Entretien
Aroua Kooli: Entretien avec
Ahmed Manai, membre de la mission de la
Ligue arabe en Syrie
Dimanche 28 octobre
2012 Entretien avec Ahmed Manai,
membre de la mission de la Ligue arabe
en Syrie
La mission, composée de près de 160
observateurs a été répartie en 15
groupes, autant que le nombre de
Mouhafazat syriennes, et chacun d’eux a
été envoyé dans sa mouhafazat.
Notre groupe a travaillé à Qameshli dans
la mouhafazat de Hassaka, sur la
frontière avec l’Irak et la Turquie.
Nous faisions nos enquêtes sur le
terrain la journée, et dans la soirée on
rédigeait notre rapport quotidien que
l’on l’envoyait par courrier
électronique à la salle d’opérations de
la Ligue arabe à Damas. Aucun rapport
n’a été envoyé s’il n’avait pas
recueilli l’unanimité des membres sur
son contenu. Assabah El Ousbou’y, Aroua Kooli
Entretien avec Ahmed Manai, membre
de la mission de la Ligue arabe en Syrie
Assabah El Ousbou’y, Aroua Kooli
L’Observateur de la Ligue arabe en
Syrie et président de l’Institut
tunisien des relations internationales,
Ahmed Manai, considère que les
informations véhiculées par les médias
internationaux sur la situation en
Syrie, ne traduisent pas la réalité du
terrain et comportent une bonne dose
d’exagération et de mensonge.
Il ajoute que le véto
Russo-Chinois a anéanti les projets
occidentaux d’intervention en Syrie et
que la Tunisie s’est engagée dans un
pacte diabolique contre un pays frère,
en faisant cause commune avec les
ennemis de la Syrie.
Entretien :
Assabah El Ousbou’y
:
Pouvez-vous nous parler de votre
participation à la mission des
observateurs arabes en Syrie ?
A. Manai : Mon expérience
n’est pas personnelle, mais plutôt
collective, dans le cadre de la mission
de la Ligue arabe. L’on se souvient que
le Conseil de la Ligue arabe a formé un
comité spécial pour la Syrie, composé de
six pays et dirigé par le Qatar*. C’est
donc ce comité qui a opté pour l’envoi
d’une mission d’observateurs arabes en
Syrie pour enquêter sur les événements
qui s’y passaient depuis la mi-mars
2011. Cette mission s’est rendue en
Syrie conformément à un protocole conclu
avec les autorités de ce pays, pour
chercher des réponses aux quatre
questions suivantes : - Les manifestations pacifiques
organisées par les opposants dans les
villes et les villages sont-elles
réprimées ou non par la force brutale ? - Existe-il une présence militaire
dans les villes et aux alentours ? -Les autorités ont-elles relâché les
détenus politiques arrêtés à la suite
des derniers événements ? -Et enfin, voir si les médias locaux
et internationaux sont présents sur
place et s’ils suivent régulièrement et
sans obstacles les manifestations. La mission, composée de près de 160
observateurs a été répartie en 15
groupes, autant que le nombre de
Mouhafazat syriennes, et chacun
d’eux a été envoyé dans sa mouhafazat. Notre groupe a travaillé à Qameshli
dans la mouhafazat de Hassaka,
sur la frontière avec l’Irak et la
Turquie. Nous faisions nos enquêtes sur
le terrain la journée, et dans la soirée
on rédigeait notre rapport quotidien que
l’on l’envoyait par courrier
électronique à la salle d’opérations de
la Ligue arabe à Damas. Aucun rapport
n’a été envoyé s’il n’avait pas
recueilli l’unanimité des membres sur
son contenu.
Assabah El Ousbou’y : La
situation réelle était-elle conforme à
l’image transmise par les médias ?
A.Manai : C’était un autre
monde, tout à fait aux antipodes de ce
que nous transmettent les chaînes
télévisées. Cela ne veut pas dire qu’il
ne se passe rien en Syrie, mais les
choses sont très différentes de ce que
véhiculaient les médias. Il y a une
grande désinformation et trop de
mensonges. Je me demande comment l’on
peut mentir à ce point et qui en est
responsable ?
Assabah El Ousbou’y : Concernant
le massacre de Homs, les médias ont-ils
exagéré les faits ?
A.Manai : J’ai quitté Damas le
9 février et le massacre a eu lieu le 4
février. Les chaînes satellitaires ont
diffusé les images de dizaines de morts
présentés comme des victimes de tirs
sauvages des blindés et même de
l’aviation.
Personnellement, j’ai remarqué que
certaines victimes avaient les mains
liées derrière le dos et puis, les corps
ne portaient aucune trace de blessures
ou de sang, ni de gravats et autres
détritus de matériaux de construction.
J’ai vu, de mes propres yeux, une
victime se relever à moitié, et regarder
de côté, comme pour s’assurer que le
cameraman avait terminé le travail.
Puis, au bout de quelques minutes,
nous avons entendu les appels des
habitants aux chaînes syriennes : telle
femme qui a reconnu parmi les victimes
son cousin enlevé depuis une semaine,
tel autre, son voisin enlevé depuis des
mois. Tout au long de la journée du 4
février, ce furent des témoignages des
habitants de Homs sur l’identité de
quelques victimes. On nous a informés
que jusqu’à cette date, il y avait pas
moins de 400 personnes de Homs et de ses
environs qui ont été enlevés par les
groupes terroristes. En l’absence de
sécurité, l’enlèvement est devenu une
pratique courante en Syrie, œuvre des
groupes terroristes et de bandes
criminelles.
On enlève quelqu’un et on demande une
rançon. Souvent on paie la rançon, mais
l’enlevé disparaît quand même.
Dès les premiers jours, la mission a
joué les bons offices pour faire libérer
ou échanger des personnes enlevées,
quand les enlèvements étaient l’œuvre de
groupes antagonistes.
A propos du massacre de Homs, il
n’est pas logique que le pouvoir syrien
commette un tel crime, le jour même où
le Conseil de Sécurité discute d’un
projet de résolution à son encontre. De
surcroît, il s’agit d’une action
combinée, comportant ce massacre sur le
terrain, mais aussi, l’occupation des
ambassades et des consulats syriens par
des opposants à l’étranger, et le
retrait des ambassadeurs arabes en
Syrie. Tout cela ne peut se comprendre
qu’en prenant en compte, le désir de
faire pression sur le Conseil de
Sécurité, pour l’inciter à décréter
l’intervention militaire en Syrie.
Assabah El Ousbou’y : Croyez-vous
que la suspension de la mission arabe
était un bon choix ?
A.Manai : C’est la Ligue arabe
qui a envoyé cette mission. En principe,
elle devrait attendre la fin de la
mission et le rapport définitif pour
juger de la suite à lui donner. Mais,
certains membres de la Ligue arabe ont
jugé que ce rapport préliminaire
desservait leurs ambitions, aussi
ont-ils décidé de l’enterrer et de
porter l’affaire devant le Conseil de
Sécurité. Quand ce dernier a demandé une
copie du rapport, il lui a été répondu
qu’une copie lui serait envoyée par la
poste rapide ; cependant, quand il a
requis la présence du Général Debi, chef
de la mission, il lui a été répondu que
cela n’était pas possible.
Le comportement de la Ligue arabe est
tout simplement honteux et indigne, en
ce qui la concerne, et méprisant, à
l’égard des observateurs, qu’elle a cru
instrumentaliser.
Assabah El Ousbou’y : L’opposition
syrienne a critiqué le rapport, et l’a
considéré comme favorable au pouvoir.
Pouvez-vous nous donner une idée sur le
poids de cette opposition sur le terrain
?
A.Manai : Le CNS a contesté la
mission depuis les premiers jours, et
avant même, qu’elle ne commence son
travail. Franchement, j’estime qu’il n’y
a pas, actuellement, une opposition
syrienne capable de tenir le pouvoir au
cas, fort peu probable, où le régime
viendrait à tomber.
En Syrie, il y a une multitude de
groupes d’opposants. Il y a des
combattants étrangers affidés à Al Qaida
et à d’autres groupes terroristes.
Récemment, on a parlé de près de 1.300
combattants Libyens qui seraient rentrés
en Syrie, avec de nombreux Tunisiens et
d’autres nationalités.
Il y a une opposition politique
civile, représentée, notamment, pas les
comités nationaux de coordination et qui
ont un représentant à l’étranger en la
personne de Haytham Manna.
Le groupe le plus médiatisé reste le
CNS, parce qu’il est aidé et financé par
l’étranger. Mais, ses membres sont pour
la plupart à l’étranger, et son audience
à l’intérieur du pays ne me semble pas
très grande.
Il y a aussi, de vieux partis
d’opposition proches du Baath, quelque
peu érodés toutefois, et d’autres, en
formation. Récemment, quatre nouveaux
partis ont été légalisés. Je crois qu’il
est temps que l’opposition syrienne se
réorganise pour devenir plus crédible.
Assabah El Ousbou’y : Beaucoup
relativisent le rôle de l’ASL. Quel est
votre avis ?
A.Manai : L’ASL est composée
de militaires, officiers et soldats, qui
ont déserté l’armée nationale,
individuellement ou en petits groupes.
Il ne s’agit pas de défections en masses
d’unités entières. Le rôle de l’ASL est
surtout celui de servir d’instrument
pour légitimer la propagande, au service
des forces étrangères. Ceci dit, Je suis
convaincu qu’elle ne représente
qu’elle-même, et ne pèse pas lourd sur
le terrain, auprès de l’opinion
syrienne, pour qui elle demeure une
entité « terroriste ».
Assabah El Ousbou’y : Avez-vous
senti des signes d’affaiblissement du
régime et d’éclatement de ses structures
?
A.Manai : Il y a un sondage
d’opinion commandité par le Qatar et
réalisé par un organisme européen qui
conclue que la grande majorité des
Syriens soutient Bachar El Assad.
Assabah El Ousbou’y : Existe-il
encore des menaces d’intervention
militaire étrangère contre le régime
Assad ?
A.Manai : Le véto
Russo-Chinois a annihilé toutes les
tentatives occidentales d’intervention
militaire en Syrie. La Russie et la
Chine ont pris conscience, qu’à travers
la Syrie, ce sont eux qui sont visés à
moyen terme.
Assabah El Ousbou’y : Comment
voyez-vous la politique étrangère
tunisienne à la lumière du renvoi de
l’ambassadeur syrien et de la tenue à
Tunis de la Conférence « des amis de la
Syrie » ?
A.Manai : Je n’ai pas souvenir
que la diplomatie tunisienne ait pris,
du temps de Bourguiba ou de Ben Ali, une
position hostile à un pays arabe. Dans
l’affaire de Gafsa en 1980, par exemple,
et alors que l’Algérie et la Libye
étaient impliquées au même niveau, le
gouvernement avait pointé du doigt la
Libye seule, et ménagé l’Algérie,
conscient qu’il ne pouvait se faire des
ennemis, de ses deux voisins.
Une diplomatie sage ne se fait pas
d’ennemis partout, surtout, s’ils sont
des voisins. C’est la première fois que
la Tunisie participe à une alliance
diabolique contre un pays et un peuple
frères. Quant au renvoi de l’ambassadeur
syrien, c’est une décision de l’Emir du
Qatar..
La Syrie ne mérite pas cela. Au cours
des dix dernières années, elle a eu des
positions parmi les plus honorables au
plan arabe. Des centaines de milliers
d’Irakiens, fuyant la guerre et les
destructions, y ont trouvé refuge. Il en
fut de même, pour la moitié du peuple
libanais, lors de la guerre d’agression
israélienne, en 2006.
En 1991, quand Ennahda a raté
sa tentative de coup d’Etat, des
centaines de ses membres se sont enfuis
au Soudan. Puis, sous la pression des
autorités tunisiennes, nombre d’entre
eux sont partis ailleurs, et les
derniers, en 1999, sous le régime de
Hafez El Assad, sont partis en Syrie où
ils sont demeurés jusqu’en 2003, malgré
les pressions tunisiennes, date à
laquelle le HCR leur a trouvé des pays
d’accueil en Europe.
Assistons-nous à l’expression de
l’ingratitude morale, par ceux-là mêmes
qui sont concernés, envers un régime qui
les a pourtant aidé ?
Assabah El Ousbou’y : La
Russie a refusé de participer à la
Conférence « des amis de la Syrie » à
Tunis, au motif qu’il y avait risque de
réédition du scénario libyen. Quelle est
votre lecture des objectifs de cette
conférence ?
A.Manai : cette conférence est
un échec total, depuis le début, parce
que ses véritables organisateurs, la
France et le Qatar, sont convaincus que
le véto Russo-Chinois a fait échouer
définitivement le plan arabe
d’intervention militaire en Syrie, dont
l’objectif caché n’avait pas pour
ambition de faire tomber le régime mais
plutôt, de détruire la Syrie, sa
civilisation, sa culture et son
histoire. Cette Conférence sonne comme
un retrait tactique, et on s’apercevra
avec le temps, que la solution de la
crise se trouve en Syrie et non point,
au Qatar !
Assabah El Ousbou’y : Le journal
britannique « The Independant » a écrit
que la confrontation en Syrie s’est
transformée en guerre civile, à
caractère international, avec
l’introduction de combattants et d’armes
dans le pays. Croyez-vous à ce scénario
?
A.Manai : Il n’y a pas de
guerre civile en Syrie. Les diverses
confessions et ethnies (musulmans,
chrétiens, arabes, kurdes, arméniens et
autres) vivent en parfaite harmonie et
participent à la mosaïque syrienne. Mais
la guerre civile est une des cartes que
jouent les puissances étrangères avec
peu de chance pour la provoquer.
Assabah El Ousbou’y : A votre
avis, ce qui se passe en Syrie est-il le
prélude à une nouvelle guerre froide
mondiale ?
A.Manai : Ce n’est pas la
seule Syrie qui est le théâtre d’une
lutte d’influences entre les grandes
puissances, mais l’ensemble de la
région. Je crois que le monde unipolaire
est en train de s’écrouler et les
Américains et autres Européens devront
reconnaître ces nouvelles puissances
émergentes que sont le groupe du BRIC,
tels que la Chine, la Russie, le Brésil,
l’Inde et d’autres. C’est déjà fait au
plan économique mais pas encore au plan
politique !
Propos recueillis par Aroua Kooli
pour Assabah El Ousbou’y
Tunis le 27 février 2012
Traduction de l’arabe, revue et
corrigée par Hadj Abdelmajid Aït Saadi
Le Qatar* qui est à la tête de la
politique agressive contre la Syrie, au
double titre de Président de la session
de la ligue arabe et président du comité
spécial pour la Syrie, a dû racheter la
présidence de la session à la Palestine
!
N.B : **Dans la région de Qameshli,
relativement épargnée par la violence,
les représentants de la société civile
et les parents des victimes de la
rébellion et des bandes criminelles,
nous ont remis une liste nominative des
civils assassinés et enlevés. Elle se
monte à 20 martyrs, 9 blessés et 17
enlevés, dont 1 a été relâché sans
paiement de rançon, 2 après paiement de
rançon et 14 disparus, même après
paiement de rançon.
Le directeur de l’hôpital de la
place, pour sa part, nous a remis une
liste nominative de 21 martyrs
militaires et des forces de l’ordre,
tous en civil, assassinés lors de leur
retour chez eux pour des permissions
dans leurs familles !
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Syrie
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