La Voix de la
Russie
Novorossia, Syrie, Mistral, coopération
Afrique-Russie : entretien avec Igor
Korotchenko (Partie 1)
Mikhaïl Gamandiy-Egorov
Lundi 13 octobre 2014
Igor
Korotchenko est un expert militaire,
rédacteur en chef du magazine mensuel
russe Nacional’naya
oborona (Défense nationale), directeur
du Centre d’analyse du commerce mondial
de l’armement et membre du Conseil
public du ministère de la Défense de la
Fédération de Russie.
Mikhail
Gamandiy-Egorov, La Voix de la Russie :
M. Korotchenko, bonjour ! Ma première
question concernera Novorossia, étant
probablement le thème le plus discuté en
ce moment en Russie. On observe
aujourd’hui un cessez-le-feu fragile
entre les forces de Novorossia et les
forces ukrainiennes. Un cessez-le-feu
constamment violé puisque Donetsk et
d’autres localités continuent d’être
bombardées par l’artillerie lourde
ukrainienne. Selon vous, quelles sont
les perspectives dans un avenir proche ?
Reprise des combats d’envergure, ou le
cessez-le-feu très fragile que nous
voyons aujourd’hui sera encore
d’actualité ?
Igor
Korotchenko : Il y
a beaucoup de risques que le
cessez-le-feu actuel laissera la place à
une nouvelle guerre. L’Ukraine poursuit
ses provocations. Les villes du Donbass
continuent d’être bombardées par les
militaires ukrainiens. Sans oublier que
plusieurs bataillons sous les ordres de
Kiev ne respectent tout simplement pas
ledit cessez-le-feu. Dans ces conditions
et de façon objective, le risque d’une
nouvelle guerre est très important.
D’autant plus qu’après les élections de
la Rada ukrainienne, lorsque beaucoup de
postes seront occupés par des chefs de
guerre locaux ayant participé aux
combats dans le Donbass, il y aura
globalement une radicalisation encore
plus importante des positions de Kiev.
Par ailleurs, une forte pression
pourrait être exercée sur Porochenko
afin que d’une manière ou d’une autre,
la partie ukrainienne reprenne les
combats.
LVdlR : Si
cela devait arriver, comme voyez-vous la
suite des événements tout en sachant
qu’il est très difficile de faire des
prévisions. Néanmoins, quelles seront
selon vous les mesures prises par les
forces armées de Novorossia ? Et que
devra faire la Russie à son niveau ?
Igor
Korotchenko :
Politiquement, la Russie va soutenir les
résistants. C’est évident, nous ne
pourrons pas fermer les yeux sur les
atrocités et les massacres commis à
l’encontre de la population de
Novorossia, de nos compatriotes russes.
Plus globalement, je dirais que
l’Ukraine en tant qu’Etat unitaire vit
ses derniers jours. Aujourd’hui déjà,
c’est un pays complètement divisé. La
voie optimale serait la création du
projet global de Novorossia afin qu’elle
soit rejointe par toutes les régions du
Sud-Est, où les sentiments pro-russes
sont très importants. Une Novorossia
d’Odessa jusqu’au Donbass. Un couloir de
sortie serait formé vers la République
moldave du Dniestr. L’Ukraine de Kiev
perdrait alors l’accès à la mer et les
régions les plus développées du point de
vue économique et industriel. Cela
rappellerait d’une certaine manière la
situation de deux Allemagnes. Ici, on
aurait affaire à deux Ukraines, de
l’Ouest et de l’Est. Cela répondrait
d’une manière optimale à l’équilibre des
forces que nous observons actuellement.
C’est une réalité géopolitique
objective. Je répèterai encore, il n’y a
aujourd’hui plus d’Ukraine unie et
unitaire, elle vit ses derniers jours.
Et il n’y en aura jamais plus.
LVdlR : Et
Novorossia dans ce format plus large, ce
sera à moyen ou à long terme ?
Igor
Korotchenko :
Difficile de parler en termes de délais
dans cette situation. Nous devons déjà
attendre et voir ce qui va se passer en
Ukraine, en particulier cet hiver. Une
crise majeure se profile. Et quelle sera
la sortie à cette crise ? L’une des
solutions serait la création d’une
grande Novorossia. D’autres options sont
également possibles. On attendra et puis
on verra le déroulement des choses,
d’autant plus qu’il ne reste pas
longtemps à attendre.
LVdlR
: J’aimerais maintenant passer au thème
de la Syrie. De nouveau, elle inquiète
beaucoup d’observateurs. La dite
coalition aux ordres des USA bombarde
aujourd’hui une partie du territoire
syrien, le tout sans l’accord du
gouvernement légitime de la Syrie et
sans l’aval de l’ONU. De fait, cette
coalition bombarde ses anciens alliés.
Mais le principal étant qu’il existe un
risque sérieux que cette dite coalition
commence à bombarder les positions de
l’Armée arabe syrienne. Selon vous, ce
risque est-il effectivement important ?
Un tel scénario est-il réaliste ?
Igor
Korotchenko : Oui,
tout à fait. En commençant par les
bombardements du dit Etat islamique, il
est possible de passer très rapidement
aux bombardements de Damas. Les USA
n’ont toujours pas écarté leur objectif
de renverser Bachar al-Assad. En ce qui
concerne l’activation récente de l’EI,
cela est la conséquence directe de
l’échec des calculs de la politique
extérieure étasunienne. Les USA ont armé
ces terroristes, les avaient entrainé,
leur fournissaient d’importants moyens
financiers et comptaient sur eux pour
renverser le leader syrien. Mais ledit
Etat islamique, voyant la lutte acharnée
des forces gouvernementales syriennes, a
opté pour une autre tactique. Ses
troupes sont passées de la Syrie à
l’Irak en attaquant et en forçant à
reculer les forces gouvernementales de
Bagdad. Et aujourd’hui en bombardant
leur ancien allié, les USA essaient de
forcer leur djinn à revenir dans leur
bouteille alors que ce sont ces mêmes
USA qui les en ont fait sortir. Il y a
bien peu de chances qu’ils y arrivent.
En ce qui concerne le fait que ladite
opération se déroule sans l’aval du
Conseil de sécurité de l’ONU, cela est
bien évidemment très négatif. Surtout
que le gouvernement syrien devait en
premier lieu donner son autorisation
pour que soient supprimés les foyers des
intégristes islamistes sur son
territoire. Sur le territoire de la
République arabe syrienne. Puis devait
s’en suivre la décision du Conseil de
sécurité de l’ONU avec un mandat clair
et des objectifs prédéfinis, afin que
les USA ne puissent pas interpréter
comme bon leur semble le mandat et agir
comme ils ont en l’habitude, en gendarme
du monde.
LVdlR : Si un
tel scénario chaotique devait arriver,
quelles devraient être les actions des
pays et mouvements qui étaient dès le
départ contre un tel scénario, à savoir
la Russie, la Chine, l’Iran et le
mouvement libanais Hezbollah ?
Igor
Konotchenko : En
ce qui nous concerne, nous allons agir
sur le plan politique. C’est ce que nous
faisons déjà en rappelant à chaque fois
qu’aucune action ne peut être entreprise
sans l’aval du Conseil de sécurité de
l’ONU. La même position est adoptée par
la Chine. Donc politiquement, nous
agissons déjà à l’heure actuelle. En ce
qui concerne l’Iran et les actions qu’il
pourrait entreprendre, je pense que
l’Iran contribuera directement et
élargira son aide sur le plan
militaro-technique en faveur de Damas,
dans le cas d’un tel scénario. Et ce
sera selon moi une décision souveraine
et tout à fait juste de la part de
Téhéran. L’Iran a ses intérêts
nationaux. Un renversement éventuel du
président Bachar al-Assad constituerait
un coup pour les positions de l’Iran
dans la région. Et effectivement l’Iran
a la possibilité de coordonner ses
actions avec les mouvements concernés,
afin de faire reconfigurer par la suite
la situation au détriment des USA et de
leurs alliés.
Suite dans la
seconde
partie de l’entretien
© 2005—2014 La
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Publié le 13 octobre 2014 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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