La Voix de
la Russie
Côte
d'Ivoire et CPI :
entretien avec Toussaint Alain (Partie
1)
Mikhail
Gamandiy-Egorov
Toussaint
Alain
Vendredi 25 octobre 2013
Nous avons le privilège
aujourd’hui de nous entretenir de
nouveau avec M. Toussaint Alain, ancien
conseiller, ex-porte-parole et
représentant dans l’Union européenne
(UE) du président Laurent Gbagbo -
président de la République de Côte
d’Ivoire de 2000 à 2011.
M. Alain préside aujourd’hui le groupe
de pression Côte d’Ivoire Coalition
Inc., représenté dans plusieurs pays.
Fin janvier, Toussaint Alain s’était
déjà confié à La Voix de la Russie
à l’issue d’une autre visite de travail
à Moscou, où il avait été reçu en
audience par des dirigeants politiques
et des députés du Parlement russe, la
Douma.
La Voix de la Russie
: Monsieur Alain, bonjour ! Nous
avons appris la demande d’extradition
vers la Cour pénale internationale (CPI)
de Simone Gbagbo, l’épouse de M. Laurent
Gbagbo. Une extradition qui a été
refusée par le régime d’Alassane
Ouattara…
Toussaint Alain :
C’est une décision sage. Mme Simone
Gbagbo est innocente. C’est une femme
politique importante, une intellectuelle
de premier rang qui a fortement
contribué à l’éveil démocratique en Côte
d’Ivoire. La CPI ignore probablement qui
elle est en réalité. M. Alassane
Ouattara a aussi certainement voulu
épargner son camp. Les chefs de guerre,
qui forment aujourd’hui sa garde
prétorienne, avec leur donneur d’ordre
Guillaume Soro, sont impliqués dans de
graves violations des droits de l’Homme
depuis septembre 2002. Tout cela est
connu. Toutefois, j’estime que M.
Ouattara a eu raison de ne pas céder aux
rêveries de la CPI qui croit devoir
juger les Africains en lieu et place des
tribunaux africains. La justice est un
pilier essentiel de l’État de droit.
Notre institution judiciaire compte en
son sein des femmes et des hommes
aguerris qui ne demandent qu’à
travailler en toute indépendance, loin
des pressions politiques. Simone Gbagbo
a droit à un procès équitable en Côte
d’Ivoire devant un tribunal indépendant
et impartial. Elle pourra alors répondre
à toutes les graves accusations portées
contre sa personne. C’est le minimum
qu’un pays indépendant depuis 1960
puisse garantir à une citoyenne. La CPI
n’a aucun rôle à jouer dans cette
affaire et dans toutes les autres, y
compris celles impliquant des
lieutenants de M. Ouattara : ces
dossiers relèvent de la compétence
exclusive des instances judiciaires
ivoiriennes.
LVdlR : Depuis
le 1er octobre, la CPI a rendu public un
mandat d’arrêt à l’encontre de Charles
Blé Goudé, l’ex-ministre de la jeunesse
du dernier gouvernement de Laurent
Gbagbo. Comment interprétez-vous cette
nouvelle procédure visant un pro-Gbagbo
?
Toussaint Alain :
C’est un grand classique : la CPI ne
poursuit qu’un seul camp. Pourquoi
rendre public seulement en octobre 2013
un mandat émis depuis décembre 2011 ?
Compte tenu de la gravité des crimes
allégués, elle aurait dû le faire
immédiatement afin d’alerter l’opinion
sur la "dangerosité" de ce jeune leader
progressiste. Vous savez, plus personne
ne prend au sérieux cette Cour. Une fois
encore, la CPI fait montre d’une cécité
affligeante. Ce nouveau mandat traduit
une méconnaissance flagrante de
l’histoire de la Côte d’Ivoire. C’est
très inquiétant. Blé Goudé n’était pas
un chef de milice ni un chef de guerre.
C’est un patriote qui s’est engagé, avec
son verbe pour seule arme, dans le
combat politique. Durant dix ans, il a
mobilisé des millions de compatriotes,
éveillé des consciences et même
sensibilisé à la paix auprès des
populations après l’accord entre l’État
ivoirien et la rébellion de MM. Ouattara
et Soro. Si j’ai bien compris, le fait
de revendiquer la liberté, la
souveraineté et l’indépendance des
peuples africains constitue un « crime
contre l’humanité » pour la Cour. Tout
comme la résistance face au
néocolonialisme des Occidentaux
désormais à la reconquête de l’Afrique.
C’est pourtant cette même « humanité »
que l’on extermine impunément à Duékoué,
Guitrozon, Nahibly... lorsque des bandes
armées se rendent coupables des pires
atrocités. Ce double standard prouve
bien que la CPI a un agenda politique et
qu’elle est au service exclusif des plus
puissants.
LVdlR : Justement,
la CPI est chargée de juger les auteurs
présumés de génocide, crimes contre
l’humanité et crimes de guerre…
Toussaint Alain
: La CPI s’est grandement
dévaluée aux yeux des Africains et des
dirigeants du continent. Comme en
atteste la récente fronde à l’Union
africaine (UA). Cette Cour sera crédible
le jour où elle inculpera les chefs
d’État occidentaux dont les armées
assassinent des civils au nom de la
démocratie ou de la lutte contre le
terrorisme. Voyez ce qu’ont fait les
présidents Bush, Obama, Chirac et
Sarkozy en Afghanistan, Irak, Libye ou
encore en Côte d’Ivoire. Des dizaines de
milliers de personnes y ont été
impunément massacrées dans le silence
assourdissant des sempiternels donneurs
de leçons. Qu’a fait la CPI ? Rien !
Elle préfère s’en prendre au Soudanais
Omar el-Béchir, à l’Ivoirien Laurent
Gbagbo ou au Congolais Jean-Pierre Bemba
plutôt qu’aux chefs de l’OTAN.
Sincèrement, l’épithète "internationale"
dans la dénomination de cette Cour est
une imposture : le mot "indigène" eût
été mieux indiqué ! Que la CPI laisse
nos instances judiciaires nationales
gérer ces situations. La Côte d’Ivoire
dispose des instruments juridiques et
des ressources humaines pour juger Blé
Goudé ainsi que tous les autres sur son
territoire. Ces procédures doivent aussi
avoir une vocation pédagogique. La
vérité doit être connue afin d’édifier
les générations futures. Transférer Blé
Goudé à la CPI ou le juger au pays,
voilà un autre dilemme pour le pouvoir.
J’ai foi que M. Ouattara et son
gouvernement n’extraderont pas Blé Goudé.
L’Afrique en a assez de livrer ses
enfants à cet Occident ingrat et
égoïste.
Suite dans la seconde partie de
l'entretien
© 2005—2013
La Voix de la Russie
Publié le 25 octobre 2013
Le sommaire de La Voix de la Russie
Le dossier Afrique noire
Les dernières mises à jour
|