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Counterpunch
Lettre
ouverte au Président Sarkozy
Sur l'échange humanitaire de prisonniers
politiques en Colombie et aux Etats-Unis
James Petras
Ingrid Betancourt
Le 12 décembre 2007
Article original :"Open
Letter to President Sarkozy (On the Humanitarian Exchange of
Political Prisoners in Colombia and the United States)"
J'ai lu avec grand intérêt la lettre que vous avez écrite
à Manuel Marulanda, le dirigeant des FARC. Je partage avec vous
cet élan humanitaire pour mettre fin à l'emprisonnement des
prisonniers politiques en Colombie. Cependant, soyons clairs, de
principes et réalistes à ce sujet : La liberté des prisonniers
politiques détenus par les FARC dépend d'une contrepartie : la
libération des combattants de la résistance des FARC, emprisonnés
dans les donjons de l'Etat colombien.
Votre intervention spectaculaire et hautement médiatisée a
concentré l'opinion publique mondiale sur les prisonniers détenus
par les FARC, mais vous avez omis de mentionner la situation désespérée
des prisonniers politiques détenus par le gouvernement colombien,
qui sont torturés et brutalisés par un Président, dont les
nombreux et très proches associés au Congrès attendent leur
procès pour leurs liens de longue date avec les escadrons de la
mort paramilitaires et les narcotrafiquants.
Repartons de zéro, Monsieur le Président. Si vous voulez être
un médiateur honnête ou un dirigeant humanitaire important, vous
devez agir avec impartialité dans un esprit de réciprocité.
Jusqu'à présent, vous avez agi de façon partiale, ce qui n'est
pas favorable à une résolution positive d'échange de
prisonniers. Dans vos courts appels, hautement médiatisés, vous
n'avez pas agi de bonne foi et avec équanimité.
Par exemple, début décembre, vous avez appelé
"solennellement" les FARC (spécifiquement leur Secrétaire,
Manuel Marulanda) à libérer unilatéralement leurs prisonniers,
dont Ingrid Betancourt, sans aucun appel parallèle au Président
Uribe de libérer ses prisonniers et ceux détenus aux Etats-Unis.
Votre appel ressemble plus à un coup de pub sans substance à la
"solennité" théâtrale. Pensez-vous que le dirigeant légendaire
le plus astucieux de la guérilla latino-américaine puisse être
intimidé par votre rhétorique plaçant la responsabilité de la
vie d'Ingrid Betancourt sur les épaules de Marulanda ? Votre
moralité coloniale duale n'a convaincu personne et n'a
certainement pas fait avancer le processus des négociations.
Votre posture éthique a peut-être régalé, à Paris, quelques
anciens maoïstes quinquagénaires devenus des philosophes à la
petite semaine, mais elle n'a aucune place pour traiter avec des révolutionnaires
sérieux et suffisants.
Permettez-moi de vous suggérer, puisque vous avez formé une
telle relation charnelle avec votre "bon ami" le Président
Bush, que vous retourniez vos charmes sur lui et que vous lui
disiez de renvoyer en Colombie les deux dirigeants FARC qu'il détient,
en échange des trois agents contre-insurrection, prisonniers dans
une geôle des FARC et comme partie d'un échange global de
prisonniers. La réciprocité, Monsieur, est sine qua non
de toute négociation entre égaux.
Deuxièmement, vous avez formulé publiquement votre désaccord
sur les "méthodes" et les "objectifs" des
FARC, mais pas sur les méthodes d'Uribe. Ce n'est certainement
pas une façon de commencer des négociations. Cela donne
l'apparence qu'Uribe est un homme politique démocrate, ce qui est
à l'opposé de tous les rapports des Nations-Unies, de la
Colombie, de l'Organisation des Etats Américains, de
l'Organisation Internationale du Travail, des Droits de l'Homme,
qui montrent documents à l'appui que la Colombie est l'endroit le
plus dangereux du monde pour les journalistes, les syndicalistes,
les avocats des droits de l'homme et les leaders paysans, à cause
du terrorisme soutenu par l'Etat. Il est audacieux de votre part,
Monsieur le Président, de mettre en doute les qualifications
morales des FARC, alors que vous-même et votre Ministre des
Affaires Etrangères, Bernard Kouchner, avez donné à l'Etat
d'Israël votre soutien sans condition, malgré le fait qu'ils détiennent
plus de 10.000 prisonniers politiques, dont la plupart a été
brutalement torturée et dont beaucoup n'ont jamais été mis
officiellement en accusation ou jugés. Un régime comme le vôtre,
dont les ministres des affaires étrangères donnent leur aval à
l'étranglement économique de tout le peuple de Gaza (en coupant
la nourriture, les médicaments, l'eau et l'électricité) et au
bain de sang étasunien en Irak, n'a aucune autorité morale pour
donner des leçons sur les "méthodes" et les
"objectifs". Monsieur le Président, je m'en tiendrai à
ce sujet : Les FARC ne détiennent pas 10.000 prisonniers
politiques, à l'instar de votre allié, l'Etat juif ; il
n'envahit pas non plus, ni ne colonise des pays indépendants
comme le fait votre "bon ami", le Président Bush.
Maintenant que j'ai levé le voile sur l'hypocrisie gauloise,
tournons-nous vers quelques-unes des vraies questions dont dépend
l'ouverture des négociations.
Le lieu des négociations.
L'insistance des FARC sur un lieu spécifique n'est pas un choix
de feuillage et de faune, mais une garantie de leur sécurité
face aux nombreux accords que le régime d'Uribe a rompus.
Monsieur Sarkozy, votre insistance, oui, votre exigence, pour une
"preuve photographique" montrant qu'Ingrid Betancourt
est en vie a conduit au tout dernier exemple qu'Uribe n'est pas
digne de la moindre confiance : Les émissaires qui transportaient
ces "preuves" vers vous, par l'intermédiaire du
Venezuela, ont été arrêtés et emprisonnés, violant ainsi
ouvertement l'entente implicite de sauf-conduit entre vous-même,
le Président Uribe et le Président Chavez.
Entre 1984 et 1990, les FARC ont réussi à se mettre d'accord
avec les Présidents Betancourt et Gaviria pour donner une chance
au processus électoral. Un grand nombre d'anciens membres des
FARC ont formé l'"Union Patriotique" (UP) avec d'autres
personnalités progressistes et des groupes de gauche. Au cours de
5 années, plus de 5.500 membres de l'UP ont été assassinés,
dont deux candidats à la présidence, détruisant ces méthodes
électorales si chères à votre cœur. Monsieur le Président
Sarkozy, je porte ces événements à votre attention, au cas où
vos conseillers auraient omis de vous informer sur les dangers et
les écueils auxquels est confrontée toute négociation des FARC
avec le gouvernement colombien. Qui plus est, l'insistance des
FARC pour un lieu de négociation est destinée à protéger ses
dirigeants et ses négociateurs de toute manœuvre soudaine d'Uribe
pour rompre les négociations et capturer ou tuer les dirigeants
des FARC.
Vous devriez avoir conscience qu'Uribe a joint à son appel pour
une zone démilitarisée réduite une récompense de 100 millions
des dollars pour les membres des FARC qui assassineraient leurs
dirigeants ou qui les livreraient à l'armée colombienne.
L'imposition unilatérale de conditions par Uribe
Monsieur le Président Sarkozy, comme vous le savez parfaitement,
pour entrer dans toute négociation, un camp ne peux pas imposer
unilatéralement et arbitrairement des conditions qui nuisent au
camp opposé, comme Uribe l'a fait. Le Président
"paramilitaire" a non seulement décidé de la
localisation, mais aussi de la longueur et de la largeur de la
zone démilitarisée, du temps limité imparti pour un règlement,
de l'attitude ultérieure des combattants de la résistance libérés
et d'une visite de la Croix-Rouge à la prison clandestine des
FARC, tout en insistant sur la caractérisation diffamatoire de
ses partenaires de négociation.
La taille réduite de la région démilitarisée (de même que son
choix sur le temps imparti) soulève une suspicion profonde sur
les motivations du gouvernement [colombien]. Une zone démilitarisée
plus petite rend plus facile pour le régime d'Uribe d'envahir et
de capturer les négociateurs des FARC. Une zone démilitarisée
plus grande n'affecte pas les questions d'importance qui doivent
être négociées ; elle faciliterait les négociations en
accroissant la sécurité des négociateurs.
Ensuite, les négociations ne peuvent pas être arbitrairement décidées
au cours d'un seul mois, alors qu'il y a de nombreuses questions
de grande complexité qui ont besoin d'être résolues : Tout
d'abord l'inclusion des deux dirigeants FARC emprisonnés aux
Etats-Unis, grâce à leur transfert arbitraire par Uribe.
Il n'y a aucun moyen au monde pour que les FARC acceptent de
permettre à une délégation de la Croix-Rouge de rencontrer les
prisonniers politiques qu'ils détiennent, ce qui faciliterait les
conseillers étasuniens d'Uribe, disposant d'une haute
technologie, à détecter et à attaquer la localisation des FARC.
L'obsession maladive d'Uribe d'annihiler physiquement les FARC,
comme le montre sa dernière éruption, devrait plaider pour qu'il
renonce à son exigence d'une assistance humanitaire de la
Croix-Rouge.
Il est inutile de dire que l'appel d'Uribe à ce que l'Eglise
"impartiale" assiste aux négociations est une blague de
mauvais goût : L'Eglise a été l'apologiste sans réserve d'Uribe,
de son organisation politique et de ses Sénateurs et Députés
des escadrons de la mort emprisonnés (trente en tout). Il y a
plusieurs groupes colombiens de défense des droits de l'homme,
qui ont été internationalement reconnus pour leur courage et
leur impartialité, y compris "Justice et Paix" et
"Reiciniar", qui peuvent mieux servir de tout rôle
intermédiaire.
Monsieur le Président Sarkozy, malgré vos limites et votre
posture morale prévisible, vous avez réussi à révéler la
politique dangereuse d'Uribe qui ne marche pas, consistant à
"libérer" par la force les prisonniers détenus pas les
FARC. Vous avez, au moyen de promesses et de menaces, amené Uribe
à accepter partiellement l'exigence raisonnable des FARC d'une
zone démilitarisée pour les négociations. Cependant, les
concessions apportées par Uribe sont insaisissables : ce qu'il
donne d'une main, il le reprend de l'autre ; il multiplie les
conditions inacceptables, précisément pour saper les négociations.
Parce que c'est dans les détails que le processus avancera.
A présent, voici le danger, Monsieur le Président. Votre geste
d'ouverture et, qui plus est, la pression que vous avez exercée
pour sécuriser un terrain pour les négociations vous a gagné le
soutien d'un grand nombre de citoyens français profondément
engagés dans la libération de leur compatriote, Ingrid. Je ne
vous le reprocherai pas ; vous vous êtes intéressé, vous avez
parlé, vous avez agi, mais vous n'avez pas encore réussi.
Pour commencer ne serait-ce que les négociations, vous devez une
fois encore convaincre Uribe d'être raisonnable (au moins à la
face du reste du monde), d'oublier ses agendas secrets, d'accéder
à la demande d'une zone sûre et démilitarisée de dimension adéquate
et de donner aux négociateurs le temps approprié pour résoudre
leurs différences. Dans des circonstances normales, M. le Président,
vous devez admettre que ce sont des exigences raisonnables. Mais
comme vous devez le savoir, Uribe n'est ni un négociateur de
bonne foi, ni disposé à un règlement équitable. Vous faites la
une des médias. Vous disposez d'un large soutien national et
international. Vous disposez de toute la crédibilité politique
(et du pouvoir) pour persuader, faire pression sur Uribe et le
tirer vers la table des négociations pour libérer Ingrid et les
autres, de même que les 500 prisonniers FARC qui pourrissent dans
les trous tuberculeux de la Colombie et des Etats-Unis. La réussite
ou l'échec se trouve désormais entre vos mains. Vous avez assumé
le devoir solennel de libérer Ingrid. Espérons que vous serez
fidèle à votre responsabilité.
Fraternellement,
James Petras
James Petras est professeur émérite de sociologie à
l’université Binghamton de New York. Il participe depuis 50 ans
à la lutte des classes et il est conseiller juridique des
sans-terre au Brésiul et en Argentine.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]
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