Opinion
« Au nom du Temple
Israël et l'irrésistible ascension du
messianisme juif, 1967-2013 »
Charles
Enderlin
Vendredi 3 mai 2013
Par Charles Enderlin,
correspondant permanent de France 2 à
Jérusalem depuis 1981.
Le titre de votre ouvrage signifie-t-il
que pour vous les sionistes religieux et
aussi Jabotinsky qui voulait ériger un
mur d’acier envers la population arabe
ont gagné ?
Les faits sont là : depuis 1967, la
guerre de six jours et la conquête des
territoires occupés, la droite
nationaliste et le mouvement
fondamentaliste messianique ont réussi à
installer 360 000 colons en Cisjordanie
avec un taux de croissance de 5%. Il est
impossible d’en évacuer la plus grande
partie.. Souvenez vous, il avait fallu
13000 militaires et policier pour
déménager les colons de Gaza en Or,
aujourd’hui rien que dans une colonie
comme Beit El, près de Ramallah, on
compte 8000 habitants… et il y a plus
d’une centaine de colonies de ce genre
au cœur de la Cisjordanie. Cela, sans
parler des blocs urbains proches de la
ligne verte. Il faut rappeler
qu’actuellement plus de 40% des
officiers d’infanterie sont des
sionistes religieux dont un pourcentage
important habite des colonies, certaines
même « sauvages » non autorisées par le
gouvernement israélien. Obéiront-ils à
l’ordre d’évacuer leurs proches ?
Ce n’est pas tout, le problème qui a
fait capoter les négociations de Camp
David, en juillet 2000, est toujours là
! Jérusalem-Est, la vieille ville et le
Haram Al Sharif, les saintes mosquées où
se trouve aussi le mont du Temple, le
lieu saint juif. Les Musulmans refusent
d’accorder une forme quelconque de
souveraineté à Israël et au Judaïsme
dans ce qui est le troisième lieu saint
de l’Islam… A Camp David Ehoud Barak
avait déclarer que c’était la pierre de
fondation du sionisme et qu’aucun chef
de gouvernement israélien ne saurait y
renoncer. Selon tous les sondages, c’est
également le point de vue de l’immense
majorité des Israéliens. A priori, le
sionisme religieux et Jabotinsky ont
gagné. La solution à deux états a
probablement vécu.
Vous estimez en citant
Zeev Sternhell que la défaite de la
gauche israélienne remonte au fait que
Rabin n’a pas osé évacuer la colonie
d’Hébron après le massacre de Goldstein
qui a tué 29 Palestiniens et blessé 125,
le 25 février 1994.
Yitzhak Rabin craignait un
affrontement sanglant avec les colons
qui menaçaient de s’opposer physiquement
à l’évacuation de la colonie extrémiste
située au cœur de Hébron. Il s’agissait
de quelques dizaines de fidèles du
rabbin raciste Meir Kahana, une mouvance
à laquelle appartenait Godstein. Leur
évacuation devait constituer un message
important aux Palestiniens, au moment
où, selon le Shin Beth, le Hamas
préparait des attentats suicides en
représailles au massacre du caveau des
Patriarches. Selon le professeur Zeev
Sternhell « Si Israël avait évacué
Hébron après le meurtre de Goldstein,
les choses auraient tourné d’une autre
manière. La droite aurait compris
qu’elle avait en face d’elle une gauche
capable de résister, alors qu’elle
pensait toujours être
intellectuellement, moralement,
idéologiquement, beaucoup plus forte que
la gauche. Quand Rabin a cédé face aux
gens d’Hébron, il a apporté la preuve
qu’ils avaient raison. Ce fut là le
grand malheur de l’époque »
L’année suivante, Shimon Pérès, a décidé
de limiter les travaux de la commission
d’enquête judiciaire sur les
circonstances de l’assassinat de Rabin.
Elle ne devait pas s’intéresser aux
rabbins qui avaient, religieusement,
condamné à mort le Premier ministre, pas
à l’incitation à la violence de la
droite… Pérès espérait ainsi obtenir le
soutien de la droite religieuse modérée
et conférer ainsi une certaine
légitimité au processus d’Oslo. On
connaît le résultat !
Politiquement, où en
est le fondamentalisme messianique que
vous décrivez ?
Ses représentants – du parti « La
maison juive » - occupent des postes
clés au gouvernement et à la Knesset.
Naftali Bennet, le ministre de
l’économie et de l’Industrie, est un
ancien président du conseil des colonies
de même que Nissan Slomiansky qui dirige
la commission parlementaire des
finances. Ouri Ariel, colon un des
fondateurs du mouvement Goush Emounim –
Le bloc de la foi- a le portefeuille de
l’habitat. Au sein du Likoud au moins un
tiers des membres du comité central
viennent des colonies de Cisjordanie.
Moshé Feiglin, qui milite pour la
reconstruction du Temple juif est député
et vice président de la Knesset etc.
Dans mon livre, je définis le
fondamentalisme messianique comme un
mouvement révolutionnaire pour qui la
fin justifie les moyens. Ses partisans
ont infiltré tous les niveaux de
l’administration israélienne et
constitue aujourd’hui, un des principaux
courants au sein de la société
israélienne. Selon la sociologue, Tamar
Hermann, 51 % des Israéliens juifs
croient en la venue du Messie. Parmi
eux, il y a les religieux mais aussi des
traditionalistes et des séculiers. 67 %
d’entre eux croient encore que le peuple
juif est le peuple élu… C’est le
résultat de développements
démographiques, mais aussi le résultat
de l’influence croissante du discours
sioniste religieux dans l’ensemble du
système éducatif. La gauche sioniste,
libérale, n’a pas réussi à combattre ces
tendances.
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Publié le 4 mai 2013 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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