Cet article est paru le 14 janvier
2002 dans le quotidien israélien Ha'aretz.
Titre anglais : Where they draw the line.
Ma'aleh Miyus (qu'on peut traduire à peu près par
«Haut-Dégoût») est le nom d'une nouvelle implantation que les
membres d'un nouveau mouvement, la «Ligne Verte Les Étudiants
tracent la Frontière», ont l'intention d'établir dans le Parc
Rose, en face de la Knesset. Leur objectif est d'exiger «la fin immédiate
de l'occupation, au nom de l'avenir d'Israël».
Le mouvement est né il y a deux mois, dans des circonstances
bien improbables, au cours du meeting à la mémoire d'Yitzhak
Rabin, à Tel-Aviv. «Je sentais que je ne pouvais plus continuer»,
se rappelle Itamar Raz, 22 ans, étudiant en philosophie, économie
et science politique à l'Université Hébraïque. «J'attendais des
déclarations claires de la part des dirigeants, mais tout ce qu'on
a eu, c'était des chansons. J'étais furieux.»
En errant parmi la foule, Raz découvre qu'il n'est pas seul. Il
tombe sur un autre étudiant de l'Université Hébraïque, Avner
Inbar, qui ressent exactement la même chose. «Il faut faire
quelque chose», se disent-ils. Le lendemain, ils organisent une réunion
à l'université, et ils sont surpris du succès. «Nous avions
accepté le postulat que tout le monde avait viré à droite. Mais
c'est absolument faux. La vérité, c'est qu'ils restent chez eux,
à penser qu'ils sont les derniers à être de gauche. Nous n'avons
pas de leaders, ni personne qui parle en notre nom. Alors, nous
avons décidé de faire quelque chose.»
Depuis, la Ligne Verte a lancé quelques actions. Il y a trois
semaines, ils ont adressé une lettre au Premier Ministre Ariel
Sharon: «Nous, qui avons grandi dans une guerre absurde, qui tuait
chaque jour des innocents des deux côtés, refusons de croire qu'il
n'existe pas de solution, déclarons lancer par la présente une
campagne d'opinion contre la politique d'occupation et de
colonisation, et appelons les Israéliens à commencer à agir pour
que la Ligne Verte soit la frontière entre Israël et l'État
palestinien.»
Parallèlement, ils ont couvert l'autoroute Jérusalem-Tel-Aviv
d'énormes pancartes appelant les gens à «renoncer au désespoir,
quitter les territoires». Le slogan, ainsi que l'emplacement des
pancartes, répondait au slogan de la droite «éliminer Arafat,
ramener l'espoir». Pendant quelques jours, on a assisté à une
guerre d'affiches entre les deux camps, chacun arrachant les
pancartes de l'autre. Une conversation téléphonique avec le
Conseil de Yesha (organisation des colons, N.D.T.) conduisit à une
trêve. Les deux slogans sont maintenant déployés chacun d'un côté
de la route.
Entre paix et réconciliation
L'histoire des mouvements protestataires en Israël montre que de
nombreux mouvements naissent et disparaissent avant que leur message
ne soit entendu par l'opinion publique. Il est difficile de prédire
ce qui arrivera à la Ligne Verte. Mais son apparition indique un
certain réveil du camp de la paix. Dans les rapports entre les différents
mouvements, dans les news qui circulent sur internet, ce réveil est
effectif. Même si ces mêmes news ressemblent un peu à un médecin
observant un certain progrès chez un patient dans un état
critique.
Mais il est faux d'assurer que le mouvement pour la paix n'existe
plus parce que l'opinion a viré en bloc à droite. Ce qui a changé
est le sentiment, pas l'ambition d'atteindre une solution fondée
sur le principe de deux États pour deux peuples. Entre juillet 2000
(Camp David) et décembre 2001, le Dr Yaakov Shamir (département de
communication et Institut Truman, Université Hébraïque) et le Dr
Khalil Shikaki (Centre Palestinien de Politique et d'Opinion
Publique, Ramallah) ont mené une série de trois enquêtes
d'opinion publique, étudiant les attitudes des publics juifs et
arabes en Israël, et des Palestiniens des Territoires. Malgré
l'Intifada, malgré la terreur, et malgré le sentiment qu'«il n'y
a personne à qui parler» que les porte-parole du gouvernement
tentent tellement de nourrir, de façon surprenante, il n'y a eu que
peu de changements dans la proportion de juifs croyant en la
possibilité d'une paix permanente.
En juillet 2000, quelque 55% des juifs interrogés croyaient en
cette possibilité. En juillet 2001, le chiffre était descendu à
50%, et en décembre, le déclin s'était poursuivi pour atteindre
46%. Les résultats montrent que malgré l'image communément admise
(y compris dans le camp de la paix), l'Intifada n'a eu qu'un impact
limité sur les attitudes de fond de la population juive d'Israël.
Ce qui a changé est la croyance en la possibilité d'une réconciliation.
Entre juillet 2000 et décembre 2001, la proportion de ceux qui «ne
croient pas à la réconciliation même en cas de paix» est passée
de 27% à 36%. Une proportion importante de l'opinion publique perd
espoir en une réconciliation, même au cas ou un accord politique
interviendrait. Par le passé, paix et réconciliation étaient
quasiment synonymes. Aujourd'hui, l'opinion fait la différence.
C'est sur ce fil, entre soutien à un accord politique et manque
de confiance en une réconciliation, que le camp de la paix se tient
en équilibre, en essayant de transformer des pas hésitants en
marche digne de ce nom. Il n'est pas vrai que le camp de la paix
n'existe pas. C'est seulement qu'il ne sait pas comment formuler son
nouveau message à l'opinion. Ces dernières années, les militants
des mouvements pour la paix se sont impliqués dans des actions de réconciliation,
en supposant que la paix était à portée de la main. Aujourd'hui,
ils doivent revenir aux fondamentaux, dans un contexte dans lequel
le mot «paix» a perdu son sens.
«Notre grand problème est que nous n'avons pas su toucher
l'opinion avec un message de rechange», dit le Professeur Arie
Arnon, l'un des fondateurs de La Paix Maintenant. «Mais avant tout,
il nous faut reconstruire le camp lui-même. La Paix Maintenant a
toujours été un mouvement réactif, et il faut que cela change. Le
fait d'attendre le bon moment pour agir paralyse l'action
quotidienne.»
Une petite manifestation, samedi soir devant la résidence du
Premier Ministre, a prouvé combien il était difficile pour le camp
de la paix de trouver grâce aux yeux de ses propres membres. Après
la démolition de maisons à Rafah jeudi dernier, qui a soulevé la
gauche, la manifestation semblait hors contexte. Les slogans et les
chants contre l'occupation et les colonies ne semblaient pas en
rapport avec la réalité. Même la chanson chantée pendant la
guerre du Liban et réécrite «descends, avion, et emmène-nous à
Hebron, on se battra pour Sharon et on retournera dans un cercueil»
(en hébreu, cela rime) sonnait comme un anachronisme. Personne ne
parlait des démolitions dans le camp de réfugiés. La même
manifestation aurait pu avoir lieu il y a deux ans, ou pour la
circonstance, il y a 17 ans.
Disperser le brouillard
Néanmoins, il se passe quelque chose dans le camp de la paix. La
meilleure chose qui pouvait lui arriver a été l'élection du
Ministre de la Défense, Benjamin Ben-Eliezer, à la tête du Parti
Travailliste. Qu'un politicien aussi éloigné du camp de la paix
dirige aujourd'hui la «gauche» a provoqué un afflux de sang neuf
dans les veines sclérosées du camp de la paix.
L'histoire du camp de la paix montre que les gouvernements
d'union nationale le paralysent, mais le changement à la tête du
Parti Travailliste a dispersé une partie du brouillard créé par
ce gouvernement. Des semaines de calme relatif, accompagné
d'actions moralement indéfendables par Tsahal, semblent avoir réveillé
des militants qui, pendant toute l'année écoulée, se terraient
chez eux.
Le changement le plus profond a été la reprise des actions en
commun avec les Palestiniens, par tous les mouvements pour la paix,
emmenés par la Coalition pour la Paix. Il semble que les
Palestiniens aient eux aussi compris qu'en suspendant ces actions
pendant toute l'année dernière, ils assassinaient le camp de la
paix israélien, et se tiraient eux-mêmes une balle dans le pied.
La Coalition pour la Paix, à l'intérieur de laquelle La Paix
Maintenant est le principal moteur, est une organisation qui
rassemble la plupart des groupes en faveur de la paix, ainsi que
l'opposition parlementaire, avec l'ensemble du Meretz et les
colombes travaillistes emmenées par Yossi Beilin. Ces derniers
mois, la Coalition s'est trouvé un allié du côté palestinien,
avec des gens comme Sari Nusseibeh, Yasser Abed Rabbo, Rassan
al-Khatib, et Hanan Ashrawi. La Coalition Israélo-Palestinienne est
née lors d'une rencontre entre la dirigeante de La Paix Maintenant
Janet Aviad, Beilin et Abed Rabbo, il y a deux mois à Washington.
Cette semaine, elle prévoit une réunion commune de ses deux comités,
israélien et palestinien, en vue de formuler des plans d'action,
avec le plan Clinton comme plate-forme commune.
Il y a quinze jours, bien plus de gens que prévu ont assisté à
la réunion de la Coalition pour la Paix dans les bureaux de Sari
Nusseibeh à l'hôtel New Imperial. Avec Yossi Beilin et Yossi Sarid,
le député Roman Bronfman et l'ensemble du Meretz, il y avait
d'anciens militants israéliens pour la paix, et de nouveaux
militants palestiniens, qui n'avaient jamais participé à ce genre
de réunion. Des dizaines de personnes sont restées dehors, faute
de place. Le point d'orgue a été de nouveau la signature d'une déclaration
commune.
La communauté palestinienne semble attacher une grande
importance à de telles déclarations. Pour de nombreux militants
israéliens, c'était une erreur, non seulement en raison des
nombreuses déclarations communes qui sont restées lettre morte,
mais aussi en raison du sentiment qu'une déclaration commune semble
arrêter un processus, ou pour le moins crée l'impression que
quelque chose se fait, alors qu'en réalité, rien ne change réellement.
Le peuple du camp de la paix est en effet tout à fait capable
d'entendre des idées nouvelles. Mais, plus important, il a besoin
de sentir une dynamique, et de savoir qu'il y a de l'autre côté
quelqu'un avec qui parler, sans déclaration mettant fin au
processus de dialogue.
Une presse locale indifférente
Pendant la tenue de la réunion au New Imperial Hotel, de l'autre
côté de la ville avait lieu une grande marche organisée par la
Coalition des Femmes pour la Paix et par différentes organisations,
étrangères comme israéliennes. Cette marche s'est terminée par
une manifestation d'une importance tout à fait inattendue, devant
la Porte de Jaffa à Jérusalem. Les deux événements ont été très
bien couverts par les médias du monde entier.
Mais les médias israéliens ont ignoré les deux événements,
comme d'ailleurs la plupart des efforts des mouvements pour la paix.
«Nos médias fonctionnent selon l'humeur de l'opinion, et non selon
une analyse objective des circonstances», déplore le Dr Yaron
Ezrahi, du département de science politique et de l'Institut
Truman, à l'Université Hébraïque. «La gauche n'a en ce moment
aucune influence sur l'opinion, et en conséquence, les médias
l'ignorent. Ce faisant, ils trahissent l'éthique de leur
profession. Tout comme les politiciens, la presse lit les sondages
pour savoir comment se comporter. Au lieu de confronter l'opinion à
une analyse de la réalité, elle lui tend un miroir qui lui renvoie
son reflet. C'est bien, mais ça n'aide pas l'opinion.»
La commission «relations publiques» de la Coalition pour la
Paix doit se réunir dans les prochains jours. La commission
comprend Beilin, Sarid, Haim Oron (Meretz), Tzali Reshef et Didi
Remez de La Paix Maintenant, ainsi qu'un expert en communication
proche du mouvement. Ils vont travailler à une campagne de
communication. Entre autres, il sera question de la proposition de
Beilin d'organiser des déplacements en bus de militants pour la
paix vers l'Égypte et la Jordanie, et d'envoyer des délégations
en Europe, pour montrer une «alternative d'un autre Israël». Mais
la cible principale demeure l'opinion publique locale des deux côtés,
en Israël et en Palestine.
Samedi prochain, des militants de terrain de la Coalition pour la
Paix, une trentaine d'Israéliens et une trentaine de
Palestiniennes, prévoient de se rencontrer pour discuter des
actions futures, y compris des manifestations dans la rue. Si cela
marche, ce sera la première fois que des militants palestiniens
pour la paix sortiront dans la rue, auprès de leur communauté.
Plus que jamais, les deux côtés ont besoin l'un de l'autre pour
montrer qu'il y a un interlocuteur. Mais avant tout, le camp de la
paix doit avoir quelque chose à dire.
Traduit par les soins de La
Paix Maintenant
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