuxième société toujours norvégienne,
la SAGEX, a repris le travail et a rendu
des résultats comparables à la
précédente en se gardant de communiquer
les résultats des données sismiques
transformées en 3D permettant une
estimation bien plus quantitative du
rendement des gisements en sols marins
que la 2D. Puis, ces deux sociétés ont
été rachetées par « CGGVéritas » qui est
une société franco-américaine basée à
Londres. Cette dernière société a donc
récupéré le contrat et les données
concernant la Syrie. Et là, le jeu
devient plus clair !
Ainsi, lorsque j’avais présenté une
première image sur Al-Mayadeen j’avais
dit que les premières estimations des
rendements pétroliers pour les gisements
[4-9-10-13] s’étendant de la frontière
libanaise jusqu’à Banias seraient
équivalents à ceux du Koweït. Je m’étais
basé sur les données 3D prétendument non
acquises par la SAGEX. En effet, ces
données que j’ai pu consulter indiquent
des rendements de 1,6 à 2 millions de
barils de pétrole / Jour.
13. Sans parler du gaz ?
Oui, ces chiffres concernent uniquement
le pétrole. Quant au gaz, j’avais dit
que les gisements étaient considérables
en territoire syrien avec un rendement
estimé dix fois supérieur à ceux
d’Israël et du Liban réunis, le centre
étant localisé à Qara entre Damas et
Homs.
14. Donc on-shore ?
Absolument ! Mais les sols marins sont
aussi très riches en gisements gaziers,
les rendements estimés augmentant
sensiblement au fur et à mesure que vous
remontez vers la côte syrienne. Et, pour
en revenir au pétrole, si l’on
additionnait les rendements des
gisements on arriverait à un total se
situant entre ceux de l’Irak et de
l’Iran !
15. Autrement dit la Syrie est nantie en
pétrole et en gaz et le jeu valait son
coût ?
Il le valait, d’autant plus si nous
intégrons les trajets des gazoducs que
j’ai déjà détaillés. Ainsi le projet de
gazoduc russe South Stream qui passe par
la Mer Noire et se dirige vers
l’Autriche, traversant toute l’Europe,
est un concurrent direct du projet
Nabucco passant par la Turquie. Il a été
voulu par les USA pour servir l’Europe
en court-circuitant la Russie. La
bataille s’est finallement soldée en
faveur de la Russie pour des raisons sur
lesquelles je ne reviendrai pas ici [3].
Et, à l’avenir, tout porte à croire que
le secteur germanique l’emportera dans
l’équation européenne et que nous
assisterons à une coopération sans
précédent entre la Russie ; l’Allemagne
et l’Autriche. Personnellement, je vois
l’Allemagne comme une future grande
puissance disposant d’un droit de veto
au Conseil de sécurité des Nations
Unies.
16. La coopération russo-allemande est
déjà bien avancée !
En effet. Tout est affaire d’intérêts
commerciaux. Le gazoduc russe North
Stream qui se dirige directement vers
l’Allemagne via la Mer Baltique est l’un
des secrets des relations particulières
entre ces deux pays. Ceci dit, je pense
qu’il est faux de dire que la Russie
agit contre l’Europe. La Russie n’est
pas l’URSS et il n’est pas interdit
d’imaginer des lendemains plus
ensoleillés, car ses relations avec
l’Europe sont indestructibles.
De notre côté, nous avons à faire avec
le gaz qatari et le gaz iranien issus
d’un site d’exploitation off-shore [North
Dome] situé à la frontière des deux
pays. La partie iranienne [South Pars en
jaune sur cliché de capture d’écran] est
plus riche que la partie qatarie [en
rose]. Les gazoducs respectifs doivent
suivre un trajet passant par la Syrie !
17. C’est donc la fameuse nouvelle route
de la soie dont vous avez parlé à
plusieurs reprises ?
Exactement. Et je
pense que c’est là le nœud des problèmes
auxquels devra s’ajouter celui de
l’acheminement des énormes quantités de
gaz des régions de
Rub' Al-Khali et de Ghawar située au
sud-ouest de Riad ; problème non encore
résolu.
Le Qatar avait
l’intention de faire passer son gazoduc
par le territoire syrien [4], mais voilà
que l’accord signé en Août 2011 entre
l’Iran, l’Irak et la Syrie résout le
problème de l’acheminement du gaz
iranien vers la mer Méditerranée sans
régler celui de l’acheminement du gaz
qatari. Il ne lui restait plus que
l’option de son transport par voie
maritime qui nécessiterait une flotte de
1000 navires. Un coût exorbitant
ramenant les bénéfices qataris
escomptés, sur plusieurs années, de 800
milliards de dollars à 80 milliards !
Par ailleurs, il n’est pas exclu que le
gaz saoudien doive suivre le même trajet
en direction de la Syrie.
18. Les
dossiers du gaz sont donc
fondamentaux dans la crise syrienne?
Absolument. C’est
pourquoi, je ne peux que répéter à mes
compatriotes syriens que nous sommes
face à des « conflits d’intérêts
commerciaux » impliquant les multiples
facteurs d’une même équation : Russie,
USA, Israël, Iran, Turquie, Arabie
saoudite, Qatar, etc. L’unique moyen de
nous en sortir serait que chacun puisse
y trouver son compte. C’est à cela que
nous devons raisonnablement travailler.
Dr.
Imad Fawzi Shueibi
09/11/2013
Transcription et traduction : Mouna Alno-Nakhal
Source : Vidéo NBN [Extrait de 28’15‘’ à
51’36’’]
http://www.youtube.com/watch?v=VyR7pt09wAs
Notes :
[1] John Kerry:
«Est-ce qu'Israël veut une troisième
intifada?»
http://www.lapresse.ca/international/dossiers/pourparlers-israelo-palestiniens/201311/07/01-4708325-john-kerry-est-ce-quisrael-veut-une-troisieme-intifada.php
[2]
Le gaz israélien et le protecteur russe
http://www.tribunejuive.info/tag/accord-israel-gazprom
[3] Syrie : La
guerre pour le gaz !
Un conflit
international à manifestation régionale
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=30652
[4] La Syrie dans le chaudron des
projets gaziers géants !
http://www.mondialisation.ca/la-syrie-dans-le-chaudron-des-projets-gaziers-geants/5343462
Le Docteur
Imad Fawzi Shueibi est citoyen
syrien, philosophe et géopoliticien. Il
est Président du Centre de documentation
et d’études stratégiques à Damas.
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|