Palestine - Solidarité

   


 

DOSSIER 
Retrait de Gaza

 

 

La libération de Gaza renouvelle la crédibilité de la résistance 
et la pertinence de ses choix
)
par Muta’ Safadi

in Al-Quds al-Arabiyy, 22.08.2005

Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

Haranguant les colons de la bande de Gaza, Sharon leur avait déclaré : « Vous savez depuis le début que la colonisation ne serait que temporaire ».

Alors, pourquoi les autres colonies ne seraient-elles pas temporaires, elles aussi ? Et pourquoi ne faudrait-il pas les démanteler, le moment venu ?

Mieux : l’opinion publique israélienne (et autre) ne se souvient pas encore, pour le moment, qu’Israël lui-même n’est pas autre chose qu’une grande colonie. Mais cela viendra : cette giga-colonie ne connaîtra, elle aussi, qu’une existence temporaire, aussi longtemps tiendrait-elle. Mais la volonté internationale se joue de la géographie des pays et des peuples, elle qui a créé Israël, au moment même où le colonialisme occidental s’effaçait dans la plupart des pays arabes. Le succédané de ce colonialisme, dans notre région [de Palestine], fut l’invention du colonialisme de peuplement, qui ne se contente plus d’armées étrangères razziant les terres d’autrui, mais invente de toutes pièces des pays intrus, des pays de peuples qui n’ont jamais connu d’existence géographique ni a fortiori internationale, ni dans leur histoire réelle ni même dans leur imagination légendaire, à l’instar du sionisme inventant l’illusion d’un foyer national sur le modèle de la terre promise de la religion juive.

L’événement qu’a représenté le démantèlement de la colonisation juive de peuplement de la bande de Gaza, en tant que première manifestation concrète de ce que signifie l’expression « présence temporaire » du peuple pique-assiette, ne manquera pas de replacer au centre de la controverse réelle la question de la légitimité ou de la non-légitimité existentielle, ni de poser à la conscience mondiale, très soucieuse des fondements des droits de l’homme, la question de la signification – originelle, mais occultée – de la cause palestinienne, dans ses principes mêmes, sans doute pour la première fois après que cette cause eut été enfouie sous des tonnes de définitions frelatées par le mensonge collectif allié à la déviance politico-juridique prévalant au plan international – il n’est pas jusqu’aux Arabes palestiniens qui n’aient oublié (ou fait semblant d’oublier…) les fondements de cette cause, leurs porte-plume et leurs porte-parole s’adonnant à des tsunamis d’éloquence creuse et à l’usage de langues de bois des essences les plus variées.

Sharon - le plus grand symbole du sionisme en marche des temps modernes – donne lui-même la preuve matérielle la plus claire de la faiblesse de l’idéologie de la razzia et de la colonisation de peuplement. Il ne s’agit en l’occurrence que de pseudo idées, que l’on mobilise afin de faire passer l’artificiel pour authentique, le temporaire pour définitif et l’envahisseur pour le nationaliste enraciné. Mais c’est l’envahisseur qui, à la fin des fins, se voit contraint de reconnaître qu’il est incapable de conserver indéfiniment son butin.

Malgré tout, Sharon veut suggérer que cette focalisation sur une région colonisée parmi d’autres ne vise qu’à renforcer les îlots de colonisation restants en Cisjordanie et autour de Jérusalem. Autrement dit, sa décision [de « se désengager de Gaza »] n’annonce en rien la bonne (ni la mauvaise) nouvelle du début de la fin de l’ère de la colonisation de peuplement et de sa culture, mais elle est bien une confirmation, insistante, de son désir de protéger les fondements du projet sioniste, qui collent à la lettre à la géographie de la terre promise et comportent donc, nécessairement, tant la Cisjordanie que Jérusalem. Mais les causes réelles de la quasi impossibilité (pratique et pour des raisons sécuritaires) de la poursuite de la colonisation de peuplement dans la bande de Gaza restent les mêmes en ce qui concerne les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem, qui conserveront la fragilité propre à tout ce qui est improvisé et temporaire. En effet, le peuple palestinien, qui refuse l’occupation et qui y résiste, s’est juré tout au long des décennies successives de faire en sorte que jamais l’envahisseur ne jouisse indéfiniment de son viol de ses terres. C’est ici par conséquent qu’appert l’importance fondamentale de ce que signifie le couple des contraires « légitimité / non-légitimité ». Le problème, en effet, a toujours excédé toutes les formulations juridiques en cours pour finir par atteindre les profondeurs des significations humaines de concepts tels l’arbitraire, la persécution, l’aliénation et la tyrannie, et ce qui peut leur correspondre dans des concepts antagonistes, comme la justice, le droit, l’égalité et la liberté, en fait de capacité à apporter la démonstration de leur maîtrise exclusive de la culture de la vérité et de son patrimoine. Lorsque le tyran rouleur de mécaniques est contraint à concéder une partie de ses exactions afin de renforcer sa capacité à conserver et à alimenter ses autres exactions dont il estime que ce sont bien elles qui incarnent sa légitimité historique, il ne fait qu’apporter la pire eau matérielle et imparable au moulin de son illégitimité à réaliser pour lui-même l’entièreté de son projet mythique de colonisation de peuplement jusqu’au bout, du point de vue de sa valeur humaine et morale, c’est-à-dire à l’illégitimité existentielle de ce qui est censé incarner le fondement de la loi, et même de toute loi inventée par les différentes civilisations humaines.

Ce type de débat, hélas désormais très improbable dans la littérature du discours relatif au conflit arabo-israélien, et pas seulement dans les attendus de la conscience palestinienne résistante elle-même, est ce qui nous incite à revenir, aujourd’hui, au cœur de l’intérêt critique pour l’évacuation des colonies de la bande de Gaza. Si Sharon, pionnier et démiurge de la vague colonisatrice de l’après-guerre de 1967, attend de ce premier pas qu’il a esquissé qu’il rende quelque considération perdue à sa frêle personne, notamment aux yeux de la communauté internationale, et qu’il lui permette de se présenter à elle en  homme de paix, alors que la tunique du tueur lui colle à la peau, en particulier dans la presse européenne, il parvient, par ailleurs, à rassurer les dirigeants sionistes tant en-dehors d’Israël qu’en Israël même qu’il ne fait que renouveler la légitimité de l’entité originelle d’Israël – celle d’un état s’efforçant de s’entendre avec ses « ennemis » et, que par conséquent, à l’avenir, toute résistance palestinienne (et il est évident qu’elle ne pourra que reprendre son combat quand les sionistes refuseront de poursuivre le démantèlement des colonies de Cisjordanie et de Jérusalem et temporiseront leur retrait militaire des villes palestiniennes occupées, autant qu’ils le pourront), pourra, pensent Sharon et ses émules, a fortiori être accusée de terrorisme et coupée de toute sympathie de ces larges couches de la société civile internationale qui ont apporté la démonstration de l’efficacité de leurs pressions morales sur leurs gouvernements respectifs, en particulier en Europe, où elles ont exigé une plus grande intervention de l’Union européenne et la fin des massacres sionistes.

Ce qui signifie que, si Israël accepte de perdre sans doute un peu, c’est afin de gagner beaucoup. Il peut « sacrifier » Gaza en vue de remporter la plus grande partie de la Cisjordanie et de parachever la judaïsation de Jérusalem. Ce genre de marchandage, Sharon est capable de le risquer, comme s’il avait entièrement confiance à l’avance quant à la fin de la partie. C’est pourquoi il a semblé assumer toutes les formes prises par l’offensive, la ridiculisation et les humiliations reçues de la part de la société des colons et, derrière eux, des partis religieux extrémistes. Mais les Palestiniens submergés par la joie, la joie de remporter – enfin – leur première victoire, comprennent bien, dans leurs diverses composantes et factions, que le véritable, le grand combat, est pour demain et que la libération de Gaza n’a été que les prolégomènes d’un combat plus large, et ils ont plus que jamais besoin de mobiliser leurs capacités très variées, en commençant par renforcer leur unité nationale et de combat. En effet, la division, sous ses différentes formes, représente le piège le plus dangereux qui les attende au tournant depuis le jour même où les sionistes se sont retirés de la bande de Gaza. Le premier danger de ce piège, c’est la querelle de précellence quant à la question de savoir qui gouvernera Gaza ; la libération donnera-t-elle lieu à un combat [fratricide] entre le « Fath » et le « Hamas » ou bien à la rencontre des sages autour d’une table vraiment ronde, où tous les partenaires sont véritablement égaux parce qu’ils partagent les mêmes valeurs nationales et une adhésion commune aux valeurs nationales et la même adhésion aux objectifs de la libération, ainsi qu’à l’efficacité pratique dans les différents secteurs de la vie quotidienne de leur peuple héroïque.

Si Sharon parvient à tromper son peuple en lui faisant croire qu’il acquiert plus de force en se débarrassant du fardeau de l’occupation stérile de Gaza, les Palestiniens ont d’autant plus le droit de déduire de leur victoire éclatante les plus hautes capacités humaines à faire fructifier ce « petit retrait » afin d’obtenir le « grand retrait », le retrait complet de tout leur territoire national. Si Sharon prétend retirer d’une défaite une force de défense accrue pour défendre son occupation aveugle, comment la victoire palestinienne, arabe et humaine, pourrait-elle ne pas représenter une source abondante permettant d’enraciner la crédibilité de la résistance et du défi, ainsi que la légitimité supérieure de la résistance, en ceci qu’elle représente l’unique voie conduisant à cette victoire légitime, avec toutes ses dimensions nationales et universelles ? En effet, la légitimité appartient aujourd’hui à la lutte palestinienne dans ses aspects et ses significations les plus évidents. Personne ne peut remettre en doute cette légitimité éclatante, comme ceux qui, par exemple, parlent de la vanité de la résistance et de son incapacité à produire autre chose que la destruction et des catastrophes accrues pour la population. Il n’est pas de sacrifice palestinien sincère qui ait été vain. Voici que l’occupation s’autodétruit. Voici que la colonisation de peuplement laisse voir qu’elle n’est qu’une tentative de faire gober avec plus ou moins de succès sa puissance d’agression et d’oppression : en réalité, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une occupation militaire, affublée d’oripeaux civils. Le colon n’est qu’un militaire déguisé en civil, qui a acquis une nouvelle qualité : il est devenu un soldat usurpateur et un voleur patenté. Le voleur, à la fin, a été contraint à laisser son butin, non qu’il eût reconnu sa faute, non pas avec l’intention sincère de la réparer, comme aime à s’en vanter Sharon, mais poussé par cette sorte d’effronterie renversée, mâtinée de mensonge tant envers soi-même qu’envers autrui que représente cette nécessité de jouer la défaite ouverte retentissante, devant le monde entier, et qui ne parviendra pas à diffuser une propagande faussement victorieuse à base de valeurs de pardon, d’entraide, de désir de réconciliation avec l’ennemi, comme les trompettes sionistes le répètent ad nauseam en Europe. Sharon ne parviendra pas à dissimuler la défaite du tyran, pour reprendre la définition que donne de lui la conscience des gens.

Au total, le nouveau combat n’en est qu’à ses prémisses. Les données en seront peut-être complètement différentes, après le retrait, saucissonné, de la bande de Gaza, de ce qu’elles étaient avant ce retrait.

Ce qui importe, c’est que, tant au niveau du sens que de la réalité, le combat des justes ne sera jamais vain.

 

Source : Silvia Cattori 290805


 
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