Entretien
Armes chimiques en
Syrie :
l'hypothèse d'une troisième force
Bahar Kimyongür
Dimanche 25 août 2013
Au moment même où les experts en
armes chimiques des Nations unies
arrivaient en Syrie, le gouvernement
s’est vu accusé par les « rebelles »
d’un massacre de civils à l’arme
chimique dans la banlieue de Damas. Les
gouvernements qui cherchent depuis plus
de deux ans à renverser le président
Assad ont immédiatement repris à leur
compte ces accusations.
Il en va de même des médias qui, dans
leur ensemble, répercutent massivement
ce point de vue en ne donnant que très
rarement la parole à ceux qui élèvent
des doutes sur la fiabilité des
« preuves » avancées, ou posent la
question de bon sens « À qui profite le
crime ? ». Nous avons demandé à Bahar
Kimyongür comment il percevait cette
situation.
Silvia Cattori :
Comment voyez-vous
ces accusations qui incriminent
Assad de manière unilatérale avant
le résultat de toute enquête, cette
pression sur le gouvernement de
Damas qui s’accentue de plus en
plus ? Cela vous semble-il conduire
à une confrontation majeure ?
Avez-vous à ce sujet des
informations particulières ?
Bahar Kimyongür :
En trois mois, l’armée arabe
syrienne a enregistré des succès
militaires retentissants qui agacent
les chancelleries occidentales au
plus haut point.
L’armée est parvenue à chasser les
envahisseurs takfiris [1]
des gouvernorats de Homs et de
Lattaquieh, ouvrant la voie vers la
libération d’Alep. Alors qu’ils
tentent de prendre Damas en étau à
partir des vergers de la Ghouta, les
groupes rebelles se sont retrouvés à
leur tour encerclés, tel l’arroseur
arrosé. C’est précisément au moment
où l’armée menait une percée sur le
front de Jobar que les armes
chimiques ont été utilisées.
Cette agression lâche est survenue à
quelques kilomètres à peine du cœur
de Damas, quasiment sous le nez des
enquêteurs de l’ONU sur les armes
chimiques. Tout homme normalement
constitué devrait y voir une
provocation qui dessert les intérêts
du gouvernement syrien, une
opération « false
flag » évidente qui vient
littéralement au secours de l’OTAN
et de ses agents djihadistes actifs
en Syrie. Les armes chimiques sont
le casus belli
inespéré pour les ennemis de la
Syrie baassiste et souveraine, la
dernière chance des rebelles en
déroute.
Et cependant, quasi aucun
journaliste occidental digne de ce
nom n’ose douter de la version
officielle servie sur un plateau
d’argent par leurs maîtres à penser.
Les journalistes violent impunément
le principe de présomption
d’innocence.
Pourtant, les terroristes takfiris
soutenus par l’axe
américano-sioniste qui va de
Washington à Ankara et de Ryad à Tel
Aviv n’en sont pas à leur premier
essai :
- L’hiver dernier, des combattants
takfiris autoproclamés
Katibat Reeh Al
Sarsar, [la
Brigade de l’Odeur destructrice]
ont mené des expériences sur des
lapins, menaçant de faire pareil sur
les villages loyalistes. Plusieurs
vidéos tournées et signées par des
rebelles montrent des bidons de
substances chimiques produites par
la société turque Tekkim basée à
Gaziantep.
- Le 30 mai dernier, la police
turque a saisi dans une "safe house"
à Adana des produits hautement
toxiques utilisés par le Front al
Nosra.
- À Khan al Assel, 16 soldats
loyalistes ont été tués dans une
attaque rebelle à l’arme chimique.
- Quelques semaines auparavant, un
groupe takfiri était parvenu à
s’emparer d’une usine de fabrication
de chlore à Alep.
Si l’on met ces indices bout à bout,
on arrive à la conclusion qu’une
brigade rebelle pourrait avoir
utilisé de telles armes en
périphérie de la capitale. C’est une
hypothèse évidente. Qui plus est,
jeudi dernier, l’armée russe a remis
à l’ONU des images satellites de
missiles suspects tirés depuis le
quartier rebelle de Douma en
périphérie de Damas vers les zones
touchées par les intoxications
mortelles.
Pourquoi, les médias dominants ne
nous parlent-ils jamais de ces
éléments ?
Nos journalistes reconnaissent que
la rébellion est atomisée, que
plusieurs groupes rebelles
s’affrontent férocement. Et en même
temps, ils refusent d’établir le
moindre lien entre ces groupes et
l’attaque chimique. C’est vraiment
nous prendre pour des idiots
amnésiques.
Un haut responsable sécuritaire à
Damas m’a fait savoir que leur
enquête penche vers l’implication
d’une troisième force, liée à un
service secret étranger, américain,
israélien ou saoudien. Il m’a dit
qu’en toute objectivité, ni le
gouvernement syrien ni les rebelles
syriens locaux n’avaient intérêt à
mener une telle attaque qui a tué
les familles de rebelles syriens. Ce
point de vue n’a rien de farfelu [2].
La main obscure qui a frappé à
l’arme chimique semble être la même
que celle qui a assassiné en 2005 le
premier ministre libano-saoudien
Rafic Hariri et la même qui a visé
les mosquées sunnites de Tripoli il
y a deux jours.
Cette main est celle qui depuis le
début du conflit syrien essaie
d’embraser la région pour le plus
grand bonheur d’Israël.
Oui la situation présente est
explosive et fait craindre que le
pire est à venir pour le peuple
syrien.
Silvia Cattori
[1]
Takfiri - littéralement
"excommunication" - désigne des groupes
armés cruels, adeptes d’une idéologie
extrêmement violente qui se caractérise
par sa propension à jeter l’anathème non
seulement contre des non-musulmans, mais
aussi —voire prioritairement— contre
d’autres musulmans dont le point de vue
diffère. En Syrie, le takfirisme s’est
cristallisé contre les Alaouites et
contre les Chiites - particulièrement
contre le cheikh Mohammad Hussein
Fadlallah (1935-2010) leader spirituel
du Hezbollah - assimilant son humanisme
et son ouverture d’esprit en matière de
démocratie ou de mœurs à de l’apostasie.
Ces groupes sont généralement armés et
financés par l’Arabie Saoudite, le Qatar
et les émirats du Golfe.
[2]
Il est établi que les services secrets
de nombreux pays entraînent et encadrent
des djihadistes opérant en Syrie. En ce
qui concerne les services états-uniens,
le
Los Angeles Times
en faisait état en juin 2013. Voir :
« U.S.
training Syrian rebels ; White House ’stepped
up assistance’ », 21 juin 2013.
http://articles.latimes.com/2013/jun/21/world/la-fg-wn-cia-syria-20130621
Le
dossier Syrie
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