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Foreign Policy
Un
monde sans Islam
Graham E. Fuller
Foreign
Policy
Jan-Fév.
2008
Imaginez,
si vous le souhaitez, un monde sans l’Islam – une situation,
il faut l’admettre, inconcevable, vu la place centrale qu’il
occupe dans nos titres de nouvelles quotidiennes. L’Islam semble
être derrière un large éventail de désordres internationaux :
attentats suicides, voitures piégées, occupations militaires,
luttes de résistance, émeutes, fatwas, jihad, opérations de guérilla,
vidéos de menace et le 11/9 lui-même. « L’Islam »
semble offrir une pierre de touche (un standard de mesure)
analytique simple et instantanée, nous permettant de bien
comprendre le monde convulsif d’aujourd’hui. En effet, pour
quelques néoconservateurs « l’Islamofascisme » est
maintenant notre ennemi juré dans une imminente « troisième
guerre mondiale ».
Mais
permettez-moi un peu. Et s’il n’y avait pas une telle chose
comme l’Islam ? Et s’il n’y avait jamais eu de Prophète
Mohammed, ni de saga de propagation de l’Islam à travers des
grandes parties du Moyen Orient, de l’Asie et de l’Afrique ?
Etant
donné notre actuelle focalisation sur le terrorisme, la guerre et
l’antiaméricanisme rampant – l’un des sujets internationaux
le plus émotionnel aujourd’hui –, il est vital de comprendre
les vraies sources de ces crises. Est-ce l’Islam la source du
problème, ou est-ce que cette source ne se trouve plutôt du côté
de facteurs moins clairs et plus profonds ?
Pour
l’intérêt de l’argumentation, dans un effort d’imagination
historique, faites-vous une image d’un Moyen Orient dans lequel
l’Islam n’est jamais apparu. Serions-nous alors épargnés de
beaucoup des défis qui se trouvent aujourd’hui devant nous ?
Le Moyen Orient serait-il plus pacifique ? De combien le type
des relations Est-Ouest serait-il différent ? Sans
l’Islam, il est sûr que l’ordre international présenterait
une image très différente de celle d’aujourd’hui. Ou le
ferait-il ?
ET
SI PAS D’ISLAM, ALORS QUOI ?
Depuis
les premiers jours d’un large Moyen Orient, l’Islam a
visiblement façonné les normes culturelles voire même les préférences
politiques de ses disciples. Comment pouvons-nous alors séparer
l’islam du Moyen Orient ? Comme il s’avère, ce n’est
pas très difficile à imaginer.
Commençons
par l’aspect ethnique. Sans l’Islam, le visage de la région
va rester complexe et confus. Les groupes dominants au Moyen
Orient -- Arabes, Perses, Turcs, Kurdes, Juifs (est-ce un groupe
ethnique ? et que représente ce groupe quantitativement ?,
ndt.), voire Berbères et Pachtounes – continueront à dominer
la scène politique. Prenez les Perses à titre d’exemple :
Longtemps avant l’Islam, les empires persans successifs se sont
étendus jusqu’aux portes d’Athènes et étaient les rivaux
perpétuels de quiconque habita l’Anatolie. Des peuples sémites
contestant cette hégémonie ont combattu les Perses à travers le
croissant fertile jusqu’à dans l’Irak. Et puis il y a les
forces puissantes des diverses tribus et des commerçants arabes
s’étendant et migrant dans d’autres régions sémites du
Moyen Orient avant l’Islam. Les Mongoles auraient tout de même
envahi et détruit les civilisations de l’Asie centrale et
beaucoup du Moyen Orient dans le 13e siècle. Les Turcs
aurait aussi conquis l’Anatolie, les Balkans jusqu’à Vienne
et une grande partie du Moyen Orient. Ces luttes -- pour le
pouvoir, le territoire, l’influence et le commerce –
existaient bien avant l’arrivée de l’Islam.
Cependant,
c’est trop arbitraire d’exclure complètement la religion de
l’équation. Si en réalité l’Islam n’a jamais émergé, la
majeure partie du Moyen Orient serait restée essentiellement chrétienne
avec ses diverses sectes comme cela a été le cas à l’aube de
l’Islam. En dehors de quelques Zoroastriens et un petit nombre
de Juifs, pas d’autre religion majeure n’était présente.
Mais
est ce que l’harmonie avec l’Ouest aurait-elle régné si le
Moyen Orient était resté chrétien ? On va trop loin. Nous
devrions assumer que le monde européen médiéval agité et
expansif n’avait pas étendu son pouvoir et son hégémonie à
ses voisins de l’Est, en recherche des prises économique et géopolitique.
Après tout, qu’est ce que ce seraient les Croisades si ce n’étaient
pas une aventure occidentale menée essentiellement par des
besoins politique, social et économique ? La bannière du
christianisme était un peu plus qu’un symbole fort, un cri
mobilisateur pour bénir les besoins profanes des Européens
puissants. En effet, la religion particulière des autochtones ne
figurait jamais en tête des causes de l’expansion impériale de
l’Occident à travers la planète. L’Europe a pu parler
d’une manière édifiante de porter « les valeurs chrétiennes
aux autochtones », mais l’objectif évident était d’établir
des avant-postes coloniaux comme sources de richesse pour la métropole
et des bases pour l’expansion du pouvoir occidental.
Ainsi
il est improbable que les habitants chrétiens du Moyen Orient
aient bien reçu le flux des flottes européennes et leurs
marchands soutenus par les fusils occidentaux. L’impérialisme
aurait prospéré dans le mosaïque ethnique complexe de la région–-La
matière brute du vieux jeu de diviser pour mieux régner. Et les
Européens auraient toujours installé les mêmes dirigeants
locaux pliables pour satisfaire leurs besoins.
Avançons
l’heure à l’époque du pétrole au Moyen Orient. Les états
du Moyen Orient, même si chrétiens, aurait-ils bien accepté
l’établissement des protectorats européens sur leur région ?
Certainement pas ! L’Occident aurait toujours construit et
contrôlé les mêmes points d’étranglement comme le canal du
Suez. Ce n’était pas l’Islam qui a fait que les états du
Moyen Orient résistent vigoureusement au projet colonial avec son
nouveau traçage des frontières selon les préférences géopolitiques
européennes. Non plus, ces états chrétiens du Moyen Orient
n’auraient-ils bien accueilli les compagnies pétrolières
occidentales impériales, soutenues par des administrateurs européens,
des diplomates, des agents de renseignements et des armées, pas
plus que ce qu’ont fait les Musulmans. Regardez la longue
histoire des réactions des Américains latins à la domination
des Américains étatsuniens sur leurs pétrole, économie et
politique. Le Moyen Orient serait toujours aussi motivé pour créer
des mouvements nationalistes anticolonialistes pour arracher le
contrôle sur leurs terres, marchés, souveraineté et destinée
de l’emprise étrangère – tout comme les luttes
anticolonialistes dans l’Inde hindou,
la Chine
confucéenne, le Vietnam bouddhiste et l’Afrique chrétienne et
animiste.
Et certainement
les Français se seraient, tout aussi volontiers, étendus sur l’Algérie
chrétienne pour s’emparer des ses riches terres agricoles et établir
une colonie. Aussi, les Italiens ne se sont pas fait gênés par le
christianisme de l’Ethiopie pour transformer ce pays en une colonie
violemment administrée. En bref, il n’y a pas de raison pour croire
que la réaction du Moyen Orient à l’agression colonialiste européenne
aurait changé significativement de la manière dont elle s’est
effectivement déroulée sous l’Islam.
Mais
peut-être le Moyen Orient serait plus démocratique sans l’Islam ?
L’histoire des dictatures en Europe elle-même n’est rassurant
sur ce point. L’Espagne et le Portugal ont fini avec leurs violentes
dictatures seulement en milieu des années 1970.
La Grèce
s’est libérée d’une dictature liée à l’église il y a quelques
dizaines d’années.
La Russie
chrétienne ne s’en est toujours pas sorti. Jusqu’à récemment,
l’Amérique latine accablée par les dictateurs, qui souvent régnaient
avec les bénédictions des USA et avec le partenariat de l’église
catholique. La plupart des nations africaines chrétiennes n’ont
pas eu de meilleure réussite. Pourquoi un Moyen Orient chrétien
se présenterait différemment ?
Et puis
il y a
la Palestine. C
’étaient évidemment les Chrétiens qui ont, honteusement, persécuté
les Juifs durant plus qu’un millénaire culminant par
l’Holocauste. Ces exemples horrifiques d’antisémitisme étaient
bien enracinés dans la culture et les terres chrétiennes
occidentales. Les Juifs auraient donc continué à chercher une patrie
en dehors de l’Europe ; le mouvement sioniste aurait de toute
façon vu le jour et aurait cherché une base en Palestine. Et le
nouvel état juif aurait toujours déplacé les mêmes 750 milles
Arabes natifs de
la Palestine
de leurs terres même s’ils avaient été des Chrétiens--en effet
une partie parmi eux étaient des Chrétiens. Et ces Arabes chrétiens
n’auraient-ils pas combattu pour protéger ou regagner leur propre
terre ? Le problème israélo-palestinien reste au fond un conflit
nationaliste, ethnique et territorial, renforcé seulement récemment
par des slogans religieux. Et n’oublions pas que les Chrétiens
arabes ont joué un rôle majeur dans les débuts du mouvement nationaliste
arabe au Moyen Orient ; en effet, Michel Aflaq, le fondateur
idéologique du premier parti panarabe Al-Baath, était un Chrétien
syrien formé à
la Sorbonne.
Mais
les Chrétiens du Moyen Orient seraient certainement prédisposés
religieusement envers l’Occident ? N’aurions-nous pas évité
tous ces conflits religieux ? En effet, le monde chrétien lui-même
a été déchiré par des hérésies depuis les premiers siècles
du pouvoir chrétien, des hérésies qui étaient devenues des véhicules
des oppositions politiques au pouvoir romain ou byzantin. Loin d’unir
sous la religion, les guerres religieuses de l’Occident cachaient
toujours des luttes plus profondes, ethnique, stratégique,
politique, économique et culturelle pour la domination.
En vérité
cette même référence à un « Moyen Orient chrétien »
cache une animosité vilaine. Sans l’Islam, les peuples du Moyen
Orient seraient restés comme ils étaient à la naissance de l’Islam–-la
plupart des disciples du christianisme orthodoxe oriental. Mais c’est
facile d’oublier que l’une des controverses historiques la plus
violente, la plus virulente et la plus durable fut celle entre l’église
catholique à Rome et le christianisme orthodoxe oriental à Constantinople
– une rancune qui persiste toujours. Les Chrétiens orthodoxes orientaux
n’ont jamais oublié ou pardonné le sac de Constantinople la chrétienne
par les croisés occidentaux en 1204. Presque 800 ans plus tard, en
1999, le pape Jean Paul II chercha à faire quelques petits pas pour
cicatriser la plaie dans la première visite d’un pape catholique
au monde orthodoxe en mille ans. C’était un début, mais le désaccord
entre l’Orient et l’Occident dans un Moyen Orient chrétien serait
plutôt resté comme il est aujourd’hui. Prenez
la Grèce
par exemple : La cause orthodoxe a été un puissant mobile
derrière le nationalisme et le sentiment anti-occidental là bas,
et les passions anti-occidentales dans la politique grecque, il y
a seulement une dizaine d’années, résonnaient des même
suspicions et vues virulentes de l’Occident que nous entendons
aujourd’hui de la part de beaucoup de chefs islamistes.
La
culture de l’église orthodoxe diffère nettement de la
philosophie occidentale de l’après siècle des lumières, qui
insiste sur la laïcité, le capitalisme et la primauté de
l’individu. Elle a encore des peurs résiduelles à propos de
l’Occident similaires dans différents aspects les incertitudes
des Musulmans d’aujourd’hui : des craintes du prosélytisme
missionnaire occidental, la perception de la religion comme un
vecteur clé pour la protection et la préservation de leurs
propres communautés et culture, et une suspicion du caractère
« corrompu » et impérial d l’Occident. En effet,
dans un Moyen Orient chrétien orthodoxe, Moscou aurait joui
d’une influence spéciale, même aujourd’hui, comme le dernier
centre important de l’Orthodoxie orientale. Le monde orthodoxe
serait resté une arène géopolitique clé pour la rivalité
Est-Ouest dans la guerre froide. Après tout, Samuel Huntington, a
inclut le monde chrétien orthodoxe parmi les plusieurs
civilisations impliquées dans le choc culturel avec l’Occident.
Aujourd’hui,
l’occupation US de l’Irak ne serait mieux accueillie si les
Irakiens étaient des Chrétiens. Les Etats-Unis n’ont pas
renversé Saddam Hussein, un chef profondément laïque et
nationaliste, parce qu’il était musulman. D’autres peuples
arabes auraient toujours soutenu les Arabes irakiens dans leur
traumatisme de l’occupation. Nulle part les gens ne se réjouissent
de l’occupation et la tuerie de leurs concitoyens aux mains des
troupes étrangères. En effet, des groupes menacés par de telles
forces externes s’efforcent toujours de trouver des idéologies
appropriées pour glorifier leur lutte de résistance. La religion
est l’une de telles idéologies.
Voilà
donc le portrait d’un putatif « monde sans Islam ».
C’est un Moyen Orient dominé par le christianisme orthodoxe
oriental -- une église historiquement et psychologiquement méfiante
de, voire hostile à, l’Occident. Même déchiré par des différences
importantes ethniques, voire sectaires, ce Moyen Orient possède
un sens aigu de conscience historique et de griefs contre
l’Occident. Il a été envahi à plusieurs reprises par des armés
impérialistes occidentaux ; ses ressources pillées ;
ces frontières redessinées par des décrets occidentaux en
conformité avec les différents intérêts de l’Occident ;
et des régimes installés accommodants aux dictats occidentaux.
La Palestine
brulerait toujours. L’Iran serait toujours profondément
nationaliste. Nous verrions toujours les Palestiniens résister
contre les Juifs, les Tchéchènes résister contre les Russes,
les Iraniens résister contre les Britanniques et les Américains,
les Cachemiris résister contre les Indiens, les Tamiles résister
contre les Cingalais au Sri Lanka, et les Uigurs et les Tibétains
résister contre les Chinois. Le Moyen Orient aurait toujours un
modèle historique glorieux–-le grande empire byzantin avec plus
de 2000 ans d’histoire-–avec lequel il s’identifierait comme
un symbole historique et religieux. Ceci, à plusieurs égards,
perpétuerait le fossé Est-Ouest.
Ceci
ne présente pas une image réconfortante et complètement
pacifique.
SOUS
LA BANNIERE
DU
PROPHETE
Evidemment,
il est absurde de prétendre que l’existence de l’Islam n’a
pas eu d’impact indépendant sur le Moyen Orient ou sur les
relations Est-Ouest. L’Islam a fourni une force unificatrice
d’un haut niveau à travers une large région. Comme une foi
universelle, elle a créé une vaste civilisation qui partage des
principes communs de philosophie, arts et société ; une
vision d’une vie morale ; un sens de justice, jurisprudence
et une bonne gouvernance – le tout dans une culture raffinée
profondément enracinée. Comme une culture et une force morale,
l’Islam a aidé à combler les différences ethniques entre les
divers peuples musulmans, les encourageant à se sentir concernés
comme une part d’un plus grand projet civilisationnel musulman.
Rien que cela donne à ce projet un poids important. L’Islam a
également affecté la géographie politique : S’il n’y
avait pas eu d’Islam, les pays musulmans de l’Asie du Sud et
du Sud-est–-notamment le Pakistan, le Bangladesh,
la Malaisie
et l’Indonésie—seraient aujourd’hui enracinés dans le
monde hindou.
La
civilisation islamique fournissait un idéal commun auquel tous
les Musulmans pouvaient faire appel au nom de la résistance
contre l’empiètement occidental. Même si cet appel échouait
à arrêter la marée impériale occidentale, il a créé une mémoire
culturelle d’un destin généralement partagé qui n’a pas
disparu. Les Européens étaient capables de diviser et conquérir
beaucoup de peuples africains, asiens et américains latins qui
sont tombés séparément devant la puissance occidentale. Une résistance
transnationale unie entre ces peuples, était difficile à
atteindre dans l’absence de tout symbole commun ethnique ou
culturel pour la résistance.
Dans
un monde sans Islam, l’impérialisme occidental aurait trouvé
la tache de diviser, conquérir et dominer le Moyen Orient et
l’Asie, bien plus facile. Il n’y aurait pas eu de mémoire
culturelle collective d’humiliation et de défaite à travers
une vaste région. Cela est la raison principale qui explique
pourquoi les Etats-Unis sont en train de se casser les dents sur
le monde musulman. Aujourd’hui, les intercommunications globales
et les images satellitaires partagées ont créé une forte
auto-conscience parmi les Musulmans et un sens d’un plus grand
siège impérial occidental contre une culture islamique partagée.
Ce siège ne concerne pas la modernité ; il concerne la quête
occidentale incessante pour la domination de l’espace stratégique,
les ressources et même la culture du monde musulman--le trajet
pour créer un Moyen Orient « pro-américain ».
Malheureusement, les Etats-Unis supposent naïvement que l’islam
est tout ce qui se met sur son chemin menant au prix à gagner.
Mais
quid du terrorisme--la question la plus urgente que l’Occident
associe presque immédiatement avec l’Islam aujourd’hui ?
Dans une nette franchise, le 11/9, aurait-il eu lieu sans
l’Islam ? Si les griefs du Moyen Orient, enracinés dans
des années de colère émotionnelle et politique contre les
actions et la politique US, ont été enveloppés dans une autre
bannière, est ce que les choses auraient-elles largement différentes ?
Encore, il est important de se rappeler combien facilement la
religion peut-elle être invoquée même si d’autres rancunes de
longue-date sont à blâmer. Le 11 septembre 2001 n’était pas
le début de l’histoire. Pour les pirates de l’air d’al-Qaïda
l’Islam jouait le rôle d’une loupe dans le soleil,
rassemblant ces griefs collectifs répandus et partagés, et les
concentrant dans un rayon intense, un moment de clarté de
l’action envers un envahisseur étranger.
Dans
la focalisation de l’Occident sur le terrorisme au nom de
l’Islam, les mémoires sont courtes. Les guérillas juives
utilisaient le terrorisme contre les Britanniques en Palestine.
Les Tamiles hindous sri-lankais « Tigers » ont inventé
l’art du gilet du suicide et pendant plus d’une décennie ils
ont dirigé le monde dans le recours aux attenants suicides--don
l’assassinat du premier ministre indien Rajiv Gandhi. Les
terroristes grecques ont effectuée des opérations d’assassinat
contre les officiels US à Athènes. Le terrorisme organisé sikh
a tué Indira Gandhi, semé le chaos en Inde, instauré une base
extérieure au Canada et abattu un vol Air India sur
l’Atlantique. Les terroristes macédoniens étaient largement
craints tout à travers les Balkans à la veille de la première
guerre mondiale. Des douzaines d’assassinats majeurs à la fin
du 19e et au début du 20e siècles ont été
exécutés par des « anarchistes » européens et américains
semant une peur collective. La l’Armée de
la République
Irlandaise
(IRA) a développé un terrorisme effective brutale contre les
Britanniques durant des décennies, tout comme ont fait les guérillas
communistes et les terroristes au Vietnam contre les Américains,
les communistes malais contre les soldats britanniques dans les
années 1950, les terroristes Mau-Mau contre les officiers
britanniques à Kenya--et le liste continue. Il n’y a pas besoin
d’un Musulman pour faire du terrorisme.
Même
l’histoire récente de l’activité terroriste n’est pas très
différente. Selon Europol, 498 attaques terroristes ont eu lieu dans
l’Union Européenne en 2006. Parmi elles, 424 étaient perpétrées
par des groupes séparatistes, 55 par des extrémistes de la gauche
et 18 par divers d’autres terroristes. Seulement un attentat a
été commis par des islamistes. Pour être complet, il y avait un
nombre d’attentats déjoués dans une communauté musulmane hautement
surveillée. Mais ces nombres révèlent le large éventail idéologique
des terroristes potentiels dans le monde.
Est-il
alors très difficile d’imaginer les Arabes--chrétiens ou
musulmans--, en colère contre Israël ou les invasions, les renversements
et les interventions perpétuelles de l’impérialisme, faisant recours
à des actes similaires de terrorisme et de guérilla. La question
pourrait être plutôt, pourquoi ceci n’a pas eu lieu plus tôt ?
Comme les groupes radicaux expriment les griefs dans notre monde
globalisé, pourquoi nous ne devrions pas nous attendre à ce qu’ils
portent leur lutte au cœur de l’Occident ?
Si l’Islam
déteste la modernité, pourquoi il avait attendu jusqu’au le 11/9
pour lancer ces attaques. Et pourquoi des penseurs islamiques majeurs
au début du 20e siècle parlèrent du besoin d’adopter
la modernité tout en protégeant la culture islamique ? La cause
d’Oussama Bin Laden dans ses premiers jours ne concernait pas la
modernité du tout--il a parlé de
la Palestine
, des bottes américaines sur les terres de l’Arabie Saoudite, des
gouverneurs saoudiens sous le contrôle des Etats-Unis, et des
« croisés » modernes. Il est frappant qu’il fallait
attendre aussi tard que 2001 pour voir la première grande ébullition
de la colère musulmane sur le sol des Etats-Unis, en réaction à
la politique US et à des événements accumulés tout autant historiques
et récents. Si ce n’était pas le 11/9, un événement similaire
était fatalement à arriver.
Et même
si l’Islam comme un vecteur de résistance n’avait jamais
existé, le Marxisme l’a fait. C’est une idéologie qui a engendré
un nombre incalculable de terroristes, de guérilla et des mouvements
de libération nationale. Il a façonné l’ETA basque, le FARC en
Colombie, le Shining Path en Pérou, et
la Faction
de l’Armée Rouge en Europe pour ne nommer que quelques uns en
Occident. George Habash, le fondateur du meurtrier Front Populaire
de
la Libération
de
la Palestine
, était un chrétien grec orthodoxe et un marxiste qui avait étudié
à l’université Américaine de Beyrouth. Dans une époque où le
nationalisme arabe en colère flirtait avec un Marxisme violent, beaucoup
de Palestiniens chrétiens ont accordé leur soutien à Habash.
Les
gens qui résistent des oppresseurs étrangers cherchent des bannières
pour propager et glorifier la cause de leur lutte. L’internationale
lutte des classes pour la justice fournit un bon élément
mobilisateur. Le nationalisme est encore mieux. Mais la religion fournit
le meilleur de tous, en faisant appel aux plus hautes énergies pour
défendre sa cause. Et partout, la religion peut toujours servir pour
soutenir l’ethnicité et le nationalisme alors même qu’elle les
transcende--notamment si l’ennemi est d’une religion différente.
Dans de tels cas, la religion cesse d’être essentiellement la source
d’affrontement et de confrontation mais plutôt son véhicule. La
bannière du moment peu disparaître mais les griefs demeurent.
Nous
vivons une époque où le terrorisme est l’outil de choix du
faible. Il entrave déjà la puissance sans précédent des armés
US en Irak, Afghanistan et ailleurs. Et c’est ainsi que Bin Laden
dans beaucoup de sociétés non-musulmanes fut appelé le « prochain
Che Guevara ». Ce n’est rien moins que l’attrait d’une
résistance réussie contre le pouvoir américain dominant, le faible
contre-attaque. Un attrait qui transcende l’Islam ou la culture
du Moyen Orient.
ENCORE
PLUS DE
LA MEME
CHOSE
Mais
les questions demeurent, si l’Islam n’a pas existé, le monde
serait-il plus pacifique ? Devant ces tensions entre l’Est
et l’Ouest, l’Islam ajoute incontestablement un élément supplémentaire
émotionnel, une couche supplémentaire de complications pour trouver
des solutions. L’Islam n’est pas la cause de tels problèmes.
Cela peut paraître raffiné de chercher des passages dans le Coran
qui semblent expliquer « pourquoi ils nous haïssent ».
Mais cela s’éloigne aveuglement de la nature du phénomène. Quelle
idée confortable que d’identifier l’Islam comme la source
« du problème » ; c’est certainement bien plus
facile que d’explorer l’impact de l’empreinte globale massive
de l’unique super puissance du monde.
Un monde
sans Islam verrait toujours la plupart des rivalités tenaces meurtrières
dont les guerres et les malheurs dominent la scène géopolitique.
Si ce n’était pas la religion, tous ces groupes auraient trouvé
d’autres bannières en dessous desquelles ils exprimeraient leur
nationalisme et leur quête pour l’indépendance. Bien sûr, l’histoire
n’aurait pas suivi exactement le même chemin comme elle l’a
fait. Mais au fond, le conflit entre l’Est et l’Ouest reste toujours
à propos des grandes questions historiques et géopolitiques de l’histoire
humaine : l’ethnicité, le nationalisme, l’ambition,
l’avidité, les ressources, les chefs locaux, le territoire de
domination, le profit financier, le pouvoir, les interventions et
la haine des étrangers, des envahisseurs et des impérialistes. Confronté
à des questions intemporelles comme celles-ci, comment le pouvoir
de la religion pourrait-il n’être pas invoqué ?
Souvenons-nous
aussi que pratiquement tous les principaux horreurs du 20e
siècle vinrent presque exclusivement des régimes strictement laïques :
Léopold ii de Belgique au Congo, Hitler, Mussolini, Lénine et
Staline, Mao et Pol Pot. C’étaient les Européens qui ont imposé
leurs « guerres mondiales » par deux fois au reste du
monde--deux conflits globaux dévastateurs sans aucun vague parallèle
dans l’histoire islamique.
Quelques-uns
aujourd’hui pourraient souhaiter un « monde sans Islam »
dans lequel ces problèmes n’auraient vraisemblablement jamais
eu lieu. Mais, en vérité, les conflits, les rivalités et les
crises d’un tel monde pourraient ne pas apparaître si largement
différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui.
* Graham E. Fuller est un
précédent vice président du conseil national des renseignements
« National Intelligence Council » à
la CIA
, chargé des prévisions stratégiques à long terme. Il est
actuellement professeur adjoint d’histoire à l’université
Simon Fraser à Vancouver. Il est l’auteur de plusieurs livres
sur le Moyen Orient, dont « L’Avenir de l’Islam
Politique » (chez Palgrave Macmillan, New York, 2003).
http://www.foreignpolicy.com/users/login.php?story_id=4094&URL=
http://www.foreignpolicy.com/story/cms.php?story_id=4094
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