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Opinion
Prisonniers palestiniens d'al-Qods et des territoires occupés en
48:
la menace de la déportation (2)
Fadwa Nassar
La prison de Gilboa
Lundi 8 novembre 2010
La récente décision du ministère des Awqaf de
l’Autorité palestinienne de Ramallah de supprimer les dons
accordés par le royaume saoudien aux pèlerins membres des
familles des prisonniers d’al-Qods et des territoires de 48 pose
à nouveau la question du statut de ces prisonniers pour
l’Autorité palestinienne. En effet, le nouveau scandale a éclaté
et une conférence de presse a été organisée samedi 6 novembre
par les associations des prisonniers d’al-Qods et des
Palestiniens de 48 pour dénoncer ce qu’ils ont appelé « le vol
et le détournement des dons par le ministre des Awqaf ». 200
pèlerins membres des familles des prisonniers ont été rayés de
la liste par le ministre qui les a remplacés par d’autres noms,
« dont 30 pour sa garde personnelle », d’après Mounir Mansour,
ancien prisonnier de 48 et libéré lors de l’échange en 1985.
« Les pèlerins étaient prêts, ils avaient fourni tous les
papiers nécessaires » a-t-il ajouté avant de réclamer la
démission du ministre al-Habbash, responsable de « ce
détournement ». Les familles présentes à la conférence de presse
et qui s’étaient préparées pour le pèlerinage ont dénoncé les
accords d’Olso, responsables à leur avis de cette situation
honteuse, où les prisonniers d’al-Qods et des territoires de 48
ont été entièrement abandonnés par l’Autorité palestinienne de
Ramallah.
Le statut particulier que les sionistes ont réservé à
la ville occupée d’al-Qods, que ce soit dans sa partie orientale
ou sa partie occidentale, agit directement sur la population, et
notamment sur les prisonniers. Pour l’occupant, la partie
occidentale de la ville fait partie de l’Etat sioniste depuis
qu’il l’a raflée en 1948 sous les yeux des Nations-Unies et de
la « communauté internationale », après avoir commis des
massacres dans ses quartiers et les villages environnants pour
expulser tous les Palestiniens qui y vivaient. Après avoir
occupé en 1967 la partie orientale de la ville, appelée
Jérusalem-Est, le parlement sioniste vote son annexion, la
séparant juridiquement des autres territoires occupés en juin
1967. Ainsi, la population maqdisie obtient un statut spécial,
caractérisé par l’obtention d’une carte de résidence, de couleur
bleue. Cette carte bleue est devenue, notamment depuis
l’accélération de la judaïsation d’al-Qods, un outil de pression
et de chantage entre les mains de l’occupant. Des dizaines de
milliers de Maqdisis l’ont déjà perdue à cause du mur de
l’annexion qui encercle la ville et la municipalité sioniste
prévoit la confiscation de milliers d’autres, en vue de réduire
le nombre de Palestiniens détenteurs de cette carte, pour les
expulser hors de leur ville.
Lors des élections législatives de l’Autorité palestinienne en
2006, les sionistes avaient menacé d’arrêter quiconque des
Maqdisis serait candidat ou même participerait à la campagne
électorale. Onze personnalités avaient été arrêtées, avant les
élections, puis relâchées en contrepartie du paiment de milliers
de dollars. Après les élections et la victoire du Hamas,
l’occupant lance une vaste opération d’enlèvements des députés
élus, dont Mohammad Abou Tayr, élu islamiste pour la ville d’al-Qods.
Mohammad Abou Tayr n’est pas inconnu des prisons « israéliennes
». Il avait déjà été arrêté en 1974 puis libéré en 1985 (grâce à
l’opération d’échanges menée par le FPLP-commandement général) ;
au cours de la première intifada, il est déporté en 1988 vers
Marj Zouhour au sud du Liban avec 415 dirigeants palestiniens du
Hamas et du Jihad islamique (cette déportation massive des
cadres islamiques de la résistance s’était triomphalement
terminée avec leur retour au pays).
Suite à son enlèvement le 29/6/ 2006 à l’instar d’autres députés
du bloc du changement et de la réforme (Hamas), le député Abou
Tayr est libéré début 2010, mais sa libération est assortie de
la confiscation de ses pièces d’identité (carte bleue) et d’un
ordre d’expulsion de la ville, à la date du 19/6/2010. Il refuse
sa déportation. Il est alors de nouveau emprisonné. Deux autres
députés, Ahmad Atoun et Mohammad Tawtah et un ancien ministre du
gouvernement du Hamas, Khaled Abou Arfa, qui avaient été arrêtés
dans les mêmes conditions puis libérés, sont également menacés
de déportation. Ayant précédé la date limite qui était le 3
juillet 2010, ils se sont réfugiés dans les locaux de la
Croix-Rouge internationale et mènent, à partir de ce lieu, une
campagne contre la déportation de 300 personnalités maqdisies,
menacées par la même mesure.
C’est aujourd’hui la menace de déportation qui pèse sur les
prisonniers maqdisis en échange de leur libération. Mais cette
menace pèse également sur les cadres et militants prisonniers
vivant en Palestine occupée dès 1948. Les récentes lois racistes
proposées par le gouvernement Netanyahu ou par des députés de
l’extrême-droite sioniste menacent de plus en plus les
Palestiniens restés dans leur pays, et au-delà les prisonniers.
Des menaces claires ont été exprimées à partir de la loi sur la
proclamation de la fidélité à l’Etat juif. En effet, le premier
novembre dernier, un journaliste « israélien », Haïm Shayn,
proposait l’application de cette loi au prisonnier Ameer Makhoul,
arrêté en mai dernier et accusé de « collaboration avec l’ennemi
», soit sa déportation, alors qu’il n’est même pas encore
comparu devant le tribunal sioniste. Ce journaliste conclut son
article par cette menace: « Tout Etat se garde le droit
d’accorder la citoyenneté et de la retirer dans des conditions
précises. La loi de la citoyenneté dans l’Etat d’Israël accorde
au ministre de l’intérieur le droit de retirer la citoyenneté
lorsque la fidélité à l’Etat d’Israël a été bafouée. La
collaboration avec un agent étranger en est l’exemple le plus
évident. Il est donc utile que le ministre de l’intérieur exerce
ses prérogatives pour transmettre le message disant qu’il n’y a
pas de droits de la citoyenneté sans fidélité civile ». Ce
journaliste et les sionistes comme lui ne peuvent concevoir que
l’appartenance et la fidélité des Palestiniens à la patrie
palestinienne millénaire se situent au-delà et même balaient une
« fidélité à un Etat juif sioniste » temporaire et éphémère.
Cette nouvelle menace qui pèse particulièrement sur les
prisonniers palestiniens de 48 et d’al-Qods n’aurait pu
s’exercer si ces derniers n’avaient pas été progressivement
abandonnés depuis les accords d’Oslo au bon vouloir de
l’occupation.
La jeunesse des prisonniers
témoigne de la continuité de la lutte
Qui sont ces prisonniers originaires de la ville d’al-Qods et
des territoires de 48 ? Près de 70 ans d’entre eux ont été
détenus avant les accords d’Oslo et l’instauration de l’Autorité
palestinienne : environ 50 prisonniers pour la ville d’al-Quds
et 20 pour les territoires occupés en 48. Cependant, la majeure
partie des prisonniers de 48 ont été arrêtés dans les années 80,
alors que la majorité des prisonniers d’al-Qods ont été détenus
à la fin des années 80 et au début des années 90, juste avant
les accords d’Oslo. Pour les prisonniers de 48, l’invasion du
Liban et le massacre commis dans les camps de Sabra et Chatila
ont directement agi sur leur conscience de lutte, comme
l’explique le prisonnier Walid Duqqa, ancien membre du Front
populaire de libération de la Palestine, qui a pris les armes
contre l’occupant avant d’être arrêté le 25/3/1986. Beaucoup de
Palestiniens de 48 réagissent également à la violente répression
menée par l’occupant au cours de la première intifada en prenant
les armes pour combattre les sionistes.
Par ailleurs, une récente étude indique la jeunesse des
prisonniers d’al-Qods. Si 47 prisonniers sont âgés de plus de 40
ans, 102 d’entre eux sont âgés entre 30 et 40 ans et 116 sont
âgés entre 20 et 30 ans. Originaires de la plupart des quartiers
d’al-Qods, beaucoup sont originaires de Selwan (avec 44
prisonniers dont 22 condamnés à perpétuité comme Fouad Razim et
Ibrahim Sarahné), de Jabal Mukabber (28 prisonniers dont Ibrahim
Machaal, condamné à la perpétuité), de Beit Hanina (24
prisonniers, dont Ayman Abou Khalil, condamné à la perpétuité)
ou de Issawiya (26, dont Ahmad Mohammad Ubayd, condamné à la
perpétuité). La famille Abbassi de Selwan tient le record du
nombre de ses membres prisonniers, avec 6 de ses membres détenus
: Wissam Saïd Moussa, âgé de 32 ans et condamné à la prison à
vie, Mohammad Youssef Abbassi, âgé de 34 ans et condamné à 10
ans de prison, Imad Aziz Abbassi, âgé de 29 ans et condamné à 9
ans de prison, Alaa Eddine Mahmoud Abbassi, âgé de 37 ans et
condamné à vie, Bashar Mohammad Abbassi, âgé de 31 ans et
condamné à 5 ans de prison, Ibrahim Mohammad Abbassi, âgé de 48
ans et condamné à 18 ans de prison.
Les 123 prisonniers des territoires occupés en 48 sont en
majorité originaires des bourgades et villes d’al-Jalil et du
Muthallath (17 prisonniers de la seule ville d’Umm al-Fahem),
d’al-Naqab ( 14 prisonniers) , et des villes côtières (8
prisonniers de Lid), d’après une étude récente parue en 2009. 20
d’entre eux sont considérés comme des anciens prisonniers, ayant
été arrêtés avant les accords d’Oslo, et 27 d’entre eux sont
condamnés à une ou plusieurs perpétuités, comme les trois
membres de la famille Aghbarieh, arrêtés en 1992 et 1996 ; ou
Mohammad Anabtawi, arrêté en 2004 ; ou Ibrahim Mohammad Bakri et
Yassine Hassan Bakri, du village de Baané dans al-Jalil, arrêtés
en 2002 et condamnés tous les deux à 9 perpétuités et 30 ans de
prison, la plus lourde condamnation parmi les prisonniers de 48.
Plus de 100 prisonniers de 48 ont été arrêtés et detenus depuis
l’Intifada al-Aqsa, en 2000. Ils sont souvent jeunes et les
lourdes condamnations témoignent de leur participation à la
lutte armée contre l’occupant.
Condamné à la prison à vie, Walid Nimr Duqqa consacre une grande
partie de son temps en prison pour écrire, articles politiques
ou consacrés aux prisonniers. Il participe, à partir de la
prison, au débat politique qui secoue la société palestinienne
quant à l’avenir de l’Autorité et ses choix de négocier ou aux
perspectives de lutte des Palestiniens de 48. Il écrit également
pour faire connaître les conditions de détention ou éclairer la
personnalité de certains de ses compagnons de cellules. Après la
bataille et le massacre du camp de Jénine en 2002, il s’est
retrouvé dans la même prison que les principaux défenseurs
rescapés du camp appartenant aux organisations du Jihad
islamique, du Hamas, du Fateh et du Front populaire de la
libération de la Palestine. Il a alors entrepris de les
interroger sur les préparatifs et le déroulement de cette
bataille héroïque qui s’est achevée par un massacre où les
sionistes se sont vengés contre la population en détruisant le
camp. Son livre reste un des documents originaux les plus
importants sur la bataille et le massacre du camp de Jénine.
Mais Walid Duqqa a également brossé un portrait émouvant d’un de
ses anciens compagnons de prison, le prisonnier Alaa Eddine
Baziane, prisonnier d’al-Quds, qui a perdu la vue alors qu’il
menait une opération contre l’occupant dans les années 70. Alaa
Eddine Baziane avait été libéré lors de l’opération d’échange en
1985, mais les sionistes l’ont à nouveau arrêté en 1986 et
condamné à la prison à vie. Non-voyant, Alaa Eddine Baziane
reste encore le modèle du militant courageux, ordonné, de bonne
humeur et participant à toutes les luttes des prisonniers. Le
texte du prisonnier Walid Duqqa sur le prisonnier Alaa Eddine
Baziane est l’un des plus beaux hommages qui lui furent
consacrés jusqu’à présent : « Alaa Dine n'est pas le nom
d'un héros mythique, mais le nom d'un héros qui vit parmi nous,
dans la prison de Ramleh, à cette époque où il n'y a plus de
légendes, de mythes et de fables, où les gens ne croient plus
qu'aux faits vivants et palpables. Alaa a été enterré vivant
dans les souterrains des prisons, depuis plus d'un quart de
siècle… Lorsque nous chantons "nos yeux pour la patrie", pour
Alaa, ce n'est ni un hymne, ni une rhétorique, ni une métaphore
linguistique. Lorsque sa ville, al-Qods, lui a réclamé toute sa
lumière, il lui a remis toute celle par laquelle il voit. Alaa
refuse d'être une légende ou une icône pendue aux murs ou de
ceux qui ont transformé la souffrance en exposition, et la
patrie en patrimoine. Il a toujours insisté pour rester ce
militant humain avec tout la signification qu'impliquent ces
mots, avec la profondeur révolutionnaire, la simplicité et
l'humilité en même temps, pour que la patrie ne se transforme
pas en pseudo-patrie…. Comment se comporte Alaa lors des
affrontements violents entre nous et les geôliers ? Comment Alaa
évite-t-il le gaz lacrymogène et les matraques qui tombent sur
lui sans qu'il ne puisse prévoir dans quelle direction elles
vont agir ? L'obscurité éternelle n'intercède-t-elle pas en sa
faveur ? Nous avons oublié, mon ami, de te demander comment tu
rassembles tes vêtements et tes affaires personnelles après
chaque fouille violente qui laisse derrière elle un tas au
centre de la cellule ? Nous avons oublié de te demander comment
tu accomplis les gestes les plus simples comme le fait de nouer
les lacets, de marcher du lit vers les toilettes, lorsque la
géographie des lieux change après chaque transfert d'une prison
à l'autre ? Car Alaa Dine est transféré, menotté et les pieds
attachés, comme tous les prisonniers, afin qu'il ne puisse pas
s'enfuir... »
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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