Opinion
« Ces négociations
finiront dans le vide »
Ilan
Pappe
Ilan Pappe
Mercredi 31 juillet 2013
Entretien avec Ilan Pappé.
Michele Giorgio, correspondant de
il manifesto,
Haïfa.
Interview avec Ilan Pappé, professeur au
département d’histoire de l’université
d’Exeter (GB) rentré en Israël pour une
année sabbatique.
Kerry a annoncé avec emphase la reprise
des négociations. Entrevoyez-vous,
vous-même, quelque chose de concret à
l‘horizon ?
Rien. Je ne crois absolument pas que
cette nouvelle tentative amène quelque
part, tout comme les précédentes, à
partir des accords d’Oslo (1983). Parce
qu’elle part des mêmes bases qui sont :
il vaut mieux avoir un processus (de
paix) que ne pas en avoir. Même si ce
processus ne produira rien. Pour cette
raison il n’y a aucune impulsion réelle
de la part des Israéliens et des
Etasuniens à faire davantage pour
arriver à des résultats concrets.
Il n’y a rien de nouveau par rapport au
passé ?
Aucune nouveauté, du fait aussi qu’il
n’y a aucune modification de la base du
dit « consensus » (national) qui unit
les Israéliens quand ils parlent de
Cisjordanie et de
la Bande
de Gaza. C’est la même vision, la même
stratégie de toujours et il faut
reconnaître à l’actuelle direction
politique israélienne d’avoir admis
qu’elle n’ira pas aux négociations pour
présenter de nouvelles solutions. Je
suis par ailleurs convaincu que cette
relance des négociations bilatérales,
telles qu’elle est décrite par J. Kerry,
n’aurait pas été possible si n’était pas
intervenue la position forte manifestée
par l’Union européenne ces derniers
jours. Position qui établit de nouvelles
directions à l’égard des colonies
israéliennes dans les Territoires arabes
et palestiniens occupés et qui
maintenant, du moins sur le papier, ne
pourront jouir d’aucune coopération ni
aide de la part de l’Europe. Ces
pressions aussi ont convaincu Netanyahu
qu’il vaut mieux lancer quelque forme de
dialogue avec les Palestiniens, pour
empêcher que soient adoptées des
sanctions contre Israël et ses colonies.
Des décisions fruit de nécessités
tactiques et pas d’une stratégie…
Exact. Le paradigme est toujours le
même, il n’a pas changé et ne changera
pas. Et il n’y a aucune raison de penser
que ces négociations, en admettant
qu’elles se développent dans les
semaines qui viennent, puissent amener à
quelque solution.
On approche du rendez-vous de septembre
de l’Assemblée générale de l’Onu, que
les Palestiniens ont utilisé ces
dernières années pour annoncer des pas
en avant vers leur indépendance, du
moins sur la carte ou de façon
symbolique.
L’insistance étasunienne à
reprendre les tractations sans rien
avoir en main sert-elle aussi à empêcher
de nouveaux développements unilatéraux
du côté palestinien ?
Sans doute. Israéliens et Etasuniens
veulent développer ce que j’appelle le
« Plan A » et empêcher qu’on ne réalise
un « Plan B ». Le « Plan A » prévoit que
les entretiens avec les Palestiniens
avancent avec un Israël maître de la
situation dans les Territoires occupés
et libre d’étendre ses colonies, et
l’Autorité palestinienne d’Abu Mazen
engagée à empêcher le développement de
toute forme de résistance, pas seulement
armée, à l’occupation militaire. Le
« Plan B » par contre est celui où les
Palestiniens s’adressent aux autorités
internationales pour obtenir la
réalisation de leurs droits et demandent
que soient sanctionnés l’occupation et
les crimes qu’elle commet. Le « Plan B »
inclut une Europe plus consciente des
droits des Palestiniens, et, peut-être,
une nouvelle révolte populaire
palestinienne contre l’oppression. Pour
empêcher que démarre le « Plan B »,
Washington et Tel Aviv relanceront
toujours le « processus de paix »,
c’est-à-dire le « Plan A », qui est
celui du dialogue pour le dialogue sans
perspective de solution fondée sur la
légalité internationale.
Nous sommes à quasiment 20 ans de la
signature des Accords d’Oslo et de la
poignée de main entre Yasser Arafat, le
président palestinien décédé, et le
premier ministre assassiné Yitzhak
Rabin. Vingt ans après quelqu’un écrit
que la direction israélienne de 1983
était pacifiste alors que l’actuelle
direction israélienne serait
ultranationaliste et intéressée
seulement à étendre les colonies. Qu’en
pensez-vous ?
Je pense qu’il n’y a pas de différences
significatives entre le leadership de
1983 et l’exécutif de Netanyahu. Tous
les gouvernements israéliens de 1967 à
aujourd’hui (depuis l’occupation des
Territoires) ont développé la même
stratégie : 1) Jérusalem appartient
entièrement à Israël et il n’y aura
aucun compromis sur la ville ; 2) les
réfugiés palestiniens ne rentreront
jamais dans leurs villes d’origine ; 3)
Israël ne peut pas exister sans la Cisjordanie. Le
coeur de la politique israélienne était
et reste l’idée sioniste que la Cisjordanie est une
partie d’Israël, avec la nuance que
quelque représentant politique israélien
apparemment plus flexible par rapport
aux autres prévoie quelque
« concession » de plus à faire aux
Palestiniens. Bien sûr il y a (entre les
différents gouvernements) quelques
différences sur la façon de contrôler
la Cisjordanie. Par
exemple, l’annexer entièrement ou la
diviser en une zone israélienne et une
palestinienne ? Concéder ou pas
l’autonomie aux Palestiniens ?
Concéder ou pas une semblant
d’indépendance aux Palestiniens en
continuant à avoir le contrôle de la
souveraineté réelle ? Mais ce n’est
qu’une tactique.
Donc, nous sommes toujours à l’arrêt au
même point.
Oui. S’il existe une différence entre la
direction israélienne des Accords d’Oslo
et l’actuelle, elle consiste en quelques
aspects tactiques. Le gouvernement en
charge, par exemple, vise un plus grand
contrôle sur la Cisjordanie, à cause de
ses liens avec le mouvement des
colonies.
Et il faut ajouter une donnée
centrale. Aujourd’hui, par rapport à
1983, il n’existe plus pour l’opinion
publique israélienne un problème
palestinien, la question palestinienne
est invisible, elle a disparu de tout
horizon. Le peuple occupé, tout
simplement, a disparu de l‘esprit de
millions d’Israéliens.
Edition de jeudi 25 juillet 2013 de
il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20130725/manip2pg/05/manip2pz/343610/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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