Palestine - Solidarité

   


 

DOSSIER 
Retrait de Gaza

 

 

Une salve d’amour pour Gaza

Elias Khoury

 

Je dois avouer que j’ai eu quelque mauvaise conscience en voyant les larmes des colons. Le langage des larmes est habituellement irrésistible, mais face aux larmes des colons sur le point de quitter les colonies de Gaza je n’ai pas eu l’impression d’être devant une tragédie humaine, mais plutôt devant un spectacle mélodramatique. Oui, j’ai ressenti un peu de culpabilité, il ne faut pas que nos sentiments meurent ou se pétrifient et nul n’a le droit de ne pas être touché par une femme qui pleure ou un gosse perdu parmi les soldats. Nous ne devons pas permettre à l’occupation et à sa barbarie de nous rendre barbares ou de tarir nos émotions.

 

Les larmes versées par les Israéliens en train de quitter une terre qui n’est pas la leur doivent leur rappeler les larmes des Palestiniens qui ont été chassés de leur terre et pourchassés dans les champs de la mort engendrés par la Nakba. Ils pleurent en quittant une colonie bâtie sur des terres confisquées et refusent de voir les larmes des propriétaires légitimes de la terre qui vivent l’humiliation, la misère et l’exil, parce que ce sont justement eux, les Israéliens, qui ont occupé leur terre, détruit leur maison et les ont dispersés sur les chemins de l’exil.

 

Voici le paradoxe humain fabriqué par un monstre appelé « occupation » et par un cauchemar appelé « Israël ».

 

Gaza secoue le monstre des colonies et la nuit des colons. C’était la décision incontournable. Il y a trois ans, Sharon avait dit que Netzarim était Tel-Aviv et les Palestiniens avaient tenté en vain de faire comprendre au bourreau de Sabra et de Chatila que ces mots allaient ouvrir les portes de l’enfer sur la région et que la condition possible de la paix était d’accepter les concessions immenses faites par les Palestiniens.

 

Mais la puissance excessive israélienne l’a guidé vers des choix fous et irréfléchis. Les Israéliens ont dansé sur la musique de l’invasion américaine de l’Irak, ils ont poursuivi à mort le siège de Yasser Arafat, ils ont détruit des milliers de maisons, ils ont tué des centaines d’enfants, ils ont nivelé les terres autour des colonies de Gaza.

 

Puis la vérité se fit. La vérité, c’est qu’ils se retirent avant que leur général ne retire ses mots à propos de Netsarim et de Tel-Aviv. Ils se retirent avec arrogance et impudence, transformant les mots en serpillière et l’idéologie  colonialiste en mascarade.

 

Et demain, si nous leur disons que Netzarim est Tel-Aviv, nous serons accusés de racisme et d’antisémitisme ! Mais nous ne le dirons pas, nous tenterons de les convaincre que Maale Adumim, Beit Ayl, Ariel, et toutes les colonies de la Cisjordanie – y compris celles de Jérusalem – ne sont pas Tel-Aviv et qu’ils doivent les quitter également, leur réponse sera encore plus stupide. Sharon, Nétanyahu ou n’importe quel autre bourreau se lèvera pour faire un prêche biblique au monde, justifiant encore plus d’effusions sanglantes, avant de ravaler sa parole, de démanteler les colonies et de se retirer.

 

Les tragédies des Palestiniens continuent, leurs souffrances sont infinies. La Palestine est encore une fois victime de la démence humaine et de la barbarie de quelques dieux impitoyables. Il est arrivé la même chose dans le passé lointain lorsque les hordes étrangères ont envahi le littoral des Pays de Cham dans son ensemble avant de devoir se retirer, anéantissant l’avancée mongole qui régnait sur Bagdad à l’époque.

 

Il se pourrait que l’état d’Israël soit venu prouver que rien n’a changé sur la face de la terre et que la bêtise humaine et le désir de puissance ont métamorphosé la communauté – victime du 20e siècle par le fait du nazisme – en un impitoyable bourreau.

 

Mais avant de pousser plus avant l’analyse, réjouissons-nous un peu. Les sacrifices du peuple palestinien n’ont pas été perdus, les martyrs des deux Intifadas peuvent s’enorgueillir :  la souffrance et la résistance ont réussi à faire bouger quelque peu le monstre, le mythe de la colonisation commence à se dissiper. Les voici en train de partir, démolissant leurs maisons comme ils ont démoli les nôtres, portant leurs noms et s’en allant.

 

Je n’ai pas cru mes yeux en les voyant creuser les tombeaux et emporter les cadavres de leurs morts. J’ai été pris de peur et de tristesse à la fois. Pourquoi emportent-ils leurs morts ? Les Palestiniens n’ont rien emporté lorsqu’ils ont été chassés de leur pays. Ils ont abandonné les maisons, les arbres, les cimetières, les églises et les mosquées, ils ont laissé derrière eux des générations et des générations de morts, parce que, en fin de compte, la terre appartient aux morts qui y sont enterrés.

 

Je comprends maintenant la peur israélienne face au poème/manifeste de Mahmoud Darwich, écrit pendant la première Intifada. Il leur a dit « Prenez vos noms et partez ». Devant la Knesset israélienne, leur Premier ministre Isaac Shamir avait échangé « vos noms » par « vos morts », ils furent pris de folie furieuse. Les critiques avaient considéré naïvement que le poème était une métaphore, ils n’avaient pas compris que la Palestine était une vérité littéraire tout autant qu’une réalité politique et que la distance entre la métaphore et la réalité n’existait pas dans un pays qui regorgeait de prophètes.

 

Au lieu d’obtempérer aux résolutions de la légalité internationale, ils obéissent à un vers d’un poème palestinien ! Ils l’ont mal lu ! Que feraient-ils demain face au torrent de poèmes et de romans ? Que feraient-ils devant les hommes et les femmes du soleil en train de marteler les portes.

 

La minute de joie devant le démantèlement des colonies et le départ de l’armée d’occupation ne doit pas voiler le fait que le combat n’en est encore qu’à ses débuts. Gaza continuera à être assiégé, l’occupation cherchera à le transformer en une prison, pareille aux bantoustans de l’Afrique du Sud ; la Cisjordanie aura à affronter une hystérie de colonisation répressive sans précédent. La Palestine est encore au début d’un long combat, ceci fait partie du paradoxe d’une lutte qui a ouvert toutes les portes de l’enfer. Malheureusement, nous sommes encore au début du chemin et nous devons nous habituer à l’idée de toujours recommencer, une fois tous les dix ans.

 

Rien ne convaincra les Israéliens de la simple logique que l’occupation est amenée à disparaître, que la Palestine et le Machreq arabe ne seront pas vaincus à tout jamais, car rien ne dure à tout jamais.

 

La victoire partielle à Gaza signifie que l’impossible est devenu possible et que la folie furieuse de la colonisation peut tomber et n’être plus qu’un souvenir. Elle devrait surtout inciter à forger une nouvelle vision de la résistance. Le combat est encore long, car il est chargé de l’absurdité de l’Histoire et de son hypocrisie. Mais avant d’aborder les souffrances futures et les peines à venir, réjouissons-nous un peu et envoyons une salve d’amour à Gaza !

 

Mulhaq d’an-Nahar 21 août 2005

Traduit pour Al-Oufok par Rania SAMARA

 

Source : Liste Assawra. Liste dédiée à l'Intifada ...
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