Opinion
Gilles Munier: «
Les accusations du CNT contre l'Algérie
lui ont été soufflées dans l'oreille...
»
Gilles
Munier
Mercredi 31 août 2011
Entretien avec Gilles Munier (Le
Courrier d’Algérie – 22 août 2011)
En Libye, la manipulation française des
berbères du Djebel Nefoussa vise-t-elle,
par ricochet, l'Algérie ?
Pas directement, mais ceux qui sont à
l’origine des parachutages d’armes et de
conseillers militaires dans le Djebel
Nefoussa, savaient très bien que
l’opération allait avoir des
répercussions en Kabylie, dans
l’immigration berbère en général, dans
le Rif marocain et au sud de la Tunisie.
Le respect des langues et des cultures
minoritaires est une chose,
l’autonomisme en est une autre, car pour
certains dirigeants de groupuscules
minoritaires recherchant des soutiens
politiques et financiers à l’étranger,
il s’agit en fait d’indépendantisme.
C’est le cas, par exemple, de Ferhat
Mehenni, chef du caricatural
« gouvernement kabyle en exil » :
ila ses entrées dans les « cabinets
noirs » en France, au Maroc, en
Israël et aux Etats-Unis. Il doit se
dire que ce qui a été possible en Libye
le sera demain en Algérie. Je crois que
les pays de l’Otan et Israël y pensent
depuis longtemps. Ils agissent en
sous-main. En tout cas, ils ne
découragent pas Mehenni, mais ne peuvent
pas sortir la grosse artillerie
médiatico-militaire partout à la fois.
Autre agitateur: Fethi Benkhelifa,
berbériste bien connu aux Pays-Bas où il
dirigeait un groupe d’opposition libyen
soutenu par l’OTAN. Il est aujourd’hui
un des conseillers politiques du
Conseil national de transition libyen
(CNT), et à l’initiative des
diatribes anti-Kadhafi diffusées en
tamazigh, la langue berbère, sur
Libya TV, une chaîne basée au
Qatar. En mai dernier, au « Congrès
Mondial Amazigh » à Bruxelles, il a
accusé l’Algérie d’envoyer des
mercenaires en Libye. En juin,
Benkhelifa et Mehenni ont participé à
une réunion à Montreuil, dans la
banlieue parisienne, pour discuter des
perspectives offertes par
l’officialisation du berbère au Maroc…
et sans doute de sujets plus sensibles.
Bernard-Henry Lévy et consorts ne
devaient pas être loin. Je crains que
tout cela ne débouche un jour, comme en
Libye, sur une alliance tactique avec
les réseaux d’Al-Qaïda implantés en
Kabylie.
Nicolas Sarkozy veut renverser le
colonel Kadhafi, coûte que coûte.
Pourquoi un tel acharnement
D’abord, pour la petite histoire, parce
que le Guide libyen n’a pas acheté
français ! Il n’a pas voulu des
chasseurs Rafales, des réacteurs
nucléaires, de l’usine de dessalement de
l’eau de mer, il a refusé de débourser
les 10 milliards d’euros qui auraient
fait de Sarkozy, selon les propres
termes de ce dernier, un président qui
va chercher « les contrats avec les
dents » ! Plus prosaïquement,
ces milliards auraient généré des
commissions colossales pour les
« copains et les coquins », comme
disait Michel Poniatowski, ministre de
l’Intérieur de Giscard d’Estaing. On m’a
dit à Tripoli qu’en 2007, à son départ
de Libye, le président français était
visiblement déçu et furieux contre son
« ami » Kadhafi qui n’avait
confirmé que deux malheureux milliards
d’euros de contrats.
L’occasion de se venger de cet
« affront » s’est présentée en
octobre 2010, lorsque
Nouri el-Mismari, chef du
protocole de Kadhafi, a demandé l’asile
politique en France et a convaincu ses
interlocuteurs que le pouvoir du Guide
ne tenait qu’à un fil… En novembre, un
exercice militaire franco-britannique a
été programmé avec pour scénario, je
cite de mémoire : répondre à l’attaque
lancée contre les intérêts stratégiques
français par « Southland », nom
de code d’un pays fictif dont le
dictateur s’était retiré et avait laissé
le pouvoir à son fils. L’exercice devait
se dérouler… entre le 21 et le 25 mars
2011. A moins d’être aveugle, il semble
bien qu’il s’agissait d’un plan
d’attaque de la Libye, timing compris.
N’y était-il pas question que le colonel
Kadhafi cède une partie de ses pouvoirs
à son fils Seïf al-islam ? Le
déclenchement des « printemps
arabes » en Tunisie et en Egypte
est tombé à pic pour faire passer un
acte d’agression pur et simple pour un
soutien désintéressé à un peuple en
lutte. On connaît la suite : l’entrée en
lice de Bernard-Henry Lévy et la
création du CNT. Cinq mois plus tard, le
dictateur de « Southland »
n’est toujours pas renversé. La
guerre-éclair s’est transformée en
bourbier. L’OTAN tue les civils qu’elle
est censée protéger. Les habitants de
Benghazi sont rançonnés par des bandes
armées. Et, pour être bref : le CNT
n’est pas prêt à acheter français !
Comment expliquez-vous que la révolution
de Tripoli, menée par les islamistes,
les royalistes et les caciques du
régime, sous le couvert aérien des
avions de l'Otan, n'arrivent pas à
s'imposer ?
Les rebelles n’arrivent pas à s’imposer
parce que la majorité des tribus
libyennes leur sont hostiles. De plus,
la plupart des combattants du CNT attend
que l’OTAN et les mercenaires de
sociétés militaires privées occidentales
nettoient le terrain devant eux et leur
livrent les positions de leur adversaire
sur un plateau. Après, il s’agit de les
tenir. Bien qu’ils ne manquent pas
d’armes, ils y parviennent rarement
quand l’armée libyenne contre-attaque
car, mis à part les djihadistes et les
berbéristes, ils sont peu motivés et
surtout désunis. L’assassinat du général
Abdel Fatah Younès, chef de l’armée
rebelle, avec la complicité de membres
du CNT et de djihadistes dissidents, a
envenimé les relations entre opposants.
Aux dernières nouvelles, le général
Khalifa Hifter qui ambitionnait de
remplacer Younès aurait été enlevé. Cet
opposant dirigeait, pour le compte de la
CIA, une milice formée aux Etats-Unis,
comme l’étaient les « contras »
anti- sandinistes au Nicaragua en 1985.
Si la crise en Libye ne se termine pas
autour d’une table de négociation avec
des opposants véritables et
responsables, la situation sera de plus
en plus chaotique. Les « chouyoukh »
de l’AQMI pourront dire : «Merci
Sarkozy » s’ils parviennent à
s’implanter durablement sur les bords de
la Méditerranée.
Les rebelles s’entêtent à couvrir leur
humiliante paralysie face à Kadhafi par
des accusations gratuites contre
l'Algérie, qui, dès le début, ne les a
pas tenu en haute estime…
Qui peut avoir de l’estime pour des
révolutionnaires en peau de lapin ?
Mustapha Abdeljalil, président du CNT,
est du même acabit que les chefs des
faux maquis créés par les services
spéciaux français pendant la guerre
d’Algérie. En avril dernier, les
accusations qu’il a portées contre
l’Algérie – transport de mercenaires
africains en Libye, livraison de
matériel militaire et de munitions - lui
ont été soufflées par ses maîtres
français et qataris. Qu’Abdeljalil
balaye devant sa porte ! La Cyrénaïque
est, avec l’Irak et l’Afghanistan, le
paradis des sociétés militaires privées
occidentales.
Source : Le Courrier d’Algérie
(22/8/11) – p.2.
Note d’actualisation (AFI-Flash) :
Depuis la publication de cet entretien,
réalisé le 19/8/11, l’OTAN a pris le
contrôle de la majeure partie de la
Libye. L’offensive surprise sur Tripoli
n’aurait pas été possible sans les
hélicoptères Tigre, les
commandos de forces spéciales et les
contractors français
(mercenaires), qui ont ouvert la
voie à des troupes du CNT entraînées au
Qatar. La nomination de Abdelhakim
Belhaj gouverneur militaire de Tripoli,
a confirmé le poids du Groupe
islamique de combat libyen (GIC) et
de l’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb
Islamique) au sein des rebelles, et
les liens entretenus par les djihadistes
avec les berbéristes du Djebel Nefoussa.
Belhaj y dirigeait un camp
d’entraînement. Selon le quotidien
Libération (26/8/11), deux
autres membres du GIC : Ismaïl
as-Salabi et Abdelhakim al-Assadi
occupent des postes militaires de
premier plan respectivement à Benghazi
et à Derna. Ali Salabi représente leur
organisation au CNT.
L’Algérie, qui a accordé l’asile à
l’épouse du Colonel Kadhafi, a fermé sa
frontière avec la Libye pour empêcher
les infiltrations d’éléments de l’AQMI
et la contrebande d’armes. A Paris, BHL
et Nicolas Sarkozy crient victoire et
échafaudent peut-être de nouveaux plans.
Après la Syrie, s’en prendront-ils à
l’Algérie ?
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 31 août 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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