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Les inculpés du 11 novembre
Un ordre à faire tomber
Mardi 19 mai 2009 C’est raté. Nous n’avons pas eu peur des
terroristes « anarcho-autonomes » tissant des réseaux
internationaux. Cette irruption si brutale, si grossière, de la
police politique nous a poussés à mettre des mots sur nos
amertumes, à sortir de nos isolements.
Dès le lendemain des arrestations, les comités de soutien ont
fleuri comme des crocus après le dégel. Sans concertation ni mot
d’ordre, la contagion a opéré : concerts, débats, rencontres,
soirées… Partout, le soutien a réuni des dizaines, des centaines
de personnes.
C’est raté. C’était trop gros, peut-être. Personne n’a voulu
croire que celles et ceux qu’on accusait d’avoir débranché des
TGV étaient des brutes sanguinaires qui fomentaient de terribles
attentats. L’affaire de Tarnac a été un déclic. Parce que nous
avions oublié qu’on traitait ainsi les ennemi-e-s politiques,
oublié que quelques intentions radicales pouvaient mener si
officiellement dans vos geôles. Nous ne savions pas non plus que
ce qui représente à vos yeux un si grand danger était isolable
dans une fantasmatique mouvance. Nous avons senti, différemment,
de maints endroits, épidermiquement, que quelque chose clochait.
Et si ces arrestations mettent à jour une volonté de terroriser,
elle ne vient pas des personnes inculpées. Il y a une étrange
résonance, partout où nous évoquons l’affaire qui ici nous
occupe.
Et nous sentons bien que le soutien, au moins autant que dans
le nombre des signataires d’une pétition, est dans le regard
amusé de la passante qui observe une altercation entre des
policiers et un groupe de jeunes en souhaitant secrètement que
ces derniers l’emportent, qu’il est dans l’œil espiègle de celui
qui consulte au bureau un pamphlet antisocial caché dans un
manuel de management, dans le geste discret de l’administratif
dissimulant les pièces qui justifieraient une reconduite à la
frontière, dans la détermination de celles et ceux qui
séquestrent leurs patrons, qui pratiquent les réquisitions de
biens, ou dans la tension qui monte désormais systématiquement à
chaque fin de cortège. L’« affaire de Tarnac » est un prisme
efficace pour lire l’époque et les luttes qui la traversent. On
reconsidère avec moins d’indifférence les arrestations - plus
discrètes - qui avaient précédé. On voit plus clairement à quoi
servent les lois antiterroristes. Et à quoi sert le fichage, et
ce qu’il en coûte de vouloir s’y soustraire, et ce qu’il en
coûte d’accepter de s’y soumettre. Ce qui était diffus, dans
l’air, s’est cristallisé là de telle manière qu’il est devenu
très difficile de ne pas prendre parti.
On saisit mieux la nécessité pour un gouvernement, dans une
époque si explosive, d’inventer la figure d’un ennemi intérieur.
Et l’on devine en filigrane le cauchemar inavoué d’un système
qui perd pied : celui dans lequel les citoyens d’hier arrêtent
de jouer le jeu, se défient de l’ordre établi, et s’organisent
en conséquence. Il y a finalement bien des légendes auxquelles,
en chemin, nous avons cessé de croire. Comment, dès lors, ne pas
se sentir proche d’insoumis-es qui ont pris au sérieux la
nécessité de s’organiser collectivement ? Comment, dans cette
époque où ce qui se partage le mieux est l’amertume et le
sentiment de passer à côté de sa vie, ne pas ressentir une
complicité avec celles et ceux qui ont cherché à s’extraire de
la tristesse ambiante, et à lutter contre ses causes ?
Comment ne pas percevoir dans leur défiance l’écho de celle
que nous éprouvons tous ? Sans les arrestations du 11 novembre,
L’insurrection qui vient n’aurait peut-être jamais été
aussi lu - en tout cas, pas collectivement, et sans doute pas
dans une perspective si évidemment pratique - ; comme n’auraient
peut-être jamais eu lieu toutes ces discussions, toutes ces
actions, toutes ces rencontres.
Nous éprouvons la force et la joie qu’il y a à mettre en
commun nos doutes et nos colères, et nous voyons des « bandes »
se former que vos récentes lois n’arriveront pas à dissoudre.
Nous voyons combien les arrestations qui, pour des motifs plus
ou moins oiseux, se succèdent, relèvent du réflexe panique d’un
pouvoir affolé. Aussi, elles ne nous dissuadent plus de
grand-chose. D’autres personnes sont encore en prison pour des
motifs similaires à ceux de Tarnac. Certaines y retournent, pour
n’avoir pas scrupuleusement respecté l’interdiction qui leur
était faite de se voir. Les contrôles judiciaires, la dispersion
forcée de toutes les amitiés qui s’organisent, se multiplient.
Vos prisons, et toutes celles que vous pourriez construire, ne
suffiront jamais à enfermer tout ce qui sort de vos normes. Et
où que nous soyons, les solidarités se tissent. Dans cette
période de crise et de troubles, nous ne sommes qu’une voix dans
le concert de celles et ceux qui ne s’accommoderont plus de
rabibochages. Dans des pans entiers du territoire, dans des pans
entiers du peuple, l’adhésion au système est en miettes. La
désaffiliation devient un peu partout un chemin praticable. Et
c’est tant mieux.
Rien ne nous console tant de ce que vous avez voulu infliger
aux « neuf de Tarnac », que de constater que de toutes parts
surgissent pour vous des menaces autrement plus nombreuses que
ce que vous avez cru conjurer. Ce n’est plus de
l’incompréhension que nous ressentons, à retracer le fil de
cette affaire. Mais comprendre les logiques à l’œuvre n’apaise
pas. Cela aiguise seulement la colère. Les inculpations doivent
être levées, comme doivent être défaits les arsenaux
antiterroristes, antibandes, antimasques, antirassemblements,
qui visent à briser toute solidarité effective. Durant tout le
mois de mai, dans chaque ville où ils se trouvent, les comités
de soutien multiplieront les initiatives ; le 8 mai, se
tiendront des réunions publiques afin que se pose partout la
question de savoir ce que signifie réagir à hauteur de la
situation qui nous est faite. Il n’y a pas neuf personnes à
sauver, mais un ordre à faire tomber.
A la fin mars, près de trente comités de soutien aux inculpés
de Tarnac se sont retrouvé à Limoges pour discuter des suites à
donner à leur action. Ce texte a été élaboré au cours de ces
rencontres. Le site du
Comité de soutien aux inculpés du 11
novembre
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