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Edward Peck : « La Syrie et d'ailleurs le monde arabe en général ne sont absolument pas compris par les Américains »

Lundi 29 août 2011

Autre personnalité présente à Damas puis à Hama suite à l’invitation des autorités syriennes, Edward Peck est un diplomate américain, ambassadeur notamment en Irak de 1967 à 1980, ainsi qu’en Tunisie. Cet arabophone – qui parle aussi un très bon français – est quelque peu atypique en regard des élites diplomatiques de son pays en ce sens qu’il est très critique vis-à-vis de la politique pro-istraélienne systématique de Washington. Au point notamment d’avoir participé en 2010 à la flotille, humanitaire et militante, qui tentait symboliquement de forcer le blocus de Gaza, et qui fut stoppée par les commandos israéliens au prix de neuf morts. On ne s’étonnera donc pas qu’il ait accepté cette visite en Syrie, qui n’a certes pas été pour lui l’occasion d’un « chemin de Damas » : Edward Peck dénonce dès le début la politique irresponsable du tandem Obama-Clinton, qui prend le risque de renouveler les désastres commis en Irak par un autre tandem bien américain – Bush-Rumsfeld.

-Infosyrie : M. l’ambassadeur, pourriez-vous nous rappeler – succinctement – votre parcours diplomatique en terre arabe ?

-Edward Peck : J’ai volontairement choisi une langue « difficile ». Je parlais déjà le français, l’espagnol et le suédois. Et puis j’ai décidé d’apprendre l’arabe, parce que cette langue donne accès aux cultures et aux politiques de nombreux Etats. Malheureusement le Département d’Etat (ministère américain des Affaires étrangères) a ouvert son école d’arabe à Tanger, au Maroc, autrement dit à l’extrémité occidentale de l’arc arabe ; du coup, l’arabe qu’on y parle est assez différent de celui pratiqué grosso modo dans l’ensemble des autres régions. Une fois mes études terminées j’ai occupé un premier poste en Tunisie, deux ans ; puis j’ai été consul américain à Oran en Algérie. Ensuite ça a été l’Egypte, l’Irak et enfin la Mauritanie. Et puis j’ai beaucoup voyagé dans d’autres pays, dont la Syrie. Ce pays a une identité particulière, on y respire une atmosphère d’ouverture, un modus vivendi apaisé entre des communautés ethno-religieuses aux traditions différentes.

Je suis venu cette fois à l’invitation du gouvernement syrien parce que j’avais l’impression que ce que disait mon gouvernement sur la situation n’avait rien à voir avec la vérité. Je suis donc venu pour me rendre compte de la réalité des choses, pour la confronter aux informations données. J’ai vu hier Damas, je visite aujourd’hui Hama, et je constate que tout  a l’air normal.

-IS : Ce n’est pas votre première visite en Syrie ?

-EP : Oh non ! Je suis déjà venu plusieurs fois. Notamment en 2006, j’ai assisté en tant qu’observateur des Nations-Unies aux élections dans la bande de Gaza : de là notre équipe s’est rendue en Syrie où nous avons été reçus par le président Bachar al-Assad. Et je suis revenu plusieurs fois depuis ma retraite, j’appartiens à des groupes d’études sur le Proche-Orient.

-IS : L’administration Obama fait-elle appel à votre expertise de la région ? Rédigez-vous des rapports à son intention ?

-EP : J’ai un « arrangement » avec mon gouvernement : je ne leur parle pas et ils ne m’écoutent pas, ça marche bien ! Je me suis « grillé » en tentant d’expliquer les résultats désastreux de l’invasion américaine de l’Irak, pays ou j’ai été en poste de 1967 à 1980 ; j’ai donc connu les deux premières années du règne de Saddam Hussein. Je peux dire que je connais ce pays, pas comme un Irakien mais comme un observateur attentif. Et j’ai donc répété au gouvernement américain : « N’y allez pas ! Vous allez ruiner ce pays et aussi votre position dans toute la région« .

Demain je vais tenter de visiter l’ambassadeur américain à Damas (Robert Ford, Ndlr) pour lui communiquer mes impressions et connaître les leurs.

-IS : Donc le sens de votre présence ici, c’est de regarder ce qui se passe ?

-EP: Exactement. Pour, éventuellement, en informer mes compatriotes. Vous savez, je donne des conférences sur des croisières, sur l’état du Monde. Je prends la parole aussi aux Etats-Unis dans des écoles militaires, dans les universités : je ne m’exprime pas comme un représentant du gouvernement mais comme un expert des questions proche et moyen-orientales. Je suis un Américain qui sait situer des pays étrangers sur une carte !

-IS : Les rapports entre la Syrie et les Etats-Unis ont presque toujours été mauvais, si l’on excepte la brève embellie correspondant à la participation »tactique » de Damas à la coalition anti-Saddam Hussein en 1991. Comment expliquez-vous cet état de fait ?


L'AIPAC : invité prestigieux pour lobby "first class"

-EP : Chez nous, nous avons, comme vous, des lobbies. Ce n’est pas un mauvais principe en ce qui concerne l’écologie, l’agriculture. Mais nous avons aussi un lobby très puissant, un lobby pro-israélien, l’AIPAC. Qui a un pouvoir incroyable. Et le camp – arabe – d’en face ne peut pas vraiment s’exprimer, il est réduit au silence. Du coup, ce regard unilatéral américain cause un grave problème, pour les Arabes, mais aussi pour les Américains qui ne peuvent comprendre toute une partie du Monde. Et c’est aujourd’hui le problème avec la Syrie.

Quand les vacances du Congrès américain ont débuté, 81 représentants (députés de la chambre basse, Ndlr) se sont rendus en Israël, à l’invitation d’un groupe associé à l’AIPAC, le lobby américain pro-israélien. 81 sur 500 membres de la Chambre des représentants, soit 15% ! Et pendant leur présence, le gouvernement israélien a annoncé la construction de 3 500 nouveaux logements à Jérusalem et en Cisjordanie. Ce qui veut dire que le gouvernement israélien peut faire n’importe quoi, y compris violer les résolutions de l’ONU et les accords de paix, ils ont notre bénédiction ! Et c’est très difficile d’expliquer cela aux Américains, qui dans leur immense majorité ignorent tout de ces questions.


Obama & Abdallah d'Arabie Saoudite :
"Il n'y a pas de stratégie, plutôt une hypocrisie de la diplomatie américaine"

-IS : Un de vos compatriotes, Herbert London, patron de l’Hudson institute, a confirmé récemment que l’administration Obama avait décidé, en Syrie, de privilégier la collaboration avec les Frères musulmans plutôt qu’avec l’opposition modérée. Est-ce pour « récupérer » les Frères musulmans d’Egypte ? Y a-t-il une stratégie de récupération de l’Islam radical par Obama ? Ou bien n’y a-t-il pas de stratégie du tout ?

-EP : Je ne crois pas qu’il y ait, dans tout ça, de stratégie élaborée par des experts. La secrétaire d’Etat Hillary Clinton s’est rendue en février au Kosovo, et a dit aux Kosovars albanais « Vous devez parler au Serbes« . Et avant on a dit aux Grecs de parler aux Turcs, et aux Palestiniens de parler aux Israéliens. Mais nous, Américains, nous ne parlons à personne, nous imposons notre loi. Il n’y a pas de stratégie, plutôt une hypocrisie de la diplomatie américaine.

-IS : Pensez-vous qu’il existe, néanmoins, une stratégie des Américains en vue de détruire la Syrie, comme ils l’ont fait pour l’Irak, ce pour le bien d’Israël ? Y a-t-il un plan en ce sens ?

-EP : Il est très possible qu’Israël considère que sa situation serait meilleure si la Syrie était annihilée. Mais la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Irak auraient eux-aussi, à des degrés divers, intérêt à un changement de régime en Syrie, ou au chaos.

-IS : C’est quand même la Turquie et Israël qui nous paraissent être les plus concernés par un amoindrissement de la Syrie…

-EP : Mais les Saoudiens aussi ne veulent pas d’un pouvoir chiite – alaouite – en Syrie. Chacun joue sa carte.

-IS : Bref c’est l’extérieur qui joue sur la situation – et l’avenir – de la Syrie..

-EP : La Syrie est la balle, et les autres sont les raquettes !

-IS : la Syrie est sous embargo américain depuis près de dix ans…

-EP : C’est la stupidité des Etats-Unis. Moi j’ai fait deux guerres sous l’uniforme américain : la seconde guerre mondiale et la guerre de Corée, je suis un patriote. Mais je vois bien que mon pays est isolé du reste du monde par deux océans. Les Américains ne sont pas stupides mais ignorants. Ils croient sincèrement que tout le monde veut être, veut vivre comme les Américains. Prenez Condoleeza Rice, notre ex-secrétaire d’Etat, elle a un jour dit que le rôle des Etats-Unis est de transformer le monde en lui imposant notre système.

-IS : Les sanctions économiques européennes peuvent-elles avoir une quelconque efficacité ?

-EP : Non. Prenez l’Irak : on a fait un embargo total, de 1991 à 2003. Et pendant la guerre, on a détruit les installations électriques de Bagdad, ce qui a eu des conséquences sur l’état de l’eau, causant la mort de centaines de milliers d’enfants. Ce sont donc les enfants qui ont fait les frais de l’embargo et des destructions, pas Saddam Hussein. Et plus tard, une autre de nos secrétaires d’Etat, Madeleine Albright, interrogée à ce sujet par des journalistes, a répondu que 500 000 enfants irakiens morts, c’était peut-être le prix à payer pour que les choses aillent dans le bon sens en Irak, dans le sens de la démocratie et de l’Amérique.


12 mars 2011 : les troupes saoudiennes entrent au Bahrein pour réprimer la révolte chiite,
non autorisée par Washington

-IS : Bachar al-Assad a en Occident l’image d’un autocrate. Mais que dire des monarques du Golfe…

-EP : C’est le gros problème, nos secrétaires d’Etat et nos porte-parole répètent que les Etats-Unis soutiennent partout et toujours les droits de l’homme et les lois internationales… sauf là, et là, et là. Et c’est risible. Nous ne suivons pas les règles que nous imposons aux autres, ce n’est pas intelligent ! Quand les Saoudiens sont entrés au Bahrein pour réprimer la révolte chiite, on n’a rien dit parce que nous avons une base là-bas…

-IS : Comment jugez-vous Bachar al-Assad par rapport à la situation complexe à laquelle il doit faire face ? Croyez-vous que l’avenir de la Syrie passe forcément par un décalque local de la démocratie à l’occidentale ?

-EP : Bachar al-Assad – ils nous a rencontré – m’a fait une bonne impression : c’est manifestement quelqu’un de calme, d’intelligent, de raisonnable, qui parle l’anglais aussi bien que moi – il a été éduqué en Angleterre. C’est un homme avec beaucoup de capacités dans un système qui lui donne beaucoup de pouvoirs. Pour moi, ce n’est certainement pas un despote. Il est comme tous les autres chefs d’Etat du monde, il n’a pas le pouvoir total. Et selon les Syriens, il a fait pas mal pour le pays. J’ai donc l’impression que c’est le type d’homme d’Etat qu’il faut soutenir dans la région, et non pas déstabiliser.

Quant à la démocratie, elle marche chez nous, mais elle ne marche pas, apparemment, en Afghanistan. Il ne faut pas chercher à imposer des copies conformes de nos systèmes partout. C’est de l’occidentalo-centrisme.

-IS: Comment jugez-vous la participation de l’ambassadeur Ford aux manifestations de Hama ? 

-EP : Je ne suis certain de rien car mon gouvernement ne me parle pas. S’il avait fait ça de son propre chef, sans ordre, Ford ne serait plus en poste à Damas aujourd’hui. Ce n’est pas le travail d’un ambassadeur de provoquer sans instructions. Je suis donc presque certain que quelqu’un à Washington lui a donné le feu vert. Déjà, nous ne sommes pas considérés comme des amis en Syrie, alors ce n’était pas une chose à faire, vraiment.


"Hillary Clinton ne connaît rien du monde"

-IS : Est-ce que les médias américains se font l’écho de l’existence de groupes armés d’opposition en Syrie, ou bien disent-ils, comme en France, que l’opposition pacifique se bat à mains nues contre une tyrannie policière ?

-EP : Il faut bien voir que la Syrie et d’ailleurs le monde arabe en général ne sont absolument pas compris par les Américains. Qui ne savent rien du monde, qui ne comprennent pas qu’il y a d’autres peuples, d’autres cultures différentes. C’est donc difficile pour un président américain de ne pas simplifier les problèmes. D’autant qu’on trouve presque toujours à la tête du Département d’Etat quelqu’un qui ne connait rien au sujet du monde. Hillary Clinton n’a jamais voyagé comme une touriste ordinaire, elle n’est jamais allée au contact des populations étrangères. Même chose pour Condoleeza Rice (secrétaire d’Etat de George Bush Jr, Ndlr) ou Madeleine Albright (secrétaire d’Etat de Bill Clinton). Ces gens sont choisis pour leur personnalité, leur positionnement politique, pas pour leur connaissance des dossiers, et surtout les dossiers compliqués comme ceux relatifs à l’Orient.

-IS : Est-ce que vous pensez que votre pays chercher à attaquer militairement la Syrie ?

-EP : Non, ça ne me parait pas possible. Et puis les situations ne sont pas les mêmes que pour la Libye par exemple : Bachar n’a pas fait ce qu’a fait Kadhafi, il n’a pas pris le pouvoir par un coup d’Etat, il ne devait même pas avoir le pouvoir, comme vous savez, c’est la mort accidentelle de son frère aîné qui l’a mis à la tête de la Syrie après la mort de son père. C’est un homme éduqué, policé, ce n’est ni un Kadhafi ni même un Moubarak…

-IS : Mais alors comment expliquer le revirement total en si peu de temps d’un Sarkozy vis-à-vis de Bachar, qu’il avait reçu en grande pompe à l’Elysée ? Sarkozy a-t-il été déçu de quelque chose ?

-EP : Sarkozy s’est trompé sur Bachar, il l’a mis dans la même catégorie que Ben Ali ou Hosni Moubarak, il l’a pris pour un potentat oriental affairiste et corrompu, mais Bachar al-Assad ce n’est pas ça.

 
Wesley Clark...  ... et David Petraeus : deux super-généraux américains qui ont eu des ennuis avec les amis américains de l'ami israélien

IS : Que pensez-vous des déclarations du général Wesley Clark (ancien commandant des forces de l’OTAN contre la Yougoslavie, et candidat à la candidature présidentielle américaine pour le parti démocrate, Ndlr) qui dénonçait le « groupe de l’argent new-yorkais » qui voulait selon lui entraîner les Etats-Unis dans une guerre contre l’Iran ? Est-ce que ce groupe voudrait aussi la guerre contre la Syrie, par hasard ?

-EP : Moi je vais vous citer le général Petraeus, actuel patron de la CIA, qui a déclaré que notre alliance avec Israël nous a coûté du sang et des vies. Deux jours après il a dû démentir ces propos. Et les Israéliens ne s’embarrassent pas de scrupules quand il s’agit de défendre leurs intérêts. J’ai moi-même été témoin de l’attaque des commandos israéliens contre la flottille turque protestant contre le blocus de Gaza, en 2010 : neuf civils ont été tués dans l’assaut du navire principal turc.

-IS: Pour finir, comment voyez-vous l’avenir de la Syrie, d’après ce que vous savez du pays et de son président ? Croyez-vous que Bachar pourra réformer le système. Ou bien une pression accrue des Occidentaux va-t-elle entraîner de nouveaux troubles graves dans ce pays ?

-EP : J’ai l’impression que l’opposition n’a pas beaucoup d’influence dans le peuple syrien. Qui ne veut pas qu’on fasse « chavirer le navire ». Un navire qui navigue à peu près bien. Le patriarche orthodoxe de Damas m’a dit que le gouvernement ne lui a jamais demandé ce qu’il allait dire dans telle ou telle cérémonie. Il y a une certaine liberté d’opinion, de la tolérance, quoiqu’on en dise, dans ce pays. Même des représentants de la communauté juive syrienne ont déclaré au journaliste américain Chris Wallace, de la chaîne Fox News, venu leur demander leur point de vue qu’ils n’avaient jamais eu aucun problème avec le gouvernement syrien. Et le reportage de Wallace a été diffusé aux Etats-Unis six semaines avant le début d’une campagne du lobby juif américain – l’AIPAC – sur le thème « Sauvez les juifs de Syrie« . Wallace a été attaqué pour ça par les gens de l’AIPAC.

Pour en revenir à la Syrie, je pense que la réforme va marcher. A condition que les puissances étrangères ne mettent pas trop d’huile sur le feu.

-IS : M. l’ambassadeur, nous vous remercions.

Propos recueillis à Damas par Guy Delorme

Publié le 29 août 2011 avec l'aimable autorisation d'Info Syrie

 

 

   

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Source : Info Syrie
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