Entretien
« Hugo Chávez est
toujours vivant
car les idées ne meurent jamais »
Ernesto
Villegas
Vendredi 12 avril
2013
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Conversations avec Ernesto Villegas,
Ministre du Pouvoir Populaire pour la
Communication et l’Information de la
République Bolivarienne du Venezuela
Journaliste de profession, Ernesto
Villegas Poljak est le nouveau Ministre
du Pouvoir Populaire pour la
Communication et l’Information de la
République Bolivarienne du Venezuela
depuis octobre 2012.
Dernier d’une famille communiste de huit
enfants, né en 1970, Villegas a baigné
dans la politique dès son plus jeune
âge. Son père, Cruz Villegas, était un
prestigieux syndicaliste, président de
la Centrale Unitaire des Travailleurs du
Venezuela (CUTV) et vice-président de la
Fédération syndicale mondiale. Sa mère,
Maja Poljak, originaire de l’ancienne
Yougoslavie, était une journaliste et
militante sociale réputée.
Villegas a travaillé pour la presse
écrite, la radio et la télévision. Il a,
entre autres, dirigé
Ciudad Caracas, le journal de la mairie
de la capitale,
et a été présentateur de plusieurs
programmes au sein de la chaîne publique
Venezolana de Televisión. Reconnu et
salué par ses pairs, il a obtenu
plusieurs prix, dont le Prix national du
journalisme à trois reprises (2002, 2006
et 2010).
Villegas est également écrivain et son
dernier livre d’investigation
Abril, golpe adentro
portant sur le coup d’Etat de 2002
contre le Président Hugo Chávez a été
unanimement salué par la critique.
Comme tout bon journaliste, Villegas
maîtrise l’art de la communication. Le
ton est sobre et plein d’assurance. Dans
ces conversations, le ministre décrit
l’état de la société vénézuélienne suite
à la disparition d’Hugo Chávez et
l’héritage laissé par le leader de la
Révolution bolivarienne. Il aborde
également les perspectives électorales
du 14 avril 2013, évoque l’attitude de
l’opposition, la relation spéciale avec
Cuba ainsi que les tensions avec les
Etats-Unis.
Salim Lamrani : Monsieur le Ministre,
dans quel état d’esprit se trouve le
peuple vénézuélien suite à la
disparition du Président Hugo Chávez ?
Ernesto Villegas : Nous sommes
tous envahis par une profonde tristesse
et nous essayons d’assimiler une réalité
difficile à accepter. Un long processus
de deuil parcoure le Venezuela. Nos
compatriotes, y compris certains
adversaires du Président, n’arrivent
toujours pas à croire qu’il ne se trouve
plus physiquement parmi nous. Tout le
monde est en quelque sorte dans une
espèce d’attente d’un éventuel retour,
d’une allocation publique de Chávez,
d’un prochain programme d’Aló,
Presidente. Nous nous sommes
tellement habitués à sa présence tout au
long de ces quatorze dernières années,
où il a exercé le pouvoir politique,
sans parler de sa présence dans la vie
nationale depuis 1992, qu’il nous est
difficile de nous résigner à son départ.
Il s’agit d’un des personnages les plus
marquants de l’histoire vénézuélienne.
Il a laissé une empreinte indélébile
dans la vie politique de notre patrie et
c’est la raison pour laquelle, malgré sa
disparition physique, le Président Hugo
Chávez sera toujours présent à l’avenir
et nous accompagnera dans l’édification
d’une société que nous voulons meilleure
et plus juste. Chávez se trouve partout
car il nous a indiqué la voie à suivre
pour atteindre l’indépendance pleine et
définitive de notre nation. Le projet
émancipateur et souverain lancé par Hugo
Chávez est en processus de construction
et nous le mènerons à son terme partout
au Venezuela. L’œuvre de Chávez est
palpable non seulement dans la réalité
matérielle, dans sa gestion
gouvernementale, mais également dans le
domaine subjectif de l’espoir. Chávez a
semé une graine d’espoir chez le peuple
et celle-ci est en train de germer.
SL : Le monde entier a été fortement
surpris par les immenses manifestations
de deuil et de tristesses populaires.
Comment s’explique cette ferveur
nationale à l’égard d’un président ?
EV : Nous avons perdu un membre de notre
famille et pas n’importe lequel. Nous
avons perdu notre père, notre père
politique et historique, le père de
cette Révolution, le père de nos luttes,
mais également notre père d’un point de
vue symbolique. Chávez était un membre
de la famille vénézuélienne, sans doute
le plus important, qui a ouvert les yeux
à la communauté nationale. On s’est
fâché pour lui, on a pleuré pour lui, on
a ri pour lui. Grâce à lui, l’espoir a
pu renaître chez nous. Des adultes ont
pu être alphabétisés, s’éduquer et
disposer enfin d’un statut digne de
citoyen actif dans notre société. De
nombreux foyers vénézuéliens ont eu pour
la première fois de leur vie accès à la
lecture, aux livres, à la culture. Grâce
à Chávez, nous avons redécouvert notre
identité nationale, notre authenticité
vénézuélienne, notre Libérateur Simón
Bolívar et notre histoire bolivarienne.
Nous avons redécouvert le concept de
patrie et avons pu mieux comprendre les
défis de notre temps. En un mot, Chávez
nous a permis de retrouver notre rêve
commun.
SL : Le peuple vénézuélien a donc perdu
celui qui avait donné la voix aux
pauvres.
EV : C’est pour cela que la douleur a
été tellement forte. Nous avons appris
sa disparition le 5 mars 2013 et dès le
lendemain, le peuple a envahi les rues
pour rendre hommage au Président,
l’accompagner de l’Hôpital militaire
jusqu’à l’Académie militaire et exprimer
sa tristesse.
Un nouveau 27 février s’est produit
suite à la disparition de Chávez, un
nouveau Caracazo, comme celui de 1989
quand le peuple s’est soulevé contre la
misère et les mesures d’austérité, a eu
lieu. A une différence, néanmoins :
cette fois-ci, le peuple avait un
objectif précis : accompagner le
Commandant Chávez à l’Académie
militaire. Si le 27 février 1989 était
un Caracazo social, le 6 mars 2013 était
un 27 février politique.
SL : Les manifestations étaient
impressionnantes.
EV : On lui a rendu hommage de façon
massive. Il y a eu des familles entières
qui ont passé des heures et des jours à
faire la queue pour se recueillir auprès
de la dépouille du Président Chávez. Une
fois le rite accompli, le peuple est
rentré chez lui. Dans les rues, il y
avait des centaines de milliers de
Vénézuéliens, et ils constituent une
force politique, sociale et physique
extraordinaire. C’était un volcan
humain, une marée humaine d’une
puissance inouïe. Dans un autre
contexte, la vigueur de cette foule
aurait toute dévasté sur son passage.
Mais dans ce cas précis, la marche a été
pacifique grâce à Hugo Chávez car il a
laissé des instructions au peuple.
SL : Vous faites allusion à sa dernière
allocution télévisée du 8 décembre 2012.
EV : Effectivement. Il avait expliqué
quelle était la marche à suivre au cas
où il ne survivrait pas à sa maladie, à
cette embuscade que lui a tendue le
destin. S’il n’avait pas envoyé ce
message au peuple, qui sait ce qui ce
serait passé au Venezuela. La puissance
de cette masse humaine est capable de
détruire n’importe quoi. Le peuple
aurait pu s’en prendre aux médias privés
qui n’ont eu de cesse de dénigrer et
vilipender le Président Hugo Chávez
durant ses quatorze années de mandat,
l’attaquant directement et attaquant la
volonté nationale. Pourtant, il n’en a
rien été car le peuple a entendu le
message pacifique de Chávez en faveur de
l’ordre et de l’union. Chávez avait pris
les dispositions nécessaires pour éviter
cela. Cette force est là, latente, avec
Hugo Chávez comme leader spirituel, plus
vivant que jamais malgré sa disparition
physique, car les idées ne meurent
jamais.
SL : Chávez a toujours préféré la
communication directe avec le peuple.
EV : Chávez avait un tel enthousiasme
qu’il multipliait les idées, alors que
ses conseillers en communication lui
recommandaient de ne pas s’exposer
autant. Nous en parlions dès 1999 et
nous pensions qu’il prenait trop de
risques car les forces conservatrices
opposées au processus bolivarien étaient
très puissantes. Lui, au contraire,
était d’avis qu’il fallait exposer
l’intégralité du projet émancipateur au
peuple. A l’époque, il ne pouvait pas
savoir qu’il serait atteint par cette
terrible maladie. Avec le recul
rétrospectif, nous nous rendons compte
qu’il avait vu juste, et qu’il fallait
tout dévoiler à la nation.
Il nous a laissé des milliers d’heures
de communication directe avec les
Vénézuéliens et un lien affectif
indélébile avec le peuple, qui font
partie de l’héritage du Venezuela
d’aujourd’hui.
SL : La figure d’Hugo Chávez, militaire
de formation, est apparue sur la scène
politique nationale le 4 février 1992,
suite au soulèvement armé contre le
Président Carlos Andrés Pérez, dans un
contexte mondial marqué par la déroute
des idées progressistes et l’hégémonie
du Consensus de Washington.
EV : Suite à l’effondrement de l’Union
soviétique en 1991, les gauches du monde
entier se trouvaient en pleine
débandade. Grâce à Chávez, de nombreux
militants de gauche ont retrouvé la voie
du socialisme. Chávez a également
synthétisé nos racines religieuses, en
se proclamant ouvertement chrétien. Il a
ainsi pu emporter l’adhésion et la
ferveur des croyants et les a unis non
seulement aux militants orthodoxes du
marxisme-léninisme, mais également aux
militaires qui, en d’autres temps et
sous un autre leadership, auraient
refusé de s’allier à des catégories
contre lesquelles ils ont été en guerre.
Chávez a été l’élément fédérateur. Il a
réussi à unir des forces politiques,
religieuses et idéologiques hétérogènes.
Pour ces raisons, un conglomérat
gigantesque de personnes distinctes,
provenant d’horizons différents, s’est
identifié à Chávez.
SL : Mais sa base est surtout populaire.
EV : A l’évidence, le soutien
majoritaire à Chávez provient des
secteurs populaires qui ont été
historiquement marginalisés, écartés et
rendus invisibles. Ces catégories,
pourtant majoritaires, étaient
maltraitées, méprisées, discriminées,
exclues de la société. Elles ont trouvé
en Chávez un référent, un représentant
et défenseur de leurs aspirations, un
espoir qui les a rendues visibles.
Chávez a établi un lien spécial avec le
peuple. Il vient lui-même du peuple et
s’est insurgé en 1992, trois ans après
le soulèvement du peuple de 1989. Il y a
eu un dialogue entre la rue et la
caserne et Chávez était l’interlocuteur
de la caserne et il a fini par se
fusionner avec la rue. Il est ainsi
devenu le leader de la caserne et de la
rue, des militaires progressistes
bolivariens et du peuple.
SL : Quel héritage laisse-t-il au peuple
vénézuélien et au monde ?
EV : Chávez a placé l’humain au centre
de notre projet bolivarien, en
particulier les catégories les plus
défavorisées. Il a redonné au peuple un
sentiment de fierté et de dignité
nationale. Il a uni en un même corps le
peuple et les forces armées.
Chávez a complètement changé les
rapports internationaux et a tissé des
liens solides avec de nombreux pays du
monde. Lors des obsèques du Président,
33 chefs d’Etat et 57 délégations
étaient présents. Chávez a tissé des
liens non seulement commerciaux avec ces
nations, mais également a uni les
peuples et a même établi des relations
très personnelles avec les dirigeants de
ces pays. Chávez a mis en place un
nouveau paradigme dans les relations
internationales. Au Venezuela, nous
étions habitués à la technocratie
diplomatique qui supposait que les
Affaires étrangères étaient chargées des
relations avec le reste du monde, alors
qu’elles ne sont que des extensions du
pouvoir présidentiel. Chávez, au
contraire, a développé des liens très
personnels avec les chefs d’Etat, ce qui
lui a permis d’avoir d’excellents
rapports avec des dirigeants aussi bien
de droite que de gauche. Il a fait en
sorte que les différences idéologiques
ne constituent pas un obstacle aux
relations, comme c’est le cas pour la
Colombie ou le Chili qui ont choisi des
orientations politiques différentes des
nôtres. Chávez a également eu des
rapports très chaleureux avec des
gouvernants européens qui ne
partageaient pas forcément sa vision du
monde.
SL : Le Venezuela se trouve en plein
campagne électorale puisque qu’un
nouveau scrutin présidentiel est prévu
le 14 avril 2013, où s’affronteront
l’actuel Président chargé de la
République Nicolás Maduro et le
principal candidat de l’opposition
Henrique Capriles.
EV : Ce nouveau processus électoral, non
prévu, intervient suite au décès du
Président Chávez, conformément à ce que
prévoit notre Constitution. Plusieurs
sentiments se mélangent : le deuil, la
tristesse et les larmes dus au départ
soudain de notre Président et
l’enthousiasme, l’énergie et la joie
propres à toute campagne électorale.
Le Venezuela se trouve donc en plein
débat d’idées, avec confrontation de
modèles et comparaison de projet de
société, dans un contexte marqué par ces
circonstances tragiques. C’est donc un
croisement de sentiments assez curieux,
dicté par cette imprévisible réalité.
Chávez était un personnage qui respirait
et transmettait la joie de vivre. Il
était à l’image de son peuple. La joie
fait partie de l’idiosyncrasie
vénézuélienne et je vous invite à
prendre part à n’importe quelle
manifestation bolivarienne de soutien à
la candidature de Nicolás Maduro pour
percevoir ce phénomène. Le peuple est
persuadé que Chávez, à travers
l’élection de Nicolás Maduro, sera
toujours parmi nous, même s’il nous
manquera toujours sa présence physique.
Il sera toujours vivant dans l’espoir du
peuple vénézuélien et dans ses luttes
pour un monde meilleur.
SL : Toutes les forces bolivariennes
sont-elles unies autour de Nicolás
Maduro ?
EV : Nous n’avons aucun doute concernant
le successeur d’Hugo Chávez car nous
respecterons scrupuleusement sa volonté.
La Révolution bolivarienne suivra son
cours et poursuivra la direction tracée
par le Président Chávez. Sans le message
de Chávez du 8 décembre 2012, le 6 mars
aurait peut-être été un 27 février
social et politique. Nous ne pouvons que
rendre hommage à sa capacité d’anticiper
les événements et sa vision du futur.
Certains ont tenté de le dissuader de
prononcer ce message lors de sa dernière
allocution au cours de laquelle il avait
demandé au peuple bolivarien d’élire
Nicolás Maduro comme son successeur s’il
venait à disparaitre.
SL : Quelle a été la réponse de Chávez ?
EV : Il a catégoriquement refusé de
revenir sur sa décision. « Je dois la
vérité à mon peuple », avait-il dit. Il
se trouvait à Cuba et est rentré
uniquement pour effectuer cette
allocution télévisée et prévenir le
peuple que le cancer avait de nouveau
fait son apparition et qu’il devait
livrer une nouvelle bataille. Il avait
repoussé l’intervention chirurgicale, au
risque d’aggraver sa santé personnelle,
pour revenir au Venezuela et s’exprimer
devant le peuple. Nous ne pouvons que le
remercier pour cela. Il savait qu’il
devait guider une fois de plus nos
compatriotes.
SL : Comment voyez-vous ce processus
électoral ?
EV : Il s’agit d’une nouvelle élection
que Chávez remportera à travers de
Nicolás Maduro, car il en est le
stratège fondamental. Tel le Cid, il
obtiendra une nouvelle victoire. Il en
est le Commandant et pas seulement d’un
point de vue métaphysique. En effet,
avant le triste dénouement du 5 mars
2013, Chávez avait déjà tracé le chemin.
Il aurait très bien pu se rendre à Cuba
pour son opération sans rien dire.
Personne ne lui avait rien demandé. Mais
il avait voulu effectuer cette démarche
et faire cette annonce. Ce faisant, il a
tracé le chemin électoral pour la
Révolution en demandant au peuple de
suivre Nicolás Maduro et l’élire en tant
que nouveau président. La volonté de
Chávez se traduit dans le vote du peuple
qui a massivement manifesté sa douleur
et sa tristesse dans les rues ces
derniers temps. Les Vénézuéliens
voteront avec joie, enthousiasme et
espoir pour Nicolás Maduro le 14 avril
2013. Je n’ai absolument aucun doute à
ce sujet. La Révolution remportera une
nouvelle fois un triomphe retentissant.
SL : Que pensez-vous de l’opposition
dirigée par Henrique Capriles ?
EV : L’opposition est une fédération
d’ambitions et d’intérêts hétérogènes,
unie seulement par la haine de Chávez et
du peuple bolivarien. Elle est incapable
de comprendre que nous vivons une époque
différente et qu’il n’y aura pas de
retour aux temps passés. Elle est issue
des vieux partis politiques, des élites
économiques et de l’oligarchie et
n’admet pas avoir perdu le pouvoir
politique qu’elle considérait comme
étant sa propriété exclusive.
L’opposition est également marquée un
facteur racial et raciste. Elle n’admet
toujours pas qu’un noir pauvre se trouve
au centre du pouvoir. La haine de Chávez
résume toutes les misères morales de la
condition humaine : le racisme et la
haine de classe, la haine des pauvres.
SL : Le gouvernement accuse l’opposition
d’être sous l’influence de Washington.
Sur quoi vous basez-vous ?
EV : L’opposition est inféodée à
Washington et en suit les directives.
Cela est aisé à démontrer. Mme Roberta
Jacobson du Département d’Etat, dans une
interview au quotidien espagnol
El País, a remis en cause le système
électoral vénézuélien, alors que toutes
les institutions internationales en
saluent la transparence. Absolument
toutes, sauf le Département d’Etat des
Etats-Unis. Immédiatement, les médias
privés antichavistes et l’opposition se
sont mis à questionner notre système
électoral, qu’ils ont toujours considéré
comme légitime en participant aux
élections régionales de décembre 2012 et
en acceptant les résultats des scrutins.
Ce même système leur a permis de gagner
les élections dans certains Etats, même
si la marge était infime, comme c’était
le cas de l’Etat du Miranda actuellement
dirigé par le candidat de l’opposition
Henrique Capriles. Les scrutins ont été
respectés partout, y compris lorsque
l’opposition été majoritaire.
SL : L’opposition accuse le Conseil
National Electoral de partialité.
EV : Ce même Conseil national électoral
que l’opposition vilipende tant, que
Capriles accuse de tous les maux est
celui qui a déclaré vainqueur le
candidat de l’opposition dans l’Etat du
Miranda, c’est-à-dire Capriles.
En réalité, l’opposition suit
scrupuleusement les directives de Mme
Jacobson et c’est ce qui explique les
campagnes actuelles de discrédit à
l’encontre du Conseil national
électoral. L’opposition songe même à
retirer son candidat pour discréditer le
processus électoral. Certains bruits
courent à ce sujet. Capriles a reçu des
instructions en ce sens. Nous espérons
qu’il maintiendra sa candidature et
qu’il respectera les règles
démocratiques.
SL : Capriles a donc songé à retirer sa
candidature ?
EV : Selon les informations dont nous
disposons, cette hypothèse a été
méthodiquement étudiée. Capriles sait
qu’il va perdre les élections du 14
avril 2013. Bien sûr, les politiques ont
des projets à court, moyen et long terme
et Capriles voudra surement être le
référent de l’opposition dans la vie
politique vénézuélienne, mais il a
parfaitement conscience qu’il n’a aucune
possibilité de remporter la victoire
lors du prochain scrutin. Ses partisans
en sont également persuadés.
SL : Selon vous, Nicolás Maduro
remportera donc l’élection du 14 avril
2013.
EV : Cela ne fait aucun doute. Il est
même possible que l’on atteigne les dix
millions de voix, en guise d’hommage à
notre Commandant disparu. On a souvent
minimisé, méprisé et caricaturé la
capacité de convocation de Chávez et la
réalité a montré à ces secteurs qu’ils
avaient tort. On attribuait cela à des
mécanismes clientélistes, à l’achat de
conscience ou à l’exercice de coercition
sur l’appareil bureaucratique de l’Etat.
Les manifestations du 6 mars 2013, par
leur spontanéité et leur caractère
massif, ont montré qu’il n’en était
rien.
SL : Les médias privés du Venezuela et
les médias occidentaux se sont montrés
très virulents contre Hugo Chávez.
EV : Beaucoup ont découvert la
supercherie du discours des médias
privés et de l’opposition. Beaucoup ont
enfin compris que Chávez était un leader
aimé de l’immense majorité du peuple,
car c’était le meilleur ami des pauvres.
Le peuple a salué son action et son
héritage. Vous verrez que l’histoire
rendra justice à Hugo Chávez et le
considèrera comme l’un des plus grands
leaders de notre temps et d’Amérique
latine.
Je crois qu’aucun autre dirigeant
politique n’a été aussi maltraité et
vilipendé que Chávez. Nous verrons
jusqu’où iront-ils dans leur volonté de
délégitimer la démocratie vénézuélienne
et le triomphe de Nicolás Maduro. Ils
pensent pouvoir profiter de l’absence
physique de Chávez et sont persuadés que
le gouvernement bolivarien de Maduro ne
sera pas capable de faire face à
l’actuelle situation. Ils vont être
déçus car la Révolution bénéficie d’un
soutien populaire extraordinaire, d’un
appui militaire sans failles, d’un
gouvernement solidaire, d’institutions
solides et d’un programme – le Plan de
la Patrie – qui trace les grandes lignes
pour le mandat à venir, et condense les
propositions du Commandant Chávez. Je ne
doute pas un seul instant de notre
force, malgré les menaces, car Chávez a
laissé un héritage d’une extraordinaire
valeur.
SL : Pourquoi l’opposition vénézuélienne
a toujours refusé d’accepter la
légitimité d’Hugo Chávez ?
EV : L’opposition éprouve une profonde
haine pour la démocratie véritable,
malgré ses discours liturgiques à ce
sujet. Elle est particulièrement
attachée aux rites, mais ça se limite à
cela, une démocratie ritualiste. Au lieu
d’affronter le suffrage populaire, elle
préfère triturer un article de la
Constitution et essayer de subordonner
la volonté du peuple majoritaire à son
interprétation particulière et surtout,
fausse – comme cela a été reconnu par le
Tribunal suprême –, suite à l’élection
de Chávez en octobre 2012 et sa prise de
possession différée en raison de son
état de santé. Il en a été de même lors
de la prise de possession du Président
Nicolás Maduro.
L’opposition pense que tout doit changer
suite à la disparition physique du
Commandant Chávez, oubliant la
continuité constitutionnelle et les
principes élémentaires de démocratie qui
exigent que l’on respecte la
souveraineté du peuple. L’opposition qui
a eu un comportement antidémocratique
manifeste depuis l’arrivée au pouvoir
d’Hugo Chávez prétend nous donner des
leçons sur la démocratie et questionne
la légitimité du pouvoir actuel. C’est
la même opposition qui a organisé le
coup d’Etat d’avril 2002 et qui a imposé
une junte putschiste dont le
« Président » [Pedro Carmona Estanga] a
prêté serment non pas sur la
Constitution mais sur une feuille
blanche, car il rejetait notre nouvelle
Constitution, et qui a dissous tout les
pouvoirs publics. Cette opposition qui a
réprimé le peuple suite au coup d’Etat
du 11 avril 2002 prétend dicter des
conférences sur le concept de la
démocratie.
SL : Au niveau international, Chávez
avait un rôle important, notamment en
Amérique latine.
EV : Chávez a été un grand dirigeant
politique. Le Venezuela joue désormais
un rôle important au niveau
international et cela fait partie de
l’héritage de notre Commandant que nous
essayons de développer et d’approfondir.
Nous n’avons aucun doute qu’avec le
leadership de Nicolás Maduro et le reste
de l’équipe de direction de la
Révolution bolivarienne, nous
poursuivrons ce même chemin et nous
renforcerons cet héritage.
SL : La Révolution bolivarienne a tissé
des liens très particuliers avec la
Révolution cubaine et les rapports entre
Hugo Chávez et Fidel Castro dépassaient
le cadre des relations entre deux chefs
d’Etat. Comment s’explique l’alliance
entre le Venezuela et Cuba ?
EV : Il faut rappeler qu’Hugo Chávez est
d’abord et avant tout un révolutionnaire
et Cuba est une référence importante
pour tous les révolutionnaires de notre
continent, indépendamment des nuances et
des particularités de chaque nation.
Cuba est tout un symbole.
Il est indéniable qu’il avait
profondément été marqué par sa célèbre
visite à La Havane en 1994 et par
l’accueil généreux que lui avait offert
Fidel Castro en le recevant à
l’aéroport, au pied de l’avion. Chávez
avait découvert une Révolution pleine
d’amour et d’affection.
Une fois arrivé au pouvoir en 1999,
Chávez a fait de Cuba son principal
allié avec la signature d’accords
stratégiques dès l’année 2000. Ces
accords ont constitué le cadre pour le
progrès de tout le continent
latino-américain. L’entente personnelle
entre Chávez et Fidel dépasse le cadre
politique. Elle est devenue familiale.
SL : Chávez n’hésitait pas à qualifier
Fidel Castro de père spirituel.
EV : Effectivement, et cette relation a
été très complémentaire car elle nous a
permis de prendre ce qu’il y avait de
mieux dans la Révolution cubaine, une
Révolution surgie au milieu du XXe
siècle et de l’intégrer à la première
Révolution du XXIe. Le lien entre Chávez
et Fidel symbolise également le lien
entre une Révolution adulte et une
Révolution naissante, qui est en fin de
compte une combinaison vertueuse.
Il s’agit d’une relation père/fils, où
le père non seulement conseille le fils,
mais apprend également de lui et le voit
construire son projet de société dans
des circonstances différentes, face à
une adversité particulière, comme le
fait d’avoir notre Miami [fief de
l’opposition cubaine] au sein même de
notre pays. Les deux pays se sont
enrichis mutuellement car les deux
Révolutions ont leurs propres
particularités et spécificités.
SL : L’amitié entre Hugo Chávez et Fidel
Castro a également permis de rapprocher
les deux peuples.
EV : D’un point de vue humain, les
relations entre nos deux peuples sont
extraordinaires. Nous avons pu
bénéficier de la solidarité des médecins
et des entraineurs cubains qui se
trouvent au Venezuela. De nombreux
patients vénézuéliens sont partis se
faire soigner à Cuba. Nous disposons
d’échanges dans tous les domaines
possibles et imaginables, que ce soit la
santé, l’éducation, la défense, la
culture, la diplomatie, etc.
SL : Peut-on parler de fusion entre les
deux peuples ?
EV : D’un point de vue affectif, oui.
Après, il est vrai que chaque pays
dispose de ses propres caractéristiques,
de sa propre histoire. Nos institutions
sont malgré tout différentes et les
conditions de développement de notre
projet bolivarien le sont également.
Personne ne copie le modèle de l’autre,
car il est tout simplement impossible de
calquer un modèle dans un pays
différent.
Néanmoins, je le répète, la rencontre
entre nos deux peuples a été
extraordinaire. Le capital humain cubain
est impressionnant et les médecins
cubains nous ont réellement été d’une
grande solidarité. Cela est vraiment
admirable. L’expérience de Fidel Castro
et de Raúl Castro, du tout le leadership
cubain, du peuple cubain et ses
décennies de résistance et de lutte, a
permis à la Révolution bolivarienne de
se développer. Nous ne pouvons qu’être
admiratifs du peuple cubain. Cette
relation spéciale a permis de renforcer
les liens entre nos deux peuples qui
partagent de nombreuses aspirations
communes, les mêmes goûts musicaux,
culinaires et sportifs. Malgré nos
destins historiques différents, nos
peuples se ressemblent beaucoup et
Chávez et Fidel nous ont permis de nous
rencontrer.
SL : Le Venezuela a été d’un grand
secours pour Cuba, qui est confrontée à
de sérieuses difficultés économiques.
Fidel Castro a qualifié Hugo Chávez du
« meilleur ami du peuple cubain ».
EV : Chávez a toujours été généreux avec
les peuples. Il a fait face à toutes les
pressions possibles de secteurs qui
souhaitaient qu’il mercantilise la
relation avec Cuba. Mais Chávez est
avant tout bolivarien, par conséquent
latino-américain. L’opposition, qui se
réclame désormais de Bolívar, oublie que
notre Libérateur n’a jamais demandé un
centime à personne pour contribuer à
l’émancipation des peuples. Ces
bolivariens de circonstance oublient que
Bolívar a reçu des armes de Pétion sans
payer un centime.
SL : L’opposition accuse justement le
gouvernement d’offrir du pétrole à Cuba.
EV : L’opposition souhaite que l’on
mette un terme aux conditions de
commerce favorables que nous avons mis
en place pour nos frères cubains et
latino-américains. Nous n’offrons notre
pétrole à personne. Nous le vendons au
prix du marché avec des facilités de
paiement. C’est quelque chose de normal
et de naturel dans les relations
internationales, surtout entre des
peuples frères. Chávez a été un
personnage extraordinaire qui a rompu ce
paradigme mercantile et l’a remplacé par
un paradigme de la solidarité.
SL : Cette relation se
maintiendra-t-elle avec la disparition
de Chávez ?
EV : Non seulement, nos relations se
maintiendront mais elles
s’approfondiront davantage. Nos liens
avec nos frères cubains n’ont jamais été
aussi forts et ils se renforceront
encore plus dans le futur.
La droite raciste et xénophobe du
Venezuela, qui vilipende tant les
Cubains, en sera pour ses frais.
Rendez-vous compte du comportement
mesquin de l’opposition qui place le
thème de Cuba dans l’agenda électoral,
sans se rendre compte que c’est une
manigance vouée à l’échec et dont la
portée se limite aux secteurs
anticommunistes de la société, qui sont
une minorité. L’opposition dispose de
nombreuses tribunes médiatiques mais son
influence auprès du peuple est très
limitée.
SL : Une dernière question, Monsieur le
Ministre : le Venezuela est-il prêt à
normaliser les relations avec les
Etats-Unis.
EV : Le Venezuela a exprimé sa volonté
d’améliorer ses relations avec les
Etats-Unis. Néanmoins, il y a eu des
déclarations et des actions de la part
de Washington qui rendent impossible
cette normalisation. Il y a eu les
déclarations malheureuses de Mme Roberta
Jacobson et des actions hostiles de la
part d’attachés militaires étasuniens à
Caracas qui ont contacté des militaires
vénézuéliens pour les inviter à discuter
de la situation du pays afin de les
influencer, ce qui constitue une grave
ingérence dans les affaires internes de
notre nation.
Le gouvernement vénézuélien s’est vu
obligé de rompre les canaux de
communication avec les Etats-Unis suite
à ces actions hostiles. Il semble que
les faucons du Département d’Etat
imposent l’agenda aux colombes en termes
de politique étrangère, même si je crois
que l’ingérence et l’interventionnisme
sont inhérents aux politiques de
Washington.
Le Venezuela aura des relations normales
et apaisées avec tous les pays qui
respecteront notre souveraineté, comme
nous respectons celle des autres
nations. C’est une condition sine qua
non. Les principes ne se négocient pas
et comme dirait l’illustre Augusto César
Sandino, « la souveraineté ne se négocie
pas et se défend les armes à la main ».
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
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