Entretien
d'Alexandre Latsa
« Le salut de la France,
une des grandes
tâches universelles de
la Russie »
Alexandre Havard
Crédit photo: Alexandre Havard
Mardi 3 juin 2014
Né en France,
Alexandre Havard est également Russe. Il
a travaillé comme avocat à Paris puis
Strasbourg et Helsinki et dirige le
Havard Virtuous Leadership Institute,
via lequel il enseigne le leadership.
Ses ouvrages ont été traduits en plus de
15 langues et il réside désormais à
Moscou.
En 2013 a été
publié son ouvrage « Un chemin russe »
qui est plus qu’une biographie mais un
ouvrage sur la foi, la France et la
Russie.
La Voix de la
Russie : Bonjour et merci de répondre
aux questions de La Voix de la Russie,
présentez-vous s’il vous plait ?
Alexandre Havard
: Je suis
franco-russo-géorgien. Trois de mes
grands-parents qui résidaient à
Saint-Pétersbourg et Tbilissi, ont fuit
le communisme dans les années 1920 et se
sont réfugiés en France. Je suis né à
Paris ou j’ai fait mes études de droit.
J’ai vécu en Finlande 18 ans. Je vis en
Russie depuis sept ans.
LVdlR :Pourriez-vous
nous expliquer comment vous est venue la
vocation d’enseigner le leadership, de
quoi s’agit-il exactement et a qui
s’adressent vos formations ?
Alexandre Havard
: Voilà l’histoire : au milieu
des années 1990 on me propose de donner
à l’Université d’Helsinki un cours de
droit européen en langue française.
Nombreux sont les étudiants intéressés.
Je fais porter
la moitié de mon enseignement sur
l’histoire de l’intégration européenne,
afin d’aider l’auditoire à pénétrer le
cœur et l’intelligence des Pères
fondateurs : Robert Schuman, Jean
Monnet, Konrad Adenauer, Alcide de
Gasperi. Mes étudiants sont passionnés.
Ils s’ouvrent, ils parlent, ils
s’agitent. Nombreux sont ceux qui
s’approchent de moi à la fin des cours
pour me remercier de leur enseigner des
choses dont personne ne parle à
l’Université.
Je donne à mes
étudiants de l’information, mais
je me préoccupe surtout de leurformation.
Je voudrais qu’ils agrandissent leur
cœur.
La compétence
professionnelle n’est pas le seul
résultat d’un savoir théorique ou
pratique, mais aussi le fruit de la
formation du caractère, le fruit
d’habitudes morales bien enracinées dans
le cœur, l’intelligence et la volonté.
L’université moderne met de plus en plus
l’accent sur l’information et de moins
en moins sur l’éducation. Elle produit
de plus en plus de managers et de moins
en moins de leaders. Elle produit le
savoir, mais ne produit pas la sagesse.
Elle produit la technique, mais ne
produit pas le courage. Elle s’intéresse
de plus en plus aux choses et de moins
en moins aux personnes. La crise du
monde moderne n’est pas une crise de
l’information, c’est une crise de la
formation, une crise de l’éducation.
Je me passionne
pour le leadership : non pas le
leadership « technique », basé sur des
styles et des méthodes, mais le
leadership « naturel », celui qui est
fondé sur le caractère. Le leadership
qui m’intéresse c’est le leadership
fondamental, le leadership de toujours,
le leadership tel qu’il était perçu dans
l’antiquité. Je me plonge dans
l’anthropologie et l’éthique
aristotélicienne, confucéenne,
judéo-chrétienne. J’analyse la vie et
les actions des grands hommes de la
politique, du business, de la science,
de la religion, de la littérature, de
l’art et du sport.
Je découvre
alors que les vertus spécifiques du
leader sont la magnanimité et l’humilité
: la grandeur et le service. Je conçois
le leadership comme la science qui nous
permet d’atteindre la grandeur en
suscitant la grandeur chez les autres.
Je cherche à entrer en contact avec des
hommes et des femmes ayant atteint à mes
yeux cette grandeur. Je rencontre ainsi
Alexandre Soljenitsyne dans sa maison
près de Moscou, Lech Walesa dans son
bureau à Gdansk, François Michelin au
siège du groupe à Clermont-Ferrand. Pour
la science, c’est vers Jérôme Lejeune
que va mon admiration.
En 2002, je
commence à enseigner mon système de
leadership : en Finlande, dans les Pays
Baltes, en Pologne, en Russie, aux
Etats-Unis, au Kenya. J’enseigne aux
hommes d’affaires, aux étudiants
universitaires, aux directeurs d’écoles,
aux politiciens et aux fonctionnaires.
J’enseigne en anglais, en russe, et
parfois en français ou en espagnol.
Mon premier
livre est publié à New York en 2007 sous
le titre « Virtuous Leadership ». Entre
2007 et 2012 il est traduit en 14
langues. C’est l’édition chinoise
réalisée par l’Académie chinoise des
sciences sociales qui me donne le plus
de joie : mon système de leadership
n’est pas un système européen, c’est un
système universel. Il est, c’est
certain, inspiré du christianisme, mais
le christianisme est la plus naturelle,
la plus universelle de toutes les
religions, car il est la seule religion
qui soit vraie dans sa totalité.
L’anthropologie chrétienne est
compréhensible par tous les peuples,
elle assimile toutes les vérités sur
l’homme découvertes depuis les temps
immémoriaux, elle les rassemble, les
complète et les unifie.
Je n’ai qu’un
seul objectif : répandre dans le monde
entier une conception du leadership qui
corresponde aux exigences les plus
authentiques de la nature humaine et aux
aspirations les plus nobles du cœur
humain. Je n’ai qu’un seul désir :
réveiller chez les hommes et les femmes
de ce monde le désir de grandeur et de
service, et transformer ce désir en une
force dynamique, en une disposition
stable de l’intelligence et de la
volonté.
Après Moscou, on
ouvre des centres de leadership vertueux
à Washington, Shanghai, Nairobi et
Bombay.
LVdlR : A
l’heure où les discussions vont bon
train en Russie sur l’identité de la
Russie (la bataille entre les
occidentalistes et les slavistes n’ayant
jamais cessé), on parle beaucoup du «
Monde russe » tandis que vous faites
référence dans votre ouvrage à « l’Idée
russe ». Pourriez-vous développer ?
Alexandre Havard
: Les Russes cherchent à
se définir en tant que peuple. Ils
cherchent à saisir leur substance propre
collective. Ils cherchent à connaître le
plan éternel de Dieu pour leur nation.
Les Russes sont convaincus qu’ils ont
une importante mission à réaliser en
Europe et dans le monde. C’est la
philosophie de l’histoire qui les
intéresse plus que tout.
Dans la première
partie du XIXème siècle, Piotr Tchaadaev
nous dit :« Il y a des grands
peuples, comme il y a de grandes
personnalités historiques, que l’on ne
peut expliquer par les lois naturelles
de l’intelligence, des peuples qui sont
mystérieusement dirigés par la logique
suprême de la Providence. Tel est notre
peuple (…). J’ai la conviction profonde
que notre vocation est de trouver une
réponse aux questions importantes qui
occupent l’humanité (…). Viendra le jour
où nous serons le centre intellectuel de
l’Europe ».
Vers la fin du XIXème siècle Vladimir
Soloviev écrit : « Le visage de
l’esclave qui est le visage de notre
peuple à ce jour, la triste situation de
la Russie sur le plan économique et sur
d’autres plans, tout cela non seulement
ne met pas en cause sa vocation, mais au
contraire, la confirme. Car la force
suprême que le peuple russe est appelé à
injecter dans l’humanité est une force
qui n’est pas de ce monde. L’ordre et la
richesse matérielle ne comptent ici pour
rien ».
Au XXème siècle
Nikolaï Berdiaev affirme : « La
culture occidentale est une culture de
progrès. Le peuple russe, quant à lui,
est le peuple de la fin ».
Tchaadaev,
Soloviev, Berdiaev, voilà des auteurs
qui parce qu’ils sont profondément
chrétiens haïssent toute sorte de
nationalisme, toute sorte de
provincialisme. Voilà des penseurs qui
sont de vrais patriotes, parce qu’ils
aiment leur patrie dans la vérité, sans
éprouver le besoin d’humilier les autres
nations et de nier la réalité souvent
dramatique de leur histoire. «
L’amour de la patrie est une chose
admirable, écrit Tchaadaev. Mais
il y a une chose plus admirable encore,
c’est l’amour de la vérité. C’est le
chemin de la vérité, et non le chemin de
la patrie, qui mène au Ciel. Je n’ai pas
appris à aimer ma patrie les yeux
fermés, la tête baissée, la bouche
scellée. On n’est utile à son pays que
dans la mesure où l’on est capable de le
saisir dans toute sa clarté ».
Tchaadaev,
Soloviev, Berdiaev, voilà des penseurs
qui ont profondément marqué ma manière
de voir les choses.
LVdlR : La
tentative d’assassinat de ce grand Pape
qu’était Jean Paul II a été pour vous un
évènement marquant. Jean Paul II,
premier Pape slave, a énormément pris en
considération la Russie durant sa vie et
surtout dans ses dernières années, sans
pouvoir néanmoins visiter la 3ème Rome.
Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Alexandre Havard
: Jean-Paul II a beaucoup aimé la
Russie. Il avait lu Tchaadaev, Soloviev,
Berdiaev.
C’est lui, le
Pape marial, qui le 25 mars 1984 a
réalisé la consécration demandée par la
Vierge à Fatima, en communion avec les
évêques du monde entier. Cette
consécration concerne avant tout la
Russie. C’est lui, le Pape slave, qui en
1985 a rédigé une lettre encyclique en
l’honneur des saints Cyrille et Méthode,
les apôtres des slaves et les pères de
la culture slave orientale. Déjà en 1980
il avait proclamé les deux frères de
Thessalonique co-patrons de l’Europe. Ce
Pape avait une vision plus juste, plus
universelle de l’Europe que ses
prédécesseurs. C’est lui encore qui en
1988 a publié une importante lettre
apostolique à l’occasion du millénaire
du Baptême de la Russie. En lisant cette
lettre on découvre à quel point le Pape
polonais aimait et comprenait la Russie.
La « doctrine
russe » de Wojtyla, on peut la résumer
en trois points :
1. La grandeur
de la Russie, sa contribution spécifique
au bien spirituel de l’humanité, est
liée à la tradition culturelle et
religieuse byzantino-slave dont les
fondements ont été posés par Cyrille et
Méthode au IXe siècle. Latiniser la
Russie, ce serait la rendre stérile. Ce
serait aussi condamner l’Église
universelle à un provincialisme morbide
et empêcher la réalisation de la grande
unité chrétienne.
2. Les deux
formes de la grande tradition de
l’Église, l’Orientale et l’Occidentale,
sont deux formes culturelles qui se
complètent mutuellement comme les deux
poumons d’un même organisme. La culture
occidentale est plus logique et plus
rationnelle, la culture orientale est
plus mystique et plus intuitive. «
Depuis toujours, affirme Piotr Tchaadaev
(que Jean-Paul II a étudié en détail),
le monde est divisé en deux parties :
l’Orient et l’Occident. Ce ne sont pas
seulement des divisions géographiques.
C’est l’ordre des choses, tel qu’il
découle de la nature même de l’existence
rationnelle. Ce sont deux principes qui
correspondent à deux forces dynamiques,
deux idées qui embrassent toute la
constitution vitale du genre humain. En
Orient, l’esprit humain s’est formé en
se concentrant sur lui-même, en
pénétrant dans les profondeurs de son
être, en se renfermant sur lui-même. En
Occident, il s’est développé en sortant
de lui-même, en jaillissant de tous les
côtés, en dépassant tous les obstacles
extérieurs ». La culture occidentale
est plus masculine, la culture orientale
est plus féminine. Cette complémentarité
naturelle doit engendrer l’amour, non la
confrontation. Le nationalisme culturel
et religieux, le rejet de toute
complémentarité, est une forme d’homosexualisme
spirituel.
3. La séparation
entre l’Église catholique et l’Église
orthodoxe est un grand péché, mais la
Providence Divine a permis cette
séparation afin d’en tirer un bien
supérieur : permettre à l’Église du
Christ de découvrir en elle-même toute
la richesse humaine et divine de
l’Incarnation et de la Rédemption. «
L’homme a besoin d’une certaine
dialectique, affirme Karol Wojtyla, pour
développer ses capacités de connaissance
et d’action. L’Esprit Saint, dans sa
bienveillance divine, n’a-t-il pas tenu
compte de cette réalité humaine ? Ne
faut-il pas que le genre humain
parvienne à l’unité par la pluralité,
qu’il parvienne à être une seule Église,
dans le pluralisme des formes de pensée
et d’action, de culture et de
civilisation ? Une telle interprétation
ne correspond-elle pas au moins en
partie, à la Sagesse et à la Bonté, à la
Providence dont Dieu a toujours fait
preuve à l’égard de ses créatures ? Mais
ces considérations ne peuvent justifier
des divisions qui vont en s’accentuant.
Il faut qu’à un moment donné, se
manifeste l’amour qui unit ».
Vladimir
Soloviev fut le premier à poser la
question de l’unité chrétienne dans ces
termes. Toute sa philosophie, qu’elle
soit théorique ou pratique, est basée
sur le concept de « toute-unité » (vseedinstvo)
que l’on peut résumer en ces termes :
l’unité maximale dans la multiplicité
maximale. Pour lui legénéral n’a
de sens que dans la mesure où il fait
place auparticulier, et leparticulier
n’a de sens que dans la mesure où il
crée en lui une place pour legénéral.
Pour Soloviev l’unité ne peut être que
l’unité de la totalité. Une unité qui ne
respecte pas la multiplicité, de même
qu’une diversité qui refuse de créer en
elle une place pour l’unité, n’est
qu’une abstraction et un mensonge.
L’Église du XIXe
siècle n’était pas prête à recevoir le
message de Soloviev. Le penseur russe
s’en rendait bien compte. Il écrivait
pour les hommes et les femmes du XXIe
siècle, pour ceux qui devaient survivre
aux grands cataclysmes du XXe siècle,
dont il pressentait l’imminence.
Le Pape polonais
est le grand héritier intellectuel et
culturel du philosophe russe. En l’an
2000, à l’occasion du centenaire de la
mort de Soloviev, il affirmait : «
En faisant mémoire de cette personnalité
russe d’une profondeur extraordinaire,
qui avait très bien perçu le drame de la
division des chrétiens et le besoin
urgent d’unité, je voudrais inviter le
monde à prier pour que les chrétiens
d’Orient et d’Occident retrouvent au
plus vite la pleine communion ».
La pensée de
Karol Wojtyla est profondément
orientale. Elle n’est pas linéaire comme
celle de ses prédécesseurs, mais
circulaire. Avec Jean-Paul II on revient
toujours au point de départ. Cettenostalgie
créatriceest la force de l’Orient.
L’Orient est un aigle, sa trajectoire
est une spirale ascendante. L’Occident
est un lion, sa trajectoire est celle
d’une flèche. L’aigle et le lion, voilà
les deux symboles de la grandeur, perçue
sous des angles différents.
LVdlR : Vous
étudiez en France et consacrez même un
chapier de votre livre à Paris. Vous
affirmez aimer et respecter la France
tout en constatant que ce pays vous a
procuré une amertume profonde.
Pourriez-vous expliquer pourquoi ?
C’est à Paris
que j’ai grandi et que j’ai reçu ma
première éducation. C’est à Paris que
j’ai découvert ma vocation. Sans Paris
je n’existe pas. J’admire la France. En
France on apprend à rompre les chaînes
de la pensée routinière, à vaincre le
poids de la tradition mal entendue, à
fuir la languissante monotonie des «
déjà vu ». « Pourquoi la France
continue-t-elle d’occuper la première
place en Europe ? », se demandait
Dostoïevski voilà 200 ans. Et de
répondre : « Parce qu’elle est
toujours le pays du premier pas, de la
première expérimentation, de la première
idée ». Je pense à cette idée géniale
qu’est l’intégration européenne, non pas
dans sa forme actuelle, violée,
dégradée, vidée de son contenu originel,
mais telle qu’elle fut conçue par Jean
Monnet et Robert Schuman : une idée
profondément morale, porteuse d’une
vision noble de la personne humaine.
J’aime Paris.
Mais dans cet amour il y a une amertume
profonde. Quand je pense à la capitale
française, je pense à Voltaire et à
Rousseau qui occupent les premières
places dans ce mausolée qu’on appelle le
Panthéon, car en son sein sont inhumés
ceux que l’État français depuis 300 ans
reconnaît comme ses « dieux » :
Voltaire, ce personnage répulsif au
ricanement diabolique, le père du
laïcisme sectaire, intolérant et
fanatique ; Rousseau, ce sentimental
d’une inconsistance phénoménale, le père
de la philosophie des Lumières, qui pour
avoir nié l’existence du mal dans
l’homme, a créé un type d’homme étranger
aux concepts de développement personnel
et de perfectionnement moral, un type
d’homme dont la seule espérance est le «
progrès social ».
Voilà ce qu’on
lit à l’entrée de ce mausolée : « Aux
grands Hommes, la Patrie reconnaissante
». On lit et on pleure, tellement le
mensonge est de mauvais goût. Le
Panthéon qui fut jadis une église dédiée
à l’une des plus grandes femmes de
France, à celle qui sauva Paris de la
destruction « mongole », est depuis la
Révolution française un mausolée dédié à
de « grands hommes » qui sont en réalité
de grands ennemis de l’humanité.
Extrait du livre
« Un chemin russe » (pages 79 et 80) :
« Paris est
la ville de la nouvelle Europe et de la
nouvelle humanité européenne. (…) De
l’harmonie sublime de l’ancien et du
nouveau (…) Mais Paris est aussi la
ville de cet esprit petit-bourgeois qui
est le fruit d’une soif insatiable de
jouissance (…) L’esprit petit-bourgeois
est une catégorie métaphysique et non
pas sociale. Le socialisme est pénétré
de cet esprit qui est fondamentalement
athée, irréligieux.
(…)
C’est à travers de grandes douleurs et
de grands chamboulements que se
réveillera l’esprit héroïque des
Français. La fin de l’esprit
petit-bourgeois, de son irréligiosité et
de sa haine de la religion, est
inévitable. Paris renaitra alors à une
vie nouvelle.
(…)
Le salut de la France, voilà une des
grandes taches universelles de la Russie
».
LVdlR : Vous
affirmez qu’à cette époque vos pensées
les plus profondes vont vers : «
Dieu, la France et la Russie ».
Pourquoi ces liens si essentiels entre
ces deux pays d’après vous ?
Alexandre Havard
: Dans le message de Fatima, il
n’y a pas seulement la Russie. Il y a
aussi la France. En 1931, à Rianjo en
Espagne, Jésus-Christ se plaint à Lucia
de ce que la consécration de la Russie
au Cœur Immaculé de Marie, demandée en
1929, n’a pas encore été réalisée : «Ils
n’ont pas voulu écouter ma demande.
Comme le roi de France, ils s’en
repentiront ».
Les rois de
France... En 1689 par l’intermédiaire de
Sainte Marguerite-Marie, le Christ avait
demandé au roi Louis XIV de consacrer la
France à son Cœur Sacré. Mais trop
aveuglé par ses passions et trop enivré
par son orgueil, il mourut sans répondre
aux demandes du Ciel. Ses successeurs,
Louis XV et Louis XVI, ne réaliseront
pas non plus cette consécration. En 1789
éclate la Révolution Française, en 1792
se déchaîne la persécution contre
l’Église, en 1793 Louis XVI est décapité
sur la place publique...
La France doit
être consacrée au Cœur de Jésus, et la
Russie au Cœur de Marie. C’est le plan
de Dieu. La France et la Russie sont
l’objet d’une prédilection divine et
leurs destins sont inséparables.
Inséparables comme le sont le Cœur Sacré
de Jésus et le Cœur Immaculé de Marie.
Dieu, la France,
la Russie, voilà le contexte, voilà le
cadre de mes pensées les plus profondes
et les plus intimes. Voilà ce qui occupe
mon cœur depuis longtemps.
LVdlR : En 2007
vous vous êtes installé de façon
définitive à Moscou. Quel regard
portez-vous sur la Russie actuelle ?
Alexandre Havard
: Le communisme, comme toute
idéologie, a provoqué une catastrophe
anthropologique : l’idéologie stimule la
volonté, mais elle détruit
l’intelligence et épuise le cœur ; elle
stimule la volonté, car elle est
orientée vers un but ; elle détruit
l’intelligence, parce qu’elle nie la
nature des choses ; elle épuise le cœur,
parce qu’elle le nourrit d’une espérance
falsifiée.
Après 70 ans de
communisme il est nécessaire de rétablir
l’intelligence et le cœur. L’économie de
marché dégourdit l’intelligence, car
elle est orientée vers les besoins
matérielsréels des individus.
Mais l’économie de marché à elle seule
ne rend l’humanité plus intelligente que
dans les matières relatives au marché.
Il faut compléter cette « intelligence
matérielle » par une « intelligence
spirituelle », qui puisse s’intéresser à
l’âme humaine et satisfaire ses
exigences les plus profondes.
Malheureusement
le matérialisme pratique (le
consumérisme) qui prend la place du
matérialisme théorique (le marxisme)
paralyse la volonté : il enflamme les
passions les plus viles et rend
difficile la pratique des vertus de
courage et de maîtrise de soi. Il fait
aussi du cœur son esclave : la
consommation devient le sens et le but
de l’existence.
20 ans ont passé
depuis l’effondrement de l’Union
Soviétique et voici que le cœur des
Russes, épuisé par l’idéologie et servi
par la matière, est toujours vivant. Il
réclame ses droits perdus. Le leadership
vertueux est une réponse à ce cri
désespéré de l’âme.
Le leadership
n’est pas une technique, mais un mode
d’être. Avant de répondre à la question
« que faire ? », il faut répondre à la
question « qui sommes-nous et qui
devons-nous être ? ». « Qui sommes-nous
et qui devons-nous être ? », voila une
question profondément morale à laquelle
toute la littérature russe du XIXe
siècle a tenté de répondre. C’est à
cette question aussi que s’intéresse le
leadership vertueux.
LVdlR :
Avez-vous quelque chose à rajouter pour
les lecteurs de Voix de la Russie ?
Alexandre Havard :
Oui. La force de la Russie ce n’est pas
la force de son Etat. C’est la force de
ses martyrs. Ils sont des millions, et
c’est eux qui constituent réellement la
Russie d’aujourd’hui. L’avenir chrétien
de la Russie est quelque chose dont
personne ne peut douter. Ce qu’il faut
c’est un peu de patience. Comme disait
Alexandre Soljenitsyne : Il a fallut
trois génération pour détruire la Russie
; il en en faudra trois pour la
reconstruire.
© 2005—2014 La
Voix de la Russie
Publié le 3 juin 2014 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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