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IRIN
Monde:
Les portes de la tolérance commencent à s'ouvrir pour les gays
musulmans
Suhail Abou el-Samid plaide pour les musulmans
gays soient reconnus et acceptés
Photo:
Mercedes Sayagues/PlusNews JOHANNESBOURG,
4 décembre 2007 (PlusNews) Suhail Abou el Samid
paraît calme, mais au fond de lui, il tremble. Il est assis
devant une rangée d’oulémas, éminents érudits musulmans,
venus de l’Afghanistan jusqu’au Yémen pour assister à la
Consultation internationale sur l’Islam et le VIH/SIDA, organisée
par le Secours islamique (IRW), une association caritative, à
Johannesbourg, en Afrique du Sud, fin novembre.
Hier, plusieurs d’entre eux ont dénoncé l’homosexualité
comme une pratique contraire à l’Islam. Aujourd’hui, M. Abou
el Samid a quelque chose à leur dire. « En tant que musulman
gay, je ne me sens pas en sécurité, pas aimé et pas respecté,
ici », déclare-t-il. « Si je devenais séropositif, la première
chose que je perdrais, ce serait ma communauté musulmane. Je ne
pourrais pas me tourner vers vous pour avoir votre soutien ».
Dans la salle, la tension est palpable. « J’aimerais que vous
ne fassiez pas allusion aux gays en employant les mots [arabes]
"shaz" et "luti" - pervers et violeurs – car
nous n’en sommes pas », poursuit M. Abou el Samid. Deux hommes
en keffiehs, le foulard à carreaux dont se coiffent les hommes
dans de nombreux pays musulmans, agitent les bras pour le faire
taire, mais le président lui fait un signe de la tête pour
l’inciter à poursuivre.
Captivée, l’audience écoute M. Abou el Samid, ressortissant
jordanien qui vit au Canada, commettre l’impensable : annoncer
publiquement son homosexualité.
Cette consultation révolutionnaire réunissait des leaders de la
communauté musulmane, des universitaires, des médecins, des
travailleurs d’urgence et des activistes séropositifs, rassemblés
pour repenser la position de l’Islam sur la question du VIH et
du sida. L’un des thèmes clés portait sur la prévention du
VIH chez les groupes vulnérables avec lesquels il est difficile
de prendre contact, tels que les travailleuses du sexe, les
enfants des rues, les consommateurs de drogues par injection, et
les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes.
Jaffer Inamdar, fondateur et responsable de programmes séropositif
de la Positive Lives Foundation de Goa, en Inde, a expliqué à
IRIN/PlusNews : « Pendant la haute saison, de septembre à avril,
il y a beaucoup de sexe, de drogues et d’homosexualité, à Goa,
une destination touristique populaire. En employant un langage
dur, qui condamne [les gays], on les incite à fuir, à se cacher
et à continuer de propager le VIH ».
Des lois anti-gays
L’homosexualité est interdite et considérée comme un crime
dans la plupart des pays musulmans. Six pays officiellement
musulmans (l’Iran, la Mauritanie, l’Arabie saoudite, les
Emirats arabes unis, le Yémen, ainsi que 12 Etats du nord du
Nigeria) invoquent la charia – la loi islamique – pour
maintenir la peine de mort en cas de rapports homosexuels
consensuels, selon l’association de défense des droits humains
Amnesty International.
Dans d’autres pays, l’homosexualité est passible d’amendes,
de peines d’emprisonnement ou de coups de fouet, qui
s’accompagnent d’une stigmatisation sociale et d’accusations
portées contre la culture occidentale, qui serait responsable de
l’émergence du style de vie homosexuel.
Il était donc peu étonnant que M. Abou el Samid ait peur : «
J’ai vu leur regard, leur langage corporel, et de mémoire, je
sais qu’une réaction physique peut se produire ». Mais il
n’avait rien à craindre. « Par la suite, des femmes voilées,
des hommes barbus, les plus religieux, sont venus me voir et se
sont excusés d’avoir pu prononcer des paroles offensantes,
d’avoir pu me fait sentir mal-aimé ou en danger ».
Chaque geste amical marquait son appartenance à la communauté.
« C’est comme cela que nous sommes : notre culture est intime
et chaleureuse ; elle repose sur les relations. Quand j’ai
annoncé mon homosexualité à ma famille, elle ne m’a pas tourné
le dos », a déclaré M. Abou el Samid, soulagé, au journaliste
d’IRIN/PlusNews.
Le matin suivant, les oulémas avaient une surprise. Willem van
Eekelen, porte-parole de la conférence et responsable des
politiques de l’IRW, a lu leur déclaration collective. Selon
celle-ci, bien que l’Islam n’accepte pas l’homosexualité,
les leaders musulmans s’efforceront de contribuer à créer un
environnement dans lequel les homosexuels pourront aborder sans
crainte les travailleurs sociaux et recevoir de l’aide pour se
protéger contre le sida.
« C’est la toute première fois que [les participants à] un
forum religieux de haut niveau s’expriment [en faveur des gays],
les reconnaissent et les acceptent », s’est félicité M. Abou
el Samid. « C’est la porte ouverte à des débats avec la
communauté musulmane gay et cela permettra également à
d’autres musulmans gays de se révéler dans un environnement
plus sûr ».
Voir les théologiens des universités d’Egypte et de Syrie,
ainsi que des imams – leaders de la communauté musulmane -
indiens, soudanais et pakistanais braver l’homophobie musulmane
officielle est « sans conteste une grande première », selon le
cheikh Aboul Kalam Azad, président du Conseil Masjid (mosquée)
pour l’avancement de la communauté, au Bangladesh. «
L’homosexualité est un péché, mais nous ne devons pas nous
montrer cruels. Ils [les gays] souffrent beaucoup dans le monde
musulman ».
M. Inamdar s’est réjoui de cette déclaration. « Il y a
beaucoup de gays, dans mon groupe [à Goa]. L’Islam dit que
c’est un péché et nous devons suivre les préceptes de l’Islam,
mais nous sommes tous humains et nous méritons le respect ».
Contre toute attente, le cheikh soudanais Mohammed Hashim el
Hakim, vêtu d’une robe blanche aux ornements dorés et coiffé
d’un turban blanc, sa femme, voilée d’un hijab noir, et leur
bébé juste derrière lui, s’est révélé un précieux allié
dans la lutte pour les droits des homosexuels. Le cheikh el Hakim
dirige le Centre de formation et de conseil S-Smart de Khartoum,
qui gère également plusieurs programmes de sensibilisation au
sida.
« Avant, j’étais très dur avec les homosexuels et les
travailleuses du sexe », a-t-il révélé. « Mais j’ai appris
à respecter leur humanité. Je leur conseille de changer, mais
s’ils veulent continuer, ils doivent avoir des rapports sexuels
sans risque, pour ne pas se faire du mal ou faire du mal à leurs
partenaires ».
L’homosexualité, un péché
M. Abou el Samid, coordinateur du programme du Centre de santé
Sherbourne de Toronto pour les jeunes nouvellement arrivés et
immigrés, avait enduré divers commentaires homophobes au cours
de la consultation, qui a duré une semaine. Pas plus tard que la
veille, un érudit avait classé l’homosexualité dans la catégorie
des péchés à éviter, au même titre que la bestialité et
l’adultère.
« Face à la dureté de ces paroles, j’ai eu une réaction
passionnée ; il fallait que je fasse quelque chose pour défendre
mon identité et ma dignité propres, et celles des autres
musulmans gays », a expliqué M. Abou el Samid. Sa décision de
s’exprimer a été mûrie au sein du groupe de travail dont il
faisait partie dans le cadre de la conférence, composé de
musulmans iraniens, kenyans, sud-africains et tanzaniens.
Sabra Desai, psychologue sud-africaine, a appelé à prendre soin
de son prochain et à se montrer solidaire, en rappelant les
paroles du prophète : « "Si une partie de mon corps fait
mal, tout mon corps a mal" ». « Pour moi, cela veut dire
que si un membre de ma communauté a mal, nous avons tous mal ».
Puis elle a touché la main de M. Abou el Samid sous la table et
lui a tendu le micro.
Lentement, celui-ci a entamé son allocution : « En tant que
musulman gay… », et avec chaque mot prononcé, les portes de la
tolérance s’ouvraient un peu plus. Copyright © IRIN
2007
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