La Voix de la Russie
Proche-Orient :
l'Occident à la conquête du gaz ?
Chems
Eddine Chitour
Chems
Eddine Chitour - © Photo :
www.algerie360.com
Lundi 22 octobre
2012
Troisième partie.
Le Professeur émérite Chems
Eddine Chitour
a accepté de répondre à nos questions et
dans un long entretien nous livre son
analyse la situation actuelle au
Proche-Orient, notamment sur le problème
syrien et ses implications.
Laurent Brayard :
Bonjour Professeur, je suis heureux de
vous accueillir, vous êtes le professeur
émérite Chems Eddine Chitour, la semaine
dernière vous nous aviez livré vos
impressions sur les causes des problèmes
du Proche-Orient et du Moyen-Orient,
vous aviez évoqué à la base du problème
syrien, une volonté des Occidentaux d’en
finir ou d’affaiblir l’Iran, et la
guerre pour les ressources
énergétiques :
Monsieur Chems Eddine Chitour :
Oui et je citerais à nouveau le
professeur Imad Fawzi Shueibi : « Il
est certain que les projets Nord Stream
et South Stream témoigneront devant
l’Histoire du mérite et des efforts de
Vladimir Poutine pour ramener la Russie
dans l’arène internationale et peser sur
l’économie européenne puisqu’elle
dépendra, durant des décennies à venir,
du gaz comme alternative ou complément
du pétrole, avec cependant, une nette
priorité pour le gaz. À partir de là, il
devenait urgent pour Washington de créer
le projet concurrent Nabucco, pour
rivaliser avec les projets russes et
espérer jouer un rôle dans ce qui va
déterminer la stratégie et la politique
pour les cent prochaines années. Le fait
est que le gaz sera la principale source
d’énergie du XXIème siècle, à la fois
comme alternative à la baisse des
réserves mondiales de pétrole, et comme
source d’énergie propre. Moscou s’est
hâté de travailler sur deux axes
stratégiques : le premier est la mise en
place d’un projet sino-russe à long
terme s’appuyant sur la croissance
économique du Bloc de Shanghai; le
deuxième visant à contrôler les
ressources de gaz. C’est ainsi que
furent jetées les bases des projets
South Stream et Nord Stream, faisant
face au projet états-unien Nabucco,
soutenu par l’Union européenne, qui
visait le gaz de la mer Noire et de
l’Azerbaïdjan. S’ensuivit entre ces deux
initiatives une course stratégique pour
le contrôle de l’Europe et des
ressources en gaz.
Le projet Nord Stream relie directement
la Russie à l’Allemagne en passant à
travers la mer Baltique jusqu’à Weinberg
et Sassnitz, sans passer par la
Biélorussie. Le projet South Stream
commence en Russie, passe à travers la
mer Noire jusqu’à la Bulgarie et se
divise entre la Grèce et le sud de
l’Italie d’une part, et la Hongrie et
l’Autriche d’autre part. Pour les
États-Unis, poursuit le professeur Imad,
le projet Nabucco part d’Asie centrale
et des environs de la mer Noire, passe
par la Turquie et devait à l’origine
passer en Grèce, mais cette idée avait
été abandonnée sous la pression turque.
Ce projet, écrit le professeur Imad, bat
de l’aile. À partir de là, écrit-il, la
bataille du gaz a tourné en faveur du
projet russe. En juillet 2011, l’Iran a
signé divers accords concernant le
transport de son gaz via l’Irak et la
Syrie. Par conséquent, c’est désormais
la Syrie qui devient le principal centre
de stockage et de production, en liaison
avec les réserves du Liban. C’est alors
un tout nouvel espace géographique,
stratégique et énergétique qui s’ouvre,
comprenant l’Iran, l’Irak, la Syrie et
le Liban. La France veut jouer un rôle
dans le monde du gaz où elle a acquis en
quelque sorte une assurance maladie en
Libye et veut désormais une
assurance-vie à travers la Syrie et le
Liban. La réponse syrienne fût de signer
un contrat pour transférer vers son
territoire le gaz iranien en passant par
l’Irak. Ainsi, c’est bien sur le gaz
syrien et libanais que se focalise la
bataille. De plus, poursuit le
professeur Imad, la coopération
sino-russe dans le domaine énergétique
est le moteur du partenariat stratégique
entre les deux géants. Il s’agit, selon
les experts, de la «base» de leur double
veto réitéré en faveur de la Syrie.
Parallèlement, Moscou affiche sa
souplesse concernant le prix du gaz,
sous réserve d’être autorisé à accéder
au très profitable marché intérieur
chinois. En conséquence, les
préoccupations des deux pays se croisent
au moment où Washington relance sa
stratégie en Asie centrale,
c’est-à-dire, sur la Route de la soie.
Cet aperçu des mécanismes de la lutte
internationale actuelle permet de se
faire une idée du processus de formation
du nouvel ordre international, fondé sur
la lutte pour la suprématie militaire et
dont la clé de voûte est l’énergie, et
en premier lieu le gaz. La Révolution
syrienne est un paravent médiatique
masquant l’intervention militaire
occidentale à la conquête du gaz. Selon
le Washington Institute for Near East
Policy, le Bassin méditerranéen renferme
les plus grandes réserves de gaz et
c’est en Syrie qu’il y aurait les plus
importantes. La révélation du secret du
gaz syrien fait prendre conscience de
l’énormité de l’enjeu à son sujet. Qui
contrôle la Syrie pourrait contrôler le
Proche-Orient ».
Laurent Brayard :
longue mais très belle citation que vous
nous livrez-là de Monsieur Shueibi, le
secret du Gaz est en effet un écorné ces
derniers temps, mais les opinions
occidentales ont déjà emboité le pas à
« cette version » officielle. Toutefois
nous aimerions que vous nous en disiez
plus sur le conflit entre musulmans qui
est souvent montré comme l’un des
tenants et des aboutissants de la crise
syrienne et du Proche-Orient en
général :
M. Chitour :
En effet un autre argument de basse
intensité est le conflit artificiel
sunnite-chiite. Le conflit en Syrie est
devenu, écrit Bernard Haykel spécialiste
du Moyen-Orient à l’université de
Princeton, une guerre par procuration
entre Riyad et Téhéran. Pendant de
longues années, le salafisme a été le
vecteur d’influence de l’Arabie
Saoudite. Mais cette doctrine a créé des
monstres, notamment Al-Qaïda, qui se
sont retournés contre le régime des
Saoudites. Aujourd’hui, l’anti-chiisme
et le discours contre l’Iran sont
utilisés par la monarchie pour que les
Saoudiens, à 90 % sunnites, fassent bloc
derrière le régime. Cela pourrait
devenir aussi la nouvelle base des
relations avec les États-Unis. Il a
montré comment le régime saoudien tente
de tirer son épingle du jeu dans le
grand chambardement du printemps arabe.
Mais c’est la Syrie qui est au centre de
l’attention de l’Arabie Saoudite. Le roi
s’est prononcé contre le régime de
Bachar el-Assad. Il a rappelé son
ambassadeur à Damas. Les Saoudiens
estiment que l’Iran est aujourd’hui une
menace réelle pour leur pays. Ils jugent
que si Bachar el-Assad était renversé,
ce serait un revers important pour
l’influence de l’Iran dans la région. Il
y a donc un flot d’argent saoudien qui
vise à radicaliser les sunnites syriens,
comme en 2006 et 2007 au Liban quand il
s’agissait de radicaliser les sunnites
locaux contre le Hezbollah. Riyad ne
considère plus qu’un changement dans la
région puisse se révéler mauvais. Enfin,
les Saoudiens tentent de promouvoir
cette approche à Washington. L’Arabie
Saoudite est sous protection militaire
des Etats-Unis, conclut Bernard Haykel :
«
Ces deux pays entretiennent aussi des
relations commerciales fortes, dominées
par les hydrocarbures et les ventes
d’armes ». Quels sont les perdants
et quels sont les gagnants ? Le grand
perdant est d’abord et avant tout le
peuple syrien qui paie le prix fort
d’une guerre qui le dépasse. Il devient
clair que la clé de la réussite
économique et de la domination politique
réside principalement dans le contrôle
de l’énergie du XXIème siècle : le gaz.
C’est parce qu’elle se trouve au cœur de
la plus colossale réserve de gaz de la
planète que la Syrie est sur une plaque
tectonique énergétique. Une nouvelle ère
commence, celle des guerres de
l’énergie. Le grand gagnant dans tous
les cas est Israël qui réussit, sans y
participer, à affaiblir ses adversaires,
l’Iran, les pays arabes qui ne comptent
plus et le Hezbollah. On l’aura compris,
la paix en Syrie n’est pas pour demain.
Hélas !
Laurent Brayard :
Professeur Chems Eddine Chitour, oui
hélas, nous le regrettons avec vous,
nous avions apprécié votre analyse et
nous nous retrouverons la semaine
prochaine autour du problème iranien, un
autre pan de pelote de fil du
Moyen-Orient. En attendant nous vous
souhaitons à vous et aux lecteurs de
Palestine Solidarité, une bonne
journée. A la semaine prochaine !
2ème partie de cet entretien
1ère partie de cet entretien
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